- 𝙲𝚎𝚞𝚡 𝚚𝚞𝚒 𝚛𝚎𝚜𝚝𝚎𝚗𝚝 - SEPTEMBRE 2085
𝙲𝚎𝚞𝚡 𝚚𝚞𝚒 𝚛𝚎𝚜𝚝𝚎𝚗𝚝 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚗𝚘𝚜 𝚌𝚘𝚎𝚞𝚛𝚜 𝚗𝚎 𝚜𝚘𝚗𝚝 𝚙𝚊𝚛𝚏𝚘𝚒𝚜 𝚙𝚕𝚞𝚜 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚗𝚘𝚜 𝚟𝚒𝚎𝚜.
Après une dizaine de minutes de marche, nous sommes arrivés devant le foyer du couple endeuillé. Je me suis figé devant le bâtiment. Ça ne me ressemblait pas de paniquer ainsi, mais l'idée de voir à nouveau ces personnes aux traits fort semblables à ceux du garçon dont j'étais autrefois amoureux m'effrayait. Je n'avais aucune idée de quoi leur dire. Devrais-je m'excuser ?
- Come on, everything will be fine.
Sans me laisser le temps de protester, il saisit ma main et me traîna avec lui vers le perron de la maison. Dès qu'il sonna, la porte s'ouvrit et une femme d'une cinquantaine d'années apparut. Elle était plus grande que moi et avait des cheveux vert jade rassemblés en chignon haut. Ses vêtements étaient composés d'un yukata noir parsemé de nuages blancs et décoré de pétales de cerisiers, serré par une large ceinture cyan. Ses yeux violets brillaient de vie, et un sourire généreux nous était destiné. Cette vision fit serrer mon coeur. Elle lui ressemblait tellement... Et sa tenue . . . Merde, je n'aurais pas dû me laisser traîner ici.
- Good Morning Shirakumo-san !
- Yamada-kun, quel plaisir de te revoir ! Et je t'ai déjà dis de m'appeler Kane-san ! Enfin, entrez les garçons, vous êtes les bienvenus dans ma maison !
Même sa voix se rapprochait de celle du bleuté... Et elle était aussi chaleureuse que lui. Ça me faisait mal, mais je ne pouvais pas réprimer un mince sourire nostalgique. D'une certaine manière, même si le souvenir était encore un peu douloureux, voir toutes ces choses qui me faisaient penser à lui était quand même agréable.
- Le plaisir est pour nous, Kane-san ! You're beautiful !
- Merci beaucoup, tu es vraiment gentil !
- I only said the truth !
Elle me salua aussi, sans perdre son sourire, et nous a invités à l'intérieur. Nous sommes entrés dans la demeure et nous nous sommes déchaussés. L'intérieur était sobre et lumineux. La femme nous guida vers la pièce à vivre, où son épouse lisait un journal assise sur une chaise en bois. La seconde mère de Shirakumo leva les yeux vers nous et me relooka de haut en bas sans rien dire. Je fis la même chose de mon côté.
Elle paraissait plus vieille que son âge, les rides sur son visage symbolisaient les périodes douloureuses qu'elle avait affrontées. Elle était vêtue d'un polo noir et d'un pantalon de ville de la même couleur. Ses iris lapis reflétaient un éclat de regret et une pointe de colère. Je ne savais si cette colère était dirigée envers moi ou envers la mort qui lui avait retiré son seul enfant. Et si la couleur de ses cheveux –presque semblable à ceux d'Oboro– me perturba, c'étaient surtout les deux oreilles félines qui surplombaient sa tête que je fixais avec trop d'insistance.
Je ne savais plus d'où je tenais cette information, mais je savais que la plus silencieuse du couple avait hérité de ses parents ces attributs de chats, mais qu'ils constituaient plus un caractère physique que son alter. Elle était née d'un homme possédant une mutation animale, et d'une femme humanoïde au pouvoir de matérialisation. Et mise à part une ouïe plus développée que la moyenne, elle n'avait pas grand chose d'un chat. Sa véritable capacité était, il me semble, de transformer momentanément les objets qu'elle touchait.
Après avoir fini de la détailler du regard, j'ai plongé mes pupilles dans les siennes et nous sommes restés à nous fixer un certain moment, faisant monter la tension dans la pièce. Aucun de nous ne parlait, nous ne faisions que nous jauger l'un l'autre. Au bout d'un moment, Hizashi, mal à l'aise, tapota sur mon épaule avant de s'éclipser dans la cuisine avec Kane.
- Je reviens, ne fais pas de bêtise, me chuchota-t-il en s'enfuyant.
Ces deux-là pensaient visiblement que nous avions besoin de nous retrouver seuls à seuls, cette femme et moi. Mais tout ce que je pouvais faire était soutenir son regard dans le silence. Les excuses auxquelles j'avais pensées, les mots que j'avais préparés, tout s'était envolé à l'instant même où j'étais entré dans cette pièce.
Je me demandais ce que je foutais là. Je n'avais rien à faire là. J'avais échoué à protéger Oboro, il était mort à cause de mon manque de vigilance, et toutes les années passées ne changeront pas ce fait. Je ne devrais pas me retrouver là, les bras ballants comme un abruti muet, avec une stupide fleur dans la main comme si ça allait pardonner mon impuissance. Je voulais repartir, mais j'étais figé.
J'avais l'impression qu'il ne fallait surtout pas que je brise la connexion visuelle avec la cinquantenaire aux yeux outremers. C'était probablement une angoisse infondée, mais elle s'était insérée dans mon coeur et je ne parvenais pas à m'en débarrasser. Je regrettais d'être venu. À quoi j'avais pensé ? Me ramener ici comme une fleur après six ans de fuite et demander pardon ne règlerait rien ! Qu'est ce que j'avais cru ? J'étais vraiment un imbécile.
Au moment où je me convainquais qu'il fallait que je reparte sans histoires, la bleutée posa son journal et se leva. Tout mon corps se tendit et, sans que je n'ai pu préméditer quoi que ce soit, se pencha en une révérence droite et polie qui s'apparentait à une salutation traditionnelle. Ou peut-être était-ce une excuse ? J'en savais trop rien, mon corps avait bougé tout seul. Toujours à l'encontre de ma volonté, ma voix s'éleva à l'adresse de la demi-féline en face de moi.
- O-ohayo Shirakumo-san ! Je m'appelle Aizawa Shota, et je vous présente toutes mes condoléances !
Je n'avais rien contrôlé, ni mes mots hésitants, ni le timbre tremblant de ma voix, ni la hauteur trop élevée de mon ton. Ce n'était pas de mes habitudes de crier ainsi. Comme je n'avais pas reçu de réponse immédiate, je restai immobile dans cette position, surpris par ma propre attitude, incapable de faire quoi que ce soit de plus. Après quinze secondes bien trop longues à mon goût, mon interlocutrice prit enfin la parole.
- Je sais qui tu es, Aizawa-kun. Nous nous sommes déjà rencontrés. Tu peux te redresser.
J'obéis, les membres toujours crispés et le regard incertain. Sa voix à elle était calme et posée, abstînt de toute hostilité. Elle s'avança de quelques pas vers moi puis se courba pour répondre à ma salutation.
- Shirakumo Saeko. Tu es le bienvenu chez moi.
Elle finit par m'offrir un sourire amical qui me perturba. Je ne savais pas comment me comporter avec cette femme.
- Assieds-toi je te prie.
J'ai hésité quelques instants avant de m'installer à même le sol, à genoux devant la table basse. Leur salon n'était pas très grand, mais suffisant pour deux personnes. Il y avait des cadres photos posés sur un meuble, et je devinai le visage d'Oboro sur certains d'entre eux. La pièce était sobrement décorée, quelques souvenirs et décorations pour enjoliver les murs, mais sans plus. Ni trop, ni pas assez, un équilibre parfait. J'avais beau juger les éléments décoratifs comme non-essentiels, j'étais capable de reconnaître leur utilité et leur valeur. Les Shirakumo s'étaient bien approprié cette maison, on sentait qu'elles étaient bien chez elles.
Je n'étais jamais allé chez le nuageux durant son vivant. Nous nous étions retrouvé plusieurs fois chez Yamada, une ou deux fois chez moi (ils m'avaient suivi contre mon gré), mais pas chez le bleuté. Je ne trouvais pas ça important avant, mais à ce moment, au milieu de cette maison, je me disais que j'aurais aimé voir à quoi ressemblait la chambre de mon ami à l'époque. Elle était probablement remplie de babioles inutiles comme celle d'Hizashi. Mais ce genre d'idioties représentait les gens qui occupaient ces pièces de vie. Dans quel univers se retrouvait cet abruti trop optimiste lorsqu'il quittait le lycée et rentrait chez lui ? Je n'aurais jamais la réponse.
- Je suis heureuse que tu sois venu, Aizawa-kun.
- Pourquoi ?
La question était sortie toute seule –décidément les mots m'échappaient souvent.
- Les amis de mon fils, même s'il n'est plus de ce monde, seront toujours bien accueillis dans ma demeure.
Mon coeur se serra légèrement et j'ai baissé la tête. Je n'avais pas l'impression d'avoir le droit de me trouver ici.
- Je suis désolé...
- Il n'y a pas de raison de l'être. Nous avons tous traversé une période difficile. C'est douloureux d'être de ceux qui restent.
Déglutissant, j'ai relevé les yeux vers cette femme qui avait élevé mon ancien petit-ami. Elle avait l'air gentille et compréhensive, mais le deuil se lisait sur son visage. Je me demandais si j'étais comme ça moi aussi. Je me regardais assez peu dans un miroir, alors je ne savais pas trop à quoi je ressemblais. Avais-je l'air aussi triste ?
- Je suis désolé quand même, j'ai répété.
Je détestais qu'on me dise cette phrase, après l'incident. J'ai toujours trouvé ça incroyablement stupide. Pourquoi ces gens que je connaissais à peine s'excusaient d'un fait dont ils n'étaient aucunement responsables ? Leurs petites phrases pré-écrites ne ramèneraient jamais Oboro. Et leurs «désolé» sonnaient creux, je n'aimais vraiment pas ça. Pourtant, ces mots étaient les seuls qui me venaient lorsque je voyais les Shirakumo. Mon vocabulaire n'était pas suffisant pour décrire mes sentiments vis-à-vis de ce couple. J'ai fermé les yeux un instant, avant de reprendre la parole.
- Je pense toujours que je suis désolé, même si vous ne m'en voulez pas, même si vous répétez que ce n'était pas de ma faute. Ça me poursuit aujourd'hui encore... Je sais que c'est irrationnel, que je ne peux plus rien changer, que le passé est passé, mais je me sens toujours...
J'ai serré mes poings sur mes genoux tandis que mes iris se mirent à scruter tous les défauts de la table basse.
- Je ne sais pas comment l'expliquer. Je crois que vous êtes des personnes vraiment gentilles, à son image, et c'est pour cette raison que je me sens autant désolé. Vous auriez dû être une famille unie et heureuse.
La bleutée secoua doucement la tête de gauche à droite.
- Nous étions une famille unie et heureuse, affirma-t-elle, et même s'il ne reste que Kane et moi, nous le sommes toujours. Nous avançons vers l'avenir sans oublier le passé.
Elles étaient vraiment fortes et courageuses d'avoir pu se relever ainsi. Moi qui avais mis tant de temps à me remettre à vivre, je respectais ces personnes qui se tenaient la tête haute dans l'appartement où elles auraient dû vivre avec leur fils.
Avancer vers l'avenir... Difficile lorsque la personne censée constituer celui-ci avait disparu. Je voulais construire mon avenir auprès d'Oboro et d'Hizashi. Mais je n'arrivais plus qu'à penser qu'au présent. Un pas, après l'autre, et encore un ; c'était ainsi que j'avançais sans vraiment voir où j'allais.
- Vous avez raison, j'ai répondu. Ignorer le passé ne l'efface pas, et le ressasser ne le modifie pas.
- Oui, tout ce que nous pouvons faire, c'est nous souvenir. Et rendre hommage à ces souvenirs. Tiens, regarde ça.
Elle se leva et attrapa un cadre photo qui trônait sur une étagère, puis me la rapporta. Elle me montra une image de son fils lorsqu'il était enfant, environ douze ans, qui souriait de toutes ses dents avec ses cheveux nuageux qui flottaient grâce au vent. Ses iris cyan brillaient d'innocence et de fierté. Il était debout, faisant le V de la victoire face à la caméra, alors que ses vêtements étaient sales et abîmés. Il ne semblait pas se préoccuper de son apparence, il souriait simplement comme s'il venait de gagner un championnat. Derrière lui se dessinait un paysage campagnard avec un grand pommier rempli de fruits presque mûrs. Il avait l'air tellement heureux...
- C'était l'été de ses douze ans, expliqua Saeko, nous étions partis en vacances à la campagne. Il s'était fait un ami dont l'alter était de glisser sur les surfaces comme s'il avait des rollers. Oboro et lui avaient décidé de faire la course pour savoir qui était le plus rapide, et Oboro a gagné. Il a insisté pour que sa mère le prenne en photo. Après ça, il a gardé cette image comme un porte-bonheur, il en était vraiment fier. C'était le symbole de son invincibilité, qu'il disait. Nous gardons cette photo pour nous rappeler quel genre de garçon il était : agité, sportif, insouciant, intrépide et heureux. Et il n'a pas changé en grandissant.
Elle me laissa prendre le cadre, que je serrais délicatement entre mes doigts comme si c'était une pierre précieuse fragile. L'éclat de son sourire était exactement le même que lorsque je l'avais connu.
- Je suis sûr qu'aujourd'hui aussi il serait toujours pareil. À 22 ans avec un air trop joyeux collé au visage, il n'aurait pas arrêté ses bêtises. Tu ne crois pas ?
- Si... j'ai soufflé doucement.
Je lui rendis l'objet, qu'elle alla reposer à sa place. Je me suis levé pour observer les autres photos de la pièce, prenant chaque fois le temps d'admirer et de m'imprégner de l'expression toujours pétillante du défunt.
- D'une certaine manière, même s'il n'est plus là, il continue d'illuminer notre foyer. commenta la demi-féline aux iris bleues.
C'était une pensée bien niaise. Mais je devais avouer que le sourire de ce garçon, même sur une simple image, était éblouissant. C'était de ce garçon là dont j'étais tombé amoureux. C'était ce sourire qui m'avait charmé. C'était cette chaleur qui me manquait.
Mes lèvres s'étirèrent en un sourire nostalgique. Des sentiments mitigés se battaient en moi, mais au fond, rien de vraiment désagréable. Je repensais à toutes ces phrases bateaux qu'on me répétait par rapport au deuil. Il n'y en avait pas une pour rattraper l'autre. Les gens tentaient de me réconforter avec un sourire compatissant et quelques mots piochés dans un recueil de citation, et ils s'imaginaient que j'allais brusquement ouvrir les yeux et aller mieux. Ce n'était pas comme ça que ça marchait. La douleur ne disparaissait pas d'un coup. La douleur ne disparaissait pas tout court.
- Le temps ne guérit rien du tout, je murmure, perdu dans mes pensées. Il nous apprend juste à vivre avec la peine.
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[ 2272 mots ] — 26.03.2021
J'aime beaucoup ces deux mamans, elles sont toutes les deux adorables mais chacune à leur manière !
Kane est une femme enjouée, ambiverte et chaleureuse, tandis que Saeko est plutôt timide, calme et clémente. Elles ont un an de différence mais sont nées le même jour ! Je raconterais peut-être un jour comment elles se sont rencontrées ^^
Je vous montrerai à quoi elles ressemblent un peu plus tard (même si certain.e.s le savent déjà oops) !
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Cho.
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