i. abysses
— Excusez-moi, je suis perdu. Vous sauriez comment rejoindre la gare, d'ici ?
Un touriste, encore. À croire qu'il est écrit guide sur son front, à moins que ce ne soit panneau directionnel. C'est le malheur des charmantes mais infimes villes, son lot de vagabond urbain. Faut dire aussi, y'a que des retraités ici. Alors passé six heures, le paysage c'est les gris pavillons fleuris, la mer le long des quais, quelques chats et lui, Hyunjin. Âme solitaire en quête d'inspiration, sa musique préférée c'est l'océan, le vent d'antan.
Forcément qu'on lui demande à lui, quand sa silhouette seule décore les trottoirs. Aussi affalée et renfrognée soit-elle, aussi concentrée demeure-t-elle. Posé au bord du quai, l'eau pâle sous ses pieds, il indique distraitement la direction au jeune homme. Sans se détourner des vagues, les pupilles voyageant entre elles et son croquis, il espère avoir retrouvé solitude.
— Tu dessines super bien. Faut combien d'années, pour ce niveau ?
Bon. À moins qu'elle ne soit une gueule d'ange à la voix inutilement gaie, ce n'est pas solitude, en sa compagnie.
— Ça dépend. Au moins une, ou deux. Voire trois, j'sais pas moi.
— Vraiment, c'est tout ?!
Las, Hyunjin se tourne, agacé sans même le cacher. C'est la première fois qu'il pose les yeux sur le gars des nuages, celui aux sourires d'infinis, comme il l'appellera plus tard.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que pour l'instant, il ne le porte pas dans son cœur. Ce touriste tout juste adulte et ses airs de benêt, sa curiosité ennuyante, la saveur de sa voix, un peu (bien trop) semblable à la sienne. Les rimes de cette fille poésie, l'imprimé aquarelle de leurs souvenirs, dans cette ville qu'eux seuls animaient. À peine leurs regards croisés ça l'a frappé, ils étaient tous deux enfants de l'azur, du paisible horizon.
Hyunjin, lui, c'est un enfant des gris absents. De la mer profonde, des vents incertains. Il a rien à faire avec eux et d'un autre côté, l'océan et le ciel ne sont que deux faces d'une même pièce, il le sait bien.
Mais parfois, ça n'en vaut pas le coût. Deux étendues infinies, ça se confond et ça s'oublie, ça coule dans son propre amour. Une fois le dégradé de sentiments usé, y'a l'espoir qui se tait. Hyunjin ne veut plus sombrer.
— Ouais, c'est tout. 'S'agit pas du style le plus dur alors, si c'est juste de l'imitation technique, ça se fait.
Doucement, la gueule d'ange acquiesce, son attention toute à l'artiste. Artiste qui n'aime ni bavarder, ni être écouté, c'est qu'il n'est pas exemple de sagesse, l'enfant océan. On en tire rien à ses côtés, si ce n'est déception. Du moins, il se plaît à l'affirmer, se l'est toujours raconté. Ne pas aimer et ne pas se laisser aimer, c'est la devise des vides d'estime, après tout.
— Tu comptes rester là encore longtemps ?
Y'a rien de méchant, gueule d'ange l'agace à faire la plante verte, voilà tout. Mais peut-être aussi qu'il est aigre, Hyunjin. Légèrement, rien qu'un peu.
— Peut-être. Pourquoi ? Je te dérange ?
Et ces questions ne sonnent ni blessées, ni indignées. Même pas un peu, elles sont seulement habitées de curiosité, c'est d'autant plus perturbant.
— Peut-être.
Ils n'ont rien en commun, elle et cet inconnu. Et pourtant, y'a le même ciel dans leurs yeux. La même voix légère, flottante, portée par leurs mots. L'amalgame est rapide mais il en faut peu, aux cœurs affaiblis. Alors Hyunjin n'y peut pas grand-chose, s'il se sent hanté par sa présence, à cette amie du passé. Rien n'avait abouti que déjà, elle devait s'aller, le besoin d'ailleurs et l'ambition trop grande. Puis avec un gars comme ça, chez lui entre deux marées d'incertitudes, muet sur ses peurs comme sur ses joies, elle avait lâché l'affaire, la porteuse de rêves. Et personne n'aurait pu le lui reprocher.
Pour résumer, il voudrait la paix, Hyunjin. Surtout des enfants des nuages, c'est malheureux mais il sera plus hostile, aux douces âmes.
— Peut-être ? répète finalement le brunet, d'un rire déconcerté. T'es étrange comme gars, un peu.
— Rien te retiens donc si c'est pour m'insulter, casse-toi.
Sur quoi, il se remet à esquisser.
— C'est pas une insulte, pas dans ma bouche en tout cas. Les gens étranges sont plus intéressants, tu penses pas ?
Tout compte fait, il sont pas si semblables, elle et lui. Plus vraiment, à y regarder encore. Elle avait la subtilité plus affinée, disons. Plus raffinée, aussi.
— C'est toi qu'est étrange, si tu veux mon avis.
— Je sais, il rétorque, souriant de plus belle.
— Vraiment étrange.
Un instant, Hyunjin se laisse aller, s'autorise à admirer ou même analyser, le détail de son être. Ses yeux félins, sa peau diaphane, le rose doux des lippes. Ses mèches, presque longues, noir d'encre tombant à niveau de cils. La silhouette élancée dans les vêtements larges, cet inconnu. Et son âme d'artiste, à Hyunjin, elle crie à l'œuvre d'art. Il a tout pour lui, ce gars des nuages. Mais comment rendrait-il, en traits aquarelle ?
— C'est pas une compétition, tu sais.
Quel idiot. Il doit oublier cette idée, un inconnu n'a rien à faire sur ses tableaux.
— T'avais pas un train à prendre ?
— Non, j'ai changé d'avis, décrète l'autre.
Ce faisant, il prend place à ses côtés, l'air de rien et l'air de tout à la fois. Parmi les nuages, ça s'assombrit doucement. La nuit prend le dessus et l'atmosphère ardoise, aux teintes infinies d'azur et gris, s'installe. Hyunjin ne répond rien sauf un bref hochement de tête, il commence à s'accoutumer à la présence du jeune homme, malgré tout.
— Tu me dis pas à quel point j'suis irresponsable, inconscient ?
— Pourquoi je ferais ça ? Vis comme tu l'entends, j'suis pas concerné.
— C'est ce que les gens braillent, quand je balance des trucs comme ça. Comme quoi j'sais pas ce que je fais, c'est dangereux, je gaspille mon argent. Comme si c'était ça qui comptait, comme s'ils avaient toutes les cartes en main, alors qu'ils ont qu'un versant de l'histoire, ce qu'on veut bien leur laisser voir.
Étonnamment ou pas, elles résonnent en Hyunjin, ces paroles.
— J'suis pas les gens, t'en fais pas pour ça.
Le sourire qu'on lui offre alors, il n'éblouit pas comme les autres. D'une sincérité moins contrôlée, plus généreuse et plus libre. Sans artifices, la joie est encore plus divine.
— Dis, j'peux rester là ce soir ?
Fidèle à lui, Hyunjin ne questionne pas une raison, il ne la nécessite pas. En revanche, il hésite à rester, lui. Le brunet doit le comprendre à travers son expression, ils ne se connaissent pas, après tout.
— T'es pas obligé de me tenir compagnie, tu sais. J'suis un grand garçon.
Mais ça se ressent quand on le voit, ça se devine à ses pupilles. Ce soir, c'est pas un soir à rester seul.
— Si, d'accord. Mais alors, tu me laisses te peindre.
Haussement de sourcils, hilarité légère. Surprise embaumée de joie, surtout.
— Pourquoi pas, monsieur l'artiste.
— C'est pour avoir quelque chose à faire.
— Mh-mh.
Même cette gueule d'ange n'est pas convaincue, c'est pour dire. Il ment mieux d'ordinaire, Hyunjin.
— Je dois faire quoi exactement, du coup ? demande le désormais modèle, le dos droit comme un piquet.
Pour la première fois depuis, même lui ne sait plus vraiment, un rire échappe au garçon océan. L'autre mime un miracle – c'était pas tellement bien parti, eux deux – et le peintre lève les yeux au ciel.
— Ce que tu veux, détente. Tu peux parler ou quoi, juste, te lève pas toutes les cinq secondes.
— Noté, chef.
Hyunjin commence à sortir ses pinceaux, roulant de plus belle les yeux. La rumeur de la ville faiblit plus qu'elle ne l'était déjà, la lune et son bleu nuit régneront en maître sur les prochaines heures. Les vagues face à eux s'agitent, c'est une musique qui les apaise. Loin de la capitale, le port héberge les égarés, ça en a toujours été ainsi.
— Comment tu t'appelles, sinon ?
— Jeongin. Et toi ?
Alors c'est ça, le garçon nuage, les sourires célestes. Jeongin. Va falloir qu'il s'habitue, c'est que ça lui va drôlement bien – c'en serait presque indécent.
— Joli. Hyunjin, mais tu peux garder l'artiste, si tu préfères.
Sourires complices, silences accordés. C'est peut-être ça, le résultat de deux âmes étranges, étrangères à elles-mêmes et inconnues à toutes. C'est peut-être eux, ce soir.
ᨒ
Lui et un enfant des nuages
il s'était promis, plus jamais
seulement voilà,
la muse appelait à l'art
l'eau tourmentée a cédé.
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