Les chambres se répartirent telles que Jiseok, Jeongin et Felix occupèrent le premier chalet et Hyunjin, Chaeryoung, Seungmin et Minho le second. La matinée passa, le camping offrait un beau et agréable cadre, avec ses discrètes installations boisées. Au creux d'une plaine généreuse en arbres, buissons et ruisseaux, des cascades lorsqu'on remontait la rivière et des voisins peu nombreux, y'avait vraiment cet air vacancier, cet air loin de tout.

  Minho, moins énergique que d'ordinaire, s'était posé sur la terrasse de son chalet et observait ses amis aller et venir, discuter. Les schémas sociaux, les liens qui se renforcent et s'emmêlent, c'est une des choses qu'il s'amusait à étudier, en ce moment du moins. Et il était ravi de voir combien Seungmin, il s'entendait bien avec ses amis. Encore mieux qu'il l'avait espéré, ça lui laissait même un goût amer, le long des sourires empathes. L'inquiétude ranimait le vide dans son cœur, et plus il s'inquiétait, plus le vide grandissait.

  Alors il se faisait invisible, car c'est comme ça qu'il se sentait, dans ces moments. Mais ça lui allait pas vraiment, à Minho, de palir ainsi. Felix fut peut-être le seul à le noter.

    — Reste pas dans ton coin comme ça, c'est moins drôle sans toi.

    — Mh. Désolé, j'suis fatigué aujourd'hui.

  Le blond haussa les sourcils, suspicieux. Puis, devant le manque de réponse offerte, il se laissa tomber dans un soupir sur le bois lisse, aux côtés du garçon.

    — Y'a quoi, Lee Minho ? Allez, dis-moi, que je remplisse un peu mon rôle de therapist friend.

  Cette réplique fit sourire le roux, c'est vrai que Felix, tout le monde se confiait à lui. Mais pas de la même manière qu'à Minho, qui écoutait plus que ne réagissait. Puis, dans son cas, c'était souvent inconscient qu'on avouait les secrets, sans trop y penser. Il avait ce don de faire chuter les barrières sans bruit.

    — C'est rien, juste... Ça va pas fort, aujourd'hui ? J'me sens secondaire.

    — Secondaire..?

    — C'est bête, laisse tomber, coupa l'aîné.

  Sur quoi il s'excusa et partit, en aucun cas prêt à exposer ses inquiétudes, là maintenant. Felix ne put ajouter un mot que déjà, il rejoignait la rive, calme et alguée.

  Ironiquement, il aimait moins quand c'était ses barrières à lui, qui faiblissaient.

꒰ა ☁︎ ໒꒱

    — T'as pas bonne mine, il s'est passé un truc avec Seungmin ? Vous avez l'air distants.

  Si l'on devait décerner un prix d'honnêteté, sans doute qu'il irait à Jiseok. Ajoutez à cela ses intuitions diablement exactes, il confrontait Minho à tout ce qu'il souhaitait nier.

    — Non, ça va. J'ai pas très bien dormi mais y'a rien avec Seungmin, j'te jure.

  Lui qui ne savait mentir, le voilà qui s'y retrouvait contraint. Heureusement ou pas, dissimuler la vérité sous des paroles creuses, ça s'apprend vite. Et aujourd'hui, il n'hésitait pas. S'il pouvait éviter les questions et les confidences en découlant, alors il ferait tout pour.

  Parce qu'il n'y avait rien à parler, parce qu'il se montait la tête seul en inquiétudes. Justifier ses maux en mots logiques, il n'y parviendrait pas, et le savait déjà. C'était rien, rien d'important. Rien qu'un de ces jours étranges, flottant dans l'angoisse calme du rêveur déchaîné.

  — Mh, si tu le dis. Au cas où, je fais un très bon cupidon et messager, il ajouta, susurrant à son oreille.

  Puis, l'air de rien, il regagna l'avant de la file. L'heure était gris sombre, le soleil presque disparu et la petite troupe, décidée à profiter de ses vacances, progressait ardemment sur le sentier étroit. Le son de la rivière pour seul compagnon, c'était apaisant ce silence de voix, si rare avec un groupe comme celui-ci.

  Mais justement, cette singulière musique s'amplifia peu à peu, plus fort et encore plus puissamment. Jusqu'à ne laisser intactes que leurs pensées. Le bruissement du vent, les gazouillis des oiseaux, ils s'accordèrent sans broncher à la douce mais dominante cascade, la mélodie de l'eau berçant chacune des précédentes.

  Les premières étoiles se peignirent, Seungmin se joint à son ami. Et le bassin de la cascade, lui, s'ébauchait dans leur vision. Comme pour rattraper cette journée, Minho sourit au plus jeune, et le cadre onirique n'y était probablement pas pour rien. Il y puisait du courage d'il ne savait trop où, mais en puisait.

  Il demeurait cependant un courage qu'il ne possédait pas, malgré le sourire rendu du brunet. Celui de sauter, sans hésiter, dans l'eau glacée de fin février. D'un autre côté, il n'y avait sans doute que Jiseok, d'assez fou pour cela.

    — Allez, venez ! J'vous promets, elle est pas si froide que ça.., argua le garçon.

  Déjà tout immergé, l'air confortable et sourire aux lèvres, on aurait pu le croire, s'il n'était pas réputé pour ses mauvaises blagues.

    — Ouais mais j'suis pas certain du truc. Donc... Amusez-vous bien ! conclut Minho, commençant déjà à s'installer dans l'herbe fraîche.

  Mauvaise idée.

    — T'as pas confiance en moi, c'est ça ? J'suis vexé.

    — C'est pas ça...

    — Maintenant, les gars ! le coupa soudain le coloré, les iris brillant de traîtresse malice.

  Le fourbe.

  Profitant qu'il ait déposé son sac et son blouson, Chaeryoung et Hyunjin l'attrapèrent par le dos et les jambes et, sans plus de délicatesse, le lâchèrent une fois l'eau assez profonde. C'est sans suprise qu'à peine Minho émergé, ils se firent couler à leur tour, buvant la tasse l'un après l'autre. Jiseok se joignit évidemment à leur petite bataille tandis que sur la rive, Felix, Seungmin et Jeongin profitaient tranquillement des lieux.

    — Pourquoi vous tentez pas de les noyer, eux ? articula le rouquin entre deux esquives, reprenant tout juste son souffle.

    — Ils sont moins drôles à embêter, répliqua la châtaine.

    — Et Seungmin est adorable, alors on l'épargne, ajouta Jiseok, à moitié sérieux.

  Et même si Hyunjin n'acquiesça pas, une touche sceptique encore dans les yeux, l'idée semblait commune.

    — Du favoritisme, non mais je vois, d'accord, s'indigna faussement l'ainé.

    — Vraiment, Lee Minho ? C'est audacieux de ta part.

  Le susnommé fit volte-face, réalisa le sérieux du mot. Il n'était pas si évident, à se dissimuler en sourires calmes et attitude légère, mais Minho le connaissait, à force. Hyunjin et ses messages cachés, questions-reproches en suspens, l'air de rien.

    — Comment ça ? il souffla finalement, agacé.

  Et peut-être qu'il jouait un peu l'idiot, cachait ses sentiments en mauvaise foi. Mais enfin, ça n'aurait pas dû paraître autant, soudain il se sentait vulnérable, trop vulnérable. Au milieu des sourires amusés, l'insouciante jeunesse reçue en vagues et lui qui s'en noyait, abandonné des illusions. Seungmin aussi, il avait deviné ?

    — Genre t'as pas un soft spot pour lui.

  Il ne pouvait même pas nier. C'est pas lui, de mentir, l'exception a trop duré. Alors, défait, il haussa les épaules. Au final, il était pas bien différent de Seungmin, un peu comme tous : il appréciait pas tellement, qu'on lise ainsi en lui.

  Et si ses amis, à ses pas fuyants, s'interrogèrent du regard, on n'en fit pas non plus grand cas. Car c'était ça, souvent. Minho agissait et on ne comprenait pas tout, au garçon soleil. Ses émotions le guidaient mieux que la raison, plus que les explications.

    — Minho ?

  Ah bah tiens, comme s'il ne l'hantait pas déjà assez. Encore un don de Seungmin, surgir à la fois aux pires et meilleurs moments.

    — J'peux y aller, si tu veux.

  Il n'empêche qu'elle l'apaisait toujours autant, sa voix melliflue. Tous ses tourments disparaissaient avec, alors qu'importait le reste.

    — Non, c'est... c'est bon.

    — T'es sûr que ça va ?

  Mieux, maintenant que t'es là.

    — C'est pas mon jour, c'est tout.

    — J'avais cru comprendre... Mais j'suis là, tu sais. Si y'a quoi que ce soit, hésite pas.

  Regard complice, joues rouge traître. Si seulement c'était pas interdit, ces sentiments, il s'en voudrait moins Minho. Assez pour laisser son cœur parler, être moins aveugle. Assez pour leur laisser une chance.

    — Viens, souffla le brunet, j'allais à la cascade.

  D'un mouvement de tête, il la désigna, fièrement dressée à une douzaine de mètres. À s'écouler sans fatiguer, parmi l'atmosphère lascive du lac, elle ne paraissait même pas tant puissante.

  L'eau aux épaules, ils avancèrent sans plus développer, et s'ils chérissaient ou maudissaient ce calme, on n'en savait trop rien. Sûrement parce qu'eux non plus.

    — Je croyais que tu comptais pas te baigner..?

    — T'avais l'air de t'ennuyer, il rétorqua, désinvolte.

    — Alors t'es venu pour moi ?

  Il avait surgi sans demander, l'enthousiasme ravivé. Mais c'était la faute à l'eau froide, elle engourdissait ses sens et pensées, ça ne voulait rien dire.

    — Peut-être. Et alors ?

  Et alors rien du tout.

...Vraiment, rien ?

    — Ça signifie quelque chose, pour toi ?

  Mais il était futé, Seungmin. Et les silences, trop éloquents. Et puisqu'ils se disaient toujours tout, forcément qu'il demandait, sans plus s'inquiéter.

  S'il n'avait pas encore deviné, ça n'allait pas tarder.

    — J'sais pas. Je crois que... j'crois qu'y'a des choses, vaut mieux pas les savoir. Tu penses pas ?

    — Non.

  Au pied de la cascade, assis entre les rochers de lichen, ça n'avait jamais été tant sérieux, eux deux. Le regard de Seungmin s'était fait plus dur, happant tout aux alentours. Mais surtout, en réalité, l'attention de son homologue.

    — Non ?

    — Ce qu'il faut ou pas dire, ce qu'on est censé entendre, je m'en fous. J'veux savoir, moi. Tout ce qui se passe là-dedans, il explicita, tapotant le crâne du rouquin.

  Ça en devenait tellement tentant, de tout révéler – Seungmin lui facilitait vraiment la tâche, il faut dire. Mais voilà, la crainte du rejet était un démon de Minho, l'hantant démesurément, plus que lui-même ne s'en doutait. À dix-sept ans, c'était la première fois qu'il s'y confrontait, réellement.

    — Et si j'ai trop peur ? Et si... je me trompe ? Tout ce qu'y a dans ma tête comme tu dis, depuis le début, c'est qu'une vaste erreur s'il faut. J'veux pas te perdre à cause de mes idioties.

  Mais il était si doux, le regard d'émotions. À travers lui, passait tout ce que les mots taisaient. Et pourtant, toujours, aucun ne parvenait à lâcher prise, jamais totalement. Y'avait trop d'enjeux, y'avait eux. Et c'était sans doute ça, leur plus grand pari.

    — Des idioties, vraiment ? Laisse-moi d'abord en juger, non ? s'étonna le brunet, mi-rieur, mi-frustré.

    — J'en sais rien, Minnie. J'en sais strictement rien.

   — C'est pas grave, alors. Tu me diras quand tu sauras, mh ?

  Et encore cette voix taquine, et toujours ces iris envoûtants, envoûtés. Ils n'allaient pas tarder à lui faire perdre la tête, à Minho.

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