Des larmes ruisselaient sur mes joues, chaudes et humides.

Elle ne pouvait pas penser le faire. Même si elle était convaincu que j'étais morte, elle ne pouvait pas se résoudre à mourir!

"-Naora, stop. Ça suffit maintenant, tu n'as pas besoin d'en faire plus."

Ce n'était pas moi qui l'avait dit, mais je le pensais sincèrement. Jamie était finalement arrivé. Peut être qu'en fait, tout pourrait s'arranger.

Naora hésita.

"-Pourquoi? Elle n'est plus là. C'était Elle et Moi. Pas juste l'une sans l'autre. Nous sommes ensemble, ou nous ne sommes rien."

Le loup-garou se crispa. Puis, en soufflant, il dit:

"-Son corps n'a pas été retrouvé. Elle est sûrement encore vivante."

Enfin quelqu'un qui disait quelque chose de logique. Cependant, ma sœur n'avait pas l'air de prendre en compte ce qu'il disait. Elle coula un regard inexpressif vers lui.

"-Tu n'en sais rien. Tu ne sais pas"

"-Ce que je sais, par contre, c'est que tu as besoin d'elle. Que c'est elle qui te faisait t'ouvrir aux gens. Que sans elle, tu ne serais pas celle que tu es aujourd'hui. Mais je sais aussi que tu es forte. Et qu'à cet instant précis, une part de toi espère qu'elle apparaisse et qu'elle te hurle dessus pour la connerie que tu menaces de faire."

Je vis ma sœur baisser les yeux, et j'eus l'espoir qu'elle était en train de changer d'avis. Mais elle secoua vigoureusement la tête de droite à gauche.

"-Peut être que je l'espère, mais c'est un espoir inutile. Elle est morte. Elle ne peut pas venir m'arrêter."

Mon cœur me fit mal. Elle pensait véritablement que je n'étais plus qu'un cadavre.

-Non.. Je suis vivante Blondie.. Si je pouvais être là je le serais..

Blondie était le surnom que Gabriel avait donné à Naora. Mon surnom à moi, c'était Ange. Depuis son accident, nous n'avons plus utilisé les surnoms qu'il nous avait donné. En voyant Naora sur le point de faire la plus grosse erreur qu'elle pouvait faire, son surnom de l'époque m'était venu naturellement.

"-Et elle ferait quoi si elle était là à ma place?"

"-Elle me dirait sans doute qu'elle ne tenterait pas de m'arrêter, mais que si je le faisais...."

-Je plongerais après toi. Et que vu que moi aussi je ne sais pas nager, tu aurais ma mort sur la conscience.

Jamie hocha lentement la tête.

"-Et je sais qu'elle en serait capable."

"-Alors si tu plonges, je plonge."

Naora leva la tête vers le loup-garou, elle fulminait littéralement contre lui.

"-Tu n'as pas le droit!"

"-Et qui a dit que j'écoutais toutes les règles qui m'étaient imposées?"

Là, une lueur néfaste, d'après moi, passa dans le regard de ma sœur. Elle semblait regarder quelque chose derrière Jamie.

"-Cléo et Axel arrivent."

Elle avait dit ça sur un ton neutre, et Jamie se retourna. Mais son frère et sa belle-sœur n'étaient pas là. Il écarquilla les yeux, comme moi, en comprenant ce que Naora venait de faire. Et cela marchait plutôt bien. Elle l'avait trompé, et la voilà 10 mètres plus loin de l'endroit où elle se trouvait.

L'eau lui arrivait au menton lorsqu'elle ralentissait.

Je voyais qu'elle avait de plus en plus de mal à avancer, ses pieds se prenaient inévitablement dans les algues et s'enfonçait à coup sûr dans l'épaisse vase au fond du lac.

L'image commença à se dissiper.

-Naora! Non! Attendez, attendez! Laissez moi en voir plus par pitié! Naora! Naora! NAORA!

Mon reflet réapparu, à mon grand désespoir. L'eau de mes larmes quittait mes joues pour rejoindre l'eau du bassin.

Lorsque j'avais vu Jamie arrêter Naora, je me suis sentie tellement.. heureuse et soulagée.
Quelqu'un allait l'empêcher de se tuer.

Mais sa décision était déjà prise.

Elle voulait mourir.

Pour me "rejoindre"..

-C'est pas possible.. Dis moi que c'est pas vrai Naora!! Comment as-tu pu.. me faire ÇA!? Je ne suis pas morte! Bordel, je suis VIVANTE! Pourquoi tu ne m'as pas détesté.. au lieu de pleurer sur ma SOI-DISANTE MORT! Tu n'avais pas le droit.... TU N'AVAIS PAS LE DROIT!!!

Je pleurai de rage. De tristesse. De désespoir.
Je criai. Je hurlai.
Je rugissai de détresse, comme un animal, blessé fatalement.

Mon cœur était remplit d'une douleur immense.
D'une souffrance inégalée.

Non.
Pas uniquement mon cœur.
Mon âme. Mon être.
Tout en moi vibrait de cette détresse incommensurable.

J'étais envahie par cet incomparable sentiment d'impuissance.

Je me sentais tellement vide, seule.

Et j'étais tellement furieuse contre elle.

Je m'étais levée et je frappais sur les parois de la grotte, chaque coup plus fort que le précédent. Et après chaque coup, mon sentiment de faiblesse grandissait.
Les jointures de mes doigts me brûlaient. La peau était à vif à force de frapper contre la roche. J'avais affreusement mal, j'avais si mal que dans une autre situation, cela m'aurait été insupportable.

Toutefois, j'avais énormément plus mal, ailleurs.

J'étais brisée de l'intérieur.

Alors je continuais à frapper. Encore et encore, toujours plus fort. Mon sang s'écoulait des plaies que j'ouvrais sur mes mains. Je ne m'arrêtais pas.

Mais je veux la sauver.. pensai-je en cessant progressivement de bouger mes mains ensanglantées, que je laissais glisser de la cloison de la grotte.

En m'éloignant du mur, je butais sur une pierre deux fois plus grosse que mon poing. Quelques gouttes rougeâtre tombèrent dessus.
Un courant d'air me fit relever la tête vers l'ouverture dans la roche.

Je dois sortir.

Je ramassai la pierre, et escaladai la paroi irrégulière. Mes mains étaient douloureuses sous l'effort, et le sang coulait abondamment. Là où je posais mes mains, un mélange poisseux de poussière et de sang se faisait. Arrivée à la brèche, je cognai la pierre contre la paroi, essayant bêtement d'agrandir le trou.
Des éclats de la pierre se cristallisèrent dans mes yeux, me laissant aveugle à chaque éclat.

Je voulais sortir, pour sauver ma sœur. Je devais la sauver. C'était ce que je devais faire. Je l'avais promis. Je..

Mon pied glisse, et je perd à nouveau la prise que j'ai sur le mur. Je tombe brutalement au sol.

Cette fois-ci, je n'arrivais pas à reprendre mon souffle. Je toussais, essayais de cracher en roulant sur le côté, mais je ravalais difficilement ma salive.

Il fallait que je reprenne ma respiration. Impérativement. Sinon je ne pourrais pas empêcher Naora de se noyer.

Mais je ne savais même pas où j'étais! Et m'être arracher la peau des mains en cognant contre la roche et me casser la figure en imitant Spiderman, n'allait pas m'aider. Bon dieu, je suis une sirène, je n'ai pas servi d'amuse-gueule à une araignée!

Mais pourtant, au fond de moi, je savais. Je savais que je ne pouvais pas la sauver.
Voilà pourquoi je sanglotais, voilà pourquoi des larmes chaudes se déversaient sur mes joues, s'évadaient de mon corps, de mes yeux écarquillés par la douleur et le désespoir.

Je ressentais encore ce manque d'air propre à la noyade et l'étouffement. Malgré tout, je n'avais pas réussi à inspirer une réelle goulée d'air après le choc de la chute, qui bloquait toujours l'entrée de mes poumons brulant et douloureux.

Une lumière éblouissante s'alluma à ma gauche. Je tournai péniblement la tête sur le côté. La lumière provenait du bassin. Quelqu'un sortit de l'eau, avec une masse inerte dans les bras. La lumière m'avait légèrement aveugler, et le fait d'être au bord de l'évanouissement ce qui faisait apparaître des points noirs dans mon champs de vision.

La personne posa délicatement ce qu'elle tenait dans les bras, puis s'approcha de moi.

-Tu étais là! Qu'est-ce que t'as foutu merde!?

La personne avait touché l'une de mes mains, ce qui m'avait picoté soudainement.

-Eh, Angèle, tiens bon, fais le pour elle. Fais le pour elle, okay?

La voix de la personne me rappelait celle de Jamie.

Je n'eus pas le temps de m'attarder cette pensée, car un souvenir s'empara de moi, en même temps que l'inconscience...

***

-Angie! Angie! La lettre vient peut être de quelqu'un de notre famille! On a peut être un membre de notre famille qui veut nous re'contrer! Peut être même qu'on sera adopter!

J'avais 13 ans lorsque Naora a couru vers moi avec cette lettre.

Jamais nous n'aurions du l'ouvrir.