13. Double jeu
Jungkook regarda la silhouette du capitaine évoluer sur le quai.
Ils avaient discuté un long moment, Taehyung avait fini par prendre congé en lui disant qu'il avait une visite à faire avant leur départ, le lendemain.
Le marin savait parfaitement où le menaient ses pas. Son regard se dirigea vers la maison blanche qui surplombait la falaise et dans laquelle le capitaine semblait avoir ses habitudes.
Il se demanda s'il allait seulement y prendre du plaisir ou si c'était plus que cela.
Étrangement, que ce soit l'une ou l'autre hypothèse, l'idée le mettait mal à l'aise.
Il ressentait une sensation étrange, comme si un minuscule insecte circulait sous sa peau. Ce n'était pas douloureux, juste agaçant.
Il était conscient que son intérêt pour cet homme allait bien au-delà de sa mission. Il aimait parler avec lui. Son visage s'animait alors d'expressions qu'il trouvait captivantes.
Parfois, ses lèvres s'ornaient d'une moue qui lui donnait l'air d'un enfant tandis qu'à d'autres moments, elles se faisaient séductrices.
Jungkook s'était surpris à lui poser des questions pour retarder son départ. Il avait voulu garder encore un peu pour lui la vision de ses boucles dansantes dans le vent qui venaient effleurer ses joues.
Il avait dû serrer le poing pour s'empêcher de venir les remettre en place.
Il lui avait demandé pourquoi il était devenu pirate.
Taehyung lui avait alors lancé un long regard.
Il avait aussitôt regretté sa question en voyant une lueur de suspicion passer dans ses yeux.
Il avait tendance à faire fi de toute prudence quand il était en sa présence.
Heureusement, le capitaine avait juste répondu par une boutade avant de le questionner à son tour plus en détail sur son choix de carrière atypique.
Jungkook n'était pas dupe, il connaissait l'histoire de Taehyung, même si au fil des jours des zones d'ombres apparaissaient, lui faisant penser qu'il ne savait peut-être pas tout.
Pour ne pas éveiller de soupçons, il lui avait alors raconté sa propre histoire. Il lui avait resservi la fable qu'il avait déjà contée au Chat noir, en rajoutant quelques détails.
Son enfance miséreuse, la pauvreté et la faim, la perte de sa famille, les petits boulots pour s'en sortir jusqu'à la décision finale d'embarquer sur le premier navire venu dans l'espoir de vivre un ailleurs.
La vérité était tout autre. Il n'avait jamais souffert de la faim.
Il était fils cadet de petite noblesse, sa famille peu fortunée avait marié ses deux sœurs ainées à de riches bourgeois en échange de leur titre. Lui avait intégré un régiment de tuniques rouges qui stationnait au nord de l'Écosse grâce à ce même blason.
La vie y était dure et spartiate, mais il avait trouvé une certaine satisfaction dans cette discipline qui lui avait tant manqué.
Ses parents n'avaient eu de cesse de sauver les apparences en donnant des fêtes somptueuses payées à crédit pour marier ses sœurs.
Lui était le seul garçon et le détenteur du titre, pourtant il n'avait été qu'une épine dans leurs pieds dès l'instant où il avait refusé de faire à son tour un mariage de convenance pour sauver le patrimoine familial.
Il avait préféré rejoindre les rangs de l'armée, coupant ainsi les ponts avec cette famille qui n'en avait pas vraiment été une.
Il avait excellé pendant ses classes et avait pris du grade rapidement jusqu'à obtenir un commandement. C'est à ce moment-là qu'il avait été approché par l'un des membres de la Confrérie...
Jungkook fut tiré de ses pensées troubles par la voix de Namjoon qui tonna dans son dos.
— Je peux savoir à quoi tu joues ?
Il se retourna lentement vers son camarade. Il se tenait à quelques mètres, le visage renfrogné et les bras croisés. Sa lèvre portait encore la trace du coup qu'il avait reçu la veille.
Par réflexe, Jungkook jeta un regard autour de lui pour être sûr que personne n'avait entendu.
Il fut rassuré de constater que les quelques hommes qui étaient à bord étaient tous stationnés sur le pont inférieur et ne pouvaient comprendre ce qui se disait.
Il se détacha de la rambarde et s'avança de quelques pas dans sa direction.
— C'est plutôt à moi de te poser la question. C'est ta conception de la discrétion de provoquer une bagarre ? Je croyais que l'on devait faire profil bas, c'est bien ce que tu as dit, non ? J'ai dû m'excuser pour tes conneries.
Namjoon eut un rictus.
— Si quelqu'un ici met en danger notre mission, ce n'est pas moi, n'essaie pas de retourner la situation en ta faveur. Si tu ne passais pas ton temps collé aux basques du capitaine, je n'aurais pas eu à intervenir, répondit-il. Je te rappelle que tu es sous mes ordres et que tu dois te conformer à mes directives.
Jungkook s'avança d'un pas de plus en serrant les poings.
— Je te conseille de la mettre en veilleuse. Je ne suis sous tes ordres que dans ton esprit retors. Nous avons le même grade et, même si tu as plus d'ancienneté que moi, je te rappelle que c'est à moi que le baron Kim a confié la mission.
Il vit avec satisfaction Namjoon perdre de sa superbe.
Il s'était lié d'amitié avec lui lors de son entrée à la Confrérie. Namjoon, qui l'avait intégré quelques années plus tôt, lui avait fait office de tuteur comme il était de coutume chez les nouveaux arrivants.
Fils de comte, il avait été élevé dans l'opulence et en gardait un profond complexe de supériorité, ce qu'il lui avait valu de nombreux accrochages avec d'autres membres qui ne supportaient pas son caractère arrogant et ses connexions politiques.
Jungkook était l'un des seuls à accepter de faire équipe avec lui, même si, dans le cas présent, il se serait bien passé de sa présence tant il était troublé par toute cette histoire.
Si la mission paraissait simple sur le papier, maintenant, il n'était plus sûr de rien.
Kim Taehyung ne correspondait en rien à la personne qu'on lui avait été décrite. Il faisait preuve d'une humanité en complète contradiction avec les accusations qui pesaient contre lui.
— Kim t'a peut-être confié la mission de le ramener et de trouver des preuves supplémentaires contre lui, mais jamais, il n'a été stipulé que tu devais te vautrer dans son lit, cingla Namjoon.
Jungkook attrapa le col de sa chemise et l'attira à lui assez près pour sentir l'âcre odeur de transpiration qui émanait de lui.
— Que sous-entends-tu exactement ? répondit-il, la mâchoire serrée de la colère qui venait de le submerger.
Namjoon posa une main sur la sienne pour se dégager d'un coup sec. Jungkook entendit les mailles de coton de sa chemise crisser sous ses doigts.
— Je ne sous-entends rien du tout, je constate que le regard que tu portes sur lui n'est pas celui d'un futur geôlier. Je te conseille fortement de te reprendre, sinon je me verrai dans l'obligation d'informer la Confrérie de tes manquements.
Jungkook accusa le coup, mais n'en laissa rien paraitre.
— Tu n'es qu'un sombre connard, Namjoon, tu l'as toujours été. Je ne sais pas ce qui me retient de te foutre mon poing dans la gueule, dit-il en passant devant lui et en le bousculant d'un coup d'épaule.
— Peut-être le fait que j'ai raison, ricana le marin dans son dos.
Jungkook serra les poings et s'arrêta pour lui jeter un regard par-dessus son épaule.
— Ne joue pas à ce petit jeu avec moi, Nam, car, si tu veux vraiment que l'on ait une petite discussion avec la Confrérie, je ne suis pas sûr qu'il pardonne aisément tes petites incartades. De nous deux, c'est toi qui as le plus à perdre.
Il eut le plaisir de le voir pâlir et se détourna pour regagner la cambuse dont il claqua la porte avec force. La structure de bois émit un grincement de protestation sous la force du coup. Il regarda sans le voir un paquet de farine qui s'était écrasé au sol, le recouvrant d'une fine pellicule blanche.
Sa colère était telle qu'il aurait pu tout balancer par-dessus le bord.
Il était furieux contre Namjoon qui s'avérait être comme à son habitude parfaitement ingérable.
Coléreux et imbu de lui-même, il ne comptait plus les fois où il lui avait sauvé la mise alors qu'il s'empêtrait dans des situations impossibles.
Bagarres, alcool, femmes, tout devenait problématique avec lui.
Même quand il était pris sur le fait de ses propres déviances, il était incapable de reconnaitre ses torts.
Il se souvint de ce qui s'était passé lors d'une escale de l'Artémis pour se ravitailler en eau douce dans le comptoir hollandais de Bonne Espérance. Eriksson les avait exceptionnellement autorisés à passer la nuit à terre.
Jungkook y avait vu l'occasion de s'échapper enfin du navire et de ses corvées harassantes pour aller se promener en bord de mer, mais Namjoon avait insisté pour le trainer dans un tripot des plus mal famés. Il l'avait suivi à contrecœur sans se douter que la soirée allait tourner au cauchemar.
Son compagnon, malgré ses mises en garde, avait décidé de jouer aux cartes avec un marin qui naviguait sous pavillon corsaire.
Ces hommes se considéraient comme les dieux des océans. Ils possédaient la liberté des pirates et la légitimité de la marine royale à cause de la lettre de marque dont ils se servaient pour couvrir leurs exactions.
Namjoon avait perdu, mais ne s'était pas contenté de se retirer. Il avait attendu le corsaire au détour d'une rue sombre et l'avait pratiquement laissé pour mort.
L'homme n'avait dû son salut qu'à l'intervention de Jungkook qui, après avoir perdu de vue son compagnon, s'était lancé à sa recherche.
Le lendemain matin, l'Artémis quitta le port et l'histoire s'arrêta là. Namjoon justifia ses plaies en disant qu'il avait voulu aider au chargement, mais Jungkook n'était pas dupe, il ne le fut plus jamais.
Il se baissa et prit une vieille pelle en fer blanc pour réparer les dégâts qu'il avait causés.
Il finit par se redresser, les mains blanches de farine. Il les tapa l'une contre l'autre pour se débarrasser des résidus.
Un nuage s'éleva aussitôt et le fit éternuer.
La colère avait reflué dans son sang, pourtant une petite partie subsistait encore.
Celle qu'il ressentait envers lui-même, car Namjoon n'avait pas complètement tort.
Il ressentait une attirance croissante pour Taehyung, il était de plus en plus charmé par ses gestes, ses paroles, son regard.
Il en oubliait alors qui il était et le but de sa mission.
Il ne devait pas s'attacher parce que qu'il le veille ou nous, c'était lui qui le mènerait devant ses juges.
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