CHAPITRE 36 - Neuf mois plus tard.
Neuf mois après le 31 juillet 2016.
Daehyun est escorté par un gardien pénitentiaire quand il pénètre dans la salle des visites. Ils slaloment entre des tables rondes autour desquelles des détenus en uniforme dialoguent avec leurs proches, leur femme, leurs frères, leurs enfants même, en tête à tête ou à plusieurs. Le garde lui fait signe de s'assoir à une petite table, prévue pour accueillir deux personnes avant de l'abandonner. Il s'y installe, ses deux mains se joignent au-dessus de ses genoux. Nerveusement, il joue avec ses doigts. Daehyun avait envisagé pire. Il avait cru qu'il y aurait une vitre comme dans certain film, qu'il devrait parler dans un combiné, apparemment ce n'est pas le cas. La salle de visite ressemblerait à une cafétaria quelconque, s'il n'y avait pas des matons partout, prêts à intervenir en cas de problèmes.
Daehyun a été fouillé, mais de façon plutôt sommaire. C'est probablement parce qu'il ne s'agit pas d'une prison de haute sécurité. De plus en plus mal à l'aise à cause de l'attente, Daehyun s'attaque à présent aux peaux qui entourent ses ongles.
Il arrête aussitôt et se redresse fébrilement quand le gardien qui l'a accompagné réapparait enfin. Le maton emmène avec lui un détenu qui fut le partenaire de scène de Daehyun, son ami. Leurs yeux se croisent, Daehyun baisse lâchement les yeux. Il a eu le temps de voir que Yongguk a le crâne rasé, ou plutôt que ses cheveux sont taillés extrêmement courts. Il porte lui aussi cette tenue de prisonnier. Daehyun aurait dû anticiper que Yongguk porterait ces vêtements, pourtant cette réalité le perturbe. C'est surréaliste. Plus dérangeant encore : il n'a pas pu manquer la façon dont son ex-leader l'a regardé.
Yongguk s'assied en face de lui. Il n'a pas de problème pour regarder l'ancien chanteur droit dans les yeux lui. Tout ce qu'il faut pour le mettre mal à l'aise.
- Bonjour Jung Daehyun.
Mon Dieu que sa voix est froide.
- Bonjour, répond-il en essayant de ne pas trembler. Tu n'as pas l'air surpris de me voir.
- Je suis averti lorsque je reçois une visite. On m'indique qui veut me voir. C'est pour que je puisse éventuellement refuser... si j'ai pas envie.
- Et tu as accepté ... ?
- Comme tu vois.
- Tu as hésité ?
- Pas mal ouais. Ça m'a bien traversé l'esprit de te poser un lapin, en effet, te donner un aperçu de l'effet que ça peut faire. Mais j'étais trop curieux de savoir ce qui t'a enfin décidé à bouger ton cul pour venir me voir.
- Je suis désolé.
- C'est pas suffisant ça. Il va falloir faire mieux qu'être désolé, parce que ça fait huit mois. Ça fait huit mois, putain !
Daehyun baisse les yeux depuis le début de l'entrevu. Il écoute les reproches de Yongguk sans l'interrompre.
- Tu te rends pas bien compte ce que c'est huit mois en prison. Les visites c'est tout ce qui te fait tenir ici. Je m'entends avec personne dans cette prison. C'est tous des voleurs, des meurtriers, les deux ou pire. Ils sont... non, on peut pas se faire d'ami à l'intérieur. Alors, c'est comme si j'étais tout seul depuis huit mois. Il y a que les visites. Et au cas où t'aurais oublié, je peux plus compter sur celles de ma famille. J'ai pas compris... J'ai pas compris que tu ne viennes pas. Heureusement, qu'Himchan vient très souvent. Il a même amené Junhong, il y a un mois.
Il n'est plus question d'appeler Junhong Zelo à présent. Zelo était un nom de scène, et de scène il n'est plus jamais question, même si Himchan lui a avoué y songer encore. Il est bien le seul à s'accrocher.
- Même Junhong est venu me voir, insiste Yongguk. Bien sûr, il était pas très causant, mais ça tu le saurais si t'étais allé lui rendre visite à la clinique. Himchan m'a dit que, lui non plus, t'étais jamais allé le voir. C'est un des trucs que je regrette le plus à être coincé ici. C'est de pas pouvoir rendre visite à Junhong. C'est Himchan qui me donne des nouvelles de lui, sinon j'en aurais même pas. Toi tu peux aller le voir quand tu veux et tu le fais même pas. Est-ce que tu sais comment il va au moins ?
Daehyun fait non de la tête. Yongguk fait une grimace de mépris. Il ne comprend plus son ami. Qu'il ne cherche pas à savoir ce que devient son ami tolard passe encore, mais qu'il ne prenne pas de nouvelles de la santé de Junhong, c'est inexcusable et bien loin de ce que Yongguk sait, ou a cru savoir de Daehyun.
- Et puisque tu me le demandes avec autant d'intérêt, ironise Yongguk, Junhong fait des progrès, grâce aux médecins et à son entourage. Il fait beaucoup de choses seul maintenant. Tu dois savoir qu'au début, il refusait de s'alimenter, maintenant il se fait plus prier. Il sourit de plus en plus. Bon, il n'a plus jamais dit un mot, mais il lui arrive de rire. De gros progrès. Le plus gros problème c'est la parole et les contacts physiques. Je crois bien que les médecins le laisseraient rentrer chez lui s'il ne faisait pas de crise quand un homme le touche. Il ne se laisse approcher que par des femmes, par son père et par Himchan.
Yongguk sourit en coin en évoquant le privilège d'Himchan. Cette exception avait soulevé certaines jalousies déplacées. Certains proches avaient du mal à accepter que cet ami puisse avoir un lien avec Junhong qu'eux n'ont pas, n'ont plus. Une jalousie que Yongguk comprend très bien, puisque cette fois-là, il l'a ressenti.
- Moi-même quand il est venu me voir, j'ai pas pu le toucher. Himchan m'avait conseillé de ne rien tenter. Il fallait que ce soit lui qui vienne vers moi. Ce n'est pas arrivé.
Daehyun sent toute la déception du détenu quand il évoque ce fait.
- C'était pas vraiment très joyeux de le voir comme ça, après tout ce temps, sans même pouvoir le serrer dans mes bras, mais ... mais il avait l'air content de me revoir, et c'était réciproque.
Yongguk marque une petite pause, peut-être pour laisser le temps à Daehyun de réagir. Mais puisque l'homme ne dit rien, il poursuit :
- Tu devrais aller le voir. Himchan pense qu'il faut le confronter à des nouveautés. S'il était là... il te trainerait par la peau du cul pour que t'ailles voir ton dongsaeng. Himchan était sûr que me voir pouvait provoquer « l'électrochoc » positif, comme il dit, pour que Junhong parle de nouveau. Himchan parle de ça tout le temps : « l'électrochoc »... Il y croyait peut-être un peu trop. Ça a été une montagne de paperasse de faire venir Junhong ici. Mais Himchan s'est battu et j'ai pu le voir. Tu vois ? Même Junhong est venu me rendre visite, lui qui avait toutes les excuses du monde pour avoir du mal à le faire. Il est venu me voir avant toi. Toi qui n'en a aucune.
- ...
- Je comprends pas !? Dans la situation inverse, jamais je t'aurais laissé huit mois sans nouvelle si tu étais allé en tôle et si moi j'avais été dehors.
- Je sais, répond tristement Daehyun sans tenter de se justifier.
Celui qu'on accuse reste de plus en plus prostré. Les reproches lui font du mal. Oui, il sait que Yongguk serait venu toutes les semaines le voir en prison si les situations avaient été inversées. Mais elles ne l'étaient pas et c'est bien ça le problème.
C'est son hyung qui est condamné alors que lui, il est libre. Daehyun voulait aller en tôle. Il voulait payer le prix du crime affreux qu'il avait commis. Mais pour le meurtre de Youngjae, la justice l'avait relaxé, statuant sur un non-lieu. Il n'avait pas compris cette clémence. Il ne l'avait pas demandée. A l'opposé, pour Yongguk, les juges avaient été, non pas sévères, mais intransigeants. Le fait que Yongguk ne formule aucun regret n'avait pas facilité la tâche de son avocat. Et puis, frapper une femme de cette façon... Les images avaient choqué le jury. Ce fut un véritable problème pour la défense, cette vidéo. Sûrement Sunhee avait-elle placé là cette caméra pour piéger Yongguk. Elle n'avait sûrement pas prévu qu'elle serait l'actrice principale de ce coup de théâtre. Malgré toutes les circonstances atténuantes qui avaient fait décroître sa peine, Yongguk avait écopé de deux ans de prison ferme. C'est le minimum pour un verdict de tentative de meurtre, non prémédité mais intentionnel.
La réalité, c'est que Daehyun ne supporte pas de voir Yongguk en prison, de même qu'il ne supporterait pas de voir Junhong diminué, dans une clinique, pour ne pas dire un hôpital psychiatrique, dans lequel on lui apprend à découper sa nourriture sans l'aide de personne. Daehyun a déjà trop de démons à combattre. Et sa prison à lui, elle est dans sa tête. En sortir n'est pas une mince affaire.
Ce n'est pas l'indifférence qui l'a poussé à s'éloigner radicalement de ses anciens amis, de son ancienne vie en générale, c'est la douleur du souvenir. La fuite, c'est le meilleur moyen que le jeune homme ait trouvé pour survivre. Yongguk ne peut pas comprendre ce choix. D'ailleurs Daehyun n'essaie pas de le lui expliquer. Il ne peut pas lui dire qu'il a pensé à lui tous les jours, à Himchan, à Junhong, tous les jours ; mais qu'avant c'était toutes les minutes de sa vie et que ça le bouffait. En s'éloignant, il avait trouvé le meilleur moyen de rendre cette souffrance acceptable. Et là, être en face de Yongguk ne fait que confirmer la justesse de son choix. L'enfermement de Yongguk est une conséquence de la prise d'otage. La santé de Junhong est une conséquence de la prise d'otage. Tout ça le replonge constamment dans des souvenirs intolérables. Il fallait que Daehyun oublie ce jour, cet enfer, cet enfer de culpabilité.
S'éloigner d'eux lui a permis de ne pas se foutre en l'air. Il y a pensé. Il n'est pas passé loin du passage à l'acte. Ce qui l'a sauvé c'est la fuite, alors, Yongguk peut lui reprocher tout ce qu'il veut, Daehyun ne regrette pas ce choix. Grâce à lui, il a presque réussi à remonter la pente. Il s'est construit une nouvelle vie. Il y a six mois, il a rencontré quelqu'un, un peu plus vieux que lui, devenu son confident et plus que ça, quelqu'un qui lui fait du bien. Ils vivent ensemble, et lui ne passe pas son temps à lui rappeler son passé. Il le réconforte quand il broie du noir, quand il se réveille désespéré de l'un de ses cauchemars. Cet homme le réchauffe, sans poser de question. Auprès de lui, Daehyun se détache petit à petit de Youngjae, le laisse partir, fait son deuil. Il se sentait presque prêt à tourner la page. Il se sentait presque bien.
- Pourquoi t'es là ? demande Yongguk. Après tout ce temps, pourquoi tu t'es souvenu que j'existais ?
La question est directe. Elle déstabilise Daehyun. S'il est venu jusqu'ici ce n'est pas pour se faire sermonner par Yongguk. Il a une question à poser. Le visiteur relève enfin les yeux. Il est essentiel qu'il observe le visage de son interlocuteur quand il lui posera la question. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il lui fallait un entretien en tête-à-tête, et qu'un simple coup de fil n'aurait pas suffi.
- Est-ce que, bégaye Daehyun, est-ce que tu es au courant pour l'amande douce ?
L'expression de Yongguk donne à Daehyun la réponse qu'il attendait. Yongguk ne sait pas bien dissimuler ses émotions et la question que l'on vient de lui poser le surprend, lui semble bizarre. C'est clair, il ne sait rien à propos de l'amande douce.
- De quoi est-ce que tu me parles ?
- Alors, c'est pas toi qui m'a envoyé un colis vide ? demande Daehyun mais il connaît déjà la réponse.
- Et comment ? Je sais même pas où t'habites.
Yongguk comprend de moins en moins le discours de son ancien partenaire. Il remarque par contre à quel point le garçon à l'air terrifié. La peur qu'il affiche est telle qu'elle contamine Yongguk, lui fait enfin mettre sa rancœur de côté. Il sent que c'est peut-être grave. Yongguk se sent bête de ne pas avoir pensé que l'arrivée de Daehyun pouvait être le signe d'une mauvaise nouvelle. Laquelle ? La première chose qui lui traverse l'esprit est la mort de quelqu'un ? Qui ?
- Sérieusement, c'est quoi cette histoire d'amande douce ? Je pige rien ! De quoi est-ce que tu me parles ? Parle Daehyun ! Je commence à avoir peur là.
Parce que tu fais une de ces têtes !
- Je n'ai jamais parlé de ça à personne, introduit Daehyun avec difficulté.
- Et ? Il s'agit de quoi ?
Daehyun doit se résoudre à expliquer ce qui le torture. Revenir sur des détails de la mort de Youngjae est extrêmement pénible, même après tout ce temps. Il a déjà raconté cela pourtant, plus ou moins en détail. Il a été forcé de faire son récit à la police, un témoignage dans lequel il avait mis le plus de distance possible avec ses émotions. Mais ce détail ci, il n'en a parlé à aucun moment. L'évoquer le met dans un état de détresse que Yongguk déteste voir.
- Tu te souviens quand Sunhee m'a avoué qu'elle m'avait manipulé ?
Il suffit d'utiliser ce prénom devant Yongguk pour le transformer. Il devient aussitôt sombre, froidement vigilant.
- Oui, confirme-t-il d'une voix encore plus grave que d'habitude.
- C'est cette douche qui m'a fait croire que Youngjae était condamné, parce que Junhong avait été forcé d'en prendre une également.
- J'avais compris ça, en effet.
- Ce que tu ne sais pas, c'est que le parfum du produit douche qu'ils ont utilisé, tous les deux, c'est un produit qui sentait l'amande douce. Du coup... du coup, c'est cette odeur que j'avais dans le nez quand j'ai... Quand j'ai...
La voix du jeune homme déraille pour de bon. C'était il y a neuf mois et, tout d'un coup, c'est comme si ça avait eu lieu la veille.
- J'ai compris, affirme Yongguk compatissant.
Il en veut comme un dingue à Daehyun de l'avoir lâché, mais il ne pouvait pas rester indifférent face à ça. Il lui en veut, mais pas au point d'apprécier de le voir si abimé.
- Depuis, poursuit Daehyun, à chaque fois que je sens cette odeur... c'est comme si je tuais Youngjae une nouvelle fois. Je l'évite comme je peux, heureusement, elle est plutôt rare. Je suis venu te voir, parce que j'avais un doute. Je ne me rappelais plus si Sunhee avait parlé de cette odeur devant toi. Je me suis dit que peut-être...tu t'étais rappelé de ce détail ?
- Non, je te jure que non. Pourquoi Daehyun ? Pourquoi tu veux savoir ça ?
- Ça veut dire que personne n'était au courant de ça, à part Luca et peut-être C., qui sont morts. Et puis Junhong ! A part moi et lui, il n'y a qu'une autre personne qui a su, c'est Sunhee...
Daehyun et Yongguk savent que l'ancienne preneuse d'otage est à jamais endormie dans un coma profond. Les médecins étaient unanimes, on ne se réveille pas avec les lésions cérébrales qui étaient les siennes, jamais.
- Oui, oui, s'énerve Yongguk ! Et ?
- Il y a deux jours, j'ai reçu un colis. Il était anonyme pas d'enveloppe, pas de trace d'expédition, rien. Je l'ai ouvert.
Daehyun frisonne à ce souvenir. C'est dans l'entrée de son appartement qu'il avait ouvert le paquet. Il l'avait aussitôt lâché pour mieux porter ses mains devant sa bouche, ses narines. Ne plus respirer ! Mais c'était trop tard, le choc mémoriel et olfactif était si fort qu'il l'avait fait tomber à genoux. C'était comme tuer Youngjae une nouvelle fois. Le paquet en tombant au sol s'était ouvert en grand, mettant à jour son absence de contenu matériel.
- Il était vide, parfaitement vide ! Mais ça puait l'amande douce !
FIN
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Cette fiction s'achève, j'ai le cœur un peu gros, mais cette fin me donne plutôt l'impression d'être le début de quelque chose pour moi en tout qu'auteuse.
Encore merci de m'avoir lue.
J'attends, avec envie, vos avis sur l'ensemble de l'histoire.
Allons dîtes-moi : ça a fait mal ?
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