CHAPITRE 31 - Perte, partie 6/8
Tout ce qu'il me reste.
Himchan a insisté pour échanger les rôles. Yongguk compose des combinaisons, lui, il téléphone. Ils en sont à 251. Il en reste 9749 ! Le leader essaie de se concentrer sur cette tâche mécanique. Il a l'esprit ailleurs, tout son esprit tourné sur ce que fait Himchan.
Son ami regarde le téléphone. Il se demande si ce n'est pas une fausse bonne idée. Tout ça ne mène nulle-part. Ou du moins, ça ne mène pas vers une porte de sortie. Il tente le troisième numéro. Il entend alors une messagerie, celle de la mère de Yongguk... Bip. Il raccroche aussitôt. Il garde une expression aussi neutre que celle d'un joueur de poker.
- C'était quoi ? demande Yongguk.
- Le numéro était pas attribué...
Yongguk fronce les sourcils.
- Tu mens ? Ne me mens pas.
- Je ne te mens pas, prétend Himchan en prenant l'air d'une personne accusée à tort.
Yongguk reste sceptique. Himchan a l'air sincère mais cette histoire de numéro non attribué lui semble douteuse. De toute façon, son partenaire est déjà en train de sélectionner le quatrième numéro. Le responsable des appels n'espère plus grand-chose. C'est la raison pour laquelle la sonnerie qu'il entend tout-à-coup le fait presque sursauter.
- Ça sonne ! s'écrit-il.
Yongguk tourne brutalement le dos à la porte. Himchan se concentre sur ce qu'il entend. Ça vient de décrocher. Puis :
« Allô, dit une voix. C'est qui ?
- C'est, c'est Himchan...
- ...Himchan !? Yongguk est là ? Il va bien ? »
L'intéressé attrape le bras de Himchan et tire dessus en demandant :
- C'est qui ? C'est qui ?
« Je te le passe », dit Himchan dans le téléphone. Yongguk saisit le combiné avec empressement, l'arrachant presqu'aux mains de son ami. Il ne sait pourtant pas ce qui l'attend, mais il a tellement d'espoir à cet instant. Il a envie d'une bonne nouvelle. Il a besoin d'une bonne nouvelle !
« Allô, c'est moi, dit Yongguk.
- Guk ? Guk ! Merde ! C'est tellement bon d'entendre ta voix ! Merde ! Tu vas bien ? »
Les larmes montent instantanément dans les yeux de Yongguk. C'est une bonne nouvelle ! Il y a de la vie là-bas dehors. Ses doigts se serrent sur le téléphone. L'objet maudit est devenu subitement un trésor qu'il ne lâcherait sous aucun prétexte.
« Je... je vais bien, dit-il à Yongnam.
- Tu pleures ?
- Non, non, affirme Yongguk alors qu'il essuie ses larmes de soulagement.
- Parce que si tu commences, je vais m'y mettre aussi, et... Bref ! Ecoutes ! Il faut pas que tu t'inquiètes. J'arrive. »
Le réconfort fut de courte durée. Une chape de plomb tombe sur Yongguk. Il recommence à craindre le pire.
« Qu...quoi ? T'es où là ?
- J'arrive. J'ai une femme qui me guide au téléphone, elle dit que si je fais ce qu'elle demande elle te laissera partir...
- ... Va-t'en ! coupe Yongguk.
- Quoi ?
- Va-t'en ! Viens pas ! Ecoute pas ce qu'ils te disent. Va voir la police ! Mets-toi à l'abris ! Fais pas ça ! C'est un piège, un putain de piège, tu comprends ? Tu comprends ce que je te dis ? Viens pas !
- Je peux pas. Je dois faire ce qu'ils disent.
- Mais c'est un piège. Ils vont te tuer ! Va-t'en !
- Je dois faire ce qu'ils disent.
- Mais ils mentent. Ils vont pas me libérer. Ils vont juste te tuer. Pars !
- Je peux pas...Ils m'ont juré que c'est toi qu'ils tueraient si je venais pas.
- Ils mentent ! gronde Yongguk. Tu peux pas m'aider. Tu peux pas comprendre ! Va-t'en ! Laisse-moi ! »
A côté de lui, Himchan se crispe, pendant que, de l'autre côté de la ligne Yongnam parle sans crier, à l'inverse de son frère. Pour être précis, sa voix est désolée.
« Je peux pas t'abandonner Guk. En fait... je m'en fou si c'est un piège. Je prendrai pas le risque qu'ils te tuent toi-aussi. Je préfère encore me rendre. Je... »
La voix s'interrompt un instant et reprend à toute allure :
« J'ai un double-appel, ça doit être eux. Je suis arrivé...Je suis désolé...
- Non ! Non ! Attends ! Raccroche-pas ! Qu'est-ce que tu viens de dire ? Qui ? Qui ils ont tués ?
- ...Je suis désolé ! Je voulais pas te le dire maintenant... pas comme ça... pas au téléphone et ... il faut que je te laisse... ils arrivent.
- Non ! hurle Yongguk comme un dément. Ne raccroche pas sans me répondre. Qui ?
- Je ne peux réellement pas me résoudre à t'abandonner Guk ! T'es tout ce qui me reste. »
...
Sur un fixe, le bruit d'un téléphone que l'on raccroche fait un bruit de froissement de papier. Avec les mobiles tout a changé. Il n'y a pas de bruit pour prévenir le silence qui va suivre et la tonalité aiguë qui siffle dans les oreilles de Yongguk n'est pas assez explicite. Il refuse d'y croire. Yongnam ne lui a pas raccroché au nez. Il n'a pas fait ça ! C'était trop court, trop pénible ! Il n'a pas eu le temps de le convaincre, ni celui de comprendre.
- Yongnam ! Yongnam !
Plus rien ne lui répond. Il n'y a plus personne. Yongguk éloigne le combiné. Le maudit téléphone est redevenu un objet inutile qui le renvoie à son impuissance et à sa séquestration. La rage envahit Yongguk comme un raz-de-marée. Il refuse d'y croire. Ça ne peut être qu'une mise-en-scène, une caméra cachée, un cauchemar beaucoup trop réaliste. Ça ne peut pas être réel. Et puis, c'est injuste ! Il n'a pas mérité ça ! C'est dégueulasse !
Yongguk hurle et lance le téléphone à travers la pièce. L'objet vient s'écraser contre une pendule fuchsia, où chaque heure est figurée par un chat. Le cadran de la pendule se fend. Puis le projectile tombe sans faire de bruit, puisque sa chute est amortie pas une montagne de peluches. La violence du geste oblige Himchan à se protéger derrière ses bras. Il observe son camarade. Il pensait le connaître par cœur, pourtant là il ne le reconnaît plus. Yongguk souffle par les narines, pleure de rage et serre les poings. Et Himchan ne saisit même pas l'origine de cette colère. Comment l'aider s'il ne sait pas ce qui lui arrive ?
- Yongguk !? demande-t-il.
La voix d'Himchan résonne. Elle a du mal à percer au travers de la colère du rappeur. Il est tellement hors de lui ! Il veut faire du mal à quelqu'un mais il n'y a qu'Himchan dans cette pièce. Son ami essaie de s'approcher de lui, de le toucher, peut-être de le prendre dans ses bras. Yongguk le rejette violemment, avant de pousser un nouveau cri qui prend naissance à l'origine du mal, au centre de sa poitrine. Cette douleur l'aveugle, lui fait perdre son discernement. L'ennemi c'est aussi Himchan et sa compassion qui ne sert à rien.
- Va te faire foutre ! hurle Yongguk.
Himchan a reculé prudemment. Malgré son inquiétude il est forcé de garder une distance. Il répète en essayant de donner à sa propre voix un timbre rassurant, convaincant :
- Yongguk ?! Qu'est-ce qu'il se passe ?
Himchan a entendu Yongguk parler de meurtre, mais il n'ose pas y croire. Il croyait sincèrement ce qu'il a dit à Yongguk, tout à l'heure. L'extérieur c'est l'extérieur. Leurs familles sont loin, en sécurité. Mais comment expliquer l'attitude de Yongguk dans ce cas ? Himchan est complétement impuissant face à ça, surtout si l'autre refuse de s'expliquer.
- Yongguk ?!
Il fait une nouvelle tentative pour l'approcher. Il est de nouveau repoussé. Cette fois, Yongguk le pousse au loin. La dos d'Himchan heurte la porte, la poignée lui rentre dans les côtes. Il pousse un cri de douleur. Yongguk lui hurle dessus :
- Je t'ai dit d'aller te faire foutre.
Himchan se tient les côtes en grimaçant. Il croise le regard mauvais de Yongguk. C'est encore plus grave qu'il ne l'avait envisagé. Il ne peut vraiment rien faire pour lui pour l'instant. Il doit lui laisser un peu de temps. Résigné, il se retourne pour faire de nouveau face à la porte. Il n'a jamais cru à cette histoire d'aide et de téléphone. Leur meilleure chance repose encore sur le hasard. Alors, Himchan fait la seule chose qu'il peut encore faire : entrer des combinaisons.
- Tu en étais où avec les chiffres ? tente-t-il.
Les chiffres ?
Yongguk revient dans la réalité brutalement. C'est vrai qu'il y a encore ses dongsaengs qui comptent sur lui ! Il répond :
- 274.
Le travail répétitif reprend. Yongguk sent que sa crise de colère retombe. C'est pire maintenant, bien pire. La colère l'empêchait d'être lucide et être lucide n'a rien d'agréable.
Yongguk reste statique. Le regard dans le vide, il comptabilise ses pertes, à chaque nom c'est un pilier qui s'effondre. « Jongup ». « Natasha ». « Papa ». « Maman ».
La colère revient à cause de ce dernier nom. S'il avait su plus tôt qu'elle prévoyait de tuer sa mère... Il lui aurait arraché les yeux. Il met l'idée de côté. Où se cachait-elle cette salope qui avait fait tuer sa mère ? Où ?
Où est Yongnam ? Encore un motif de colère. Pas contre Sunhee, mais contre Yongnam lui-même. Il en veut tellement à son jumeau de s'être rendu. Il lui en veut, même s'il sait très bien qu'il aurait fait exactement la même chose pour lui. Pourquoi l'amour est-il aveugle et si bête ? Ce qu'il lui a dit : « T'es tout ce qu'il me reste ». La réciproque est parfaitement valable. Yongguk voudrait mourir pour avoir une chance de sauver le dernier membre de sa famille.
Les cliquetis se poursuivent.
Yongguk retourne, après de très longues minutes à broyer du noir, ramasser le téléphone sur le tas de peluche. Il a envie de rappeler le quatrième numéro. Une inspection rapide du matériel lui confirme qu'il n'a, heureusement, pas été suffisamment violent, l'engin fonctionne toujours.
Himchan jette de rapides coups d'œil dans sa direction, mais ne prend pas la parole. Il voit que Yongguk tente de rappeler, alors il demande :
- Met le haut-parleur cette fois, s'il te plait.
Celui qui tient le téléphone a le cœur qui cogne. Mettre les haut-parleurs ? Il le fera peut-être. Il n'a pas encore décidé. La peur ne l'aide pas à prendre des décisions. Est-ce qu'il veut que Himchan entende ? Est-ce qu'il est prêt à accepter son soutien ? Ou est-ce que sa douleur ne concerne que lui ?
De toute façon, ça ne sonne plus. Il atterrit directement sur la messagerie de Yongnam. Il l'écoute jusqu'au bout, juste pour entendre cette voix bien aimée, même timbre que le sien, mais une façon de parler si différentes, si enjouée. Il l'aime bien trop. Il ne pourra pas lutter. Si Sunhee a mis la main sur Yongnam, il ne lui arrachera pas les yeux. Il fera tout ce qu'elle demande. Pour qu'elle ne lui fasse pas de mal, pour qu'elle le lui rende, pour qu'il puisse avoir plus que cette messagerie, il ferait absolument tout. Bip !
Yongguk raccroche. Il n'a pas mis le haut-parleur alors Himchan le questionne avec des yeux inquiets.
- Rien ! dit simplement Yongguk.
Himchan remarque qu'il n'y a pas de colère dans ce « rien ». Il réunit son courage pour questionner à nouveau Yongguk. Il réfléchit à la meilleure tournure possible pour inciter le jeune homme à se confier. Il entrouvre les lèvres pour se lancer. Il n'en aura pas l'occasion.
Dans les mains de Yongguk, le téléphone se met à sonner. Aussitôt, il décroche.
« Salut mon chéri ! C'est bien toi ? »
Le chéri en question fait preuve de tout son sang-froid pour ne pas hurler. Il prend la peine de brancher le haut-parleur, pour Himchan.
« Qu'est-ce que tu veux ?
- Si je réponds : seulement entendre ta voix, ça ne va pas te plaire, hein ? Non, sérieusement, puisque tu le demandes si gentiment, je vais te dire pourquoi je t'appelle. Je t'appelle pour t'expliquer la suite. Zelo est dans la chambre cinquante, Daehyun et Youngjae sont dans la chambre quarante-huit. Tu les trouveras là-bas ainsi que deux clés qui permettent d'ouvrir la porte principale de cet hôtel. Il n'y a qu'une seule entrée et pas de fenêtre mon chéri, alors il faudra récupérer ces clés. Quand tu les auras, vous pourrez sortir, ceux qui restent, je veux dire... »
La démente rigole.
« Et Yongnam ?
- Moi, je serais dans la chambre dix-huit. Si tu as des questions à me poser tu pourras toujours venir m'y trouver.
- Et Yongnam ? s'énerve Yongguk.
- Pour le code de votre chambre, les deux premiers chiffres sont tes pertes, les deux suivants sont les pertes d'Himchan.
- Comment ?
- Avant de faire les comptes, mieux vaut visionner la vidéo que je vais t'envoyer et ceci... »
A l'instant où l'interlocutrice raccroche, deux papiers glissent sous la porte de la chambre. Les deux garçons tournent la tête vers l'entrée de la chambre. Ils n'ont pas entendu Sunhee approcher mais elle doit pourtant être juste derrière la porte pour avoir fait glisser ses feuilles de papiers. Pour Himchan, c'est une surprise. Il n'avait pas remarqué qu'elle était juste de l'autre côté de ce panneau de bois contre lequel sa main est appuyée.
L'un des papiers a glissé jusqu'à la semelle de sa chaussure. Le deuxième a glissé un peu plus loin. Le regard du jeune homme est attiré par les papiers qu'on lui envoie. Il est déjà accroupi et n'a donc même pas besoin de se baisser pour ramasser, ni pour voir. C'est encore des photographies.
Le cliché qui a heurté la chaussure d'Himchan le heurte surtout lui, son cœur, son esprit. Il l'agresse, violement. C'est Zelo ! Un gros plan sur sa tête, sa tignasse de cheveux blonds retenue par une main de femme qui le force à présenter son profil, pas le meilleur. L'une des joues est exposée à l'objectif alors que la seconde est plaquée sur un matelas sombre. D'ailleurs, tout est sombre sur cette photographie. On pourrait croire qu'elle est en noir et blanc. Le sang n'est pas rouge mais noir. Et du noir, il y en a partout, il recouvre la carnation blanche du maknae. Himchan, par empathie ressent une intense douleur sur sa joue droite. Une lame de rasoir, pense-t-il. C'est à la lame de rasoir que le visage de son petit frère de cœur a été refait. Zelo a indiscutablement souffert. Il est vivant. Ses yeux bien ouverts donnent l'impression à Himchan qu'il le regarde. Ils sont humides et épuisés. Le garçon est à bout.
Son sang de hyung ne fait qu'un tour.
Himchan saisit la photographie en se redressant. Il pousse un cri de bête et donne un coup dans la porte.
- Himchan ?
L'intéressé se retourne et reprend aussitôt un peu de contenance. Yongguk ? Son ami attrape l'autre photographie. Celle qu'il n'a même pas eu le temps de regarder. Son cœur frappe toujours à craquer dans sa poitrine même s'il ne crie plus. Il craint trop la réaction de son ami. Il s'écarte déjà de l'entrée. Ça va exploser !
Les yeux du jeune homme détaillent le deuxième cliché et ils se froncent. Ce sont des mains attachées aux barreaux d'un lit par une paire de menottes. Juste des mains, rien d'autre que des mains. Celles d'un homme jeune qui ne se débat plus mais qui a dû le faire à en croire les blessures qui défigurent ses poignets. Bang se tourne vers Himchan. Il le regarde lui, puis il baisse les yeux vers la photo que Himchan tient contre sa poitrine.
- Il y a quoi sur cette photo ?
Himchan ne dit rien. Il tient la photographie de plus en plus fort contre son cœur. Il fait non de la tête. C'est son instinct qui lui dit de ne pas tendre cette photographie à Yongguk, même s'il la lui demande, même s'il insiste lourdement.
- Putain Himchan ! Il y a quoi sur cette photo ? C'est qui ?
Yongguk pense à Yongnam mais il sait que les mains menottées ne sont pas celles de son frère. Elles étaient plus claires.
- C'est qui ? Pourquoi tu dis rien ? Donne-moi ce truc !
Yongguk s'approche de façon menaçante. Himchan ne peut pas reculer. Il ne veut toujours pas donner la photographie à son compagnon. Il refuse. Ça va le rendre fou. Mais il ne pourra pas lutter longtemps contre la volonté de Yongguk.
- Je suis pas sûr. C'est pas une bonne...
Les hyungs sont interrompus par la sonnerie du téléphone que Yongguk tient toujours à une main. Le leader s'interrompt aussitôt. Ce n'est pas une sonnerie d'appel, simplement un message. La vidéo promise vient de lui parvenir. Le sang de Yongguk se glace. Himchan s'approche lentement de son ami qui s'est statufié. Il regarde par-dessus son bras.
Sur le petit écran du téléphone, l'image a beau être de mauvaise qualité, derrière le symbole lecture, on reconnaît bien Yongnam. Il est sur une chaise, attaché sans le moindre doute. Un homme cagoulé se tient à côté de lui. Il s'agit vraisemblablement de C. . Il est possible de reconnaître sa silhouette, sa posture.
La photographie de mains menottées glisse lentement des doigts qui la retiennent. Elle prend l'air et dessine des volutes avant d'atteindre le sol sans bruit. Du bruit, il n'y en a plus. La main de Yongguk devenu libre recouvre sa bouche comme s'il voulait retenir son propre cri.
Sans se laisser un temps d'adaptation, le doigt de Yongguk appuie sur l'un des seuls boutons valides. Il aurait peut-être dû réfléchir avant. Il aurait peut-être dû s'asseoir, mais c'est fait, la vidéo démarre. Les spectateurs retiennent leur respiration.
La voix dans les haut-parleurs du téléphone confirme qu'il s'agit bien du preneur d'otage qu'ils connaissent déjà. L'image sur l'écran est de piètre qualité, le son par contre fonctionne très bien pour un appareil aussi petit.
« - Un dernier mot pour ton frère ? » demande C.
Yongnam semble comprendre la mise-en-scène dans laquelle il est forcé de tourner. Il regarde d'abord l'homme qui vient de lui parler avec dégoût, bien plus de dégoût que de peur. Puis il fixe la caméra.
Soudain, c'est comme si les yeux de Yongnam se plongeaient directement dans les yeux de Yongguk. Il n'y a plus de caméra, plus d'écran. Ils sont réellement l'un en face de l'autre. Ils se dévisagent. Yongnam observe une caméra mais il perçoit parfaitement son jeune frère et son horreur. L'expression de Yongnam change et elle devient grave. C. est à côté de lui, mais l'otage assis ne le calcule plus.
Une déclaration ? Pour Yongguk ? Si c'est réellement à Yongguk qu'il doit parler il n'aura pas besoin de mots.
En effet, son principal interlocuteur le déchiffre instantanément. Yongnam, passe par trois expressions successives, appuyées et brèves. Cela ne dure que quelques secondes et s'est terminé. A la fin, Yongguk ferme les yeux, des larmes s'échappent juste avant la fermeture de ses paupières. L'eau salée roule sur la main toujours fermement plaquée contre ses lèvres closes.
Himchan pétrifié par les images qu'il voit ne peux pas comprendre que Yongnam a déjà envoyé son message mais Yongguk lui l'a bien reçu.
Tout d'abord, la première expression de Yongnam a montré un profond dégoût et beaucoup de colère : « Ne leur pardonne jamais ! ». La deuxième expression : de la tristesse et tellement d'amour : « Je suis désolé, j'aurais surement dû t'écouter et partir. Maintenant, ils se servent de moi pour te faire du mal, je suis désolé. Je sais que ça va pas être facile, mais je t'en prie, Yongguk, vis ! Après moi, continue de vivre ! Je t'aime tellement, alors meurt pas à cause de moi ! Vis ! Je t'en prie. Je t'en prie. Vis ! ». Puis, la dernière expression, c'était un reproche et un avertissement, un léger signe de tête autoritaire, un mouvement des lèvres : « Si tu peux, va-t'en. Ne regarde pas ses images. »
Yongguk reste pourtant scotché malgré lui à cet écran. Le choc qu'il ressent l'empêche de réagir. Alors, comme s'il savait, Yongnam insiste et son reproche devient plus clair, il engueule le spectateur qui est obligé de réagir, enfin.
Le doigt de Yongguk surprend Himchan lorsqu'il fait pause. Lentement, le leader retire la main de sa bouche et dit :
- Je ne peux pas regarder ça.
Yongguk saisit le poignet de son ami et lui donne le téléphone de force. Himchan lui fait des yeux ronds. L'homme s'éloigne, il marche jusqu'au coin opposé. Il s'appuie à la rampe de l'escalier et répète en tournant le dos à Himchan :
- Je ne peux pas regarder ça.
Himchan fronce les sourcils, attend la suite.
- Toi ! Tu vas regarder pour moi.
- Moi ?
- Oui. Si c'est pas aussi grave que ça en a l'air, tu pourras me le dire. Je dois savoir. Pas voir, ça je suis pas obligé, mais savoir, savoir si ! Alors, j'ai besoin de tes yeux.
- Je ne sais pas...
Yongguk lui tourne toujours le dos. Sa voix est étrange, méconnaissable.
- Laisse le son, s'il te plait. Je suis prêt. Fais ce que je te demande. Vite. Vite, fais-le, avant que je devienne fou.
Himchan déteste l'idée de devoir regarder, à nouveau, des images violentes. Il s'est déjà pris la photographie de Zelo en pleine face. Il sait pourtant qu'il n'a pas le choix, que Yongguk a raison. Il sait qu'il ne devra pas détourner les yeux. S'il s'en sort, il lui faudra un bon psy. S'il s'en sort ! Il trouve le courage, sur une inspiration d'appuyer sur le bouton « play ». La vidéo redémarre. Lui voit tout : la chaise, Yongnam qui, malgré toute sa bravoure, dévoile une peur grandissante lorsque son bourreau s'approche de lui.
« Rien à déclarer alors ?
- Je vais rejoindre les miens. Mais vous ! Vous, vous irez brûler en enfer quand viendra votre tour.
- Si tu le dis. »
Yongguk s'accroche de plus en plus à cette rampe. Le temps s'écoule comme au ralenti. Pourquoi est-ce que ça lui semble si long ? Pourquoi fallait-il qu'il ait un frère jumeau ? Pourquoi ? Il l'aime trop, c'est pas humain. Il pense déjà à cette foutu injonction : vis ! L'enfoiré ! Un enfoiré bien aimé, mais un enfoiré quand même. Il allait devoir lui obéir et vivre. Ça serait pourtant tellement plus simple de mourir avec lui.
Bang !
Le premier coup de feu atteint Yongguk par surprise. Il aurait dû s'y attendre pourtant ! Ce n'est pas le premier coup de feu de la journée. Il est amoindri par les haut-parleurs. Mais il a fait plus de bruit que les précédents. Il lui était trop directement destiné. Il lui coupe le souffle. Il est suivi d'un cri grave. Yongnam crie. Le genou, Yongguk a l'intuition que c'est un genou qui vient d'éclater.
Bang !
Deuxième coup de feu. Et le cri se fait toujours entendre. Un deuxième genou ? L'otage qui se soutient du plus en plus difficilement à sa rampe d'escalier a l'impression d'être fouetté. Les claquements de fouet sont remplacés par des détonations.
Bang !
Troisième coup de feu. Nouveau coup de fouet. Le cri perd déjà en intensité. Yongguk déteste ses cris, il les déteste. Il prie pour qu'ils s'arrêtent.
Bang !
Quatrième coup de feu, encore un coup de fouet qui le flagelle. La détonation a interrompu brutalement le cri de son frère jumeau. Il n'y a plus de cri...
...plus du tout. Nooonnnn ! Dans le cœur ? Dans la tête ? La balle vient d'achever son frangin. Il n'y aura plus de cri. C'est la fin... Pourquoi est-ce qu'il a prié ? C'est sa faute ! Tout est de sa faute ! Orphelin et sans famille. Yongguk déteste encore plus ce silence.
Bang !
Cinquième coup de feu. Yongguk tressaille, surpris que cela puisse continuer. Pourquoi ? Si c'est juste pour lui faire du mal, ça marche. Yongguk se tient les côtes de douleurs. Ses genoux flanchent.
Bang !
Sixième coup de feu. Pourquoi ? Pourquoi ? On le flagelle. On tue Yongnam plusieurs fois ou quoi ? Il est mort, mort.
Septième coup de feu. On tire sur son corps, celui de Yongnam ou sur le sien, il ne sait plus. Il veut se boucher les oreilles mais ses mains sont toujours serrées sur son ventre.
Huitième coup de feu. Toutes ses balles qui trouent sa propre peau force Yongguk à tomber par terre. Ses genoux touchent le sol. Ses mains n'en peuvent plus de serrer son t-shirt au niveau de son ventre. Cette douleur viscérale ! Yongguk n'est pas sûr de pouvoir supporter un autre...
Neuvième coup de feu. C'est bon ! Il a compris ! Il sait qu'il n'y a plus d'espoir. Arrêtez ! Arrêtez !
Dixième coup de feu ! Yongguk n'a pas à subir le choc des images, mais elles s'imposent à lui : le cadavre mutilé, des projections de sang. On ne le reconnaitra plus.
Onzième coup de feu. Son frère bien aimé. Yongguk glisse encore plus bas, attiré par la gravité de la planète, la lourdeur de son corps, la franchise de sa douleur, vive. Il s'enfonce. Il tombe à terre. Il pourrait mourir sur le champ, il est sûr qu'il pourrait mourir sur le champ.
Douzième coup de feu. Son frère bien aimé. Yongguk est à terre, roué de coups. Il a lâché son ventre. Il protège sa tête, ses genoux remontent.
Il revient en position fœtal.
Silence de mort.
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