CHAPITRE 23 - Digne, partie 6/8
Autour de ton amour resserre ton étreinte
Youngjae se dirige vers l'entrée de la chambre aux miroirs. Sans se retourner, il ne doit pas se retourner, ne plus regarder Daehyun à présent. A chaque fois qu'il observe cette entrée, ça lui rappelle à quel point le temps qu'il lui reste est compté. Il a encore le choix, mais s'il n'agit pas rapidement, il ne l'aura plus. Il se traine jusqu'à la porte d'entrée, là où les éclats de verre témoignent de ce que Daehyun a fait pour lui venir en aide. Le reflet de la silhouette de Youngjae se fragmente sur les morceaux de miroir qui n'ont pas chutés. Il se penche et s'empare d'un morceau de verre triangulaire d'une dizaine de centimètre de long. Il tient bien en main cette arme blanche improvisée. Il ferme les yeux pour faire disparaître les images de lui-même qui ont quelque chose de réprobateur.
Est-ce que c'est vrai qu'il se condamne à l'enfer avec cette décision ? Est-ce qu'il y a des exceptions à cette loi qui prétend qu'il ira rôtir au côté des autres suicidés ? Probablement pas ! Youngjae sait, au fond, qu'il n'y aura pas d'exception. Aucun saint biblique ne s'est donné la mort. C'est à cause de ses croyances qu'il avait préféré demander de l'aide à Daehyun, d'abord.
Il a encore le choix. Il peut encore accepter son sort auprès de ses bourreaux, subir, tout ce que Junhong a subi, puis mourir. Les portes du paradis lui seront assurément grandes ouvertes. Mais avant qu'elles ne s'ouvrent, il obligerait Daehyun à entendre des cris d'agonies pour la seconde fois.
Il préfère condamner son âme à l'errance que lui promettent ses croyances plutôt que de se résoudre à se rendre en vie. Il préfère Daehyun à Dieu.
Youngjae sert un peu trop le fragment tranchant dans la paume de sa main gauche, celle qui n'est pas blessée, qui n'était pas blessée, car déjà l'objet entaille sa peau et quelques gouttes de sang s'évadent.
Il sent cette douleur. Ce n'est pas grand-chose !
Pourquoi faut-il qu'il doute de cette manière ? Il sait pour l'enfer, mais il a pris une décision. Pourtant, c'est difficile. C'est difficile d'approcher le morceau de verre de son cou, au plus proche de sa carotide. Son bras tremble. Il n'arrive pas à contrôler sa respiration. Ça le terrifie. Il sent qu'il perd ses forces, ses résolutions. Cela demande plus de courage qu'il ne le pensait. Prendre la décision ne fait pas tout. Quand il sent cette arme au contact de sa peau il renoue avec les angoisses paralysantes. Il panique !
Il ne doit pas paniquer. Il n'a pas à avoir peur, puisque c'est lui qui l'a choisi. Il n'a pas à trembler. Ce sera rapide. Douloureux ?
Les larmes coulent sur son visage. Il appuie un instant la partie qui lui semble la plus tranchante sur la peau de son cou. Les tremblements s'amplifient.
Il doit le faire, il veut le faire. Il veut le faire. C'est simple. Douloureux ? Peut-être, mais rapide. Et de toute façon, ça fera moins mal que ce qui l'attend s'il ne le fait pas.
Youngjae hoquète. Sa deuxième main vient soutenir la première mais comme elle, elle interrompt le mouvement. Il n'arrive pas à s'ouvrir la gorge. Plusieurs fois pourtant il lui semble qu'il réclame à ses muscles d'agir. Mais ceux-ci ne font rien. Son corps le trahit.
Désespéré Youngjae tombe à genoux et hoquète bruyamment. La crise est là, il n'y peut rien. Il n'arrive pas à lutter. Ses mains sont au sol. Le fragment meurtrier se retrouve piégé entre sa paume et le sol, recouvert de sang. Youngjae ne sent pas la douleur.
Son souffle est en crise. Il n'a pas abandonné, c'est simplement beaucoup plus dur que ça ne devrait l'être. Il essaie de se concentrer pour retrouver un peu de souffle. Il tente de rassembler le peu de force qu'il lui reste, tout son maigre courage. Il ne lui en faut pas beaucoup, seulement assez pour abréger ses souffrances. Il doit le faire. Tant pis pour l'enfer.
Il relève la main brusquement en direction de sa gorge. Il va le faire.
Son mouvement est avorté par une force intérieure. Encore.
- Ahh, hurle Youngjae.
Il pensait que cette fois ce serait la bonne. Mais il n'a pas pu. Il n'y arrive pas. Il s'injurie lui-même. Il se traite de lâche. Il se dit les mêmes mots terribles que ceux qu'ils donnaient à Daehyun : quand le monstre se vautrera de plaisir sur son corps, il pourra se maudire lui-même d'avoir été si lâche.
Soudain, sans qu'il l'ait sentit approcher, il sent une chaleur l'envelopper par derrière. Il reconnaît cette chaleur et la nomme :
- Daehyun !?
Youngjae renifle et frissonne.
-J'y arrive pas, poursuit-il minable... Je veux. Mais j'y arrive pas.
- Je sais, souffle Daehyun dans son cou.
- Je n'ai pas le droit, explique-t-il. On m'a toujours dit que c'était le pire de pêché. C'est peut-être des conneries, peut-être... Mais je le saurai trop tard. Et puis. J'y crois ! J'y ai toujours cru. J'ai toujours été sage avant... Je vais tout gâcher... Je vais... Mais je veux. Je veux toujours. J'y arrive pas. Daehyun, j'y arrive pas. Même quand j'essaie de toutes mes forces...
Daehyun sait en quoi son ami croit. Lui-même est un athée convaincu, mais il respecte trop Youngjae pour ne pas prendre en compte ses états d'âme, lui-même aurait bien besoin de croire en quelque chose en cet instant.
En voyant Youngjae se débattre pour rassembler suffisamment de courage pour mourir dignement, il venait de comprendre. Il regretterait toute sa vie d'avoir abandonné son meilleur ami dans ses derniers instants, de ne pas avoir su l'accompagner, le rassurer, jusqu'à la fin.
- Lâche-ça !
- Mais Daehyun, je dois mourir...
- Lâche-ça, fais-moi confiance.
La voix de Daehyun a un pouvoir sur lui, il ne peut que lui obéir. En plus, c'est étrange, mais il y a un certain calme dans cette voix, quelque chose de profondément rassurant.
- Fais-moi confiance ! répète-t-elle.
Toujours.
Le morceau de verre quitte la main taillée. La respiration haletante de l'homme se calme petit à petit alors qu'il sent Daehyun l'enlacer toujours plus fort.
- Calme-toi, susurre-t-il caressant ses cheveux. Calme-toi.
Le garçon a bien du mal à se calmer, il frissonne si fort. Daehyun sent ses tremblements incontrôlables contre lui. Son protégé est dans un état qu'il ne peut tolérer.
-Ecoute-moi Youngjae, dit l'ainé si tendrement qu'on voudrait s'endormir dans le nid de ses paroles. Je veux que tu réfléchisses, que tu retrouves dans ta tête une chanson que tu connais par cœur.
- Qu ...quoi ?
- Concentre-toi sur ça. Trouve un air que tu connais. Peut-être quelque chose que tu avais préparé pour un casting. On n'oublie jamais ça ? Ou bien ce que tu voudras.
Youngjae a toujours les yeux mi-clos. C'est toujours difficile pour lui de se calmer. Alors que Daehyun l'aide à se relever, le portant presque, le musicien réfléchit silencieusement aux chansons qu'il connaît bien. Elles sont nombreuses, mais pour la plupart, elles lui échappent. Ils se dirigent tous les deux vers le lit.
- Tu veux que je chante ? demande Youngjae très perplexe.
Il pense à sa gorge nouée. Chanter, vraiment ? Est-ce que c'est possible de chanter ? Il arrive à peine à parler.
- Oui, chante-moi quelque chose.
Daehyun grimpe sur le lit. Il s'y assoie en prenant appui sur la tête de lit. Ses jambes fléchies sont très largement écartées. Il tend ensuite la main vers Youngjae qui la saisit aussitôt. Ses yeux noirs et tristes cherchent des réponses. Comment est-il censé se mettre ?
A sa question silencieuse, Daehyun répond en le guidant comme un danseur guide sa partenaire, sans une parole, un geste du poignet. Il attire son ami sur le lit, l'invite à se retourner, s'asseoir contre lui, entre ses jambes, tout contre son torse. Puis, il le ceinture de ses bras et attend que les tremblements se calment pour de bons.
Youngjae s'est mis à fermer les yeux, non parce qu'il a mal, mais pour mieux lire à l'intérieur de lui-même. Le simple fait de rechercher un air de musique qu'il connaisse suffisamment ralentit sa respiration. Sa gorge lui fait déjà moins mal.
Le lové retrouve progressivement ses esprits. Il a décidé de s'en remettre à Daehyun à 100 %. Youngjae arrête de calculer, d'anticiper, de réfléchir à trop de choses douloureuses à la fois. Ça lui fait du bien. Plus que cela, ça le sauve. Il se laisse complètement envahir par le sentiment de confiance qu'il y a à être dans l'espace chaud des bras de son ami. Youngjae laisse ses mains reposer sur les cuisses qui l'encadrent, comme deux accoudoirs. Il aime sentir le ventre de Daehyun se soulever et s'abaisser dans son dos. Il bascule sa tête en arrière et elle se dépose sur l'épaule réconfortante. Il garde les yeux clos, posément, concentré. Même si quelques sanglots le trahissent encore parfois, c'est évident que la crise est passée.
- Tu es prêt ? demande Daehyun.
Parle-t-il de la chanson ? Ou de l'autre chose ?
Comme s'il l'avait entendu par télépathie, Daehyun précise :
- Tu as fait ton choix ?
- Oui...mais je ne sais pas si j'en suis capable. J'ai...
Aucun argument valable ne lui vient.
- Ne t'en fais pas ça sera très bien, tranche la voix derrière son oreille. Chante-moi quelque-chose. S'il te plait.
Youngjae ressent un sentiment étrange. Il est triste. Il sait qu'il n'y aura qu'une chanson. Mais il se sent reconnaissant.
- Dae ... merci.
- S'il te plait. Ne dis rien. Chante.
C'est une supplication. Daehyun n'est pas aussi à l'aise que ce qu'il essaie de montrer. Lui aussi se trouve dans un équilibre précaire. Une paix s'est pourtant bien installée, une paix fragile.
Youngjae veut profiter de cette paix, la saisir et l'emporter avec lui. Il inspire profondément et :
- Non, rien de rien,
non, je ne regrette rien
Ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal,
tout ça m'est bien égal.
Les paroles sont lentes, mal assurées. La voix, tel un murmure, tremble un peu. Il parle plus qu'il ne chante. Ce n'est pas évident, pourtant les notes s'envolent dans la pièce. Youngjae se concentre à présent sur la chanson. Il chasse les démons grâce à la musique. Pour Daehyun, c'est aussi un moyen de ne pas trop penser à l'épreuve qui l'attend. Il a une chanson, seulement une chanson pour réunir suffisamment d'énergie et de volonté.
Il ferme les yeux à son tour. Ses bras se referment autours de son meilleur ami, autours de ses épaules d'abords. Il plonge son nez dans la chevelure brune. Il hume le parfum de Youngjae, au-dessus duquel se superpose une odeur qui n'est pas la sienne. Une odeur qu'il n'identifie pas mais qui provient, il le sait, du produit de bain imposé par les agresseurs. Déjà il sait que cette odeur sera à jamais à bannir de sa vie. Qu'il la détestera autant qu'il peut aimer celui qu'elle ose recouvrir.
- Non rien de rien,
non je ne regrette rien
C'est payé, balayé oublié
je me fous du passé
Avec mes souvenirs j'ai allumé le feu
Mes chagrins mes plaisirs
je n'ai plus besoin d'eux
Le chanteur trouve sa voix bleue. Il s'interrompt parfois pour rétablir son souffle ému avant de reprendre. C'est difficile de chanter quand les larmes montent. Courageusement, il les repousse. Il chasse les mauvaises pensées qui l'envahissent. Il lui suffit d'imaginer la musique censée l'accompagner. Il entend un violon, un piano. Sa voix se place.
- Balayés les amours avec leurs trémolos
Balayés pour toujours
Je repars à zéro
Daehyun frissonne. Le chanteur prend un peu d'assurance, mot après mot, phrase après phrase. Il ne parle plus, il chante. Le filet de voix si faible au départ prend de la force. Daehyun aime cette voix, même comme ça, même quand elle a quelque chose de vacillant. Contre son torse la cage thoracique vibre et l'onde se répercute dans le corps du dossier humain. C'est comme s'il embrassait un caisson de basses. Lui-même devient la caisse de résonnance de Youngjae. Ses lèvres miment les paroles pour éviter de trop penser.
- Non rien de rien,
non je ne regrette rien
Ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal
Tout ça m'est bien égal
Il s'accroche aux lèvres de Youngjae, à son corps. C'est un instant cruel et malgré tout touché par la grâce, bien sûr, puisque que Youngjae chante. Daehyun voudrait suspendre le temps, l'arrêter dans sa course. Mais, inexorablement, chaque note les rapproche de la fin de la chanson, de la fin du monde. Youngjae a basculé sa tête en arrière dans ce but. Il s'offre. Daehyun déplace son bras droit, le remonte, encercle le cou. Il se fait boa constrictor. Youngjae s'interrompt, seulement le temps d'une inspiration.
- Non rien de rien,
non je ne regrette rien
Plus qu'une phrase et ce sera la fin. Les deux amis le savent.
C'est si chaud d'être contre Daehyun. Son bras encerclant sa gorge est une promesse. Il va lui offrir la mort. S'il achève la chanson, c'est qu'il souhaite en finir, ce sera le signal qu'attend son ami. Et cette dernière phrase, il va la chanter avec le cœur. Il va partir dignement, enveloppé dans des bras amicaux.
- Car ma vie, car mes joies,
Aujourd'hui ça commence avec toi.
Il y a des chansons qui s'achèvent brutalement. D'autres dans lesquelles l'intensité diminue progressivement. Ici, Youngjae tient la dernière note jusqu'à ce que la magie prenne fin. Les violons se taisent.
C'est le signal. Daehyun prend une grande inspiration et ... serre.
Son bras se referme autour du cou de son ami. Il sert fort, très fort. Il ne veut pas lui faire de mal, mais il sait que ce sera pire s'il est lâche. Les yeux de Daehyun sont résolument fermés, sa tête baissée. Inconsciemment, il a commencé à retenir sa respiration. Il prend conscience que sa tendre proie se retient à ses genoux. La toile de jean se fripe.
Youngjae s'est préparé mentalement à cet étranglement. Il prend sur lui pour ne pas se débattre de quelques manières que ce soit. Il veut ignorer l'inconfort ; la souffrance infligée à sa pomme d'Adam ; ses constantes vitales en augmentation ; le manque d'air dans ses poumons ; le sang qui cogne dans sa tête. Il a envie de lâcher les genoux de son meilleur ami pour venir libérer son cou. C'est son combat : lutter contre ses instincts les plus primaires qui lui ordonnent de tirer sur le collier qui l'étouffe. Au lieu de cela, Youngjae force ses mains à se maintenir aux genoux de Daehyun. Si elles veulent s'agripper sur quelque chose se sera sur ses rotules. Ses poumons réclament leur fluide vital en tentant, douloureusement, de se remplir. Sa bouche s'ouvre, un sifflement est exhalé.
Le bruit de l'inspiration est cruel aux oreilles de Daehyun. En entendant cette plainte, il réalise ce qu'il est en train de faire. L'envie de tout abandonner est si forte que, paradoxalement, il choisit de resserrer encore plus son étreinte autours de son ami. Il espère achever sa sinistre besogne plus rapidement. La réaction est un couinement qui contraint Daehyun à pousser un cri bref.
Pardon, pardon Youngjae ! Il ne doit plus desserrer maintenant, plus desserrer.
Amplifier la pression autour du cou de Youngjae n'accélère pas suffisamment le processus. Daehyun sans une douleur naître dans son bras droit. Son biceps crampe. Il ne manquait plus que ça. Daehyun angoisse. S'il n'y parvient pas ? S'il n'est pas assez fort pour tenir jusqu'au bout ? Si ça ne marche pas ?
Sans prévenir, les mains de Youngjae lâchent leur support et viennent saisir le bras de Daehyun et tirer pour demander grâce. Les pieds de Youngjae repoussent le matelas, le poids du corps du condamné s'imprime sur lui. L'amour se débat, d'abord doucement, puis fortement, de plus en plus fortement.
Plus Youngjae se débat, plus Daehyun resserre sa prise. Il utilise à présent son deuxième bras pour secourir le premier. Le cou et les cervicales du condamné doivent encaisser. Les râles de Youngjae démontrent avec certitude que le jeune homme ressent de la souffrance. Comme une éponge Daehyun s'en imprègne et grogne entre ses dents serrées. Il doute. Peut-être que la manière dont il s'y prend n'est pas la bonne, qu'elle rallonge le supplice de Youngjae. Si par la faute de sa maladresse, l'agonie était plus rude ?
Il ne peut pas changer de position. S'il lâchait, son ami lui échapperait. Le combat n'est pas facile. Leurs forces sont équivalentes. Et il n'a pas le droit de le lâcher.
Et puis, ce n'est pas Youngjae qui se débat, c'est un instinct animal. Youngjae a pris sa décision. Il ne veut pas demander grâce. Pourtant ...de ses lèvres, des cris étouffés s'échappent toujours. Il s'étouffe, glapit. Il frappe sur le bras.
Pourquoi il se débat ? Pourquoi ? Même en se persuadant qu'il ne s'agit que d'un réflexe ...
Son biceps le fait de plus en plus souffrir. La tétanie le guette. Ses yeux sont toujours fermés et il gémit à chaque fois que son ami sursaute entre ses jambes.
Des mains viennent à présent s'abattre sur le visage au nez cassé. Elles viennent le griffer. Youngjae se débat comme un taureau à l'agonie. Il a peut-être abandonné momentanément ses résolutions. Mais le matador sait ! Il doit aller jusqu'au bout. Le courage d'aller jusqu'au bout lui revient, il ne revient pas à Youngjae. Il n'abandonnera pas, peu importe ce qui lui en coute.
Il s'efforce de mettre ses sentiments de côté. Son cœur est ailleurs, laissé dans un coin, plus serré encore que le cou du mourant.
Et cette odeur ! Cette satanée odeur qui embaume les cheveux de son ami. Ses cheveux dans lesquels il voudrait plonger ses narines pendant une éternité.
Est-ce qu'il pourra mourir lui aussi quand ce sera terminé ?
Si ça se termine un jour, car rien ne semble pouvoir arrêter les ruades de Youngjae. Le manque d'air, le manque de sang devrait amoindrir ses forces mais c'est tout le contraire. La lutte du corps maigre de Youngjae entre ses bras se fait de plus en plus rude, désespérée.
Pourquoi Youngjae, pourquoi est-ce que tu rends ça si compliqué ? Arrête ! Arrête de te débattre.
Exaucé ! Youngjae ne se débat plus, ces ruades se transforment en convulsions.
Des putains de convulsions ! Pas des ruades, des soubresauts annonçant l'immobilité. Les jambes de Youngjae se sont étendues et remues comme sous l'effet d'un courant électrique.
Daehyun maintient, il maintient toujours.
C'est bientôt terminé, bientôt ! Quand cette horreur aura pris fin, il pourra lâcher pour l'instant il n'en a pas le droit.
Par miséricorde, les convulsions deviennent moins amples, moins rudes, moins nombreuses. De frénétiques elles deviennent rapides, puis lentes, puis rares.
Puis inexistantes.
Les râles s'arrêtent également. Les bras s'allongent le long du corps de la victime. Ils ne tentent plus ni de serrer leur collier, ni de frapper leur bourreau. Les poings s'ouvrent, paumes vers le ciel.
Youngjae est enfin inerte. Parfaitement inerte.
Daehyun attend longuement avant de s'autoriser à lâcher. Desserrer le muscle de son biceps lui fait vraiment mal.
Il pousse ensuite sur l'épaule de Youngjae et ce dernier roule, sans résistance, prenant place à ses côtés, dans le large lit blanc. Daehyun s'est libéré de son poids. Il inspire difficilement. Dans la lutte, il a glissé de la tête de lit et s'est retrouvé allongé.
Il ose ouvrir les yeux. Il regrette aussitôt. Il y a le plafond. Encore un miroir. Il a le temps de reconnaître sa propre silhouette et celle à ses côtés. Youngjae a les yeux grands ouverts mais horribles, mais fixes, mais vides. Daehyun referme brusquement les siens. Il n'est pas prêt.
Il est comme coincé sur ce lit, incapable d'ouvrir les yeux, de bouger un seul membre, en dehors de sa poitrine qui s'abaisse et se soulève. Et il se sent tellement mal. Ça le brule tellement fort qu'il finit par pousser un long cri de désespoir.
Et lui, qui viendra lui offrir une mort digne ?
S'il pouvait ouvrir les yeux et voir par-delà les miroirs. Il verrait le ciel. Et dehors, est-ce qu'il fait jour ? Est-ce qu'il fait nuit ?
Sûrement nuit !
Une nuit profonde et sans lune. L'obscurité doit tout recouvrir à cet instant précis. Pas seulement ici, pas seulement en Corée, mais partout. Faire le tour du Monde ne changerait rien ; au Nord, au Sud, à l'Est et à l'Ouest, il doit faire Nuit. Tout ce qui est beau vient de disparaître dans le noir.
Il est mort. C'était Youngjae et il repose sans vie à ses côtés.
Et c'est lui qui l'a tué.
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"Vous aurez sans doute reconnu "non, je ne regrette rien" d'Edith Piaf. Il est évident que Youngjae n'aurait pu choisir cette chanson, quoi que c'est l'une des rares chansons française connue en Asie. Mais je ne connais pas, malheureusement (mais si quelqu'un sait!), l'équivalent coréen d'une chanson, à la fois connue de tous et dont le sens puisse évoquer à la fois une fin et un renouveau. Il faut un grand classique pour que tout le monde puisse entendre l'air en lisant.
Les derniers paragraphes sont inspirés presque malgré moi par Wystan Hugh Auden.
Allez donc récupérez de vos émotions, prenez un peu l'air peut-être et revenez me commenter si le cœur vous en dit.
A très bientôt"
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