Étranges retrouvailles

De qui est-ce le sang ?

Youngjae sent une sensation désagréable le transpercer. De la terreur ? Il se retourne brusquement. Il remarque que la pièce entière est recouverte de miroirs. Où qu'il pose les yeux il ne rencontre que lui-même ? Un lui-même encore humide de la douche express qu'il a été forcé de prendre. Ses cheveux n'ont pas été séchés. Une goutte roule de son front jusqu'à son menton avant de se détacher puis d'exploser à ses pieds, à côté de ses grandes sœurs. Son t-shirt colle encore à son épiderme et ce n'est pas la sueur causée par l'angoisse qui arrange la situation. Le vêtement sombre est ample pourtant. L'encolure est large et ronde, accentuant la finesse de son cou. Il n'a pas eu le temps de remettre son pull. Ses pieds sont nus dans ses chaussures enfilées précipitamment.

Ce lieu fantastique de narcissisme le perturbe. Il lui rappelle le tournage de 1004 Angels. A l'époque, il avait trouvé cela amusant, ce labyrinthe de glaces. Entre deux prises, il avait tenté d'attraper Zelo. Il avait cru obtenir la victoire avant de se rendre compte que le maknae était protégé derrière une vitre. Le blondinet s'était joué de lui. Joyeusement, il lui avait tiré la langue. C'est finalement Yongguk qui avait remporté la partie. Il avait surpris l'insolent par derrière, provocant un sursaut historique, puis un long fou rire.

C'est ce type de souvenir qui viennent troubler Youngjae lorsqu'il compare cette chambre à ce manège. L'artiste n'est pas à la fête. Pour l'heure, il n'a pas la tête à admirer les effets kaléidoscopiques de cette chambre atypique. Il veut simplement retrouver Daehyun.

Youngjae tient encore sa main contre sa poitrine. L'accélération de son rythme cardiaque fait pulser le sang plus vivement dans son petit doigt broyé. Il ne comprend pas pourquoi Daehyun ne s'est pas manifesté. Pourquoi ne vient-il pas à sa rencontre ? Est-il possible que son ami n'est pas entendu quelqu'un rentrer ?

- Daehyun, appelle-t-il.

Il ne reçoit pas de réponse. Il quitte l'alcôve à l'entrée et entre véritablement dans la pièce. Les miroirs sont omniprésents, aux murs et au plafond. La scène témoigne des luttes qui se sont déroulées plus tôt : la table basse en verre est brisée, un réseau de fissures parcoure un miroir au fond de la chambre. On ne peut pas se cacher dans un environnement pareil ? Il n'y a que trois meubles : un bureau de verre dans un coin, la table cassée et un lit king-size blanc. C'est donc assis, au sol, dans l'exigüité entre l'un des murs froids et le lit que Youngjae retrouve enfin celui qu'il cherchait. Son meilleur ami est prostré. On ne distingue que sa chevelure, il a le nez entre ses genoux repliés, les mains sur les oreilles. Sentant son cœur s'envoler Youngjae se jette sur celui qui lui a tant manqué. Il veut le serrer contre lui, le sentir. Mais il ne fait que poser des mains inquiètes sur son compagnon.

- Hé !?

La joie de retrouver Daehyun est de bien courte durée. Youngjae est de plus en plus inquiet. C'est évident qu'il va mal. Il est recroquevillé, il ne réagit pas, il se cache. C'est incompréhensible de le retrouver comme ça. Ce qui glace le sang du jeune homme inquiet c'est ce qu'il ne peut pas manquer de voir sur les manches du pull de Daehyun : des tâches écarlates.

- Hé ! Regarde-moi. Tu es blessé ?

Youngjae doit utiliser ses deux mains pour obliger le prostré à se dévoiler, écarter ses bras et ses genoux, au mépris de la douleur de son auriculaire. Son petit doigt le laisse absolument indifférent, ce qui lui fait du mal c'est ce qu'il découvre : le visage de son meilleur ami est marqué. Les yeux restent obstinément baissés, ils semblent le fuir. Le beau jeune homme est abîmé. Youngjae, scandalisé, souligne le visage meurtri de son ami. Il sent la colère prendre possession de lui.

- On t'a battu ?

Ce n'est pas une question. Le nez de son ainé a considérablement grossi et saigne. Des tons allant du violet au rouge en passant par le bleu s'étalent autour de ses orbites. Sa mine est tuméfiée. Les doigts de Youngjae, qui soulignent les blessures, tremblent de rage. Il jure à lui-même qu'il frappera les coupables.

- Qui t'a battu ? Pourquoi ?

Le blessé réagit aux sollicitations de Youngjae en secouant la tête et en fermant les yeux. Le nouveau venu ne comprend pas.

Ça ne va pas ?

Daehyun a le nez cassé, mais ce n'est rien un nez cassé. Jamais Daehyun ne se serrait blotti comme un enfant effrayé de cette manière, à cause de quelques mauvais traitements. Si on s'était contenté de le maltraiter, ce qui en soi est déjà révoltant, Daehyun se serait défendu férocement. C'est le mot : féroce. Daehyun devrait être féroce. Youngjae devrait se trouver face à un homme redoublant d'agressivité, prêt à en découdre, à se venger. Il ne devrait pas être effondré, abattu au point de ne pas répondre à ses sollicitations.

Parce que, depuis que Youngjae se tient face à lui, Daehyun reste mutique.

- Pourquoi Daehyun ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

Cette fois, Youngjae panique. Autant que lorsqu'il s'est réveillé seul dans la chambre rose. Il ressent la même incertitude. Quelque chose de terrible se déroule ? Et il ne peut même pas en saisir la nature. Youngjae déteste rester dans cette incertitude. Il ne la tolère pas.

Ses mains parcourent les épaules de Daehyun. Il n'ose pas le secouer.

- Qu'est-ce que t'as ? Tu m'inquiètes.

Youngjae s'approche de plus en plus, cherchant le regard de son confident. Les pupilles de son ami restent fixées sur le sol. En désespoir de cause, Youngjae s'approche jusqu'à coller son nez contre la joue brûlante. Il ferme les yeux comme quelqu'un que l'on met au supplice.

- Pourquoi tu ne dis rien, Daehyun ? murmure-t-il.

Puis il pose son front sur l'épaule de son meilleur ami. Après tout, il est vivant, il n'est pas gravement blessé et ils sont réunis. Pourquoi a-t-il tant envie de pleurer ? Il a si bien résisté jusque-là.

Youngjae sent soudain des doigts passer dans ses cheveux d'ébène. Aussitôt, il frissonne. Il pousse même un soupir. Daehyun, enfin, fait un geste vers lui. Le contact est rétabli, songe le nouveau venu. Les doigts de son ami glissent dans sa chevelure, tâtonnent sur son cuir chevelu. Ils saisissent une mèche humide, la font rouler.

Ce geste que Youngjae prend pour de la tendresse s'achève brutalement. Il est ensuite saisi par son ami à deux mains au niveau des épaules et éloigné. Les yeux enfin relevés sont écarquillés.

Youngjae se retrouve face à l'expression épouvanté de Daehyun et il ne la comprend pas. Il a l'impression insolite que c'est lui qui cause cette détresse. Qu'avait-il fait ?

Daehyun, définitivement de retour parmi les vivants, articule fébrilement, en continuant de passer ses doigts dans la chevelure encore humide, comme si le tableau qu'il avait sous les yeux ne pouvait être réel :

- Tu ... tu as pris une douche ?

Pourquoi tant de cinéma pour une douche ? Celui qui a le plus de motifs d'inquiétude c'est tout de même lui. Daehyun a été sévèrement battu et son attitude dévoile un traumatisme dont Youngjae ignore totalement la nature. C'est lui qui doit poser des questions :

- Oui, j'ai pris une douche ! Mais réponds toi plutôt, qu'est-ce qu'on t'a fait ?

- C'est eux !? C'est eux qui l'ont voulu la douche, hein ?

Daehyun lui serre de plus en plus fort les épaules. La peur s'accentue aussi bien chez l'un que chez l'autre. C'est un cercle vicieux : plus Daehyun panique, plus Youngjae perd pied à son tour, plus il a besoin de comprendre.

- Oui, c'est eux ! Daehyun ? Expli...

- ... il faut qu'on se tire. Il faut partir d'ici.

Joignant le geste à la parole, le jeune homme commence à se redresser.

- Ça , ça j'ai bien essayé, mais c'est pas si facile.

- Et bien là, il faut qu'on y arrive, Okey.

- Tu veux vraiment pas me dire ce qui se passe !?

- On n'a pas le temps pour les explications, lève-toi !

Daehyun est sec dans ses paroles, trop sec. Il est déjà presque droit sur ses jambes, Youngjae a voulu l'aider mais son ami semble en pleine possession de ses moyens, physiques du moins.

Son comportement par contre est préoccupant. Il vient de passer en quelques secondes de la prostration à l'agitation. Même si la férocité qu'attendait Youngjae est enfin là, et que ça ressemble un peu plus au Daehyun qu'il connaît, il n'est pas sûr de trouver cela beaucoup plus rassurant. Il remarque aussi que son collègue semble fuir son regard. Il n'en est pas certain mais c'est l'impression que ça lui fait.

Daehyun s'échappe du coin dans lequel il s'était réfugié. Il court littéralement vers l'entrée de la chambre. Youngjae le suit. Il ne sait pas ce qu'il doit dire ou faire. Il n'est pas contre l'idée de tenter de s'échapper mais il a de plus en plus besoin de comprendre ce qui se passe. Daehyun n'a répondu à aucune de ses questions. Pourquoi ?

Maintenant, son meilleur ami tente de défoncer la porte avec son épaule en s'écrasant contre celle-ci, encore et encore. Il se jette avec passion sur l'ouverture qui se refuse à lui. La violence dont il fait preuve effraie Youngjae :

- Je suis pas sûr que ça peut marcher, commente-t-il entre deux tentatives.

Les yeux tuméfiés se relèvent et ils observent Youngjae, indirectement, grâce au jeu des miroirs. L'expression de ses yeux révèle la profondeur son délire furieux. Celui auquel ils appartiennent vocifère :

- Si ! Ça peut ! Ça doit marcher !

Youngjae tente de le calmer. Son ami est en pleine crise de panique. Il veut le ramener à lui :

- Je peux essayer si tu veux !?

Mais l'ingérable ne répond pas et recule. Il prend autant d'élan que cela lui est possible. Il regarde ensuite cette porte avec une haine absolue. Youngjae ne sait plus quoi faire ou quoi dire. La panique est contagieuse. L'urgence de la situation le gagne. Il se surprend à y croire lui aussi et prie pour que cette tentative fonctionne. Daehyun est fort, il va faire sauter la porte, les libérer tous les deux.

Le chanteur s'élance, sa colère en guise de propulseur, puis s'éclate contre l'obstacle. Bruyamment, le miroir cède. Certains éclats se détachent, petits ou grands, tombent au sol, certains autres restent incrustés dans la porte celée. Le choc a été si violent que Youngjae se précipite vers son compagnon :

- T'es sûr que tu t'es pas fait mal ?

Encore une question qui restera sans réponse, le têtu est déjà en train de reculer pour recommencer une nouvelle tentative. Le spectateur se décide à intervenir. Il s'interpose physiquement, crie presque :

- Arrête ! Fais pas ça ! Tu vas te blesser. Il y a du verre cassé partout.

- Mais j'en ai rien à foutre de me blesser. Lâche-moi ! Il faut qu'on sorte.

L'ami retient l'homme en plein délire. Il le retient et lui fait face. Il ne fait plus le moindre doute que Daehyun fuit son regard, puisqu'ils sont bien face à face, et qu'il fuit. Daehyun supplie qu'on le laisse agir, proteste, pourtant, il ne le fait jamais en regardant Youngjae dans les yeux.

- Je vais t'aider. Écoute ! Calme-toi ! Je vais t'aider. On va enlever les morceaux de verre avant de continuer. Mais est-ce que tu ne peux pas me regarder et me dire ce qui ...

- Aaahhh !

Un cri atroce oblige Youngjae à s'interrompre. C'était un bruit qui vous cloue sur place, vous fige dans la terreur. Les hurlements poussés et entendus jusque-là par Youngjae ne sont rien en comparaison. Il lève aussitôt la tête en direction de la plainte. Cela semblait si proche qu'il s'attend à voir quelque chose. Mais une fois de plus, à part lui-même, il ne voit rien. Il se tourne alors vers Daehyun. Est-ce qu'il a entendu lui aussi ?

Son ami a réagi instantanément. Il ferme les yeux de toutes ses forces, la tête penchée en avant. Ses mains se plaquent sur ses oreilles.

- Qu'est-ce que c'était ? interroge maladroitement Youngjae, pourtant bien conscient que l'autre n'est pas en état de lui fournir une réponse cohérente.

Des mots franchissent pourtant les lèvres de Daehyun :

- Non ! Non ! se plaint-il. Pas encore !

- Encore ?! s'étonne Youngjae.

- Il ne faut pas l'écouter. Tu ne dois pas l'écouter...

- Qui ?

Il est pétrifié à la pensée qu'un tel cri puisse provenir d'une personne qu'il connaît, d'une personne qu'il aime.

- Tu ne dois pas écouter. Pas toi, dit Daehyun.

Un nouveau cri harponne les deux amis. Cette fois, Youngjae sent un gouffre s'ouvrir sous ses pieds. Il se sent chuter sans fin.

- C'est Junhong ? Merde ! C'est Junhong.