CHAPITRE 2 - La lettre.
"Tigger"
Une fin de soirée, en Mai 2011.
Dans son dortoir, Yongguk ouvrait son courrier. Il recevait des lettres de fans, enfin. Après en avoir rêvé pendant des années ; après avoir supporté des années de formation, des dizaines de castings ; après de nombreuses tentatives avortées ou passées totalement inaperçues qui l'avaient menées au bord du découragement ; A vingt-et-un an, il connaissait enfin la gloire, grâce à « Going Crazy » et recevait ses premières lettres de fans. Grisant !
La première qu'il découvrait ce jour-là était une lettre d'amour. Elle était chaste, féminine et un peu naïve. Elle était quelconque. La récente star souriait mais ce type de déclaration la mettait un peu mal-à-l'aise. Il ne répondait jamais aux lettres d'amour. Qu'aurait-il pu bien répondre de toutes manières ?
« Je suis flatté de ce que tu m'as écris ! Toutefois, il n'y a pas de réciprocité. Je ne sais même pas qui tu es et franchement, tu ne sais pas qui je suis non plus. »
Il soupira. Ce que cette fille ressentait pour lui n'était pas de l'amour. Bien sûr, il en avait rêvé de ces déclarations d'amour enflammées. Les premières l'avaient enchanté, avant de vite déchanter. L'aspect virtuel de ces amours l'avait frappé. Il ne pouvait s'empêcher de jeter un regard cynique sur ces dernières depuis.
Non ! Ce qu'il avait vraiment envie de lire, c'était des éloges, pour son travail plus que pour sa personne. Il apprécierait même de recevoir une critique constructive de temps en temps. Il pouvait toujours rêver !
Il se saisit de l'enveloppe suivante. Il la soupesa. Elle était un peu lourde. Celui-ci avait écrit un roman ? Il décolla les bords de l'enveloppe, fit tomber son contenu sur son bureau. Comme dans le mécanisme des poupées russes, une deuxième enveloppe, à peine plus petite, se trouvait dans la première. Il y avait une carte également. Il l'attrapa entre son pouce et son index. Il n'y avait pas de signature, pas de formule de politesse. Il n'y avait que trois lignes, joliment calligraphiés.
« Loin de toi, je ne peux que souffrir
Sans lui, tu ne peux plus dormir
A ton bon souvenir. »
Un poème en trois vers. Un peu comme un haïku, songea Yongguk. C'était peut-être une japonaise ? Même si l'alphabet et la langue utilisés étaient coréens. Une femme supposa-t-il, sans parvenir à justifier cette intuition. Il relut le message une seconde fois. La signification lui échappait. Il comprendrait peut-être seulement après avoir ouvert la deuxième enveloppe. Au moins, l'auteur de ce courrier pourrait se vanter d'avoir éveillé sa curiosité.
De la seconde missive, il sortit trois photographies. Dés que ses yeux se posèrent sur celle du dessus, l'ambiance changea. Il se sentait intrigué et amusé, soudain, son sang venait de se glacer. Son sourire venait de disparaître. Fébrilement, il regarda les deux autres. Ses yeux les détaillèrent rapidement.
Trois clichés :
Sur le premier, un tigre en peluche était posé sur du bêton, devant un mur tagué. On vidait un bidon d'essence dessus, généreusement. Seule la main tenant le bidon était visible, pas de visage. Le plan était centré sur la peluche.
Sur le second, le même tigre était léché par les flammes. La robe rouge et noire de la peluche était noyée dans un brasier jaune-orangé. Son image se déformait sous l'effet de la chaleur.
Sur la troisième, le bêton au sol était noirci. Au milieu des cendres, le jouet carbonisé, était méconnaissable.
Yongguk chercha à attraper son téléphone dans sa poche sans parvenir à détacher ses yeux de la première photo. La qualité était parfaite. Il pouvait voir tous les détails de ce tigre, tout droit sorti du dessin-animé Winnie l'ourson. Il lui ressemblait tellement ! Le rappeur manqua faire tomber son portable en composant le numéro de chez lui. On décrocha aussitôt.
- Allô, maman ! C'est Yongguk.
- Yongguk ? Je suis contente que tu appelles.
- Ça va ?
- Oui, on va tous bien et toi ?
- ... Je peux te demander d'aller voir dans ma chambre. Il ... »
Respirer ! Sa voix était trop paniquée à son goût. Il ne voulait pas affoler sa famille. Mais sa demande allait forcément paraître étrange.
- ... Il doit y avoir Tigger, dans l'armoire. Tu peux vérifier s'il y est toujours ? S'il-te-plait.
- Tigger ? Qu'est-ce qui te prends ? Tu fais une crise de nostalgie ? ... Tu ne m'as pas dit si tu allais bien ? Tu as une petite voix.
- S'il-te-plait !
Cette fois, sa voix était pressante.
- J'y vais.
Yongguk devait patienter. Il fixait toujours les photographies. Il les déplaçait devant lui. Malgré lui, cette attente était en train d'accélérer son rythme cardiaque. Cette peluche qui brûlait ! Ça ne pouvait pas être la sienne. Ça ne pouvait pas être son Tigger. Puisqu'il se trouvait chez lui, dans sa chambre, dans son armoire.
Pourquoi est-ce qu'il ne l'avait pas gardé avec lui ? Il n'en avait plus vraiment besoin, mais il n'avait jamais vraiment aimé le savoir loin. C'était le genre de grigri que l'on souhaite toujours avoir prés de soi. Il avait pourtant décidé de le laisser chez ses parents. C'est un choix qu'il regrettait déjà.
Il entendit le bruit caractéristique d'une ligne que l'on reprend. Sa vigilance était au maximum.
- Je ne l'ai pas trouvé, dit sa mère.
- C'est pas possible ! Il doit y être ! Tu es sûre qu'il n'est pas ailleurs dans la chambre ?
- J'ai un peu regardé. Il n'y était pas.
- Tu as bien regardé ?
- Plutôt...
- Retournes-y ! Trouve-le !
- ...
Il était odieux. Mais il en était certain : son Tigger était dans l'armoire de sa chambre. Si personne ne l'avait déplacé, il aurait dû toujours y être. Si personne ne l'aavait déplacé !
- Mon Dieu, Yongguk ? C'est quoi le problème avec cette peluche tout à coup ?
Ce n'est pas une peluche ! C'est Tigger !
Yongguk raccrocha. Il n'avait pas le courage de s'expliquer. Cette fois, il savait que c'était bien son tigre en peluche, le même que celui qu'il ne quittait jamais, qui brûlait sur ces clichés, qui partait en fumé. Yongguk avait mal. Une douleur qu'il tentait de relativiser. Il luttait en retournant les photos face cachée, en se frottant nerveusement le visage.
- Je vais pas pleurer pour ça, merde !
Il perçut sa propre voix défaillir. Sa gorge était nouée. S'il avait gardé ce jouet tout ce temps, c'est parce qu'il avait une grande valeur affective. Jamais, il n'aurait accepté de le brader ou de le jeter. Il aurait eut l'impression d'abandonner un ami. Ses lèvres tremblèrent. L'homme de vingt-et-un an pouvait encaisser le choc, mais pas le gosse de cinq ou six ans qui se trouvait dans son mémoire et qui hurlait qu'on lui rende son ami. Yongguk s'effondra lamentablement. Coudes sur la table, le visage dans les mains, il pleura comme un enfant blessé.
Peu de temps auparavant, il avait parlé de ce tigre dans une interview. Il n'avait pas dit grand-chose.
Il n'avait pas dit qu'on lui avait offert cette peluche trop jeune pour qu'il puisse s'en souvenir. Il n'avait pas dit qu'elle fut plus grande que lui, pendant des années. Puis, que lors de ses premiers pas, il la dépassa enfin.
A trois ans, le jouet fut égaré. Yongguk était inconsolable. Ses grands-parents passèrent une semaine entière à le rechercher partout dans le quartier. Il tentèrent de lui en offrir un autre, mais il n'avait pas d'âme, Yongguk n'en voulu pas. Finalement, Tigger réapparut presque par miracle, il se trouvait derrière le canapé du salon.
Lors de ses premières classes, il l'amena avec lui à l'école, dans son mini-sac d'écolier pour qu'il lui donne du courage, le courage des tigres.
A dix ans, il le trainait toujours partout avec lui. Yongnam se moquait de ses enfantillages, le lui cachant parfois pour le faire enrager.
A quatorze ans, lorsque des copains étaient invités à l'appart, Yongguk glissait Tigger sous son lit. Le soir, il le ressortait en s'excusant auprès de lui.
Le tigre avait été là, à chaque étape de sa vie. Et c'était un part de ses souvenirs d'enfance qui venait de lui être arraché.
Un souvenir récurant et indatable s'imposait devant tous les autres et le torturait : un cauchemar et des larmes qu'il séchait sur un doudou familier et réconfortant, qui lui réchauffait le cœur et gardait ses secrets, sans jamais le juger. Ce que les grandes personnes ne pouvaient pas comprendre, Tigger le comprenait toujours.
« Sans lui, tu ne peux plus dormir »
Volé, aspergé d'essence et brûlé ! Le grand gaillard n'arrivait pas à s'en remettre. Son chagrin s'éternisait. Son colocataire de chambrée entra dans la chambre au pire moment. Yongguk se redressa, se tourna en attrapant les photos. Il parla avec un timbre enroué et agressif.
- Tu peux pas frapper avant d'entrer.
L'ami fut étonné. Yongguk lui tournait le dos. Il avait honte de ses larmes. La joie se partage, la tristesse se dissimule. Malgré ses efforts pour les cacher, son colocataire avait très bien vu ses émotions. Il s'inquiéta :
- Ça va pas ?
Pas de réponse.
- Il s'est passé quelque-chose ?
...
- Qu'est-ce que tu tiens ?
Yongguk compris qu'il n'échapperait pas à l'interrogatoire. Il n'avait pas la force de s'expliquer : les photographies parleraient d'elles-mêmes. Il les lui tendit.
Le rappeur avait honte. On trouverait sans doute son chagrin ridicule. Il s'attendait presqu'à être moqué. Toute cette sensiblerie pour une peluche, pour un jouet ! Yongguk baissait les yeux. Mais la réaction du tiers ne fut pas celle qu'il craignait.
- Quelqu'un t'a envoyé ça ?
Un signe de tête affirmatif lui répondit.
- C'est grave ! Ça va trop loin là. Faut que tu portes plainte !
Yongguk fit non de la tête. Son ami l'ignora.
- Evidemment, c'est anonyme.
Là, Yongguk retrouva soudain la voix.
- Non, je sais qui c'est !
Le jeune homme essuya rageusement ses larmes. Il attrapa la première photo. Il montra un détail sur celle-ci, la main qui tenait le bidon d'essence. L'ami plissa les yeux et remarqua à son tour.
- C'est la main d'une femme. Il y a deux ongles plus longs. Un à l'index...
-... L'autre au majeur, oui je sais ! C'est une fille que je connais. C'est sa signature. Elle voulait que je la reconnaisse. Elle veut que je sache que c'est elle.
« A ton bon souvenir »
Yongguk était pourtant d'avis de ne pas porter plainte. Il considérait que l'indifférence était la meilleure réponse face à ce genre de choses, en particulier face à Sunhee. Elle cherchait à attirer son attention. Cette plainte serait perçue comme une victoire par cette malade. Mais tout son entourage insiste, sa famille, ses agents. L'argument qui fit céder Yongguk était imparable : elle était entrée chez lui pour voler Tigger. Chez lui ! En plus, il ne géra rien, l'affaire fut menée de A à Z par ses avocats. Yongguk n'a pas eu à se déplacer.
Résultat de cette affaire : une injonction d'éloignement à l'encontre de Sunhee et pour Yongguk d'interminables nuits blanches.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro