CHAPITRE 14 - Ravager, partie 3/6
Éclats glaciales de Lune
Entre toutes, la chambre la plus splendide et remarquable, au sein de ce love-hôtel, est sans doute celle-ci. Sa splendeur ne vient pas de sa taille : elle mesure seulement cinq mètres de long sur trois de large. Pourtant, malgré les chiffres, elle ouvre l'horizon. Les quatre murs sont peints : sur un fond bleu nocturne s'illuminent les constellations, les nébuleuses et les galaxies. Les dessins seraient plats s'ils n'étaient pas mis en relief par la lumière noire ; cette lumière unique en son genre, libérée par des néons bleus. Elle parvient à éclairer sans faire disparaître l'ambiance que seule l'obscurité nocturne sait créer. Elle donne l'illusion de voir dans le noir. Les couleurs sont perdues, les blancs deviennent ultra-violet, les noirs se transforment en néants.
L'organe central de toute chambre est disposé au centre de la pièce. Il est couvert d'un drap noir qui se veloute de reflets bleus. Les barreaux d'acier de la tête de lit rappellent ceux des prisons.
Dans cet écrin sombre, les surfaces claires deviennent des phares phosphorescents. La peau de Zelo fait du charme à cette lumière noire et rayonne comme un ectoplasme. Le jeune adulte vient de franchir la porte de la chambre noire, entrainé de force par son ravisseur, dont c'est le t-shirt gris qui semble à présent émettre sa propre énergie.
Le lit est le seul élément qui retient l'attention de Zelo. Il ne prête aucune attention à l'étrangeté de cet espace, à l'impression de vide, ou de beauté qu'il inspire aux clients. C'est la présence d'un lit, à barreaux de surcroit, et elle seule qui compte.
Le ravisseur le maintient fermement par les bras, si fermement qu'il ne fait aucun doute que des hématomes se forment déjà. Les mains de cet homme sont des étaux qui le retiennent et l'entraînent toujours plus avant. La proie secoue ses épaules et ses jambes. Elle cherche à cramponner ses pieds dans le sol, à se planter pour ne plus bouger.
Gagner du temps ! Zelo refuse le sort qu'on lui réserve, quel qu'en soit finalement la nature !
Des appels à l'aide sont lancés. Y aura-t-il quelqu'un pour les entendre ? Pour lui venir en aide ? Est-ce que vraiment, dans tout le bâtiment, il n'y avait personne d'autre que ces salauds ? Personne d'autre que Sunhee et son toutou qu'on appelle C. ? Personne d'autre que cet homme, dont Zelo ignore le nom mais dont il connaît bien la poigne ? Où sont passé les personnes qui veillent sur lui ? Toutes ses personnes qui veillaient sur lui ? Où sont ses ainés au moment où il en a le plus besoin ? Pourquoi est-il seul ?
Le grand garçon chancèle et manque de tomber quand on le pousse à l'intérieur de la chambre. Il se retourne. Il fléchit les genoux, se penche un peu en avant et sans hésiter charge. Il ne vise pas son adversaire mais l'espace entre ce dernier et le mur. Il tente de s'enfuir dans une ultime charge désespérée. Peine perdue... l'agresseur le saisit par son t-shirt. Il lui agrippe ensuite le col et l'entraine en le soulevant à moitié.
- Lâchez-moi, crache Zelo.
Le vœu est exaucé. On le balance plus qu'on ne le lâche. Zelo rebondit à peine sur le lit et se retrouve sur le dos. Son corps s'enfonce sous son propre poids dans ce matelas trop mou. Aussitôt, il tente de rouler sur lui-même. Il ne peut pas s'aider de ses bras pour mettre rapidement pieds à terre. Ses mains sont toujours entravées, dans son dos, par la paire de menottes que lui avait mises Sunhee peu de temps auparavant.
Mais il n'a pas le temps de rouler sur lui-même. L'homme s'est couché sur lui.
La peur ! La peur le prend aux tripes lorsqu'il sent le piège se refermer sur lui.
Des bras musclés l'encadrent. Ses membres inférieurs sont aussi immobilisés par les jambes de l'agresseur. La proximité entre lui et le ravisseur est devenue pressante : leurs bassins se touchent, son visage fait face au sien. Les yeux de Zelo ont le malheur de croiser ceux de l'autre : enflammés, perforants. Il se détourne aussitôt, mais c'est trop tard : l'homme a pu lire la peur du garçon et il bouge lentement le bassin pour répondre à cette angoisse qui l'excite.
Zelo n'a pas su cacher sa peur. Il n'a pas su et il ne sait toujours pas. Son visage clair, aux allures de lune sous cette lumière noire, est un livre ouvert. Le garçon est plus habitué à transmettre ses émotions plutôt qu'à les dissimuler.
Son agresseur doit avoir la trentaine. Zelo le perçoit déjà comme un vieux. Et ce vieux, en retour, perçoit Zelo comme un gamin. Il porte une barbe de quelques jours à son menton carré et fendu. Ses sourcils lui donnent un aspect sévère. Le corps qui entrave Zelo est athlétique. Le garçon ne détaille pas davantage les caractéristiques physiques de son agresseur. Peu lui importe qu'il soit jeune ou vieux, beau ou laid, qu'il sente bon ou qu'il sente mauvais, ce qui compte c'est la noirceur de son regard plein de mauvaises intentions, de projets affreux. Ce qui compte, c'est qu'il est plus fort que lui.
Alors que Zelo voit Luca comme le monstre qu'il est et détourne les yeux, Luca voit Zelo comme une merveille et s'en délecte. Son visage est objectivement beau, mais c'est plus que cela : il est émouvant. Les goûts de Luca lui sont propres et un très beau visage peut parfaitement le laisser indifférent si ce dernier ne l'inspire pas. Il doit pouvoir y projeter facilement ses envies. Et Zelo...
Le garçon l'inspire. Il l'a toujours inspiré. Le jeune adulte est moins ingénu et androgyne qu'à l'adolescence. Il s'est en effet élargi, il a poussé. L'innocent qu'il emprisonne sous lui, n'est ni tout à fait le même, ni tout à fait différent non plus : c'est toujours Zelo.
Luca se demande si le garçon est encore puceau. Son intuition lui indique le contraire. Une fille l'a sûrement rendu heureux. Le tableau s'imagine facilement : dans une atmosphère feutrée, Luca envisage un corps entièrement nu, avec des perles de sueur sur le front, les yeux dans le vague, ou bien fermés, maladroit quand il s'immisce en elle. Elle... consentante, humide comme jamais. Elle est dessous, et lui dessus, évidemment. Ses lèvres sont entrouvertes au moment sacré. Un moment sans grande beauté, un beau gâchis, qui a entamé la pureté du jeune homme.
L'innocent n'est donc plus aussi pur que Luca l'aurait souhaité : dépucelé. Mais tant pis ! Ce qui importe, c'est qu'il soit toujours vierge. Il avait peut-être offert son pucelage à cette fille, mais lui, il aurait droit à sa virginité.
Jusque-là le concept de Moby Dick, de la proie ultime, était étranger à Luca. Finalement... ? Il se pourrait bien que Zelo soit cette proie ultime, au-dessus de toutes les autres. Le garçon l'a toujours inspiré. Il l'inspirera toujours tout qu'il vivra. Il a pris quelques années mais il reste une source d'inspiration. Ses traits sont faits pour se tordre de douleur. Il portera la souffrance d'une façon sublime. Pour l'instant, il exprime un autre sentiment que Luca apprécie : la peur. Cette terreur est sensible. Il suffit à Luca de bouger un peu les hanches et le jeune homme se tortille pour tenter de s'extraire. Plus il se débat, plus cela rend son désir incontrôlable. La proie détourne toujours les yeux. Les yeux de Zelo obsèdent Luca. Et cette obsession monte comme la pression à l'intérieur d'un autocuiseur. Il est trop tard pour faire marche arrière. Luca sait qu'il ne pourra plus se contrôler. Le démon prend possession de lui. Le garçon s'est lavé et sent l'odeur qu'il doit sentir pour que cet instant soit vraiment magique.
Il est à sa merci. Il sera sien.
Le souffle de l'agresseur est court et chaud sur les joues de Zelo. Il voudrait le tenir à distance. Mais il ne peut pas dégager ses bras, liés et coincés sous son dos.
Quelqu'un entre dans la pièce. Zelo fait jouer la souplesse de son cou pour apercevoir qui vient éventuellement à son secours. Il reconnait les pieds de Sunhee dans la pénombre.
- Sort ! ordonne Luca.
L'homme aboie son ordre. Sunhee vient de l'interrompre en pleine montée de désir. C'est dangereux de faire de telles choses ! Il ne se contrôle plus !
- Non ! crie l'entravé. Restez ! Ne partez pas ! Ne me laissez pas avec lui !
- Je serais discrète, répond Sunhee à son complice.
- Sort immédiatement et referme cette foutue porte derrière toi, c'est clair !
Luca a bien des vices, mais il n'apprécie pas d'avoir des spectateurs. Hors de question pour lui d'accepter que Sunhee regarde. Mais Sunhee aussi a ses propres vices. Et celui du voyeurisme est assez haut dans sa liste. Les supplications de Zelo n'arrangent pas les choses, elles augmentent son attirance. Son goût pour la souffrance d'autrui est comblé par ses supplications. Le visage du jeune adulte rayonne sous la lumière noire. Sa face de chaton exprime une grande détresse :
- Je vous en prie ! J'ai un peu d'argent. Je vous donnerai tout ce que j'ai. Tout ce que vous voudrez ! Tout ! Ne partez pas. Mes parents vous donneront de l'argent...
Déchirant ! Impossible de résister. Et puis, elle a toujours son polaroid. Les photos de la scène auraient un succès fou auprès des hyungs. Surtout auprès de Yongguk. Il tient tant à Zelo. La tentation est trop forte, alors, même si elle sait qu'elle prend un risque, la vicieuse insiste en minaudant :
- Oh ! pitié Luca. Je veux être témoin de cette tuerie. Elle m'obsède beaucoup aussi, tu sais ? Laisse-moi ma petite part. Je ne fais que regarder. Je serai si discrète que tu ne sentiras pas ma présence.
Zelo s'effondre intérieurement. Il vient d'apprendre le nom de l'homme qui va le tuer. Car il s'agit bien de ça... ? Sunhee vient d'employer le mot « tuerie ». Et elle ne lui sera d'aucune aide.
- Non, hurle Zelo.
La porte est encore ouverte. Il doit appeler au secours. Il ne veut pas crever.
- A l'aide... !
La voix du garçon porte loin.
- Sort ! Ou je te tue sur le champ, ordonne Luca à l'adresse de Sunhee.
Sunhee arrête de jouer avec le feu. Elle n'a pas le choix : elle doit sortir. Son complice est un assassin redoutable. C'est aussi un fauve à l'appétit dévorant, qui n'a pas mangé depuis trop longtemps. Mieux vaut garder ses distances pendant qu'il prend son repas. Sunhee est plutôt un vautour. Et comme tous les charognards, elle connaît la vertu de la patience. Elle attendra son heure. Elle viendra prendre son content après le massacre, sur la carcasse.
La porte se referme sur Zelo et Luca. Le garçon crie encore. Sa peur porte ses cris.
Luca se nourrit de cette peur. Elle lui donne de la force. Il se sent invincible, puissant. Il laisse son poids retomber sur le prisonnier.
- Relâchez-moi. Pourquoi ? Je ne vous ai rien fait.
Les yeux brillants de Zelo lui jettent un charme qui le consume. Luca se redresse et retourne son prisonnier. Là encore Zelo lutte physiquement, en vain. Il se retrouve sur le ventre. Ses cris de protestation n'y changent rien : son visage se retrouve contre les draps. La matière n'est autre que du velours. En toute autre occasion, Zelo aurait savouré ce contact doux contre sa joue. Là, il se contente de détester le poids qui revient aussitôt s'écraser sur lui, pour l'immobiliser. Car Zelo force sur les cuisses et les abdos pour se redresser, lui-aussi, dans une position qui se rapprocherait du quatre-patte. Luca salue intérieurement cette force d'opposition. C'est rare qu'on lui demande d'utiliser ainsi tous ses talents de lutteur. Le garçon a de la force, et de la voix. Mais il devrait économiser ses cordes vocales. Il n'a pas fini de hurler.
Les mains de l'agresseur s'activent pour détacher l'un des poignets de sa victime. Aussitôt que le fer glisse, Zelo tente de dégager son bras. Il parvient à ses fins. Il pousse sur ce dernier, contre le matelas, pour se redresser. Mais la main sans pitié de son agresseur se referme sur son avant-bras trop rapidement. La poigne de son adversaire oblige les deux bras de Zelo à s'allonger au-dessus de sa tête, vers l'avant. L'homme s'est assis sur son dos, impossible de se redresser.
- A l'aide, tousse-t-il. Je ne veux pas ... Daehyun !... Him..
L'homme fait passer les menottes derrière l'un des barreaux du lit. Le poignet gauche de Zelo est toujours rattaché à elles. La main droite elle est libre, mais plus pour longtemps.
- ...Himchan... ! Yongguk ! Vous m'entendez ! ... A l'aide ... Je ne veux pas !...
Les liens froids se referment sur le poignet droit pour finir de l'immobiliser.
Luca lâche les bras de Zelo. La victime pourra tirer sur ses liens à s'en esquinter les chairs, les entraves ne céderont pas. Il sera étendu, lié, soumis. Les premières larmes de peur s'écrasent contre les draps de velours.
Luca recule et se met à présent à cheval sur le bassin de Zelo. Il peut voir le dos du garçon hoqueter sous son t-shirt manche courtes et rayé, transformé par la lumière obscure de la chambre noire. Il observe aussi ses bras nus, dont la peau blanche reflète les rayons lunaires, et sa nuque, bien dégagée ; ce cou long est fin. Au-dessus du crâne, les cheveux mi-longs retombent sur les draps. Ils semblent violets sur les pointes décolorées. Les racines des cheveux de Zelo ont gardé leur couleur d'origine. Les noirs sont profonds dans cette atmosphère. L'ensemble donne à la chevelure du garçon un aspect d'œuvre d'art moderne, de photographie retouchée au numérique.
Quand les yeux ne suffisent plus, Luca pose sa main sur la nuque et caresse le cou de son prisonnier qui tressaille douloureusement à ce contact, heureusement bref. L'homme se lève. Zelo n'est plus écrasé par son poids. Il respire. Il tire sur les menottes. La chaine tinte contre le barreau de la tête de lit. L'absence de Luca ne dure pas, il revient et reprend sa position sur le garçon.
- Laissez-moi ! Enfoiré ! Laissez-moi partir !
Zelo tire sur ses cervicales. Il cherche à voir son agresseur, pris d'un besoin de le combattre, de l'insulter.
- Enfoi...
Les mots de Zelo sont tués dans sa propre gorge à cause de l'éclair qui vient de frapper sa rétine. Ses yeux viennent en effet d'apercevoir l'éclat d'un couteau, celui que Luca tient en main. La lame de l'objet scintille sous la lumière noire. C'est donc pour cela que l'homme s'est levé et qu'il est revenu. Il est allé prendre son arme blanche. La même que celle qui a servi à décapiter A. . Elle a été lavée depuis.
C'est un couteau d'artiste, une pièce unique. Le manche en corne est sculpté. La lame à dents mesure quinze centimètres. L'extrémité est pointue. Une arme toute aussi belle qu'elle est terrible et cruelle.
Un frisson de glace parcourt le corps de Zelo tout entier. Impossible. C'est un cauchemar. Qu'est-ce qu'il fout là ?
Ce type va le saigner. C'est certain ! Ce type veut le saigner !
Zelo cesse d'insulter son agresseur et préfère se battre contre ses liens. Il secoue les bras, fait jouer ses épaules. Les chaînes tintent en frappant les barreaux. Il essaie de se retourner sur le dos, en vain. On tire sur son t-shirt. Les dents du couteau de Luca ne tardent pas à s'attaquer à la fibre du tissu, au motif si commun de rayures blanches et bleues. La fibre se déchire accompagné de ce son caractéristique. Le garçon proteste. Puis, Luca met le couteau entre ses dents pour libérer ses deux mains, et il tire de chaque côté de l'encoche. Le t-shirt s'éventre en découvrant la carnation du dos du jeune homme. A la lumière noire, l'éclat de cette peau nacrée illumine par réflexion les traits de l'agresseur. Son expression est celle d'un homme concentré. Il écarte les lambeaux de tissus. Tout est dévoilé, du bas de la nuque à la chute de reins.
Sans le réconfort du tissu, Zelo frissonne de froid et de peur confondus. Il sent l'air glacial mordre sa peau. Puis c'est les doigts de l'homme qui le font frissonner. Ils parcourent les courbes de ses muscles dorsaux. L'effleurement le congèle. C'est une sensation de froid intense qui semble venir de l'intérieur et non de l'extérieur.
Zelo n'a pas le corps d'un enfant, pourtant son physique est doux, lisse, imberbe. Les dessins formés par les muscles vallonnent ce dos qui est tout à Luca à présent. Il remarque la finesse des hanches. Il effleure les flancs du garçon qui devient fou. La sensation s'apparente à une chatouille, à la différence que ça ne lui donne pas du tout envie de rire. Elles le forcent tout de même à se contracter. Il se secoue, presque malgré lui, jusqu'à ce que le contact soit interrompu.
Les doigts de Luca viennent se refermer sur sa chevelure et le forcent à mettre sa tête dans la position souhaitée : la joue gauche contre le lit, la joue droite à la merci de la lame. Les cheveux de l'ange dissimulent le haut de son front et son œil.
Lorsque le métal vient lécher sa joue, juste la lécher, Zelo cesse de se débattre. Sa respiration est devenue incontrôlable. Son cœur cogne contre sa poitrine. Et cela Luca peut le voir et le sentir. Il sent que sa propre respiration se calque sur celle de sa victime. Les battements de son cœur ainsi que ses respirations. Ils vibrent à l'unisson. Mais l'homme sait qu'ils ne se connectent en rien. Qu'il n'y a là aucun échange. L'action s'apparente plutôt à un vol.
Avant d'entrer dans le vif, Luca prononce platement ces quelques mots :
- Excuse-moi petit. C'est plus fort que moi.
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