Chapitre 20
Linda serre davantage l'épaule de Rozelle contre sa poitrine. Le téléviseur est éteint, et cela ne signifie qu'une seule chose aux yeux de la jeune veuve : Marcus a terminé son boulot et peut venir les retrouver. Marcus peut les aider. Marcus peut leur apporter des réponses.
— Maman, gémit la petite, qui s'est blottie contre sa mère. Maman, il est où Lee ?
Linda se pince les lèvres et caresse les cheveux de la petite en guise de seule réponse. Elle ne veut pas répondre à cette question. Lee est débrouillard, il sait survivre ; elle n'avait aucun doute là dessus. Seulement son instinct de mère lui disait bien le contraire, ainsi qu'une féroce culpabilité qui refusait de lâcher prise sur ses poumons comprimés.
— Bon sang, Linda, grogne une voix non loin. Qu'est-ce que vous foutez ici ?!
La jeune veuve saute sur ses talons et ses yeux se chargent aussitôt de larmes. Dans ce grand hall si vide, son frère s'avance dans leur direction aux côtés d'une jeune femme et d'Olaf Géolande.
— Maman, c'est le chef des soldats ! s'extasie Rozelle en pointant le vieil homme d'un petit doigt tremblant.
— Oui ma chérie, je sais...
Elle ne l'écoute déjà plus. Elle se précipite aux bras de Marcus et empoigne ses épaules avec force, comme elle l'aurait fait avec une bouée de sauvetage au milieu d'une mer déchaînée.
— Marcus, s'il te plaît, minaude-t-elle. Dis moi que c'est une blague. Dis moi qu'il y a un remède...
Mais il se dégage d'un sec mouvement d'épaule et ses yeux bleus, d'ordinaire si durs, s'attendrissent lorsqu'ils se posent sur Rozelle :
— Au moins, elle est en sécurité... Mais qu'est-ce qui t'a pris de traverser Paris comme ça ?! Tu te rends compte des risques que tu as pris ?!
Sa jeune sœur relève les épaules à ses oreilles et se recroqueville sur elle-même, pauvre enfant sermonnée pour une bêtise qui venait pourtant de lui sauver la vie.
— Ah, Yang et Lee connaissaient les risques, à ce que je vois... s'agace-t-il après avoir remarqué l'absence de son beau-frère et son neveu.
— Lee n'était pas avec nous, objecte cependant Linda. Il est au lycée.
Son frère le dévisage, sous le choc :
— Et tu l'as laissé là-bas ?!
— Maman, Lee est pas là ? pleurniche Rozelle. Pourquoi maman dis, pourquoi ?
Et très vite, le hall si silencieux est à la proie d'échos de sanglots déchirants ; Linda serre sa fille dans ses bras sous le regard inquisiteur d'Olaf et la journaliste, évite les éclairs qui quittent les pupilles de Marcus. Elle ne veut pas les entendre dire qu'elle est une mauvaise mère, une effroyable bonne femme qui a conduit son mari à la mort ; enfin mort, cela aurait été mieux. Voilà que Yang courait les rues, désormais, comme des milliers d'autres parisiens.
— On doit retrouver ton fils, poursuit Marcus. On ne peut pas le laisser seul là bas. C'est la zone la plus touchée.
— Wane, gronde Olaf dans son dos. Tu ne peux pas faire ça.
La journaliste lui jette un regard curieux, et ses doigts pianotant un petit boitier noir n'échappent à personne. Elle n'est là que pour guetter l'information.
— Votre grand-mère ne vous attendait pas ? grommelle le vieil homme, un sourcil arqué.
— Elle peut attendre encore un peu...
— Putain, vous êtes toutes les mêmes, tempête Marcus, qui fait demi-tour dans le hall. Y en a une qui abandonne son fils pour sa peau, l'autre qui laisse sa grand-mère pourrir pour gratter des informations !
Il jette un coup d'œil sur la rampe de l'escalier, s'assure que le clapotis des ordinateurs n'a pas cessé avant de se recentrer sur leur petit groupe :
— Tu sais comment est Lee, Linda ! Il va foncer chez vous pour voir si vous êtes en vie ! Et quand vous serez pas là, tu sais ce qu'il se dira ? Non, pas ils sont partis sans moi ; il pensera que vous êtes tous morts. Et après ça, tu le reverras jamais. C'est peut-être même trop tard. Putain, j'arrive pas à croire que tu l'ais laissé tombé...
— Tu aurais fait pareil à ma place ! gémit-elle, en proie à une culpabilité dévorante.
Elle lui poignarde le coeur et lui fait perdre l'équilibre, la ridiculise devant ces gens qu'elle ne connaît pas, et cet homme bien trop curieux sur les canapés qui ne s'est pas gêné pour écouter l'ensemble de leur conversation.
— En attendant, on doit y aller, soupire Olaf, qui jette un coup d'œil pressé à sa montre. L'hélico va pas tarder à décoller.
— Où est-ce que vous allez ? s'enquit la journaliste, les yeux ronds.
Les deux hommes échangent un regard, Marcus s'agace davantage :
— Je déteste savoir Lee au beau milieu de la zone trois. Putain, qu'est-ce que ça m'énerve.
— On a pas le choix, Wane, reprend Olaf. Tu es trop important.
— C'est idiot. Idiot de décider qui est important dans une telle situation...
Le chef des armées françaises empoigne la nuque de son collègue et braque un regard menaçant dans le sien :
— Arrête de faire le gamin. On dirait un ado rebelle. On avait dit qu'on attendait Hash et sa famille, ils sont là, on se casse. C'est comme ça.
Sur ces mots, il salue d'un fébrile geste de menton l'ensemble du groupe et se presse à l'étage en avalant les marches deux à deux. Linda, prise de panique, empoigne le bras de son frère et le supplie du regard :
— Ne me laisse pas ici. Emmène au moins Rozelle avec toi.
— Je peux pas faire ça, et tu le sais, grogne-t-il
— Et moi ? murmure la journaliste, soudain blême. Je reste là aussi ? Et ce Hash, il a le droit d'emmener sa famille et pas vous ?!
— Y a pas toute la place du monde dans cet hélico ! Chris Hash est un éminent scientifique qui est à l'origine de toutes nos avancées sur le virus, on a besoin de lui plus que de personne d'autre. Il est en droit de demander ce qu'il veut, à ce stade.
Il tourne les talons, les dents serrées, et Linda ravale un sanglot. Derrière elle, l'homme sur les canapés réprime un soupir. Il semble que leur situation ne l'étonne guère. Mais Marcus s'en est allé, emportant avec lui tous les espoirs de sa sœur. Il gravit les marches à son tour, le coeur lourd, et ne jette même pas un regard en contre-bas. La journaliste se presse de le suivre sans hésitation, ce que Linda imite aussitôt après avoir attrapé sa fille sous les aisselles. Il n'est pas question de demeurer ici, à attendre que l'endroit se vide et que les créatures débarquent.
Linda préférait encore sacrifier son deuxième enfant.
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