Chapitre Premier : Ténèbres.
Mes pensées sont aussi vides et calmes que possible. En tout cas, je m'efforce qu'elles le soient. Je m'efforce d'être calme et impassible. Je regarde sans respirer, sans prononcer un mot le spectacle qui se joue au-dessus de ma tête. Des galaxies mauves, et vertes, qui tournent entre elles et me permettent d'oublier pendant un moment la triste réalité dans laquelle je vis. Juste encore un moment. Un moment de calme, de paix, avant que la folie de cette dimension ne recommence à me toucher.
J'entends les pas dans le corridor. J'entends aussi un soupir d'exaspération, puis un temps d'arrêt devant les portes de bronzes. Je ne quitte pas le spectacle vert et mauve des yeux, saisissant, hypnotisant ; mais je surveille quand même la personne derrière la porte. Elle hésite. Puis elle ouvre les battants de bronze, fait un pas, puis s'arrête. Elle m'a vu. Je reconnais une essence de fraise des bois et de douceur. Il m'a vu. Il est difficile de passer à côté de moi, en même temps.
Je suis allongée sur la table de la salle à manger, et je regarde les galaxies tourner dans les airs depuis je ne sais combien de temps. Je n'ai pas voulu compter. Je pourrais, pourtant, il me semble que mes capacités sont beaucoup plus étendues qu'avant, mais je n'en ai pas eu envie. Pour pouvoir me plonger dans le moment présent, et pas dans l'angoisse constante que les choses avancent. Je ne lâche pas des yeux les projections sur le plafond. Même lorsque sa voix résonne.
-Ora... il faut y aller.
Je ne réponds pas. L'instant présent est maintenant passé. Je sais bien que je dois le suivre et que je devrais venir sans faire de vague, mais je n'en suis pas capable. Lorsque je me suis réveillée, j'étais au Quartier Général. Je ne sais pas comment la bataille s'est terminée. Je n'ai pas demandé. J'ai été trop discrète, ces deux dernières semaines, tous savent désormais que ce n'est pas bon signe. C'est que quelque chose me tracasse, et oh que oui, quelque chose me tracasse. Une chose que nous devons maintenant rejoindre : une cérémonie mortuaire. Ça m'angoisse. Je n'ai pas eu l'occasion de pleurer qui que ce soit de ma famille, dans mon passé. Le présent m'appelle pour que j'aille tout à l'heure pleurer une personne que j'ai connu. C'est horriblement déchirant.
Je n'ai pas arrêté de cogiter sur le pourquoi du nécessaire de cette cérémonie, et plus je cogite, moins je trouve l'utilité de venir. Mais je suis attendue par onze chevaliers, et il n'est pas question que je fasse preuve d'un manque de respect, pas cette fois. C'est la raison pour laquelle je me lève et je descends de cette table, les jambes engourdies à cause de l'inactivités. Azolt me regarde du pas de la porte, les bras croisés, les yeux recouvert d'une couche de liquide. Il m'attend, sans me presser, sans trop être vraiment là lui aussi. La plupart des chevaliers sont perdus dans leurs pensées, depuis deux semaines, et je comprends pourquoi. Malgré ce que je pensais, Merolt était ami et attaché à beaucoup de monde.
En tout premier lieu, de Tila, avec qui il était lié. Je ne le savais pas, et j'avais été surprise de constater à quel point sa perte l'affectait, mais je comprends mieux maintenant que je sais qu'ils sortaient ensembles. Ils étaient très proche, forcément, la perte du Gémeau à graduellement affecté l'état de notre Verseau. Elle est comme un zombi depuis qu'il est partit. Elle ne parle plus, reste enfermée dans sa chambre, elle mange à peine, ne trouve plus la force de venir s'entraîner. Je l'entends pleurer de l'autre bout du couloir, mais je ne sais jamais quoi faire ou dire pour la réconforter. Ensuite, naturellement, nous avons Zircon. Il était son meilleur ami. Le Scorpion n'a pas daigné se montrer depuis que les chevaliers sont revenus de la galaxie du Scorpion, préférant la solitude et le calme. A chaque fois que quelqu'un essayait de l'approcher, on entendait une détonation dans les jardins. Wana m'a expliqué que Zircon frappait contre un arbre à chaque fois qu'on voulait venir lui parler, lui demander de venir manger, ou même prendre des nouvelles. Il ne supporte plus la vue de personne. Noa, aussi, a été touché un peu plus que nous autre. Il partageait beaucoup de sujets intellectuels avec Merolt, et les deux étaient comme deux scientifiques parlant constamment de choses et d'autre que personne ne comprenait jamais. Pour le reste du groupe, c'est une grosse perte aussi, mais pas aussi forte que ces trois-là.
Le Sagittaire me guide sans un mot jusqu'à l'étage inférieur, puis dans la bibliothèque, et me fait passer par le passage qui nous permet d'aller dans la salle des souvenirs. Il ne dit pas un mot, ne respirant presque pas non plus. Contrairement aux apparences, Merolt était quelqu'un de très sociable et qui se souciait beaucoup plus des autres qu'il ne voulait le montrer. Tout le monde est touché par son départ. Même moi, je dois dire. Il avait à peine commencé à montrer un visage plus accueillant, taquin, un peu dragueur, qu'il a disparu. Malgré ça, je me suis attaché à lui, à ses phrases philosophiques quand je m'y attendais le moins, à ses remarques parfois brusques, à ses changements d'humeurs très souvent incompréhensibles. Il consistait un mystère que je me plaisais à résoudre. Désormais, je ne pourrais plus. Plus comme avant, en tout cas.
La majorité des chevaliers est déjà là. Tous sont habillés de vêtements blancs, gris ou noir. Par exemple, Wana a décidé de laisser tomber pour une fois les couleurs pastelles pour une longue robe noire pailleté et brillant comme les étoiles. A l'inverse, Tila a laissé couler sur sa peau une tenue blanche et légère comme un voile. On dirait une rivière de blanc, qui accueille ses larmes jusqu'à-ce qu'elle n'en ait plus aucune à verser. Nous sommes tous là. Sauf Zircon. Je ne devrais pas m'en étonner, le Scorpion est inapprochable, mais j'avais espéré qu'il serait au moins présent pour la commémoration de son meilleur ami. Manifestement pas. Azolt prend place devant la statue de l'ancien Sagittaire, et me demande de faire pareil devant celle du Serpentaire. Ophiuchus. Je n'ai pas cherché à le revoir non plus, il a déjà assez mis de bazar comme ça dans cette dimension pour qu'en plus il puisse espérer que je demande la moindre aide de sa part. On s'est parfaitement débrouillé sans lui jusqu'à maintenant, je ne vois pas pourquoi on devrait faire autrement.
Mirza attend quelques minutes que Zircon daigne enfin arriver, avant de soupirer d'un air las. Il a les poings serrés. Je comprenne que le fait que notre Scorpion manque à l'appel l'agace, il faut dire que ça m'agace aussi. Cependant, tout le monde réagit différemment lors d'une mort, surtout si nous avons perdu quelqu'un qui nous était très cher. Nous ne devrions pas le juger, ça Mirza le sait bien. C'est pour cette raison sans doute qu'il ne se permet aucun commentaire.
Au centre de la salle, là où les pierres finissent par former un rond, je discerne une légère ouverture dans le sol. Curieuse, je suis tentée de m'en approcher. J'ai à peine le temps de faire un pas que Mirah darde sur moi ses yeux agate menaçants, me faisant signe de ne pas me risquer dans cette direction. Obéissante, je ne peux pas m'empêcher pourtant de garder les yeux rivés sur ce léger détail que je n'avais pas aperçu auparavant et pour cause : il n'était pas là.
-Bien. Nous allons donc commencer la commémoration, décide finalement le Lion. Comme c'est la première fois pour beaucoup d'entre vous, je me permets quelques explications avant d'enclencher le mécanisme.
Je sens bien que sa voix tremble dans le fond. Nous le sentons tous. Nous sentons tous les larmes déjà dans le fond de nos yeux, prêtes à sortir au moindre mot de trop. Tila dans son coin ferme fortement les yeux et les poings, inspirant et expirant lentement l'air dans ses poumons, les sourcils froncés dans une douleur que pour une fois elle ne cherche pas à cacher. J'ai beaucoup de peine pour elle, plus encore que pour n'importe quel chevalier présent dans la pièce. Elle a tout perdu, littéralement. C'est sans doute cette raison qui l'a conduite à être maussade et renfermée sur elle-même ces derniers jours.
-Au centre de la pièce va s'élever la statue de mémoire de Merolt, annonce doucement Mirza pour contenir son émotion. Nous allons attendre qu'elle soit entièrement levée, puis nous nous approcherons les uns après les autres pour poser notre main sur lui. De la sorte, nous aurons le droit de pouvoir lui dire adieu en bonne et due forme.
Je sais que ce n'est pas correct, mais j'ai envie de me demander pourquoi nous avons le droit à ce privilège. Puis, la réponse vient à moi toute seule. La mort de Cristal me revient en mémoire. Les chevaliers meurent sans doute pour la plupart durant le combat, les occasions de leur dire au revoir ne sont pas très courantes. Puis, avec ce moyen... nous pouvons presque faire comme s'ils ne sont pas mort. Même si je sais que ce n'est pas une bonne solution, le poids du chagrin commence à moins me peser. Vu la tête des autres chevaliers autour de moi, je me dis peut-être qu'au contraire, cette façon de lui dire au revoir n'est valable qu'une fois. Mirza poursuit.
-Les entretiens sont privés. Ils ne dureront pas plus de quelques secondes pour nous, comme vous le savez peut-être le temps lorsque nous sommes dans l'espace ou ici n'est pas tout à fait le même. Notre esprit va voyager jusqu'au sien, et vous aurez tout le temps qu'il faudra pour discuter avec lui. Je ne vais pas faire plus de théorie que ça pour aujourd'hui, vous verrez bien par vous-même...
Il inspire profondément, le visage toujours aussi calme, aussi impassible. Le fond de ses yeux raconte une autre histoire. Il est légèrement brillant, les larmes retenues mais présente dans le fond de sa rétine couleur ambre. Son regard patiente quelques instants dans un silence confortable, avant que son regard ne se tourne vers Lazuli.
-Dans l'ordre de la roue du Zodiaque, c'est le Cancer qui précède le Gémeau, explique-t-il d'une voix douce. C'est donc toi qui commenceras, Lazuli.
Notre Cancer n'a d'autre réaction que de pousser un hoquet de stupeur, mettant une main devant sa bouche, ses yeux perles fuyant les regards qui se posent sur elle. Je ne connais pas encore par cœur la roue du Zodiaque, mais si je me réfère à notre emplacement dans la salle, c'est Mirza qui suit. Je sens mes poings se serrer pour ne rien laisser transparaître. J'inspire profondément, avant de regarder le centre du cercle sur lequel nous nous trouvons. Mirza passe son regard sur chacun d'entre nous, puis ensuite vers la sortie. Je devine qu'il essayait de gagner du temps pour laisser le temps au Scorpion de se ramener... mais Zircon n'est toujours pas là. Alors, en soupirant, Mirza tend sa main devant lui, la bague brillante à son doigt, les yeux scintillants.
-Venit ad nos, Gemini.
Sa voix suave et douce résonne dans mes oreilles comme un doux murmure. Je sens un frisson remonter le long de mon dos. Ce n'est pas le moment de sentir ce genre de chose, c'est même déplacé. Cette langue ne m'est pas inconnue. Elle me dit même fortement quelque chose. C'est étrange que mes nouvelles facultés ne me permettent pas de la traduire, je croyais que je pouvais tout comprendre ! Je n'ai pas le temps de trop pester, les dalles au centre de la salle tournent et commencent à se reculer pour former un trou. Un trou qui grossit de plus en plus... machinalement, mes doigts caressent la bague que j'ai autour de mon doigt. Froide, métallique, elle constitue toujours pour moi un point rassurant auquel je peux me raccrocher. Plus le trou grandit, plus je perçois en son fond la même sorte de statue que celles qui sont exposées dans la salle des souvenirs.
Merolt, dans le même matériau bleu que les autres, s'élève petit à petit devant nous. Certains ne supportent pas sa vue. Tila, par exemple, détourne la tête en serrant les dents, sans arriver à retenir les premières larmes qui roulent sur ses joues. Ses poings sont tellement serrés que j'ai peur qu'elle se fasse mal. Notre Gémeau est bel et bien là, devant nous, avec la même aura majestueuse que les autres. Le regard fermé, droit devant lui, je découvre avec stupéfaction qu'il est représenté avec un bandeau de pirate autour de son œil gauche, mais que sa tenue reste tout aussi sobre et habituelle que ce que j'ai pu voir de lui. Une ceinture avec de nombreux outils d'alchimie est accrochée autour de sa taille, il tient quelques billes entre ses mains. Il me semble à la fois mystique et étrangement tangible, réel. Je suis tentée de m'avancer pour le toucher. Je n'ose pas. Lorsqu'il est enfin sorti des entrailles du vide, les dalles qui s'étaient écartées pour le laisser monter jusqu'à nous se remettent en place.
Un silence. Puis, hésitante, Lazuli s'approche en tendant lentement sa main. Elle tremble. Elle tremble de tout son corps. Azolt lui lance un regard désolé, et je suis bien tenté de faire pareil, mais je suis surtout curieuse de voir ce qui va se passer et de quelle façon se déroule les choses. Une fois la paume sur le socle de la statue bleue, Lazuli ferme les yeux et pousse un profond soupir. Elle reste ainsi quelques secondes, dans le plus grand silence, sans bouger ni même respirer. Ses cheveux noirs comme la suie sont accrochés en tresse lourde dans son dos. Ses lèvres orange, tout comme ses paupières, sont plissées dans un effort de concentration. Elle tressaille, puis papillonne ses yeux, et relève son regard vers Merolt. Puis, elle sourit, et secoue sa tête. En effaçant quelques larmes, elle se recule jusqu'à sa place.
-Il n'a pas changé, murmure-t-elle avec un sourire.
Tila semble très intéressé de ce qu'elle peut dire, et je la comprends. Elle doit redouter le moment où elle va pouvoir lui parler, tout en le voulant avec empressement. Personnellement, c'est ce que je pense. Je suis tout autant pressée que flippée de le voir, parce que je me dis que, s'il est mort, c'est aussi un peu de ma faute. Si les parasites ne l'avaient pas touché, si j'avais été capable d'arrêter Succombe en baissant ce foutu levier, si j'aurais appelée Nagini à temps... les chevaliers n'ont pas voulu me reparler du combat depuis que je me suis réveillée, je n'ai pas cherché à les pousser, pas même Azolt. Ç'aurait été déplacé de ma part... et ce n'est pas comme si je voulais vraiment en reparler.
Mirza s'avance à son tour, et pose sans aucune hésitation sa main sur la statue. Il ferme ses yeux, reste immobile quelques secondes, puis ses épaules relâchent la tension presque imperceptible qu'il avait dans les épaules. Un léger sourire pointe au coin de ses lèvres, qu'il veut rétracter, puis il se recule et croise ses bras. Je n'ai pas le temps de le dévorer plus que ça des yeux, que Mirah s'approche en soupirant donnant un coup de marteau dans le sol, manifestement peu ravie. Elle touche du bout des ongles la statue, ne prenant pas la peine de tourner la tête dans la direction du jeune homme, les yeux dans le vague. Ses pupilles tremblent dans ses yeux, elle mord sa lèvre noire, avant de fusiller du regard notre regretté camarade.
-T'es vraiment un sale gosse, siffle-t-elle le plus doucement possible.
De sa bouche, j'ai l'impression que c'est un compliment. Son regard apaisé et presque doux me fait comprendre que c'est sa façon à elle de décrire ses sentiments. Est-ce vraiment étonnant ? Je ne pense pas. Après elle, c'est Wana qui s'avance, remettant ses cheveux derrière son épaule. Lorsqu'elle sort à son tour de cette tétanie, un sourire amusé à prit place sur ses lèvres, et elle roule ses yeux en secouant sa tête. La phrase « impossible, celui-là » s'échappe d'entre ses lèvres. Quoi qu'il se passe, j'ai l'impression que Merolt est plutôt d'humeur sympathique et joueuse... le connaissant, il peut changer du tout au tout en deux minutes. Les regards se posent ensuite sur la stèle vide à côté de moi. Zircon. Mais il n'est toujours pas là. Il n'a d'ailleurs sans doute pas l'intention de venir... Mirza retient tant bien que mal un soupir, mais je vois ses poings se serrer. Ce n'est pas très poli de la part du Scorpion...
-Vas-y, Ora, finit par s'agacer Mirza.
Le Lion ne semble pas vraiment patient. Enfin, je ne peux qu'approuver sa réaction. Lorsque je m'avance pour poser ma main sur l'étrange matière bleue, j'ai encore un espoir que le Scorpion mal-luné soit de la partie. Mais mes doigts touchent la statue sans qu'il ne se manifeste, et moi, je me sens d'un coup m'envoler vers le ciel avec une telle force que mon réflexe est de fermer les yeux.
-Oh, voilà celle que j'attendais ! s'exclame soudainement une voix joueuse. Chouette !
Surprise, je rouvre mes paupières aussitôt, pour voir Merolt nonchalamment et tranquillement allongé dans un transat, accroché entre deux arbres. En m'apercevant, le Gémeau clape dans ses mains et se relève, un sourire ravi aux lèvres. Ouah. Je ne sais pas où je me trouve, mais je suis plus du tout dans le Quartier Général, j'en suis certaine. En tout cas pas mon esprit, si j'ai bien compris. Bouche-bée, je regarde la plage sur laquelle je suis maintenant, le remoud des vagues d'un océan clair, un soleil de plomb qui tape sur le sol doré, une jungle verdoyante juste derrière nous. L'habituel sourire de vilain garçon que me sert le Gémeau ferait fondre n'importe quelle fille du coin. Il se passe une main dans ses cheveux argenté, avant de me sonder les yeux tout aussi aigue-marine que l'eau derrière moi.
-Bienvenu chez moi, Serpentinette !
-Qu'est-ce que c'est que ce surnom ? m'outré-je tout de suite.
-C'est le surnom qu'on te donne avec Zircon, ricane Merolt. Et comme cet imbécile n'a pas décidé de venir faire son poli, je balance les dossiers dans son dos.
-Pardon ?! Alors déjà c'est complètement inadmissible de faire ce genre de truc, le prévins-je, mais en plus, vous me surnommer dans mon dos ?!
-Ohh, ne le prends pas comme ça ! Tu étais la petite nouvelle, forcément il fallait qu'on te trouve un surnom dont tu n'entendrais jamais parler ! Enfin, si ce crétin serait venu. Ce qu'il n'a pas fait, de toute évidence.
-Il serait venu, tu m'aurais appelé comme ça ?
-Sans doute pas, me sourit-il narquois. Mais je ne pensais pas que c'était si grave. Il serait venu, je lui aurais demandé d'être un peu moins débile qu'il ne l'est en ce moment.
-Comment ça... ah, et puis ce n'est pas le sujet ! Où sommes-nous ?
Merolt regarde derrière lui la grande forêt tropicale, les yeux pétillants, avant de me lancer le sourire le plus radieux et surprenant que je n'ai jamais vu de ma vie.
-Chez moi ! Enfin, dans l'une de mes planques, plutôt. Sur ma planète.
-Ta planète ressemble à ça ? m'étonné-je en tournant sur moi-même.
-Pas vraiment, non. C'est plutôt du genre... grandes villes et pirates de l'espace en tout genre, mers polluées si tu vas là-bas, m'apprend le Gémeau en passant une nouvelle fois sa main dans ses cheveux. Cette île est celle où j'ai passé la majeure partie de mon enfance. C'était il y a longtemps, depuis ça a bien changé.
-Et pourquoi nous sommes là ? le questionné-je en fronçant mes sourcils.
-Parce que j'en ai envie, rigole-t-il.
Je me tourne à nouveau vers lui, me rendant compte que je parle avec lui comme s'il était encore en vie, alors que ce n'est pas le cas. Il est mort. Merolt est mort. Je m'en souviens avec tellement de clarté que les larmes me montent aux yeux. Jusqu'à présent radieux, le Gémeau perd de sa bonne humeur quand il voit que je suis sur le point de pleurer. Je me souviens des dernières heures que j'ai passé avec lui, sur le champ de bataille. Je me souviens à quel point il était mal en point, je me souviens que, si j'avais obéi à son ordre, si j'avais baissé le levier, nous n'en serions peut-être pas là aujourd'hui. Il serait en vie. Il pourrait venir plaisanter avec tout le monde, continuer sa vie au Q.G., m'embêter moi et Gotham avec des surnoms stupides. Zircon serait de meilleure humeur. Tout le monde serait...
-Ohh, mais qu'est-ce que tu nous fais, là, Serpentinette ?
Merolt s'approche de moi et pose ses mains sur mes épaules, avant de me regarder dans le fond des yeux. Coupable, je baisse le regard, préférant regarder mes pieds.
-Je... je suis désolé.
-Désolé ? répète le Gémeau. Et pourquoi ?
-Je... par rapport à... enfin...
Je perds mes mots. Je balaie l'air de la main, déglutissant, regardant sur le côté, ou partout sauf lui. Merolt ne me lâche pas du regard. Ses sourcils se froncent. Sa peau brune paraît luire comme du satin sous le soleil, et ses yeux ont cette particularité de briller comme une vraie pierre précieuse. Il prend mon menton dans sa main, avant de me regarder dans le fond des yeux. Il doit y voir de la détresse, puisqu'il prend ma main et se dirige vers l'ombre des arbres, avant de me faire asseoir par terre.
-Je ne t'en veux pas, tu sais, m'informe-t-il en haussant un sourcil. Tu n'y es pas pour grand-chose.
-Tu dis ça pour me rassurer.
-Oui, et si je ne le fais pas, la moitié de l'équipe va me tomber sur la gueule, ricane-t-il. Mais pour être honnête, je ne te considère pas responsable. Si tu n'as pas baissé le levier, c'était parce que Succombe t'a fait croire qu'elle voulait tuer Wana.
-Mais elle était prête à le faire ! m'étranglé-je.
-Succombe n'aurait pas tué Wana, c'était du bluff, m'informe-t-il. Elle n'est pas de ce genre-là.
-Comment le sais-tu ? rétorqué-je.
-Humm... j'ai un bon instinct, esquive le fourbe en me servant un sourire malicieux.
-Je ne vois pas ce que l'instinct vient faire là-dedans. Elle était prête à le faire, je le sais, je l'ai vu couper sa gorge.
Merolt hausse les épaules en esquivant délibérément le sujet, avant de regarder les vagues mourir un peu plus loin sur la plage. Il semble pensif. Je ne peux pas m'empêcher de me demander pourquoi. Nous passons un instant dans le silence, avant qu'il ne regarde le ciel en soupirant.
-Tu sais ce qu'il s'est passé après la fin de la bataille ? me demande subitement le Gémeau.
-Non, soufflé-je, je me rappelle m'être endormie, puis je me suis réveillée dans ma chambre. Tout le monde a refusé de me dire ce qu'il s'est passé, mais sachant que tu... eh bien, je n'ai pas voulu insister. J'étais moi-même... comment dire...
J'essaye de trouver des gestes explicatifs pour montrer ce que je ressens, ma voix mourant dans ma gorge, mais je n'y parviens pas. Soudainement dans l'incapacité de parler par la violence du deuil qui me comprime la poitrine, je ne parviens qu'à me racler la gorge et hausser les épaules. Merolt me regarde faire, à nouveau perdu dans ses pensées. Avant de sourire d'un air qui se veut rassurant, sa main passant dans mon dos.
-Hé, hé. Tu ne vas pas pleurer, Serpentinette ? Je n'ai même pas encore fini de te taquiner !
-Je n'avais encore jamais perdu quelqu'un à cause de la mort, avoué-je en baissant la tête.
-Je suis peut-être mort, mais pas disparu.
-Ce n'est pas pareil.
-Je te l'accorde. Mais c'est mieux que de disparaître à jamais et être sans cesse tourmenté par les remords et la tristesse, non ?
Je ne réponds pas, persuadée qu'il trouverait encore d'autres arguments à m'exposer sur le pourquoi du comment je ne devrais pas être triste. Je n'ai pas envie de parler de ça, mais je suis un peu là pour ça. Pour parler de mes sentiments ou plutôt, pour parler avec un mort. C'est assez étrange, comme sensation, je devrais pourtant être habitué avec Cristal, avec qui j'ai déjà parlé. Mais je ne l'avais pas connu. Elle n'avait pas fait partie de ma vie, pas vraiment. Merolt, lui, je me suis attaché à lui et à son comportement mystérieux. Cristal, la seule chose qui me rattache à elle, c'est le dévouement dont elle a fait preuve qui fait écho au mien. Le Gémeau finit par me sourire et me fait un clin d'œil.
-Allez, ce n'est pas si grave. Je serais toujours là pour te tourmenter si tu viens me voir une fois de temps en temps ! Puis, je vous indiquerais vos prochaines missions, alors...
-Hein ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
Merolt roule ses yeux en souriant, d'un air désespéré, avant de me frapper légèrement trois petits coups contre le crâne.
-Hé oh ! On m'écoute, quand je parle !
-Mais hé ! Qu'est-ce qu'il te prend ?!
Je me protège avec mes bras et rétorque avec un coup de pied dans le genou, qu'il bloque facilement en ricanant. Il soulève ma jambe pour me faire chuter par terre, ce qui fonctionne, avant de me servir un sourire rempli de fierté et de malice.
-Les chevaliers savent que nous ne sommes pas particulièrement contents que ça soit Ophiuchus qui t'annonce quand nous partons et quand nous revenons. Du coup, ça sera moi.
-Par l'intermédiaire des rêves, encore une fois ? grogné-je en lui lançant un regard de travers. J'aimerais bien que mon sommeil soit un peu plus respecté que ça...
-Ne t'en fait pas, tu seras tranquille, dit-il dans un sourire ravi. Je viendrais d'une façon beaucoup plus classe que ça.
-Comment ? demandé-je les yeux remplis de curiosité.
-Tu verras.
-Alors là, ce n'est pas juste !
-Si ça peut te rassurer, ce n'est pas dans très longtemps, rigole le garnement face à moi.
-Mais même, ce n'est pas juste !
-Mon pauvre petit dricons...
Je lui assène une tape sur la tête pour m'avoir dit ça, et il l'esquive en riant de nouveau. Ses yeux aigue-marine sont rempli de provocation et de désir de m'embêter. Il parvient à me faire oublier la violence et la tristesse de sa mort, ce qui quelque part me rassure. Je n'ai pas particulièrement envie de me sentir coupable tout le long de ma vie.
Merolt finit par m'annoncer que je dois retourner avec les chevaliers, et par réflexe je lui sers ma petite moue charmeuse pour lui demander une faveur. Le Gémeau le comprend bien vite.
-Qu'est-ce que tu veux ? me sourit-il d'un air amusé.
-Je ne vais pas connaître les moindres recoins de ta vie, comme pour les autres chevaliers de la salle ?
-Quoi ? Bien sûr que non, rit Merolt en passant sa main dans ses cheveux. On se voit parce que c'est la tradition lorsque tu es mort, pas parce que je suis à jamais obligé de raconter ma vie aux autres et leur servir une phrase ou deux moralisatrices dans la tête ! Je ne suis pas stupide à ce point.
-Je reviendrais pour savoir, m'entêté-je un éclat brillant dans les yeux.
-Humm, on verra ça, Serpentinette.
Je lui sers un regard noir, mais il n'en a que faire. Il pousse l'audace jusqu'à se délecter de la mauvaise humeur provoquée par ce surnom ridicule. Le vide tangue autour de nous, et je comprends que c'est véritablement la fin de notre conversation. En faisant une petite moue déçue, je me sens obligée par une force extérieure à fermer les yeux, me sentant aspiré par le vide juste sous mes pieds, sans que je ne comprenne d'où il vient.
En rouvrant mes paupières, je suis à nouveau dans la salle morne, silencieuse et triste du Quartier Général, et retire ma paume doucement de la statue de Merolt. Sans prononcer un mot et faisant attention à ce qu'aucune expression ne vienne prendre place sur mon visage, je retourne à ma place. Les yeux des chevaliers suivent mon ascension, d'un air de me demander comme cela s'est-il passé. A ce moment-là, je n'arrive pas à retenir un sourire franc se dessiner sur mon visage. Rassuré, notre roue du zodiaque reprend son cours. C'est le tour d'Azolt, puis celui de Noa, puis de Tila. La jeune femme hésite au moment de s'avancer pour poser sa main contre la statue de son petit-ami. Je n'ai jamais vu ses yeux aussi vides qu'aujourd'hui. Mirza a toujours ses bras croisés, mais ne tente pas de la forcer à avancer, la laissant prendre son temps. Au bout d'un moment, prenant une grande inspiration et étant regardé par la plupart avec de la compassion dans les yeux, la Verseau s'avance et plaque brutalement sa main contre le cristal bleu, la tête retournée sur le côté. Je sais qu'elle n'aime pas susciter la pitié, mais là, je ne peux pas reprocher aux chevaliers de la montrer ouvertement. Elle reste un long moment sur cette pierre, beaucoup plus longtemps que les autres chevaliers. Je vois ses lèvres se pincer, ses sourcils se froncer, son poing se serrer. Son corps est tendu à l'extrême, j'ai peur qu'elle finisse par craquer. Finalement, elle rouvre brusquement ses yeux et retourne sur son socle, la tête haute et aucune émotion ne traversant son visage. Elle fait preuve d'un sang-froid et d'une maîtrise de soi encore plus grande que celle de Mirza. C'est impressionnant.
Gotham s'avance de sa démarche gaie vers la pierre, l'air insouciant, posant sa main sur la statue comme si c'est un simple mur. Il ferme fortement ses yeux en pinçant ses lèvres, l'air d'avoir peur qu'un seau d'eau froide lui arrive dans la tête, avant de rester quelques brèves secondes en place. Une fois qu'il revint à lui, papillonnant des yeux comme un enfant voyant un parc d'attraction pour la première fois, je l'entends grommeler un « poussinet toi-même » et retourner à sa place un peu plus maussadement qu'il n'en est venu. Je crois que le Gémeau l'a un peu – beaucoup – taquiner avec ce surnom. Les passages de Krell et Yahim ne montrent rien de particulier. Les deux hommes ne semblaient pas avoir de lien particulier avec Merolt, même si j'ai souvenir avoir vu jouer Merolt, Krell et Tila dans la salle de jeu. Si le Bélier est affecté par la perte de son ami, il n'en montre rien.
Une fois la cérémonie terminée, et constatant qu'il manque toujours ce crétin de Scorpion à l'appel, Mirza décide de laisser la statue de Merolt dans la salle et demande que nous sortions. Aucun de nous ne conteste, sauf Tila, qui reste campé sur sa position. Le Lion la questionne du regard, mais elle relève hautainement le menton, le mettant au défi de l'inciter à bouger. Je pense qu'elle veut à nouveau parler avec Merolt, ce que Mirza constate rapidement aussi. Il hoche la tête, discrètement, avant de se diriger vers les escaliers. Tout le monde semble perdu dans ses pensées, même si l'ambiance générale est un peu plus détendue qu'avant la cérémonie. Il reste une question que nous n'avons pas abordée, et qui commence à me poser sérieusement un problème.
Zircon.
Cet imbécile aurait pu faire l'effort de venir, comme tout le monde ! Même Tila a lâché son air hautain pour prendre part à notre cérémonie, mais non, monsieur Scorpion ne peut pas s'abaisser à ça, il est trop au-dessus et trop fier ! En roulant mes yeux, je sors de la bibliothèque avec précipitation et me dirige à grands pas vers le seul lieu où il peut être : les jardins. La planète sur laquelle nous vivons est immense, et entièrement recouverte d'une nature luxuriante, mais je suis persuadée de le trouver aux alentours du Quartier Général. Il ne peut pas être bien loin, ou alors, il manquerait des missions, et je crois qu'il est trop en colère pour que l'occasion d'aller taper quelques Vile lui passent sous le nez.
Une fois dehors, bouillonnante de fureur et d'indignation, je me concentre pour sentir les effluves de son essence citronnée. Ça ne rate pas. Au bout d'une dizaine de mètre, je suis capable de ressentir la colère, la tristesse, l'agacement mais surtout la douleur de Zircon. Je ne sais pas depuis quand je suis capable de sentir les émotions des autres de la sorte, mais les sentiments de Zircon sont tellement forts, tellement puissants, qu'il percuterait qui que ce soit de plein fouet. Je prends le risque de m'aventurer un peu plus loin que d'habitude, passant au-dessus d'un tronc d'arbre immense couché à terre, avant de remarquer que quelqu'un – je ne citerais pas qui – l'a défoncé à coups de poings jusqu'à-ce qu'il cède. A partir de là, j'hésite. Si Zircon est assez en colère pour défoncer un arbre, au sens littéral du terme, je ne sais pas si je ne risque pas ma vie en allant le voir. Il n'était peut-être pas au courant pour la commémoration de Merolt...
Si, forcément, qu'il l'était. Wana ne l'aurait pas laissé dans l'inconnu, c'est elle qui a le plus de cran, avec Mirah, pour partir le voir et le tenir au courant des moindres repas de la journée. Elle n'aurait certainement pas accepté qu'il soit exclu de cette cérémonie, elle n'est pas de ce genre. Un hurlement de rage me sort de mes pensées, et fait remonter un long frisson dans mon dos. Guidée par sa voix, mes yeux furètent jusqu'à sa silhouette. Il est debout, le dos droit, comme toujours, les yeux levés vers le ciel. D'ici, je peux sentir la force de son regard fusiller la moindre étoile qui lui passe sous le nez. Par réflexe, je lève moi aussi mes yeux vers le ciel. Malgré le fait que nous soyons encore en journée, les étoiles sont brillantes et visibles partout, éclairées par les planètes bleue et verte dans la galaxie. Le grand soleil jaune n'empêche pas les étoiles de toutes les constellations briller sous nos yeux, ce qui est très bizarre pour quelqu'un comme moi qui n'a pas l'habitude de voir un ciel bleu parsemé de petits points blancs. Cela étant dit, le ciel est bien moins bleu que sur terre, il tire vers une nuance marine et plus subtile.
Je n'ai jamais vu Zircon dans un tel état, sauf lorsque nous avons parlé de Lux, peut-être. Mais il n'était pas autant hors de lui que maintenant. La noirceur de sa colère me ferait sans doute un peu moins frissonner s'il ne se retenait pas de respirer, de bouger, de prononcer un seul mot. Je peux sentir le vide vibrer simplement à cause de l'énergie que déploie sa haine. Elle est tellement grande. Je comprends pourquoi personne jusque-là n'avait osé l'approcher.
Soudain, un sifflement perce l'air et me vrille les tympans. Je me retiens de respirer, avant de voir les poings du Scorpion se serrer si fort que ses ongles traversent la couche de sa peau et laisse couler une fine ligne de sang jusqu'au sol. Il guérit vite, naturellement, mais garde ses ongles dans sa peau.
-Dégage, souffle-t-il.
Il m'a entendu. Il a beau être à une quinzaine de mètre, je peux percevoir la noirceur de ses paroles comme si j'étais juste en face de lui. Je déglutis, lentement, en silence, ne voulant pas particulièrement passer un sale quart d'heure. Mais je n'ai pas pour habitude d'abandonner aussi vite, pas même si je risque ma vie comme en ce moment. En inspirant profondément, et expirant de la même façon, je ne peux pas m'empêcher d'avancer tout doucement vers lui, comme si j'avais peur qu'il ne me saute dessus. Quelque part, c'est un peu le cas. Zircon ne bouge pas. Je l'entends soupirer, doucement, lentement, si lentement que je ne suis pas sûre de l'avoir entendue. Sa tête se baisse légèrement, ses cheveux soyeux tombent sur son front. Considérant que le danger est un peu moins grand que tout à l'heure, je me mets à avancer jusqu'à lui, tranquillement, à un rythme de terrienne. Une fois à son côté, je me mets à observer le paysage qu'il a sous les yeux, sans faire mine de m'intéresser à lui.
C'est une vaste plaine, qui peut-être abritait quelques animaux jusque-là, mais qui, trop effrayés par la colère de Zircon, ont décampées pour aller se planquer dans leur terrier. De vastes rayons lumineux parsèment l'herbe d'une clarté vivace, une légère brise commence à souffler dans les plantes et les arbres d'une taille un peu plus normale que derrière nous. Lentement, sachant bien que Zircon déteste qu'on le touche, je laisse glisser mes doigts sur son bras et sur son poignet, puis sur ses doigts. Le chevalier laisse échapper un grognement de mécontentement, crispant plus encore ses ongles dans sa chaire. J'entends le bruit de ses muscles se déchirer et le sang couler lentement sur sa peau, avant de tomber dans l'herbe et la terre. Je tapote ses doigts pour l'inciter à laisser tranquille sa pauvre main qui n'a rien demandé, toujours sans le regarder. Finalement, laissant toute la tension dans son corps le quitter, Zircon pousse un profond soupir et relâche ses doigts, détend ses épaules et baisse la tête. C'est comme s'il n'avait pas respiré depuis très longtemps. Le son simplement de ses inspirations et expirations semblent remplir les alentours d'un tout nouveau bruit, après le hurlement qu'il a poussé. Lentement, il s'assoit sur le sol, gardant la tête basse et les yeux rivés sur la plaine devant nous. Je prends le risque de faire pareil, toujours sans lui parler, le laissant respirer, avec une distance raisonnable d'un mètre entre nous. Zircon reste silencieux. J'entends les battements de son cœur, d'abord fous, ils deviennent de plus en plus calmes. Le soleil commence à se coucher lorsque la voix du chevalier résonne dans l'air.
-Qu'est-ce que tu fais là ?
Il ne me regarde pas, et moi non plus. En entendant sa question, j'hésite à lui avouer que je suis venue ici d'abord pour l'engueuler. En soupirant, je relève ma tête vers le ciel, étirant mes membres gourds et essayant de chasser les fourmillements qui ont contaminés mes muscles. Puis, j'hausse mes épaules.
-Je rends visite à un imbécile.
Zircon grogne sa désapprobation face à ce qualificatif.
-C'est comme ça que Merolt t'as appelé.
Le noiraud tressaille à l'entente du prénom de son meilleur ami, puis serre les dents. Le grincement qu'elles produisent suffit à me faire dire que je suis peut-être allé un peu trop vite en besogne. Le Scorpion passe une main dans ses cheveux, regardant ailleurs, l'air coupable. Cependant, il ne rate pas l'occasion de me balancer une remarque sarcastique dans la figure.
-Tu parles aux morts, toi ?
-On avait une commémoration dans la salle des souvenirs, abrutis. On a pu le voir grâce à sa statue.
-Du parle des trucs qui sont là pour te faire croire que les chevaliers sont encore en vie ? ricane-t-il. C'est ça, ouais. Allez-y, parlez aux morts. Moi-même, j'en crève d'envie.
-C'est à fendre l'âme, comme expérience, rétorqué-je.
Zircon laisse un sourire pointé du bout de ses lèvres et secoue sa tête, remettant ses cheveux soyeux encore une fois sur sa tête, laissant sa boucle d'oreille scorpion briller dans la lumière. Elle scintille dans le coin de mon œil. Encore une fois, je me demande ce qu'elle signifie pour lui, avant de me dire que, tout comme moi, le bijou qu'il porte représente le lien qu'il a avec la Grande Ours. Nous restons un instant dans le silence, avant que je ne sente l'impatience me gagner. Comme d'habitude, je ne peux pas m'empêcher d'être franche.
-Je peux savoir pourquoi tu restes tout seul dehors depuis qu'on est rentré ?
-Quelle question, le soleil et la température sont tellement idéales, puis comble du bonheur ça m'évite de voir vos gueules. On ne peut pas rêver mieux !
-Mais qu'il est insolent, ma parole ! râlé-je en lui lançant un regard noir. Tu vas continuer longtemps à faire ça ?
-Quoi ? Souligner des évidences que tes trois neurones ne peuvent pas comprendre ?
-Penser que tu peux tout gérer tout seul ! Merde, Zircon, on est tous dans le même sac, là ! Depuis le début, on est tous dans le même sac, tu ne peux pas t'exclure comme ça et espérer pouvoir tout porter sur tes épaules comme un héros de romantisme noir !
Il ne prend même pas la peine de tourner son regard vers moi.
-Je ne comprends rien à tes références fébriles de terrienne, me fait-il remarquer. Puis je ne me souviens pas avoir mentionné que je voulais ta présence agaçante à mes côtés.
Pour toute réponse, mon pied va « malencontreusement » rencontrer le sien. Pas de sorte à le frapper, non, juste à le toucher. Zircon regarde mon geste totalement inutile, avant d'hausser un sourcil. Il doit sans doute se demander le but de la manœuvre. Le but étant de lui faire prendre conscience que nous sommes tous dans la même situation, et qu'il n'a pas besoin de faire son caractère de merde pour nous rejeter, je n'ai pas pris le risque de le frapper. Il semble perplexe quant à ma méthode de fonctionner, et quelque part moi aussi. En présence de Zircon, j'utilise plus mes instincts que ma raison. J'ai l'impression qu'il fonctionne comme ça, lui aussi. Avec ses instincts. A force, je vais bien arriver à lui parler sans me disputer avec lui.
-Tu sais que je ne vais pas partir sans que tu m'aies parlé, pas vrai ? lui fis-je remarquer.
-Mais quelle chieuse, ricane-t-il.
-Oui, mais c'est pour ça que tu m'aimes.
-Pour t'aimer il faudrait déjà te supporter, et pour te supporter...
-Oh tais-toi, soupiré-je en roulant mes yeux.
Étrangement, il accède à ma requête. Mais je vois qu'un nouveau sourire se dessine sur ses lèvres. Ses doigts parcourent la terre entre nous, meuble, douce, avant qu'il ne m'en jette à la figure, un air espiègle dans les yeux.
-Hé !
Je me protège trop tard, avant de fermer les yeux et éternuer. Zircon ricane dans son coin.
-Il faut encore travailler tes réflexes, on dirait.
-Et toi ton empathie !
-Empathie ? Et pourquoi faire ?
-Pour comprendre que tu n'es pas obligé d'être tout seul !
Zircon détourne encore une fois la tête.
-Je suis très bien tout seul.
-Personne ne l'est, ne me fait pas croire le contraire. Zircon, bordel, réveille-toi ! Personne ne peut supporter une perte aussi douloureuse tout seul ! Tu n'es pas obligé de tout porter sur ton dos en espérant que ça finira par s'en aller ! Tu ne peux pas passer ton temps à rejeter les autres en en voulant à la terre entière ! Tu ne peux pas non plus faire le sourd quand on décide de te tendre la main alors que tu en as clairement besoin !
-Tu m'agace, commente le noiraud.
-C'est parce que tu sais qu'au fond, j'ai raison. Tu sais tout aussi bien que moi que c'est important d'avoir les autres lorsqu'on est mal, sinon, tu n'aurais pas accepté que je te touche après ma rencontre avec Lux.
-Je ne suis pas un fragile, moi, se moque-t-il.
-Peut-être pas, mais tu restes humain.
Il ne me conteste pas, restant perdu dans ses pensées. Sa chevelure noire semble tellement soyeuse et fluide qu'elle glisse entre ses doigts. Sa peau anormalement blanche pourrait presque briller dans les premières lueurs de la nuit. Les yeux topaze braqués sur le sol, le Scorpion pour la première fois ne trouve rien à me répliquer. Il réfléchit au sens de mes paroles, ou alors à comment me remballer de la façon la plus méprisante et hautaine qui soit. Mais en faisant cela, il accepte le fait que j'ai raison, et je crois que ça ne lui convient pas. Un soupir finit par franchir ses lèvres.
-Je ne veux pas de la pitié des autres, murmure-t-il.
-Personne ne parle de pitié, on parle de s'entre-aider.
-Oui, c'est la même chose.
-Pas du tout.
-Bien sûr que si.
-Bien sûr que non !
-Têtue, râle-t-il en roulant ses yeux. Appelle ça comme tu veux. Pour moi, c'est la même chose.
-Tu crois vraiment que je suis venue parce que j'ai pitié de toi ?
-Quoi, ce n'était pas pour me faire chier ? Mince, j'aurais parié...
-Zircon, merde, je fais des efforts, là !
-Attends, quoi, tu en es capable ? Incroyable !
Sans plus me retenir, je me jette sur lui et lui assène plusieurs coups de poings, pas dans le but de lui faire mal, mais celui de le faire taire. Percevant mon humeur plus joueuse qu'agacé, et surtout voyant à quel point il a réussi à m'énerver, Zircon laisse échapper un rire et se protège la tête de ses mains, m'écartant avec un bras et se défendant sans vraiment vouloir me repousser.
-Tu es vraiment un idiot !
-T'es jalouse de mon visage au point de taper dessus ? plaisante-t-il.
-J'ai honte pour lui, oui ! Comment un mec comme toi peut-il être aussi agaçant ?
-Les dieux doivent bien avoir quelques défauts, non ?
-Ha ! Ah ! Toi, un dieu ! Toi !
-C'est bien ce qu'il me semblait, tu as des problèmes de compréhension. Tu es sûre que tu es capable de...
Je multiplie mes coups pour le faire taire à nouveau, jugeant qu'il s'était assez amusé comme ça. Voir le Scorpion rire, c'est plus que ce à quoi je m'attendais, et autant dire que je ne m'attendais pas à grand-chose. Je finis par croiser les bras et regarder droit devant en faisant la moue avec mes lèvres, cachant mon amusement.
-Tu te fiches de moi !
-Ohh, pauvre petit poussin...
Je tourne ma tête dans un mouvement de dédain, refusant de le regarder, avant de sentir son bras brusquement attraper le mien et me faire basculer vers lui. Surprise, je ne retiens pas un cri de stupeur, puis d'indignation lorsque sa main frotte mes cheveux pour les décoiffer avec plus d'énergie qu'il n'en faut. J'ai beau me débattre et lui hurler de s'arrêter, je crois qu'il n'en a pas grand-chose à faire. Une fois que mes cheveux ressemblent à une auréole statique autour de ma tête, Zircon me lâche. Il ne réussit pas à camoufler son air plein de fierté.
-T'es content, hein ? grogné-je en essayant de remettre mes cheveux correctement en place.
-Tu n'imagines même pas à quel point.
Il me regarde pendant un temps tenter de remettre mes cheveux en place, vainement, ce qui augmente son sourire malicieux. Au bout d'un moment, je finis par abandonner l'idée, soupirant et cherchant une autre façon de remettre mes mèches en place. Pour un peu, je jurerais que le Scorpion se retient de rire. Ma tête doit en effet être très drôle, avec mes cheveux qui se dressent en l'air comme ceux des caniches. Puis avec l'air boudeur que je dois avoir sur le visage, l'effet est totalement réussi. Malgré moi, je dois bien admettre que ces instants passés avec lui m'ont aussi remonté le moral. Si en début d'après-midi je n'avais pas du tout la tête à plaisanter, la présence de cet agaçant gamin a réussi à me sortir de ma morosité, tout comme moi j'ai réussi à lui faire voir une autre couleur que le rouge de la rage.
Une grande détonation résonne dans notre dos, ce qui me fait sursauter et tourner la tête de Zircon vers le Quartier Général. Un instant, j'hésite à confondre ce bruit avec la création d'un trou noir et donc de Vile, mais l'impact n'est pas le même. De plus, le noiraud ne semble pas catastrophé plus que ça. Il soupire simplement, se relève et passe une main dans ses cheveux, l'air à nouveau totalement apathique.
-On dirait que Mirah s'est énervé.
Tranquillement, il part vers le Quartier Général, les mains dans les poches, l'attitude tout aussi tranquille que lorsqu'il est venu. Pour ma part, je me demande bien pourquoi la Vierge s'énerverait au point de frapper aussi fort avec son marteau. La curiosité me reprenant, je décide d'accompagner Zircon pour savoir ce qu'il se passe. Je ne prends pas le risque de courir jusqu'au salon, j'ai trop peur de la fureur que je pourrais y trouver. Avec le Scorpion, au moins, j'ai une chance sur deux pour ne pas être la cible de la colère évidente de notre chère valkyrie furax.
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Bonjour les Ecuy-astres XD (je sais, c'est nul) bienvenu dans ce tome 2 ! Et, sur ce premier chapitre, qui est très, très long, puisqu'il fait 8135 mots ! Et pourtant, je vous jure, je l'ai fais le plus court possible... mais c'est tellement, tellement difficile de commencer un livre x) personnellement, je ne suis pas très satisfaite de ce chapitre, je le trouve vraiment trop long, mais il m'était impossible de le couper (j'aurais dû revoir la longueur des 25 autres chapitres ou le couper en deux, et les deux chapitres auraient été trop court...) donc je n'ai pas d'autre choix que de le laisser tel quel x)
Passons aux question :3 ! Je n'ai pas réussis à repousser encore la publication de ce premier chapitre, mais franchement, je n'avais pas hâte de vous le mettre xD mais bon, prenez le tome 2 comme les bonus du tome 1 ! Du négatif... au positif !
... non XD ?
-La commémoration de Merolt, qu'est-ce que ça vous a fait ? Et les réactions des autres chevaliers ? On a eu l'occasion de voir une dernière fois le Gémeau. Contents ?
-Deux semaines ont passées depuis la fin du tome 1. Et deux semaines qu'Ora ne sait pas comment ça s'est passé... aïe, aïe, aïe, comment vous le sentez, ce "secret" ?
-Zircon n'a pas daigné montrer sa frimousse pendant les adieux à son meilleur ami, et il semble... perturbé ^^ (quoi, j'ai le droit d'être heureuse de le faire chier xD). Comment vous le voyez dans ce chapitre ?
-Pourquoi Mirah a-t-elle créée cette détonation d'après vous ?
Je crois que c'est déjà pas mal pour aujourd'hui x) je ne vais pas vous embêter plus que ça, mais voyez le bon côté des choses ! Zodiaque reprend ! Et Merolt ne semble pas si malheureux que ça x) je vous retrouve pour dans une ou deux semaines pour la suite de ce chapitre (ou peut-être dans un mois, je ne suis mais vraiment pas pressé de vous la mettre xD)
Auvouar !
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