8 ; Je ne suis pas prêt
Tina
L'installation dans la voiture s'est avérée compliquée. Je me suis montrée maladroite en tentant d'aider Nolan. Étonnamment, il s'est révélé plutôt patient et n'a montré aucun signe d'agacement. Son fauteuil plié et rangé dans le coffre, il paraît mal à l'aise. Son genou valide est redressé, tentant de cacher celui manquant. Ses doigts emmêlent ses cheveux bouclés tandis qu'il fuit mon regard. Ainsi, je conduis silencieusement jusqu'au village, non loin de là.
Ce matin, il m'attendait fermement dans la cuisine, programme de la journée dans les mains. Manifestement, il avait passé la nuit à le préparer.
En le voyant si gêné, je me remémore sa confession : un accident de parachute. Même s'il ne m'a pas explicité la suite de l'accident, je me doute qu'elle doit représenter la plus dure à ses yeux. Alors oui, il s'est confié et j'en suis flattée. Cependant, je comprends qu'il m'a révélé ce que tout le monde sait déjà.
D'un autre côté, je ne parviens pas à lui expliquer ce que je suis. Cela reste éprouvant pour moi, malgré la distance qui me sépare de mes proches. J'ai l'impression de pouvoir m'effondrer à tout instant lorsque j'essaye. Alors, je lui donne quelques petits détails qu'il ne peut lier entre eux. Et il les écoute.
Les doigts crispés, ses yeux noisettes observent le ciel gris. Prudemment, je laisse un véhicule passer puis m'engage à nouveau sur le bitume. Simplement, mon manque d'habitude m'amène à caler. Conduire à gauche signifie également passer les vitesses de la main opposée, ce qui s'avère compliqué.
L'Irlandais à mes côtés s'esclaffe discrètement.
— Moque-toi, marmonné-je, démarrant à nouveau.
— Sois pas vexée miss, s'amuse-t-il.
Je m'empourpre à l'entente de ce surnom qui revêt une sonorité particulière en sortant de sa bouche.
— Par pitié, prends les ronds-points à l'endroit. J'ai failli mourir une fois, cela m'a suffi.
Ne sachant pas de quelle manière interpréter sa remarque, je me tais. Cela semble le déranger puisqu'il se renfrogne en croisant les bras.
— Ce n'était pas censé amener une ambiance morbide, grommelle-t-il.
— Désolée, je ne voulais pas te froisser, murmuré-je.
— Je ne suis pas en sucre, affirme-t-il brutalement.
Furtivement, mon regard se pose sur lui. Il me fixait déjà, intransigeant. Devinant que je l'ai blessé, je sens déjà les remords monter en moi. Lâchant un léger soupir, je bifurque sur une petite place, trouvant rapidement un stationnement libre.
— Je n'en doute pas, affirmé-je finalement.
Par la suite, je m'extirpe rapidement de l'habitacle. Je récupère le fauteuil à l'arrière, le dépliant comme je peux. Bloquée, je commence à perdre patience.
— Viens ici, m'appelle une voix masculine.
Je sursaute, apercevant Nolan à l'avant, par le coffre ouvert. Tourné vers moi, il hausse un sourcil impatient. Je le rejoins maladroitement. D'un geste habile, il termine d'ouvrir son fauteuil. Ainsi, je lui sers d'appui pour s'y asseoir. Sa main englobe mon omoplate, prêt à se lever. Simplement, il s'immobilise.
— Qu'attends-tu ? m'enquiers-je, étonnée.
— Je vais te faire mal, assure-t-il, mal à l'aise.
D'un coup d'œil, il juge mon gabarit frêle, grimace à l'appui. Vexée, je réprime un soupir.
— Je ne suis pas aussi fragile que tu le penses, rétorqué-je, lui faisant signe de bouger.
Surpris, il hausse les sourcils avant de s'exécuter sans discuter. Son bras entoure mes épaules puis il se redresse difficilement. Je fais de mon mieux pour ne pas basculer et ainsi risquer de le blesser. Finalement, il parvient à rejoindre son assise. Une fois installé, il s'éloigne, m'attendant plus loin. Je me redresse lentement, verrouille le véhicule avant de le retrouver.
Les boucles de ses cheveux retombent sur ses yeux, diminuant sa vision. Cependant, entre les mèches, je distingue ses prunelles dorées si singulières. Subjuguée, je le fixe l'espace de quelques secondes avant de détourner le regard.
Par la suite, je me positionne à côté de lui, attendant qu'il me montre la direction à prendre. Il esquisse un léger sourire avant d'ouvrir la marche, si je puis dire. Enfonçant mes mains dans les poches de mon manteau gris, je le suis sans un mot.
Un bonnet en laine enfoncé sur sa tête, ses paumes recouvertes de gants chauds, il progresse le long de la rue pavée. Le visage dur, il ne regarde personne. Malgré la faible foule croisée, il ne montre aucun signe de sympathie. J'avais pris l'habitude d'apercevoir une certaine ouverture chez lui. Seulement, je ne l'avais encore jamais côtoyé à l'extérieur de cette maison.
Discrètement, je me rapproche de lui afin qu'il remarque ma présence. Notre allure lui permet de tourner la tête vers moi. Un mirage de sourire étire ses lèvres avant qu'il redevienne complètement hermétique.
Ne pressentant aucun changement de comportement de sa part, j'admire l'authenticité du village, pour la deuxième fois. Ces murs possèdent un caractère certain que j'apprécie particulièrement. Au bout de quelques minutes, nous nous retrouvons seuls dans une ruelle. À cet instant, Nolan laisse échapper un petit soupir de soulagement puis se redresse, l'air plus libre. Il esquisse un léger rictus, ses bouclettes bougeant au gré de ses mouvements.
— Où m'emmènes-tu ? me hasardé-je à demander.
Il m'observe subrepticement tandis que j'empourpre. Je l'entends ricaner, manifestement fier de son effet. Seulement, je n'ai pas obtenu ma réponse.
— Nous y sommes presque, affirme-t-il simplement, ajoutant encore du mystère sur notre destination.
Mon pied shoote dans un caillou, l'amenant valser plus loin. Il ricoche sur les pavés de la rue avant de choir dans une bouche d'égout. Finalement, nous atterrissons devant un bâtiment blanc au toit noir où il est peint « woollen mills ». Instantanément, je pivote vers Nolan qui continue sur sa lancée sans s'arrêter. Je parcours les mètres qui nous séparent. Il s'immobilise devant la porte en bois, attendant que je l'ouvre. Je m'empresse de m'exécuter, lui permettant d'entrer dans la vieille bâtisse.
Ainsi, j'atterris dans un magasin minuscule, proposant des articles en laine en tous genres. Toutefois, l'Irlandais ne me laisse pas le temps d'observer tout cela. Il se dirige directement dans l'arrière-boutique. Stupéfaite, je le talonne discrètement. Il se fraie un passage comme il peut, parmi les présentoirs. Enfin, nous entrons dans une pièce où se trouve un vieil homme. Dès qu'il perçoit notre arrivée, il relève la tête.
— Nolan ! Nous ne t'avons pas vu depuis longtemps ! s'exclame-t-il.
Ses cheveux blanchis par le temps s'accordent avec sa barbe. Assis devant un ancien métier à tisser, il gère les nombreux fils de laine colorés. Les sourcils haussés, il sourit grandement en nous observant. Par la suite, il fronce les sourcils, l'air angoissé.
— Un problème avec ta dernière commande? s'inquiète-t-il en stoppant soudainement son travail.
— Non, aucun souci. Je sers de guide touristique aujourd'hui, rétorque-t-il.
Le rictus du vieillard s'accentue avant qu'il ne pose le regard sur moi. Rougissant de plus belle, je me détourne, découvrant des dizaines de grosses pelotes de laine de teintes diverses. L'appareil en bois qu'il utilise semble très vieux mais efficace. Des centaines de fibres sont tendues, attendant d'être liées à d'autres.
— Voici Tina, nous l'hébergeons pour quelque temps, annonce mon colocataire provisoire.
— Enchanté, je suis Owain.
Je serre sa main sèche, me sentant enveloppée de bienveillance. Depuis la pièce voisine, j'entends les cliquetis réguliers d'une machine à coudre. Je ne savais même pas que cet artisanat existait encore. Amusé, le propriétaire me sourit en se levant.
— Alors, tu t'es dit que lui montrer un magasin à touristes serait une belle idée ? s'enquiert-il.
— Pas du tout, grogne Nolan. Tu n'autorises personne à entrer ici d'habitude.
— Donc, tu profites de ta situation, rit le vieillard.
— Très drôle, grommelle l'intéressé.
À cet instant, une femme apparaît en même temps que les bruits voisins s'arrêtent. Elle semble très joviale, un grand sourire étirant ses lèvres.
— Bonjour! s'exclame-t-elle. Que nous vaut cet honneur Nolan ?
Ce dernier se renferme, visiblement agacé. Cependant, je me rends compte qu'il a fourni un effort pour m'emmener dans ce lieu spécial. Alors, je refuse de l'abandonner dans cette impasse.
— Il me fait visiter les environs, affirmé-je doucement.
— Enchantée, je m'appelle Katelinn.
Je me présente à mon tour, gagnant une expression radieuse de sa part.
— Toi, tu n'es pas du coin, remarque Owain.
— Cela se devine si facilement ? je m'inquiète.
— Ça s'entend, surtout, se moque Nolan.
Je le fusille du regard, ce qui a pour seul effet de l'amuser encore plus. Il semble plutôt complice avec le vieil homme. Je devine qu'ils possèdent un lien particulier, sans parvenir à mettre un nom dessus. Comme s'ils partageaient quelque chose. La dame continue de m'observer, un sourire accueillant aux lèvres.
— Bon, tu veux bien lui montrer de quelle façon tu procèdes ? la questionne l'Irlandais.
La femme acquiesce vivement avant de s'installer devant l'antique machine en bois. Fascinée, j'observe ses doigts glisser sur les fils en même temps que ses pieds jonglent entre plusieurs pédales. Un motif à losanges se forme devant mes yeux ébahis. Lentement, les couleurs s'assemblent et se séparent, donnant naissance à ces formes symétriques. Ses gestes agiles paraissent automatiques même si je devine que maîtriser cette technique doit s'avérer complexe.
Tout cela a l'air d'être réglé comme du papier à musique. Son jeu de main caresse les petites cordes tandis que le bois travaille en émettant des sons particuliers. Je pourrais admirer ce travail des heures durant.
Au bout de quelques minutes, elle s'immobilise, arrêtant par la même occasion la musique relaxante de l'appareil. La longueur impressionnante de la pièce formée laisse penser à une couverture.
— Impressionnée pas vrai ? Ça fait souvent cet effet-là ! s'exclame l'homme. Et le tout, fabriqué avec de la laine irlandaise.
Ses yeux brillent de fierté. Cependant, lorsqu'il les pose sur Nolan, ils s'assombrissent légèrement. Ce dernier commence à se sentir mal à l'aise, jetant de nombreux coups d'œil vers la sortie. Ainsi, j'échange encore un peu avec ce couple attachant puis nous quittons les lieux, non sans les avoir remercié pour leur temps.
— Je n'aurais jamais pensé à voir ce genre de choses, avoué-je tandis que nous rejoignons le centre-ville.
— Ah, les touristes qui suivent uniquement les guides, s'amuse-t-il.
— Et ça te fait rire, évidemment...
Il ricane en repositionnant son bonnet sur son crâne. J'esquisse un sourire, enfonçant mes mains dans mes poches.
— Tu te fournis là-bas ? je m'informe, faisant référence à ses couvertures.
— Oui, répond-il simplement, même si je sens qu'il y a anguille sous roche.
Dans le fond, j'ai bien compris que les propriétaires sont importants à ses yeux. Je ne pense pas qu'il s'agisse de ses parents, il n'aurait pas agi de cette façon. Je n'insiste pas, ne souhaitant pas le brusquer inutilement.
Ce coup-ci, nous quittons le village, longeant un muret en pierre.
— Nous pouvons reprendre la voiture, je propose précautionneusement en le voyant s'épuiser.
Ses gestes deviennent moins vifs, il s'essouffle et avance plus lentement. De plus, la route commence à grimper et le bitume est mouillé.
— Ça va, grogne-t-il, accentuant sa prise sur ses roues.
Me souvenant de sa réaction lorsque j'avais immobilisé son fauteuil, je préfère l'arrêter en me positionnant devant lui. Surpris, il manque de me rentrer dedans. Sa respiration difficile résonne avec son visage transpirant et ses boucles collant sur son front. Il fronce les sourcils, bloqué dans ce début de pente.
— J'ai mal au dos alors je suggérais cela pour moi, mens-je effrontément.
— Bien sûr...
— Le nuage gris au-dessus de nos têtes présage de la pluie. Nous serions au sec, j'insiste.
— Tina, je connais beaucoup mieux la météo Irlandaise que toi. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête, affirme-t-il en penchant la tête afin de regarder le chemin derrière moi.
— On ne sait jamais.
Il soupire longuement avant de céder et d'effectuer un demi-tour. Fière de mon coup, je retourne sur mes pas jusqu'à atteindre le véhicule. À nouveau, l'aider à s'installer s'avère compliqué. Néanmoins, je ne perds pas patience et, finalement nous y parvenons. Par la suite, je suis ses indications et nous atteignons le haut d'une colline.
Il était impossible pour lui d'y parvenir avec son fauteuil roulant. La côte s'accentue encore plus et, même à vélo, cela semble compliqué à grimper. Je comprends qu'il n'a pas souhaité me déranger, ni montrer son handicap. Toutefois, au bout d'un moment, il aurait dû se rendre : il ne pouvait pas aller jusqu'ici. Seulement, je tais tout commentaire.
À présent, nous sommes toujours assis dans l'habitacle. Cependant, nous nous situons face à une ruine de château précédant une falaise splendide. Ce point de vue exceptionnel me laisse sans voix. La bâtisse abîmée par le temps paraît avoir une âme. Cela ajouté au soleil qui a l'air de gouverner l'endroit. Le bâtiment se trouve complètement seul. Abandonné. Et je suis là, à l'observer, à la recherche du moindre détail. La mer, en arrière-plan, ajoute un charme particulier à l'endroit.
— Avant, murmure soudainement Nolan, me sortant de mes pensées. Je pouvais passer des heures entre ces pierres. La forteresse possède tellement d'ambiances différentes selon les jours que je repartais constamment avec des clichés particuliers.
Ses prunelles figées vers l'horizon, la nostalgie émane de lui. Son genou valide tressaute alors qu'il détourne douloureusement le regard. Quant à moi, je reste muette, ne sachant pas réellement quoi lui dire, ni ce qu'il attend de moi.
— J'aime tellement tous les recoins de ce pays, sauf que je ne peux plus les atteindre. Alors, je les admire de loin.
— Pourquoi ne portes-tu pas de prothèse ? Tu pourrais t'aventurer plus loin, je propose.
Il baisse ses iris sur sa jambe manquante. Ses mains tremblent légèrement tandis qu'il déglutit, visiblement mal à l'aise.
— Je ne suis pas prêt, souffle-t-il simplement.
Doucement, j'attrape sa paume posée sur sa cuisse blessée. Il sursaute en me rejetant brusquement. Pas surprise pour un sou, je reporte mon attention sur le panorama. Au bout de quelques secondes, je sens ses doigts s'enrouler autour des miens. Je le laisse agir, me perdant dans ma contemplation de la vue. Aucune trace de vie humaine là-bas. Juste la nature.
— Vas-y, je t'attends ici, propose sa voix grave.
— Non, je suis bien là.
Je sens ses prunelles posées sur moi, mais je ne me détourne pas. À la place, je me concentre sur les changements de lumière modifiant l'atmosphère. Les réverbérations de l'eau apportent des reflets particuliers.
— Tu es sûre ?
— L'impression que tu possèdes d'un lieu se base sur ton état d'esprit. Dans tes souvenirs, tu te référeras à ton humeur lorsque tu l'as découvert, du regard que tu as eu. Si je me rends là-bas, je vais être seule et trouver cela sinistre. Alors que, si je reste, je le découvrirais avec quelqu'un et j'en conserverais une meilleure image.
Il se mure dans un court silence, manifestement lourd en réflexion.
Tandis que je contemple l'horizon, il me scrute intensément. Et nous demeurons ainsi durant de longues minutes reposantes.
______________________
Bonsoir!
Après quelques révélations, des mystères en plus!
Qui sont Owain et Katelinn pour Nolan? (D'ailleurs, vous remarquerez que je n'utilise que des prénoms irlandais, à part celui de Tina)
Pourquoi Nolan refuse d'utiliser une prothèse?
Concernant Tina, elle laisse pas mal d'indices. Seulement, vous ne pouvez les déchiffrer que si vous connaissez la situation :)
J'ai hâte de vous partager le prochain chapitre, il me plait bien!
Bonne semaine,
Fantine
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