3 ; Je n'en pouvais plus
Nolan
L'odeur de cette fille persiste dans le salon. Certes, elle a dégagé ses affaires de la pièce, seulement, sans que je ne parvienne à expliquer pourquoi, sa présence se ressent partout. Je déteste cette impression. Cette maison représente le seul endroit où je me sens chez moi, sans percevoir de jugement. D'habitude, l'unique personne qui cohabite ici est mon frère. Manquerait plus que cet idiot s'entiche de cette étrangère...
Rembruni, je ne parviens même pas à me calmer en observant la falaise. Pourtant, cela fonctionne toujours de coutume. Tina se révèle aussi discrète qu'une souris. Malgré tout, elle empiète sur mon espace vital.
Frustré de ne pas retrouver mon calme, je rejette le plaid, découvrant ma jambe estropiée. Je m'appuie sur mes bras, me soulevant légèrement du canapé. La lassitude s'empare soudainement de moi. Je me laisse lourdement retomber sur le coussin.
Elle ne m'a pas répondu lorsque je lui ai demandé la raison de sa présence ici. Le mystère qui plane autour d'elle me dérange.
Maladroitement, je retourne dans mon fauteuil dans l'optique de sortir prendre l'air. J'enfile un blouson ainsi qu'une écharpe puis avance jusqu'à l'arrière de la bâtisse. Finalement, j'ouvre la porte. Une rafale de vent me gifle le visage, me forçant à m'arrêter l'espace de quelques secondes. La pluie s'est arrêtée, néanmoins la brume m'empêche d'apercevoir la mer.
La petite terrasse extérieure me permet de quitter la demeure sans avoir forcément besoin de l'aide d'autrui. Appréciant ce moment d'indépendance, je ramène les pans de ma veste contre moi, bravant les bourrasques. Il paraît si fort et si froid qu'il me fait mal. Seulement, j'ai besoin de ça pour me rappeler que je suis toujours vivant. Toujours là...
Dans ce genre de moment, je refuse de me rappeler la perte de ma jambe. Je préfère me focaliser sur moi. Ou plutôt ce qu'il reste de moi. En réalité, je ne fais rien de mes journées si ce n'est me remettre en question constamment. Et ce, depuis presque un an. Je n'arrive pas à reprendre le dessus, cela me paraît impossible. J'ai essayé, en vain. Alors, ouais, j'ai baissé les bras. À la place, j'attends une éclaircie d'espoir dans ce ciel noir. Je guette l'altitude tous les jours, avant de prendre conscience qu'il s'agit d'une nouvelle journée sans but.
Si Nyle ne m'accompagnait pas dans ce passage cruel, je ne sais pas ce que je deviendrais. Lorsque les médecins ont préconisé un retour chez mes parents, il a dû percevoir mon désespoir. Accepter une telle chose m'aurait brisé de l'intérieur. J'ai toujours été très attaché à mon indépendance. Revenir dans ma famille aurait été insupportable. Les connaissant, ils m'auraient trop materné. Alors que mon frère me laisse me démerder, le plus souvent. En soi, j'apprécie beaucoup plus cette situation.
Je commence à grelotter. Toutefois, j'ai besoin de rester ici encore un peu, seul. Mes réflexions continuent de torturer mon esprit, sans répit. Tourbillonnant aussi vite que l'air ambiant.
— Frérot, rentre s'il te plaît, appelle une voix derrière moi.
Je pivote vers la maison, découvrant le visage inquiet de mon cadet. Après un dernier regard à la plaine devant moi, j'approuve, avançant comme je peux face au vent puissant. Nyle sort afin de me pousser jusqu'à l'intérieur malgré mon air renfrogné. Sans un mot, je progresse en direction de la cuisine afin de me réchauffer près du poêle. J'y retrouve Tina. Ses yeux se posent sur moi et je me rends compte de mon erreur d'interprétation. J'étais tellement énervé de la voir ici que je n'y ai pas prêté attention. Pourtant, ses prunelles ne sont pas marrons mais grises. Hypnotisé par ce regard ensorcelant, je fronce les sourcils. Elle rougit en se détournant, visiblement mal à l'aise.
Mutique, je range mon manteau avant de m'installer face au feu réconfortant. Cette fille tient encore un livre dans ses mains.
— Qui veut un chocolat chaud ? propose mon frère.
Nous répondons tous les deux par la positive. Pendant qu'il s'attelle à les préparer, la brune le questionne sur un bed and breakfast des parages.
— Je ne connais pas leur réputation, explique-t-il, gêné de ne pas pouvoir l'aider.
— Les propriétaires sont des cons, affirmé-je, dos à eux.
— Nolan, tu ne les connais même pas ! s'exclame Nyle.
— Si, rétorqué-je sans donner plus d'explications.
En réalité, ils font partie des personnes ayant eu un comportement peu appréciable après l'accident. Cette fille paraît trop fragile pour parvenir à les confronter. Bien que sa présence me gêne, je ne voudrais pas l'envoyer là-bas en connaissance de cause.
Ils m'observent, atterrés. Quant à moi, je n'ajoute rien. Un ange passe avant que mon fraternel engage à nouveau la discussion. Je sens un regard posé sur moi. Seulement, ne sachant pas à qui il appartient, je ne me retourne pas. Un soupir s'échappe de mes lèvres tant je suis perturbé.
Peu à peu, je parviens à me réchauffer. Je frotte mes mains entre elles, espérant réchauffer le bout de mes doigts. Je ressens un besoin urgent de solitude. Alors, même si je me sens bien devant ce feu, je décide de quitter la cuisine sans un mot. L'isolement reste ma défense principale face à la vie. Être seul m'évite d'avoir à me justifier auprès des autres. Mes sautes d'humeur fréquentes agacent, simplement, ce n'est pas volontaire. Alors, je me reclus. Seulement, une fois dans ma chambre, je ne sais pas quoi faire.
J'ai obtenu la plus grande des pièces. Ainsi, je peux me déplacer à ma guise. Elle doit mesurer plus du double de celle de Tina.
Ayant encore un peu froid, j'attrape la couverture étendue sur mon lit afin de l'étaler sur mes cuisses, comme j'en ai l'habitude. En réalité, elle sert surtout à cacher ce qui me manque. Je ne l'assume toujours pas. Du coup, je tente de le dissimuler par tous les moyens.
Je perçois un bruit sur la porte. Soupirant, j'autorise mon frère à entrer. Rapidement, il se matérialise devant moi, une tasse fumante entre les mains. Je la récupère avec joie, ravi de pouvoir tenir quelque chose de chaud. Puis, Nyle repart, pressentant mon besoin de retrait.
Donc, je me retrouve seul, sur mon fauteuil, en compagnie d'un mug.
* * *
Installé dans le salon, je ne parviens pas à fermer l'œil. Il est trois heures du matin. Foutue insomnie. Ennuyé, je visualise mes dernières photographies sur mon ordinateur. La plupart représente la tempête de ces derniers jours.
Soudainement, un bruit se produit dernière moi. Brusquement, je ferme l'écran en me retournant. Ainsi, je découvre la jeune se servant un verre d'eau dans la cuisine. Sentant probablement mon regard, elle pivote vers moi, gênée. Encore un livre à la main. Pensant qu'elle retournerait dans sa chambre, je me tourne vers la fenêtre. Seulement, au bout de quelques minutes, je la vois s'asseoir sur le fauteuil voisinant le mieux. Surpris, je la dévisage.
Ses cheveux sont attachés en un chignon désordonné. Elle porte un pyjama dépareillé ainsi que de grosses chaussettes. Ses genoux sont ramenés contre sa poitrine, elle y pose son roman afin de s'y plonger tranquillement. Lunettes sur le nez, elle semble différente. Cela lui donne un air plus âgé. Ou bien, est-ce dû à la faible luminosité ?
Elle n'a pas l'air de me prêter attention. Pendant de nombreuses minutes, je l'observe tourner les pages une à une. Ses yeux gris ne s'intéressent pas à moi. Du coup, j'ouvre précautionneusement mon ordinateur. Malgré la lumière émise par l'écran, elle ne détourne pas le regard.
Ainsi, durant plusieurs dizaines de minutes, personne ne pipe un mot. Pour autant, ce silence n'est pas gênant. Chacun s'occupe de son côté sans déranger l'autre. Cependant, la curiosité finit par l'emporter et je demande :
— Alors, que fiches-tu au pays des leprechauns ?
Elle sursaute, visiblement dans un autre monde. Quant à moi, je trouve ma question stupide. Au lieu de me le reprocher, je me renferme, la rejetant elle.
— Je voyage depuis un an, un peu partout en Europe, m'apprend-elle simplement.
— Pourquoi ? je questionne trop durement.
Elle fronce les sourcils, manifestement déroutée par mon comportement changeant. Je tente de me radoucir pour ne pas la brusquer. Après tout, je lui ai promis de conserver une partie de ma gentillesse pour ce soir.
Son regard détourné sur son bouquin, elle semble réfléchir intensément à quelle réponse me donner. Mon interrogation était donc si difficile ?
— Je n'en pouvais plus, souffle-t-elle difficilement en posant ses prunelles ailleurs.
— De quoi ?
Elle baisse les yeux, son visage devenant infiniment triste. Me sentant désemparé par cette vision, je perds mes moyens. Chose qui ne m'arrive jamais. Je n'aime pas perdre le contrôle de cette façon. Pourtant, je n'arrive pas à me mettre en colère puisque je sens le désespoir de cette fille. Ses iris sont posés sur son livre, cependant je sais qu'elle n'est pas concentrée sur sa lecture. Ma question a dû la perturber. Je crois que je m'en veux.
Un peu.
— Désolé, marmonné-je.
Elle soupire, s'apprêtant à se lever. Elle paraît au bord des larmes, toutefois elle ne craque pas. Ses poings serrés, ses jambes tremblantes, elle remonte ses lunettes sur sa tête afin d'essuyer ses yeux secs.
Je n'ai pas envie de l'abandonner ainsi, qu'elle aille dormir dans cet état. Sans le vouloir, j'ai dû rouvrir certaines plaies qu'elle aurait préféré oublier.
— Attends.
Elle s'immobilise instantanément. Raide comme un piquet, elle patiente. J'amorce un mouvement malheureusement impossible : me lever. Du coup, je retombe lourdement sur le canapé, las. Il faut que je trouve un prétexte pour l'amener à rester encore un peu dans le salon.
— De quoi parle ton histoire ? me hasardé-je à demander.
Son visage interloqué me fait face. Quant à moi, je l'incite à se rasseoir. L'hésitation se peint sur ses traits. Seulement, elle finit par s'installer à nouveau.
— Cela t'intéresse réellement ou bien as-tu pitié de moi ? s'informe-t-elle, tendue.
J'observe le roman épais avant d'opter pour la première option.
— Il s'agit de Lettres à Stella d'Iona Grey. C'est le récit entremêlé de deux femmes. L'une, durant la guerre ; l'autre, aujourd'hui.
Elle me relate les grandes lignes et je me surprends à l'écouter attentivement. Pour un peu, elle me donnerait envie de me mettre à la lecture. Ses yeux pétillent alors que la pulpe de ses doigts frôle le papier. Son état d'esprit précédemment sombre paraît s'éclaircir partiellement. En effet, je perçois aisément qu'une partie de ses pensées reste focalisée sur notre ancienne discussion.
Étrangement, je ne réussis pas à lui donner d'âge. Physiquement, elle donne l'air juvénile. Seulement, dans sa manière d'être, elle semble plus âgée. Je vais tenter de creuser un peu plus avant de lui poser la question. Je me suis montré suffisamment indiscret pour la soirée.
La brune se tait brusquement, ayant terminé ses explications.
— Et toi ? Que fais-tu si tard ? s'enquiert-elle.
— Rien qui ne te regarde, grommelé-je.
Curieusement, elle sourit légèrement.
— Je commence à comprendre une chose : tu n'aimes pas parler de toi. Je m'en souviendrai, affirme-t-elle en penchant la tête.
Décidément, cette fille m'intrigue au plus haut point. J'apprécie être surpris, même si cela n'arrive pas souvent. Alors, mes lèvres se redressent discrètement. Toutefois, elle semble l'avoir remarqué, même si elle fait mine de rien.
De l'index, elle trace les contours de son roman. De l'autre main, elle repositionne ses lunettes sur son nez en plissant les yeux. Au bout d'un moment, elle redresse la tête :
— Je vais te laisser tranquille, annonce-t-elle subitement. Bonne nuit, si tu parviens à dormir.
Je hoche la tête, même si j'aurais aimé qu'elle reste un peu plus. Par la suite, elle disparaît dans le couloir puis, j'entends sa porte se fermer. Et la solitude retombe brutalement sur moi.
Même si j'ai du mal à tenir une conversation, sa compagnie m'a permis un repos appréciable. Certes, j'ai failli m'énerver et il aurait été difficile de continuer la conversation sans tomber sur des sujets fâcheux. Cependant, je crois que j'ai aimé ce moment.
Tiraillé entre ces deux sentiments, j'éteins mon ordinateur puis décide d'aller me coucher.
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Bonsoir!
Premier rapprochement entre Nolan et Tina. Qu'en pensez-vous? Cela risque d'être plus compliqué par la suite ;)
Que pensez-vous de chacun des personnages?
Bonne semaine et à lundi pour la suite :)
Fantine
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