11 ; Et après?
Nolan
Tina est partie pour l'après-midi. Ainsi, je me retrouve seul avec mon frère. J'ai l'impression que cela n'était pas arrivé depuis un siècle. En réalité, la Française n'est pas là depuis si longtemps. Seulement, j'ai passé tellement de temps avec elle que cela donne le sentiment de la connaître depuis toujours.
— Tu as l'air de bien t'entendre avec Tina, affirme précautionneusement Nyle.
Pour ne pas lui donner satisfaction d'avoir eu raison dès le départ, je reste neutre, acquiesçant simplement. Installé à mes côtés dans le canapé, il se laisse glisser le long des coussins, l'air pensif. Les mains croisées sur son ventre, il observe longuement le plafond.
— Vous vous êtes embrassés ? questionne-t-il à brûle-pourpoint.
— Non ! m'exclamé-je, surpris.
Lentement, il pivote son visage vers moi. Je scrute chacun de ses traits, ne comprenant pas le but de sa question.
— Pourquoi ? insiste-t-il.
— Parce que je... enfin elle... Tu vois quoi, je bafouille.
— Non, je ne « vois » pas. Vous vous cherchez constamment, vous osez discuter. Où est le problème ?
Évidemment que j'ai pensé à cette éventualité. À de très nombreuses reprises d'ailleurs. Je me sens bien avec elle alors, que demander de plus ? Je ne suis jamais parvenu à trouver une explication.
— Je ne sais pas quoi te répondre, avoué-je, désorienté.
— Rappelle-moi une chose. Depuis combien de temps ne t'es-tu pas estimé à ta place ? m'interroge-t-il, sûr de lui.
— Ne plaisante pas avec ça, le prévins-je.
Se pinçant le nez, il soupire longuement, excédé. Quant à moi, l'agacement apparaît progressivement. Je déteste lorsqu'il me pousse dans mes retranchements, sans me laisser aucune chance. Cependant, à la réflexion, il s'agit constamment des discussions les plus constructives que nous ayons.
— Toi, tu joues au con, réplique-t-il sèchement.
Je me mords la lèvre inférieure, taisant les insultes qui menacent de sortir. Je n'aime pas du tout qu'il me dicte ma façon d'être. Cela représente une des seules choses qu'il me reste. Il n'a pas le droit de me le voler.
— Arrête, je l'avertis.
— Tu ne te rends pas compte ! Cette fille, elle s'intéresse à toi. Si tu abandonnes, tu t'en mordras les doigts toute ta vie.
Il a raison, je le sais pertinemment. Actuellement, elle est ma seule amie, même si c'est triste à dire.
Subitement, je devine à quel point Nyle a dû prendre sur lui. Il permet à une femme qui lui plaît de rester ici. Non pas pour lui, mais pour son idiot de frère. Et moi, je la laisse filer.
Je ne peux pas. Surtout après ce qu'elle et moi avons échangé à Glasgow. Mon irritation s'envole miraculeusement tandis que le doute apparaît.
— Dépêche-toi, avant qu'elle s'en aille, insiste-t-il.
J'ai l'impression de recevoir un coup dans l'estomac. Mon souffle se coupe l'espace d'un instant alors que l'information atteint mon cerveau. « Avant qu'elle s'en aille ? ». Inimaginable... Elle a encore trop de choses à découvrir dans la région. Elle ne peut pas partir.
Face à ma réaction, Nyle semble s'en vouloir. Affolé, il me parle. Seulement, je n'entends rien. Comme si mes oreilles étaient remplies de coton. Sa remarque me fait l'effet d'un électrochoc.
Le livre oublié sur la petite table face à moi me rassure. Tina est toujours là pour l'instant. D'un geste lent, je le récupère, le feuilletant rapidement. Les pages volent tandis qu'une senteur particulière en émane agréablement. Ce simple mouvement suffit à m'apaiser.
Pour la première fois depuis ce jour atroce, je parviens à m'ouvrir à quelqu'un. Si elle m'abandonne maintenant, je ne m'en sentirais plus jamais capable.
— À toi de faire en sorte qu'elle reste, conclut sombrement mon semblable.
J'ai réussi à la persuader une fois. Je peux réitérer cet acte, j'en suis convaincu. Je sais déjà de quelle façon je vais m'y prendre.
— Où est-elle partie ? m'enquiers-je, impatient.
Je me redresse sur le canapé, approchant déjà mon fauteuil. Mon frère m'observe curieusement avant de soupirer.
— Présentement, elle doit se trouver au salon de thé, m'apprend-il.
— Merci.
Je me précipite dans l'entrée, me vêtant de mon manteau. Jetant de furtifs coups d'œil vers le canapé, j'enfile maladroitement ma chaussure. Si mes lacets ne sont pas faits, je ne risque pas de trébucher dessus. Alors, je ne prends pas le temps de m'en charger.
— Dépêche-toi ! m'écrié-je.
Nyle sursaute avant de me rejoindre, sur le qui-vive. Fin prêt pour partir, je l'incite à se presser.
— Emmène-moi en ville, il faut que je la voie.
— S'il te plaît, c'est trop te demander ? s'agace-t-il.
— Grouille-toi ! je m'exclame en sortant de la maison, omettant volontairement sa remarque bien sentie.
Je l'entends lâcher un long souffle. Cependant, je vis dans l'urgence actuellement. Je dois absolument discuter avec la Française maintenant. Je pourrais attendre qu'elle rentre. Après tout, elle ne devrait plus tarder. Néanmoins, j'ai besoin de la voir.
Sans un mot, Nyle me conduit jusqu'au centre-ville. Mon genou tressaute, signe de mon angoisse évidente. J'ai conscience d'une chose : si elle avait décidé de s'en aller, elle m'en aurait parlé. Ainsi, je possède encore une marge de manœuvre.
La voiture garée sur un parking, je tente de m'en extirper le plus rapidement possible. Malheureusement, dans la précipitation, ma main glisse sur la portière. Je me cogne violemment le coude, lâchant un juron.
— Nolan, ne te blesse pas pour ça, ronchonne mon fraternel, visiblement contrarié.
Je m'y reprends et parviens à me placer convenablement dans mon fauteuil. Sachant parfaitement où je dois me rendre, je commence à avancer. Mon semblable s'apprête à repartir, mais il se retourne au dernier moment.
— Ne la fais pas fuir, tu veux ? se moque-t-il avant de disparaître.
Blessé, mon entrain s'évanouit brusquement. À présent seul sur ce trottoir, je me trouve complètement stupide. Dans le fond, qu'elle s'échappe à cause de moi ne m'étonnerait pas tant que cela. Immobilisé comme le plus grand des idiots, j'ai déjà envie de rentrer.
Qu'est-ce que je fous là ? Aller me confier à une fille ? N'importe quoi... Évidemment qu'elle va me repousser. Certes, nous nous entendons bien. Et après ?
Mon emprise sur mes pneus s'accentue. Tellement que mes doigts deviennent douloureux. Cette confiance nouvelle s'amenuise progressivement, comme si elle représentait un corps étranger. Une grimace tord mon visage. Me voilà ici, comme un con, sans aucun but.
Sur le moment, cela me semblait une bonne idée. La donne a complètement changé en quelques mots seulement. Nyle se rend-il seulement compte de l'impact de sa phrase ? Il avait réussi à me motiver. Néanmoins, à présent, me voilà de retour au fond de mon gouffre, enseveli sous mes idées noires.
— Fait chier, juré-je, clairement énervé.
Des habitants du village passent devant moi sans me prêter attention. Nerveux, je roule dans une direction aléatoire. Maintenant, il est hors de question que je la rejoigne. Cela ne servirait à rien. Mes gestes sont secs et maîtrisés. Je ne m'abaisserai pas à appeler mon frère pour qu'il vienne me chercher. Je vais me débrouiller seul pour rentrer.
Il y a quelques dizaines de minutes, je me sentais prêt et légitime pour aller la confronter. Dorénavant, je comprends que cela s'avérerait inutile. Tina aime passer du temps avec moi, je le conçois. Cependant, je n'arrive pas à la déchiffrer, ni à comprendre le fond de sa pensée. Aujourd'hui, je remonte tout juste la pente. Je ne suis pas prêt à risquer de sombrer à nouveau.
Rapidement, je quitte la ville, atteignant la route menant à la maison. Seuls des champs l'entourent, toute habitation a disparu. Continuer d'avancer serait trop dangereux. Le bitume est étroit, permettant juste à deux voitures de se croiser. Si je me retrouve entre deux véhicules, cela deviendrait vite compliqué.
Néanmoins, je refuse d'effectuer un demi-tour. Après tout, j'avance depuis plus d'une demi-heure. La fatigue commence à s'emparer de moi. Mes bras sont douloureux ; mes mains sales à cause de la boue dans laquelle j'ai roulé. Las, je me stoppe. À cet instant, une automobile s'arrête à ma hauteur.
— Nolan ?
Forcément. J'aurais dû y penser : elle aussi doit passer par ici pour rentrer. Malgré moi, je baisse les yeux, me sentant particulièrement honteux. En quelques secondes, elle se matérialise à mes côtés, descendant de la voiture.
— Monte, me propose-t-elle doucement.
— Je ne veux pas voir mon frère, déclaré-je sèchement.
Ne montrant aucune once de surprise, elle acquiesce en me suggérant de retourner au salon de thé. Sans m'en rendre compte, j'accepte. Rapidement, je me retrouve dans l'habitacle et elle nous ramène en ville. Aujourd'hui, elle porte une robe en laine, accessoirisée d'une grosse écharpe de la même matière. C'est la première fois qu'elle dévoile ainsi son corps. Ravi, je ne peux pas m'empêcher de l'observer.
À présent, nous progressons dans une rue. Bottines aux pieds, elle se dirige automatiquement vers le petit café. Je la talonne, perturbé. Comment puis-je lui justifier ma présence au bord du chemin ?
Elle pousse la porte, une clochette tinte, prévenant de notre présence. La gérante paraît surprise de voir à nouveau Tina, accompagnée cette fois-ci. Cependant, elle tait toute remarque. Nous nous installons autour d'une table rectangulaire surmontée d'une nappe blanche. Assis côte à côte sur la banquette, elle commande deux chocolats chauds. Je ne suis jamais entré dans cet endroit. Par contre, elle paraît l'avoir adopté.
— Tu prenais l'air ? me questionne-t-elle, mine de rien.
Silencieusement, je hoche la tête. Les mains croisées devant elle, ses yeux gris me fixent intensément. Ce regard me permet de récupérer un certain aplomb. Comme si sa simple considération me suffisait. Je me redresse, restant mutique jusqu'à ce que nos boissons nous parviennent.
Instantanément, j'entoure ma tasse de mes deux mains, cherchant de la chaleur. Les deux mugs fumants nous séparent. Tina prend une inspiration et je comprends qu'elle s'apprête à m'annoncer quelque chose. Finalement, elle souffle sur son breuvage, fuyant mon regard.
— Je vais bientôt m'en aller. Il faut que...
— Tu es passée par Dublin ? je la coupe, sentant la panique monter en moi.
Surprise, elle met quelques instants avant de me répondre.
— Non, mais je prendrai l'avion là-bas.
— Je connais bien la ville, je te ferai visiter, j'affirme, sans laisser place à une quelconque opposition de sa part.
Ainsi, j'amène le chocolat à mes lèvres, en buvant une gorgée. Je sais exactement où je souhaite l'emmener. Elle ne voudra plus jamais quitter ce pays, c'est certain.
— Nolan, murmure-t-elle.
— Tu vas adorer, je te le promets.
Un petit pot en verre est déposé à côté de moi. J'attrape une petite poignée de marshmallows afin de les mettre dans ma boisson. Les sucreries roses et blanches flottent, tels des nuages. Amusé, je les remue avec ma cuillère.
— Et après ? s'enquiert-elle.
Par la suite, j'espère que tu changeras d'avis.
— Tu continueras ton voyage, comme prévu, m'entends-je répondre d'une voix neutre.
Elle paraît déçue : une moue étire ses traits. Derrière elle, un mur particulièrement coloré contraste avec ses prunelles grises, les rendant plus surprenantes encore. Puis, la tristesse se peint sur son visage. Je remarque que ses mains tremblent légèrement. Alors, je les emprisonne dans les miennes, passant mon pouce sur ses phalanges.
— Tu m'oublieras rapidement, chuchote-t-elle douloureusement.
Elle tente de se retirer de mon emprise, en vain. Les sourcils froncés, je cherche une explication à cette remarque surprenante.
— Parle pour toi, rétorqué-je.
Éberluée, elle relève ses iris sur moi. Elle est d'une beauté particulière, difficilement explicable. Tout passe dans ses yeux, reflétant ses émotions intenses. Je distingue ses failles sans les comprendre. Il s'agit d'une sensation perturbante.
— Je ne peux pas t'effacer de ma mémoire Nolan, confie-t-elle.
Sa voix me parvient telle une caresse, m'enveloppant de tendresse. Dans un geste lent, elle entremêle nos doigts. Nos tasses sont laissées à l'abandon, réduisant ainsi la distance entre nous.
— Tu es gravé là, assure-t-elle, désignant un coin de son crâne.
Je me rapproche d'elle, humant son odeur. Mon pouce frôle ses cheveux tandis qu'elle s'empourpre sans se détourner pour autant. Par la suite, mon doigt atterrit sur sa bouche rosée, naturelle. Son souffle chaud s'écrase sur mon épiderme à un rythme régulier. Son haleine chocolatée me fait doucement sourire.
— Et après ? je demande, réutilisant ses mots.
— Tu as déjà visité la France ? s'informe-t-elle.
Je secoue négativement la tête. Cette réponse semble lui plaire, au vu de son expression radieuse.
— Donc, tu viendras, assure-t-elle.
— Tina, tu sais très bien que je ne peux pas, soupiré-je.
— Bien sûr que si, susurre-t-elle.
Ce coup-ci, elle tente d'envelopper mes mains dans les siennes, trop petites. Touché par son geste, je lui offre un rictus furtif.
— J'espère qu'il ne s'est rien passé de grave avec Nyle. Il tient énormément à toi, tu sais? s'inquiète-t-elle.
Manifestement, cela la turlupine depuis qu'elle m'a trouvé sur le bord de la route. Elle allait forcément me poser la question. D'une main, elle s'appuie sur ma cuisse. Les sourcils froncés, elle attend clairement une réponse de ma part.
Nos visages au même niveau me perturbent. Je perçois certaines imperfections sur sa peau, la rendant étrangement plus charmante.
— Nolan ? insiste-t-elle.
Des effluves chocolatés me parviennent, rendant la scène plus surréaliste. Ma paume trouve naturellement sa place sur sa joue.
— Ce n'est pas ce qui m'importe le plus pour l'instant, confié-je dans un souffle.
— Ne dis pas ça. Il faut que vous régliez ce différend, quel qu'il soit, me reproche-t-elle.
Bravant les barrières qu'elle a placées entre nous, je pose mon front sur le sien. Sa respiration se coupe avant de reprendre, plus rapidement. Toutefois, son regard ne quitte jamais le mien.
— Je m'en occuperai après, réponds-je, sentant l'impatience monter.
— Après quoi ? questionne-t-elle faiblement.
Seuls quelques centimètres nous séparent. Elle cligne des yeux, visiblement déroutée.
— Tu ne devrais pas....
Je la coupe, sachant pertinemment qu'elle allait tenter de m'en dissuader alors qu'elle en meurt d'envie. Mes doigts se placent sur sa nuque, ma bouche se pose sur la sienne. Elle ne semble pas surprise pour un sou puisqu'elle me rend instantanément mon baiser. S'agrippant à moi, je la sens se détendre comme par magie. Dans ma cage thoracique, mon cœur s'affole tandis que j'approfondis notre échange, sans doute aucun.
Fermement accrochée à ma taille, elle murmure mon prénom avant que je ne plonge à nouveau sur elle, à mille lieux d'ici. De toute mon existence, je ne me suis jamais senti autant dans le droit chemin.
Je l'embrasse à en perdre haleine, juste pour tenter de repousser l'instant où elle sera loin de moi. Afin de lui donner une infime partie de moi.
Mes doigts emmêlent ses cheveux en même temps que mes idées perdent tout sens logique, m'amenant à imaginer le meilleur, comme le pire.
Finalement, elle décide de s'écarter, son front collé contre le mien. Puis, nos regards se rencontrent. Électrisé, il m'est impossible de me détourner tant ses émotions riment à la perfection avec les miennes. Chacun de mes doutes trouvent une répercussion en ses gestes.
Je me vois en elle.
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Bonsoir !
Ça y est, il y a eu le premier baiser comme beaucoup l'attendait ! Qu'en avez-vous pensé ?
Progressivement, Nolan se rend compte de l'importance de Tina dans sa vie, même s'il reste fragile.
Selon vous, comment va s'organiser la suite de l'histoire entre eux ?
J'espère que ce chapitre vous aura plu ! A lundi pour le prochain :)
P.S. : Mon premier roman, Se Sentir Coupable, est enfin commandable dans toutes les librairies! Si vous souhaitez commander une version dédicacée, tout est expliqué sur mon compte Facebook mais si cela vous intéresse, je peux vous donner les infos! Je suis impatiente d'avoir vos retours :)
Fantine
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