"La morale élève un tribunal plus haut et plus redoutable que celui des lois."

Antoine de Rivarol

              Le silence pesait sur la foule, pourtant l'on entendait certains enfants parfois interpeller leur mère. La galerie, toute vêtue de leur plus bel atour, les garçons aux chapeaux hauts de forme et les jeunes filles en robe rose, attendaient le résultat du vote. L'attente. L'attente pesante, à couper le souffle.

               Quelques minutes plus tôt, une jeune femme s'était présentée, debout, devant toute la ville installée sur les sièges du bâtiment officiel. Le regard bas, la posture honteuse et les mains entrelacées, elle raconta avec détail son agression de la veille. L'accusé : son oncle. À son tour, celui-ci avait cherché à se défendre, le regard froid, les sourcils froncés et les mains agitées qui essuyaient parfois les gouttes de sueur perlant sur son front. Après cela, le vote avait commencé, s'il était jugé coupable, alors il finirait avec vingt-cinq plaies sur le corps. C'est la punition accordée aux agresseurs sexuels, vingt-cinq plaies ouvertes, provoquées par des femmes ou des hommes tirées au hasard.

      Finalement, l'huissier responsable du vote, commença le dépouillage, accompagné de deux enfants, jugés comme des mains innocentes. Ce fut long, très long. Tous les gens de l'île avaient voté comme ils en avaient l'obligation formelle.

          Le dernier papier fit comme un bruit de marteau sur la table, s'écrasant comme la sentence terrible de la culpabilité. Une montagne de papier rectangulaire, sur laquelle reposaient le destin d'un homme ayant commis un crime.

              Ici, pas de tribunal comme vous le connaissez, pas de juge, pas de grosse tête remplies de loi, de diplôme, pas de sophisme. Pas de peine de mort, mais bien pire, la honte de porter son crime sur son corps, à tout jamais. Dans un monde comme celui-ci où le physique est synonyme de prospérité et de succès, la pureté de sa peau est primordiale. Car la moindre cicatrice peut être synonyme d'un crime passé, d'une erreur de jeunesse, d'une histoire d'amour qui a mal tourné...

        Pas d'enfermement, pas d'amende, mais un châtiment corporel et un poids psychologique auquel faire face, apportant régulièrement des troubles par la suite comme des complexes d'infériorité, de la paranoïa ou encore de la schizophrénie. Ainsi, les conséquences d'un délit simple comme un vol, reviennent à quelque chose d'insurmontable. Et c'est cela qui fait peur, c'est cela qui permet au village de prospérer.

Enfin, c'était le cas avant l'arrivée du Zèbre.