Chapitre 7
Jared
Un peu moins flemmard que les jours précédents, je passe le portail du bahut, Skrillex à fond dans les oreilles. L'idée de pouvoir taquiner ma voisine préférée m'a boosté dès le matin. Franchement, j'ai trouvé ma motivation. Faut dire qu'elle plonge direct chaque fois que je la cherche et qu'elle me tend des perches monumentales. Comme on dit : qui aime bien châtie bien. Je la fais tellement chier, qu'elle doit imaginer que je la kiffe.
Une alarme retentit sous mon crâne et je grogne. Penser à ce genre de chose, même de loin, m'est interdit. Ça me gave. Et en même temps, non. C'est bizarre. Le truc, c'est que si je devais cogiter chaque fois que je me pose des questions sur tout ce qui me semble anormal ces derniers temps, je ne vivrais plus que pour ça. Même ce mot me paraît... lointain : « vivre ». C'est comme si je n'avais plus de raison de le prononcer. Un rien me perturbe. C'est dingue.
Je préfère penser aux cours que je donne à Marley. J'étais persuadé qu'elle avait juste un peu de mal, mais en fait, elle plane complètement. Cette matière, c'est pas son truc, c'est clair. Du coup, j'ai réfléchi à un programme simple qui s'adapte aux difficultés qu'elle rencontre. Ça m'a pris deux secondes. Moi qui espérais que ça m'occuperait une bonne partie de la nuit, c'est loupé. J'ai tout mis sur pied et mémorisé en moins de deux.
Je claque la porte de mon casier, un peu trop fort. Parfois, on dirait que j'ai du mal à me contrôler. Seulement, je ne m'attarde pas sur ce détail, même si tous les regards sont braqués sur moi. Du coin de l'œil, j'ai détecté Marley et c'est ce qui retient mon attention. Dos au mur, à quelques mètres, elle serre ses bouquins contre elle et un type lui parle.
Elle paraît fermée et lui insistant. Tandis qu'elle tente de se dérober, il plaque sa main sur le mur, pour l'empêcher de filer. Tout à coup, un instinct de protection me submerge. Je sais pas d'où ça sort, mais c'est là. Je dois intervenir. C'est à peine si on est potes et elle va me détester pour ça, mais tant pis. C'est plus fort que moi.
Lentement, j'approche, me plante à sa droite et m'adosse contre le mur. Elle nous observe tour à tour et je la gratifie de mon plus beau sourire en coin. Ça non plus, je sais pas faire autrement. Son cœur bat la chamade et prend parfois un rythme désordonné. Elle se mordille la lèvre, gênée, et je devine qu'elle ne sait comment dire à ce gars d'aller gentiment se faire mettre.
Après mon inspection la concernant, je plante mes yeux dans celui de ce mec. Je l'analyse. Tout y passe. De ses mimiques, à son regard, jusqu'au battement de son cœur. Il n'apprécie pas mon intervention. Moi, il ne m'inspire pas confiance.
— Tout va bien ? demandé-je à ma voisine sans le lâcher de mes billes sombres.
— On discute simplement, répond-il.
Je lève un sourcil, sans détourner les yeux.
— C'est pas à toi que je pose la question.
Mon ton est glacial. Si jusque-là j'avais la sensation que certains traits de mon caractère ne correspondaient pas à qui je suis. Celui-là monte du plus profond de mes tripes. C'est comme si mon instinct prenait le dessus.
Marley lève le nez sur moi, interloquée. Ma réaction la surprend. En réalité, moi aussi. Cependant, pour la première fois depuis un moment, je me sens plus... moi. Ça aussi, c'est louche. Si je venais à balancer à qui que ce soit, que j'ai l'impression d'être dans mon corps sans vraiment l'être, je passerais pour un illuminé.
Contre toute attente, elle pose sa main sur mon bras. Le premier vrai contact entre nous jusque-là. Elle fronce les sourcils et je baisse les yeux sur ses doigts. Elle a tiqué à l'instant même ou sa peau a touché la mienne. Quant à moi, je tente de décrypter ce que ça me fait. Sa chaleur est là, mais c'est comme la deviner de façon lointaine.
Et là je décroche complètement de mon objectif initial : faire fuir ce type.
À la place, je me demande pourquoi ça ne me fait rien de plus. Mon épiderme devrait réagir. Je devrais réellement sentir qu'elle me touche. Seulement, mon bras est comme endormi.
— C'est rien, ça va.
Sa voix me ramène à la réalité et je pose mes iris sur elle. Ses traits trahissent une certaine inquiétude. Pourquoi elle est soucieuse tout à coup ?
Je dégage mon bras, sans le vouloir.
— Alors si tout va bien, tant mieux.
Sans leur laisser le temps d'en placer une, je mets les voiles et rejoins les toilettes des hommes. Planté devant le miroir, je fixe mon reflet. Putain, pourquoi ça tourbillonne autant dans ma tête ?
J'allume l'eau, asperge mon visage et soupire. Je viens de me comporter comme un gros connard. Elle va croire que je lui en veux pour une raison qui n'existe pas. Mon but, c'est qu'on devienne potes. Qu'elle me laisse l'aider si besoin. Pour les maths. Ou autre chose. J'ai besoin de me rapprocher de quelqu'un. Ce vide que je ressens et qui ne me lâche pas est sur le point de m'emporter chaque fois que j'essaye de comprendre pourquoi il est là. Ce qu'il représente. Ce qui me manque. Ce qui, mine de rien, me fait mal. Cette solitude me fout en l'air.
Pourquoi je suis si compliqué ? Pourquoi je ne me souviens de rien ? Pourquoi je suis ce que je suis là, alors que je sais que je suis différent ? Pourquoi j'en suis conscient du plus profond de mon être, mais que je ne peux rien faire ? Pourquoi je ne réagis pas, bordel ?
Trop de question. Beaucoup trop. Je vais devenir dingue.
Les mains sur le rebord du lavabo, ma poigne se resserre et la mâchoire crispée, je me retiens de tout foutre en l'air autour de moi. Le bruit de la céramique qui se fissure me ramène sur terre. Quelques morceaux blancs finissent sur le carrelage et je fronce les sourcils. C'est quoi ce délire ?
Des lignes de chiffres apparaissent dans mon esprit, puis je quitte la pièce. Pendant quelques secondes, je me demande si ce qui vient de se passer est vraiment arrivé, puis d'un coup, ça s'évapore.
Dans le couloir, Marley n'est plus là. Ce mec non plus. Mon emploi du temps enregistré dans le moindre détail, je me dirige vers mon prochain cours et lorsque j'entre dans la salle, je cherche un repère, perturbé. Et je la vois.
Assise à sa place habituelle, son stylo tapote son cahier et son regard est rivé sur la fenêtre. Sans réfléchir, je file entre les tables, laisse tomber mon sac sur la sienne, la faisant sursauter et pose mon cul. Ses orbes clairs glissent sur moi, elle me fixe, hésitante, et comme un abruti, je lui dégaine mon plus beau sourire.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Bah, comme tu vois, je m'installe.
— À côté de moi ?
— Ouep. Voisine de maison, voisine de table. Tu saisis le concept ?
Elle me dévisage et je détourne les yeux. Elle doit me prendre pour un débile. D'abord, je m'incruste en mode super héros, ensuite je fuis, puis, là, je me pointe et m'affale à côté d'elle, l'air de rien.
Le truc, c'est qu'elle n'a aucune idée d'à quel point là, tout de suite, j'ai besoin d'une présence. Ça tombe sur elle parce que je ne connais qu'elle, mais ça me fait du bien. Le reste s'éloigne déjà.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro