Chapitre 5
Jared
Lancé sur mon skateboard, je remonte la rue à bonne allure. Mon sac sur le dos, je souris en me rappelant la réaction de ma voisine lorsque je l'ai salué il y a deux jours devant la maison. Depuis, c'est un fantôme. Elle m'évite. Les seules fois où je la vois, c'est en salle de cours. Le reste du temps, elle trouve le moyen de disparaître. Le rideau de sa chambre a également cessé de bouger et sa silhouette juste derrière n'apparaît plus.
Cette fille a l'air vraiment solitaire. Elle ne parle à aucun étudiant. Du moins, pour ce que j'en ai vu jusque-là.
Perdu dans mes pensées, je tente de comprendre pourquoi elle est aussi distante avec tout le monde. C'est ce que je fais à chaque fois qu'une énigme est face à moi. Enfin, c'est ce que fait d'instinct cette partie de mon cerveau que je ne contrôle pas tout à fait. Toutes les hypothèses la concernant y passent. D'une relation tendue avec ses parents, à la perte de quelqu'un qui lui était cher. Seulement, je n'aurais aucune réponse concrète à moins de lui demander directement. Chose que je n'ai pas l'intention de faire parce que je suis persuadé que c'est un terrain miné. Déjà qu'elle me fuit comme la peste, alors si je mets les pieds dans le plat, je peux dire adieu à une possible amitié avec elle. Parce que oui, après avoir fouiné dans ce qui m'est permis ou non, il semblerait que tisser des liens amicaux me soit autorisé.
Marley m'intrigue et ses réactions sont de vraies pépites à mes yeux. Je passe mon temps à vouloir la chercher pour la rendre folle. Je suis pas certain que c'est de cette façon qu'elle deviendra mon amie, mais, en tout cas, c'est un de mes objectifs. Pas seulement parce qu'elle éveille ma curiosité, mais plutôt qu'elle est seule, comme moi et aussi parce que j'en ai envie.
Alors que d'habitude sa voiture passe pleine balle à côté de moi, cette fois, je perçois du coin de l'œil que comme le jour de la rentrée, elle ralentit. La berline s'arrête à ma hauteur après avoir roulé au pas et je l'imite. Intrigué, je ramasse mon skate et tire sur mes écouteurs, lorsque je remarque qu'elle baisse la vitre.
Attention, on dirait bien qu'elle va me parler. C'est une grande première.
J'approche, me penche et elle tente un sourire qui ressemble plus à une grimace. Au même moment, mon cerveau se lance dans une analyse. Ses mains sont crispées sur le volant, son regard est fuyant et son cœur bat à toute vitesse. Elle est stressée. Un peu gênée également. Franchement, il y a de quoi, moi aussi à sa place je voudrais me planquer dans un trou de souris.
— De base, j'étais pas trop pour, mais... enfin, ma mère insiste et...
Elle soupire et je ne peux m'empêcher de sourire en coin. Qu'est-ce qu'elle me fait, là ?
— Tu veux que je t'emmène ? finit-elle par lâcher d'une traite.
Cette fois, c'est moi qui ai l'air con. Je me fige, observe la carosserie, puis le siège passager, et déglutis péniblement. Au fond de moi, quelque chose bloque. Comme lorsque les Clark m'ont proposé de prendre leur voiture. Les doigts crispés sur le rebord de la portière, je secoue la tête. C'est plus fort que moi.
— Je préfère marcher, désolé.
Surprise, elle cligne plusieurs fois des yeux et opine.
— Je... Heu... D'accord.
Sans un mot de plus, je recule d'un pas, elle remonte le carreau et met les voiles. C'est pas encore aujourd'hui qu'on sera potes.
Embêté, je passe ma main dans mes cheveux et l'observe tourner à l'angle de la rue. J'ai beau creuser, je ne comprends pas. D'où me vient cette appréhension ? Cette trouille de monter en voiture ? J'ai bien tenté de fouiner dans mes souvenirs, je ne me rappelle même pas m'être déjà assis dans une caisse. Pourtant, il y a bien quelque chose qui cloche. C'est ancré en moi. Je le sais. Je le sens.
Lorsque je passe le portail du bahut, je donne une impulsion sur ma planche avec mon pied et la rattrape avec aisance. Des choses qui exigent une certaine d'agilité ne me demandent pas beaucoup d'efforts. J'ai aussi remarqué que j'avais pas mal de facilités à apprendre. Je vais pas m'en plaindre. Par contre, pour ce qui est des relations avec les autres, je galère. Comme si je n'avais jamais eu d'amis. Comme si je ne connaissais rien de tout ça. J'ai tendance à faire fuir parce que je suis trop rentre-dedans. Enfin, c'est le sentiment que j'ai. Le truc, c'est que je sais pas faire autrement. J'ai la sensation de devoir tout réapprendre. Je suis coincé dans ce corps et dans cet esprit. Étranger à tout ça. À moi. Je suis pas net. Il y a définitivement quelque chose qui ne va pas.
Blasé parce que je ne trouve aucune réponse à toutes les questions que je me pose, j'entre dans la salle de classe et remarque immédiatement ma voisine. Son regard s'accroche au mien le temps d'une seconde, puis elle me fuit. Encore. Faut dire que cette fois, c'est un peu ma faute.
Peut-être que je trouverai un moyen de réparer ça. Ou pas. Pourquoi j'y tiens tant finalement ?
Tout en griffonnant sur ma feuille, j'écoute d'une oreille monsieur Burns qui fait l'appel. Je lève la main avant même qu'il ne prononce mon nom. C'est devenu automatique. Il se lance ensuite dans un discours visant les étudiants les moins doués de la classe en mathématiques et annonce que des heures de soutien vont être organisés. Pas intéressé pour un rond, je continue à dessiner.
— Quelqu'un d'autre de volontaire pour dispenser quelques cours à mademoiselle Hill ?
Le nom de Marley m'arrache à mon occupation et je scanne la salle. Personne ne se propose alors que jusque-là les bons élèves le faisaient volontiers. Ma voisine se tortille à moitié sur sa chaise, gênée, et j'y vois là, une façon de me rattraper pour ce matin.
— Moi, je peux, affirmé-je.
Toutes les têtes se tournent vers moi. Faut dire que je l'ouvre pas souvent.
Le prof baisse le nez sur sa feuille et Marley me fusille de ses billes vertes. Est-ce que c'est parce qu'elle n'a pas du tout envie de bosser cette matière ? Ou bien c'est peut-être parce que c'est moi qui me dévoue ?
— En effet, monsieur Wells, les résultats de votre évaluation sont très bons. Si cela ne vous dérange pas et que votre camarade est d'accord, je vous inscris comme titulaire la concernant.
J'acquiesce, tandis qu'elle soupire et se ratatine sur sa chaise. Elle est dépitée et moi comme un con, ça me fait sourire.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro