Chapitre 4
Marley
Debout face à l'îlot de la cuisine, je dispose les quartiers de pomme sur la pâte en les plaçant au millimètre près. Mon côté maniaque et hyper organisé est présent quoi que je fasse.
Perdue dans mes pensées, je me repasse en boucle cette première journée de cours. Catastrophique. C'est le seul mot qui me vienne à l'esprit. Le voisin n'a pas arrêté de me regarder dans le seul but de me mettre mal à l'aise. S'il n'y avait eu que ça encore. Mais non, le prof de mathématiques a rajouté une couche. Devant toute la classe, il m'a rappelé à quel point je suis une quiche dans cette matière et qu'il va falloir que je me bouge pour remonter ma moyenne. Je savais plus où me mettre. Même s'il n'a pas tort, il aurait pu lâcher la bombe après le cours une fois tout le monde sorti.
— Chérie, tu m'écoutes ?
La voix de ma mère me tire de mes pensées et je lève le nez sur elle.
— Pas du tout. Tu disais ?
Elle soupire, pas surprise par ma franchise et désigne la maison des Clark par la fenêtre.
— Que tu devrais peut-être proposer au petit voisin de l'emmener le matin. Il n'a peut-être pas le permis.
Je ris nerveusement. C'est plus fort que moi.
— Ne te braque pas.
— Je me braque pas, c'est juste... compliqué.
— Compliqué ?
Je grimace et me remémore mon plongeon en plein milieu de la chambre, persuadée qu'en faisant ça il ne me remarquerait pas.
— Timy a tiré le rideau de ma chambre et le voisin en question pense certainement que je l'espionnais par la fenêtre.
— C'est le cas ?
— Non ! Oui. Peut-être un peu.
— Il te plait ?
J'écarquille les yeux et mes joues s'enflamment.
— Rien à voir ! Il m'intrigue. Enfin, je veux dire... il est là avec son ballon tous les soirs à viser encore et encore son panier.
— Tu passes tes soirées à lire, ricane-t-elle. Si les livres, c'est ton truc, pourquoi lui n'aurait pas le droit de jouer au basket ?
— Ça me déconcentre.
Elle m'observe du coin de l'œil et esquisse un sourire.
— Ça te déconcentre parce que tu es tentée de regarder ou parce que ça te perturbe dans ta lecture ?
Je la vois venir. Il ne lui faut pas grand-chose pour se faire des films. Là, en l'occurrence, elle se métamorphose en super productrice hollywoodienne.
— Ma petite fille connait son premier crush.
Et voilà, qu'est-ce que je disais... puis cette manière qu'elle a d'adopter le langage jeun's, comme elle dit, n'arrange rien. Elle me fixe, les yeux brillants, totalement convaincue que ça y est, je suis enfin amoureuse. Je ne l'ai jamais été et je suis loin de vouloir me lancer dans cette aventure. Non, vu ce qui me pend au nez, ça craint. Ça ferait aussi de moi quelqu'un d'égoïste.
— Blague à part, je me disais juste que ça fait déjà un an qu'on a emménagé ici et que tu ne t'es pas encore fait d'amis. Et comme lui aussi vient d'arriver...
— Je n'en ai pas parce que je ne veux pas. Ça ne servirait à rien que je m'en fasse.
J'ai bien essayé de dresser la liste des pour. Je n'en ai pas trouvé. À l'inverse, celle des contres, elle, n'a pas manqué d'arguments très convaincants.
Elle me scrute, les traits plus tristes cette fois et aussitôt, je culpabilise. J'ai horreur de la voir comme ça. De lui rappeler ce qu'il en est vraiment. Elle tente d'avancer, de rendre notre vie plus légère, et moi, souvent, je gâche tout.
— Désolé, maman.
Elle secoue la tête, puis me caresse la joue avec bienveillance.
— C'est rien. Je te comprends, Marley. C'est juste que j'aimerais que tu profites comme tu devrais le faire.
— Je sais et j'essaye, mais c'est pas évident. Tout me ramène à... ça.
Même donner un nom à la situation, à ce qui est arrivé, je n'y parviens pas. Je me contente de vivre avec et de l'accepter.
Elle acquiesce, soucieuse, puis comme la femme positive qu'elle est, et qui pense que tout finira par s'arranger, elle pointe le plat à tarte de son couteau.
— Tu comptes en faire une œuvre d'art ? ricane-t-elle.
Je lève les yeux au ciel. Bien souvent, mes manières à vouloir que tout soit nickel l'amusent et elle en profite.
— Tu savais qu'il ne porte pas le même nom qu'eux ? rebondis-je.
Elle me jette un coup d'œil, perplexe et à mon tour, je lui indique la villa des voisins.
— Jared. Il ne porte pas le même nom.
— Ho, Jared, c'est joli comme prénom, lâche-t-elle malicieuse, avant de glousser en voyant ma mine blasée.
Elle n'arrête pas une seconde. Parfois, on se demande de qui Timy tient son caractère, mais franchement, il ne faut pas chercher bien loin. Même si je suis, moi aussi, du genre survolté.
— Et ce jeune homme, il est comment ?
— Maman, ça devient gênant.
— D'accord, d'accord, j'arrête, sourit-elle, amusée.
Le dessert pour ce soir mis au four, ma mère s'attèle à la vaisselle tout en chantonnant et je l'écoute comme lorsque j'étais petite au moment de m'endormir. Quelques souvenirs remontent, ma gorge se noue, puis je reprends le dessus.
— Je sors les poubelles, annoncé-je.
Elle opine, reconnaissante, puis le sac à bout de bras, je rejoins la sortie.
Sur l'allée qui mène sur le devant de notre maison, je continue la chanson qu'elle avait commencée, tout en levant le nez pour observer les rayons du soleil qui filtrent à travers le feuillage des arbres. J'inspire, appréciant la chaleur sur ma peau, puis reviens sur terre et dépose le sac dans le conteneur.
Au moment où je pivote pour retourner sur mes pas, la porte des voisins claque. Jared apparaît, avec son ballon, le faisant rebondir tout en se dirigeant vers le panier accroché au-dessus du garage.
Lorsqu'il m'aperçoit, il se fige et j'en fais de même. Comme deux abrutis, nous nous toisons, puis le feu aux fesses, je détale.
— Salut, voisine.
Le pied sur la première marche du porche, je m'arrête et me tourne légèrement vers lui.
— Hey, voisin.
Comme une idiote, je lève en prime la main et lui adresse un petit signe.
Non, mais qu'est-ce que je peux être cruche ! Aussi rapide qu'une fusée, je mets les voiles, tandis qu'il se marre et je claque la porte d'entrée derrière moi. À peine refermée, je m'adosse au battant et m'insulte de tous les noms.
Si j'avais déjà l'impression de passer pour une débile, là, c'est le pompon. C'est pire qu'avant. Lui proposer de l'accompagner en cours après ça ? Même pas en rêve.
— À qui tu parlais ? me questionne ma mère qui traverse le couloir.
— Personne, c'était personne.
Elle sonde mon regard, suspicieuse, puis disparaît dans le salon.
— Juste moi et ma connerie. Quand on pense ne pas pouvoir faire pire, appelez Marley et elle vous prouvera le contraire, bougonné-je pour moi-même.
— Qu'est-ce qui a Chérie ?
— Rien maman, rien, soufflé-je avant de tracer à l'étage.
Dans ma chambre, j'avise la fenêtre et me fais violence. Ne pas tirer le rideau. Ne pas tirer le rideau.
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