Chapitre 2
Marley
Allongée sur mon lit, le nez plongé dans mon manuel de mathématiques, j'ai l'impression de loucher. Les chiffres se mélangent, se superposent et se transforment en un tas de signes incompréhensibles. Je n'y pigerai jamais rien.
Frustrée, je soupire et me demande comment les matheux font pour retenir toutes ses formules. Moi, je préfère la littérature. Écrire, lire, c'est mon truc. Depuis petite, je tiens mon journal intime et aux fils des années, ils s'accumulent sur mon étagère. Je reporte sur ces pages blanches tout ce qui me passe par la tête. Pour garder des souvenirs, pour immortaliser, pour extérioriser. C'est aussi une forme de thérapie. Un moment que je prends, important pour moi.
— Trois, deux, un ! Bonne année ! Chérie descend, tu viens de louper le décompte !
— J'arrive maman !
À contrecœur, je me redresse et me traine hors de ma chambre. À vrai dire, je ne vois pas pourquoi je devrais m'enthousiasmer à l'idée de fêter la nouvelle année. Seulement, ça leur fait plaisir, alors je fais l'effort. C'est comme ça tous les ans. Du moins, depuis ces trois dernières années. Avant, c'était différent.
En bas des escaliers, j'observe brièvement mes parents étreindre leurs invités pour leur souhaiter meilleurs vœux, puis mes pupilles s'arrêtent sur mon petit frère qui célèbre ce moment en compagnie de son doudou. J'esquisse un sourire, puis le rejoins.
Accroupie face à lui, j'ébouriffe ses cheveux et désigne monsieur glouton, l'éléphant qu'il trimbale partout.
— Tu lui as donné du gâteau ?
Timy hoche la tête, puis jette une œillade sur les personnes agglutinées dans le salon.
Il a toujours été très réservé et n'aime pas qu'on envahisse son espace. Comparé à moi, il va très peu vers les autres. Lorsque du monde se réunit à la maison, il reste souvent dans son coin.
— Pourquoi t'es pas venue ? me demande-t-il avant d'enfourner un morceau de cheesecake.
Je hausse les épaules et lui tapote le bout du nez avec mon doigt.
— J'avais pas trop envie.
— Toi non plus t'aimes pas qu'en y'a trop gens ?
Je ricane et secoue la tête.
— Non, ça me dérange pas. J'avais juste des révisions, feinté-je.
Pas la peine de lui expliquer pourquoi ça ne m'emballe pas plus que ça. Du haut de ses quatre ans, il aura bien le temps de le comprendre plus tard. Pour le moment, tout ce que je désire, c'est qu'il continue de rêver. Je veux continuer de le voir avec ces étoiles plein les yeux.
— Marley, vient, ma belle.
J'opine, pose un baiser sur le front de mon petit frère, puis file vers ma mère qui me prend dans ses bras pour me souhaiter une excellente année. S'ensuit tout un tas de meilleurs vœux de personnes que je connais plus ou moins, puis, en un rien de temps, je m'éclipse.
Aussitôt, des pas rapides résonnent derrière moi et la main de Timy se glisse dans la mienne.
— Tu me mets un dessin animé ?
Amusée parce qu'il profite que je me défile pour me suivre, je lui adresse un clin d'œil et instantanément, j'ai l'impression de lui décrocher la lune.
Dans ma chambre, j'allume la télévision, puis, tandis qu'il choisit ce qu'il veut regarder, le même bruit qui m'attire à la fenêtre depuis maintenant une semaine m'interpelle. J'écarte le rideau avec précaution, pour ne pas me faire surprendre et je l'observe.
Il y a sept jours, ce mec est arrivé à bord d'une berline noire aux vitres teintées. Depuis, chaque soir, ou devrais-je dire, chaque nuit, il se place face au panier de basket et enchaîne les lancers. Ses mèches ébène qui lui tombent devant les yeux, lui donnent un côté mystérieux. Je ne savais pas que les voisins avaient un fils. À moins que ce soit un neveu venu étudier dans le coin et qu'ils l'hébergent. Tout un tas de théorie fusent dans mon esprit depuis qu'il a débarqué et je passe pas mal de temps à l'observer.
— Qu'est-ce que tu regardes ? m'interroge Tim.
— Le voisin.
Tout en lançant son dessin animé, il me zyeute du coin de l'œil et sourit comme le diablotin qu'il est.
— T'es amoureuse ?
J'écarquille les yeux, pique un fard et secoue la tête.
— Non, juste curieuse.
Soudain, il se redresse, puis sans aucune délicatesse, écarte le voilage.
— Moi aussi je suis curieux, lance-t-il en observant en contrebas sans aucune discrétion.
Sans surprise, mon énigme quotidienne lève la tête vers notre carreau. Ni une Ni deux, j'attrape mon petit frère, me jette par terre avec lui afin qu'il ne nous grille pas et il éclate de rire.
— Timy, c'est mal poli de regarder comme ça.
— Bah et qu'est-ce que tu faisais toi ?
Je soupire piégée par le gamin malin qu'il est tout en restant à plat ventre pour remettre le rideau en place.
— Je regardais. Mais sans me faire voir.
— Ça veut dire que tu espionnes.
Je ris de bon cœur. Que répondre à ça ?
— Je croyais que tu voulais regarder un dessin animé.
— Oui, mais c'est plus drôle de te regarder toi.
Il a réponse à tout, c'est épuisant.
Lorsqu'il est enfin installé en tailleur sur ma couette, absorbé par l'écran, j'ose un dernier coup d'œil sur la devanture du garage de la maison voisine. Le beau brun s'est volatilisé. Voilà, on lui a fait peur.
Blasée parce que je ne pourrai pas le contempler aussi longtemps que les soirs précédents, je saisis mon journal intime, mon stylo fétiche et me cale contre la tête de lit.
Cher journal,
Aujourd'hui, on commence une nouvelle année. Je ne sais pas ce qu'elle me réserve et je ne suis pas certaine de vouloir le savoir.
Toujours est-il que ce qui devait arriver arriva.
Je viens de me faire griller en beauté. Ce mec ultra canon, dont je t'ai parlé, vient de me surprendre en train de le mater par la fenêtre. À l'heure qu'il est, il doit me prendre pour une folle. Je suis pas sûre d'assumer la rentrée. À tous les coups, avec le bol que j'ai, il va se retrouver dans le même bahut que moi. Voire dans la même classe. Peut-être que si je me teins en blonde, il ne me reconnaîtra pas. À méditer...
Perdue dans mes pensées, je repose mon journal et, attendrie, observe mon petit frère. Comme souvent, il s'est assoupi. Avec délicatesse, je le déplace puis remonte la couverture sur lui. Cette fois encore, il dormira avec moi.
Fatiguée, je m'éclipse pour enfiler mon pyjama tout en évitant de tourner en boucle ce qui s'est passé, puis me glisse à mon tour sous les draps. J'ai le temps d'y penser. Je ne reprends les cours que dans trois jours. Sauf que trois jours, ça file vite.
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