Chapitre 16
Marley
Dans ma voiture, devant chez moi, la marche arrière enclenchée, mon regard croise celui de Jared. Son expression me percute de plein fouet et je me fige. Sur le coup, il semble si perdu et terrifié que je fronce les sourcils. Poussée par mon instinct ou je ne sais quoi, mon corps décide pour moi. Je coupe le contact, ouvre ma portière et le rejoins. Tout le temps où mes pas me rapprochent de lui, ses billes rendues plus sombres par ce qui le tourmente ne me lâchent pas.
Lorsque je me plante face à lui, ce qui traverse ses iris me bouleverse au point que j'en oublie que si je ne me dépêche pas, je vais être en retard. Il réajuste son sac sur son épaule et je le fixe comme une idiote sans savoir quoi faire. Ou du moins, je n'ai aucune idée de comment lui demander ce qui cloche.
— Tout va bien ?
Parfois, je me mettrai des baffes. C'est évident que ça ne va pas. T'as vu la tête qu'il tire ? Plus ça va, plus cette petite voix m'agace. Elle est toujours là à en rajouter. Je n'ai pourtant pas besoin qu'on me rappelle que je suis maladroite. Une vraie calamité.
Comme s'il revenait à la réalité, son sourire habituel, mais qui, je le sais, cache quelque chose de plus profond, étire ses lèvres.
— Et toi ?
Répondre à une question par une autre. C'est devenu son passe-temps favori. Est-ce qu'il pense vraiment que ça prend avec moi ?
— Moi ça va, toi par contre, ça n'a pas l'air.
Il inspire et grimace. Ce qui le tiraille de l'intérieur m'atteint et me fait de la peine. Pourtant, il ne s'est encore jamais confié à moi. Je me demande ce que ce sera quand il le fera. Il réussit à me bousculer, alors que je me suis promis de ne laisser personne m'approcher
— C'est rien, c'est juste tout ça.
Il désigne tout ce qui l'entoure d'un geste, lui comprit et je l'examine, perplexe.
— Comment ça ?
Jared serre les dents, les muscles de sa mâchoire se contractent et il me fait presque flipper. C'est comme s'il était sur le point de perdre le contrôle, mais qu'il ne se le permettait pas ou ne pouvait pas.
— J'y arrive pas, putain ! explose-t-il.
Je sursaute et mon cœur tambourine contre mes côtes à un rythme complètement fou. Lorsqu'il s'aperçoit de mon mouvement de recul, ses traits se radoucissent et son regard s'emplit de tristesse.
— Je... désolé. C'est pas contre toi. Je suis paumé. Et quand j'essaye d'en parler, ça sort pas.
J'acquiesce, pose ma main sur son avant-bras et comme à chaque fois, sa peau fraiche m'interpelle.
— Tu as froid ?
Il secoue la tête, lutte de nouveau contre cette force inconnue et je l'encourage en lui d'un sourire bienveillant. Est-ce qu'il pense que je pourrais le juger, ou le laisser tomber ? Ce n'est pas mon genre. Et surtout, je suis bien placée pour savoir que quand ça ne va pas, c'est compliqué de se confier, peu importe la personne en face.
Il ouvre la bouche et je le fixe, pleine d'espoir. J'aimerais qu'il arrive à se livrer.
— Non, j'ai seulement... c'est... suis-moi. Je crois que, peut-être, si je te montre, tu comprendras.
Sans lui poser de questions, je lui emboîte le pas et avance à ses côtés. Au passage, il récupère son ballon qui traine dans l'allée et j'en oublie cette fois que j'ai cours. Est-ce que je suis sur le point de sécher ? Oui, totalement. Cependant, je pense que pour lui, pour l'aider, je pourrais faire beaucoup. Entre autres, aller contre la fille assez studieuse que je suis. Sauf pour les mathématiques, soyons honnêtes.
Lorsque nous passons les barrières du skate park, je lui lance une œillade curieuse et tout ce que je remarque, c'est à quel point il est anxieux. Qu'est-ce qu'il peut bien vouloir me montrer ici ?
Avec douceur, il saisit mon poignet pour m'emmener à la limite du terrain de basket et les muscles de sa mâchoire tressautent. Pourquoi j'ai la désagréable sensation que de me toucher lui coûte énormément ? Est-ce que lui aussi se refuse à se rapprocher de quelqu'un ?
— Bouge pas.
J'ai envie de lui dire que c'est si gentiment demandé que je ne vais pas oser. Pourtant, je ne le ferai pas. Pas alors qu'il est sur le point de s'ouvrir.
Il s'éloigne, je le suis des yeux jusqu'à ce qu'il se positionne à quelques mètres du panier et je lève un sourcil. S'il cherche à me convaincre à quel point il est doué, ce n'est pas la peine, j'en suis persuadée. Mes nombreuses séances d'espionnage m'en ont donné la preuve.
Il fait rebondir le ballon une fois, deux fois, puis sans surprise, il finit dans le cercle sans en toucher les bords. Jusque-là, rien d'étonnant.
— Jared, je sais que tu...
— Regarde, me coupe-t-il.
Je m'exécute, ferme la bouche et me tais. Il recule plus loin, vise et marque de la même façon. J'avoue que c'est impressionnant à cette distance. Mais pour avoir déjà vu des matchs, il ne réalise rien d'impossible.
— Si tu tentes de me prouver que tu es un prodige, je te crois, tu n'as pas à le faire.
Il esquisse un sourire et mes lèvres s'étirent en retour. Il aime que je le pousse, le cherche et lui tienne tête.
— Tu veux voir à quel point ?
Prise au dépourvu, j'acquiesce sans rien ajouter et l'observe prendre de la distance. De là où je me trouve, j'estime qu'il est à au moins soixante mètres. Ça devient presque impossible qu'il parvienne à ne serait-ce que toucher le panier.
Une fois qu'il juge que c'est assez, il s'arrête, le fixe et prend à peine le temps de viser avant de tirer. La respiration sur pause, je ne lâche pas le ballon qui s'élève dans une trajectoire parfaite jusqu'à ce qu'il finisse dans l'arceau, sans même le frôler.
Bouche bée, je bugue complètement, les pupilles rivées sur le ballon qui rebondit sur le terrain. Prudent, comme si je pouvais me mettre à détaler à tout moment, Jared me rejoint et sonde mon regard.
— Dis quelque chose.
Ses orbes soucieux braqués sur moi me supplient et je me force à reprendre contenance.
— C'est un truc de dingue.
— Le record du monde est de trente-trois mètres et quarante-cinq centimètres... Marley, je... je viens de le...
Il bloque tout à coup et lutte de nouveau contre cette force invisible qui donne l'impression qu'il n'est pas libre.
— À vue de nez, tu l'as doublé, complété-je.
Il se contente d'acquiescer en me faisant comprendre qu'il ne peut pas faire ni m'en dire plus et mon cerveau commence à turbiner. À chercher une explication logique à ce qui vient de se dérouler sous mes yeux. Il est doué pour le basket, certes. Seulement, ça, même un champion de la NBA ne serait pas capable de le réaliser. Toutes les théories les plus folles passent dans ma tête et mon âme de lectrice, dévoreuse par période, de romances fantasy, déduit tout un tas de choses délirantes. J'essaye de rester rationnelle, pourtant, je ne peux ignorer ce truc complètement fou.
Au plus profond de moi, j'ai cette sensation depuis un moment, que Jared est un être à part et exceptionnel. Je mettais ça sur le fait que je le trouve sexy, intelligent, drôle et tout un tas d'autres adjectifs valorisant. Il faut croire que ça ne tient pas qu'à ça. Aujourd'hui, je mettrais même ma main à couper que je suis loin du compte. Reste à savoir à quel point.
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