CHAPITRE 6 : Yggdrasil, la voie des Arches 2/8
Gwendall
Afanen ouvrait la marche, accompagné comme il le souhaitait par ses frères Gwendall et Tempo. Il ne pouvait s'empêcher de remuer sa bouche avec nervosité comme s'il mâchait chaque mot, coincé contre la frontière que formaient ses lèvres. Il voulait leur montrer l'Arche, et espérait que leurs conseils aboutiraient à une solution voire des réponses à ses questions.
Tempo et Gwendall suivaient dans un silence accablant, tous deux la une mine tendue. Ils enjambaient les marches d'un pas rapide.
La tour était haute et le chemin jusqu'à l'Arche était long. L'escalier en colimaçon plongeait dans l'obscurité, vers des abysses froids et humides. Un halo gris pâle enveloppait les Arcanes, de plus en plus faible, de plus en plus sombre. Ils étaient presque arrivés quand Afanen s'arrêta, une main sur le ventre. L'Empereur commença comme un chuchotement :
— Puis-je vous faire entièrement confiance ?
— Bien entendu, frère, se précipita Tempo.
Gwendall hocha la tête et cligna des yeux. La loyauté de l'étoile n'avait pas besoin de mots. Afanen prit une grande inspiration.
— J'attends de vous un esprit critique et de l'honnêteté. Nous pensons tout savoir sur elle, mais il n'en est rien. Ce que vous allez voir peut remettre en question nos croyances, notre rôle et peut-être même notre existence.
— C'est à ce point ? demanda Tempo.
L'Arcane affichait un sourire triste, comme à son habitude il semblait dans la retenue, mais ses lèvres frétillaient d'excitation. Pour Tempo, l'activation des Arches était un doux stimulant qui rompait avec la monotonie de la vie à la Tour.
— Ne le sentez-vous pas ? L'air bourdonne, une sensation qui s'imprime dans notre cœur. Un voile obscur qui tente de passer, qui veut s'emparer de nous. Je devine le froid des glaces et les flammes du chaos. Un tambour cogne ici ! déclara Afanen en tapotant son torse.
— Je ne sens rien, mon frère. Montre-nous l'Arche et je te dirais ce que me dicte la raison, répondit Tempo en humant l'air.
Tempo ne ressentait rien. Gwendall le crut difficilement, car tout comme Afanen, des tambours martelaient sa poitrine. Il respirait le soufre des flammes et le fer glacé. Une ombre tentait de se projeter et cela le pétrifiait. Comment Tempo pouvait-il y être imperméable ?
En passant le rideau végétal qui fermait la porte de la salle de l'Arche, Gwendall se remémora la première fois où il avait visité l'immense édifice. La tour avait été construite autour de l'architecture mégalithique. De larges pierres reposaient les unes sur les autres formant une haute arcade. Les runes qui jadis étaient de simples cicatrices dans la pierre scintillaient de bleu.
Il connaissait la signification de certaines, mais pas de toutes. Peut-être un jour l'avait-il su ? Les Arcanes et leur mémoire mitée restaient un mystérieux secret.
Il leva la tête pour scruter le ciel et se souvint comment il paraissait si lointain vu du bas de la tour. Le cercle azur était traversé par quelques nuages. Ce soir, le ciel de Yggdrasil bénirait encore toute vie, déversant le mana. Tous accueilleraient le céleste don. Tous, sauf les Arcanes ; leur pouvoir s'affranchissait du besoin de ressourcer leur magie. Leur capital ne semblait pas lier aux phénomènes des solstices.
Sa vision se troubla dans un vacillement. Les parois de la tour donnaient l'impression de bouger, agrandissant et rapetissant le cercle apical qu'elles formaient. Le bourdonnement commençait à lui fournir le tournis, Afanen aussi paraissait subir le désagrément.
Tempo, comme immunisé, avança sans hésiter, et posa sa main sur une rune, ᚱ, Reið. Gwendall se souvint de sa signification : chevauchée ; non, c'était voyage. Une autre scintillait au centre de la voûte, ᚢ, c'était Úr qui désignait eau. Sur la pierre voisine brillait un symbole qu'il ne connaissait pas. Deux traits parallèles se rejoignaient par deux tirets obliques se projetant vers l'intérieur, ᛗ. Tempo brisa le silence :
— Afanen, quel est ce signe ? Il ne me dit rien.
— Il veut dire Mannaz, dit automatiquement Gwendall.
Afanen se tourna vers Gwendall qui venait de réagir.
— Oui, Gwendall. Il signifie Mannaz, répéta-t-il avec douceur.
— Comment puis-je le reconnaître ? Je ne le savais pas avant de répondre. Que veut dire Mannaz ? bafouilla Gwendall.
— Tu te remémores, car elle a été réactivée. Je pense que nos souvenirs y sont liés, peut-être reviendront-ils si la situation perdure, dit Afanen.
— Pourquoi je ne me rappelle pas, mes frères ?
Tempo semblait contrarié. Une pointe de jalousie flambait dans ses pupilles. Ses frères apparaissaient tiraillés par une aura invisible. L'Arche brillait, à ses yeux c'était la seule anomalie qu'il décelait.
— Je n'ai pas la réponse, mon ami.
Le vieil Arcane se plaça au milieu de la pièce, examina le centre de l'Arche puis se retourna vivement en déclarant :
— Homme ! Cette rune est celle de l'homme. Elle représente Mannheim.
— C'est d'où vient la chose qui veut passer ? interrogea Tempo.
— Peut-être. Je n'en suis pas sûr. Ce qui me trouble c'est l'aura sombre qui s'en dégage. Nous devons contacter les Alfes et examiner leur Arche. Gwendall, tu as bien dit qu'ils y ont envoyé leur mage ?
— Oui, ils y ont dépêché leur mage, le fils de Thuin.
Afanen souffla de mécontentement et Tempo tiqua franchement avant d'y mettre son grain de sel.
— Ce n'est pas une bonne idée. Cet Alfdarh pourrait bien en faire part à son roi. Il n'aurait pas tort, cela affaiblirait Alerina et serait un atout pour Itô. Imaginez les Alfes ne maîtrisant pas leur Arche, envahis par des humains, une aubaine pour ces fourbes. Ils pénétreraient la frontière en un rien de temps pour récupérer leur précieux marais aux brumes. Les clans des Kokas et des Rurus n'attendent que ça. Que peuvent-ils lui trouver à ce marais ?
Gwendall savait que le choix de la reine leur déplaisait. Mais le jeune mage était fiable, il s'en portait garant.
— Toth est une personne de confiance. Sa position est délicate, mais son père l'a élevé dans l'honneur du Vaïo'ra, il ne trahira pas Alerina et Galindor. De plus, Itô est un sage, il tient ses clans. J'imagine mal le roi alfdarh laisser les Kokas et les Rurus mettre en péril la paix chèrement acquise. Je sais que tu ne les apprécies guère, Tempo. Mais les Alfdarhs ne risqueraient pas de placer Yggdrasil dans une situation de faiblesse, surtout si cela concerne les Arches. La question à laquelle nous devons répondre est simple. Qui désire passer et que nous veut-il ?
Afanen acquiesça les paroles de Gwendall. Si des hommes souhaitaient traverser les voies des Arches, les Arcanes devaient découvrir leur motivation, mais aussi par quels moyens. Ils se souvenaient que les hommes ne possédaient pas le pouvoir conféré par la grâce du mana. Tout ceci était de plus en plus troublant.
— Que savons-nous exactement des hommes ? demanda-t-il.
Tempo avait étudié les textes qui y faisaient référence. Les hommes étaient venus puis avaient disparu. Dans sa mémoire, Afanen suspectait que leur présence était liée à la Grande Guerre d'Yggdrasil. Mais comme un songe qui s'effrite lors du réveil, le souvenir était flou.
— Les hommes sont des mythes. Tout le monde en parle, mais qui en a déjà vu ? Les Alfes racontent que leurs drakkars voguaient sur Elivagar semant cendres et sang. Les Alfdarhs pensent qu'ils sont des démons ayant perdu la grâce d'Yggdrasil.
Gwendall fut assailli par une vision, des Arcanes se tenaient au pied d'une Arche, en demi-lune autour d'un groupe d'humains qui disparaissait en la traversant. Ses frères avaient le visage fermé et Gwendall éprouvait de la peine et de la désolation. C'était des adieux. Ces humains n'étaient pas des ennemis. Que voulait dire ce mirage ?
— Je pense que nous en avons rencontré, mais que nous ne nous souvenons pas, déclara Afanen.
Gwendall croisa son regard, ils venaient tous deux d'avoir la même vision.
— Assez ! Tu es en train de me dire que la mémoire vous revient ? railla Tempo, amer.
— Tempo. Tout ici nous montre que les temps vont changer. Ne sois pas aigri si tu ne le ressens pas encore. Cela arrivera.
— Cette visite ne sert à rien. Nous tournons en rond...
Tout à coup, le bourdonnement devint une plainte aiguë assaillant douloureusement les Arcanes. Ils se plièrent en deux les mains sur leurs oreilles. Seul Tempo ne semblait pas affecté.
Ce dernier pénétra dans l'eau que surplombait l'empilement de roches. Un filet s'extirpa de la masse du bassin pour monter vers le ciel. Le centre de l'Arche prit une teinte anthracite, une onde régulière rythmait la pulsation qu'émettait la surface grise. Toujours hypnotisé, l'Arcane de la raison essaya de saisir le liquide qui grimpait un fil invisible.
L'onde qui remuait au milieu de l'Arche s'accéléra. Une main en sortit. C'était un signe, si Tempo n'était pas réceptif, il devait être une sorte d'élu, une exception. Le sort le choisissait pour qu'il prenne la situation en main, lui, le raisonnable.
— Mes frères, regardez ! exulta Tempo.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro