CHAPITRE 2 : Yggdrasil, le murmure du passé 3/7
Alerina
« L'arche s'est activée ! »
L'effroi les avait saisis.
Galindor, le seigneur d'Alfheim, alarmé, chamboulé, se tenait debout sur son balcon royal, une terrasse perchée au-dessus de la cour intérieure, où leur suite spéculait sur le choix des couleurs et des mets qui orneront le banquet du solstice. Ses mains, posées sur la balustrade en marbre blanc, tremblaient involontairement. Les pans éthérés de sa robe de soie voletaient autour de ses sandales d'or blanc. Ses longs cheveux argentés brillaient sous le soleil et intensifiaient l'aura spectrale du souverain. Ses iris améthyste se figeaient sur le lointain, au-delà des jardins royaux, au-delà des plaines fertiles de la Breidie, au-delà des Bois verts et du marais aux brumes, vers l'espoir de trouver l'aide dont il allait avoir besoin. Une ride barrait son front d'habitude lisse.
Alerina devinait les pensées agitées de son époux.
Les mots de Dame Fabiola réveillaient une peur ancestrale, une promesse obscure. L'Arche n'avait aucune raison de s'activer toute seule. Quoi qui l'avait réveillée, c'était en dehors de leur monde, au-delà d'Yggdrasil, et de...
« Elivagar... », prononça Galindor.
La reine referma les lèvres, son bien aimé venait de leur voler ces sinistres syllabes. Un murmure du passé, une légende qu'on fait tenir au coin des feux les plus sombres. À ce seul nom, leur cour entière cessa le bruissement continu des conversations. Alerina lui jeta un regard mêlé de compassion, de peine et d'appréhension. Elle s'approcha de lui.
Qu'elle admirait ce seigneur alfe qui s'était battu pour ramener la paix en Yggdrasil ! Galindor était plus que son roi, plus que son amant, il était son rempart, son protecteur ; avec l'aide des Arcanes, il avait restauré la lumière et apaisé les royaumes. Alerina se souvint de la première fois où elle l'avait rencontré. Dans son armure d'or, il avait posé le genou à terre et avait imploré que la folie cesse. Que le peuple d'Yggdrasil arrête de s'entre-tuer. Ce jour-là, elle l'avait aimé et suivi — pour l'éternité, lui avait-elle promis.
— Époux. Je sais bien à quoi vous pensez. Prononcer ce nom peut apporter malheur à notre maison. À notre royaume. Même pire, à Yggdrasil. Avant de foncer tête baissée, ne devrions-nous pas envoyer un émissaire sur place afin d'avérer les dires de dame Fabiola ?
Elle prit la main tremblante de Galindor, la serra fort, avec l'espoir de rassurer son époux. Elle lui envoya l'image d'un sourire radieux sous un soleil chaud, l'odeur du jeune sapin de son comté d'origine, celle qui avait vu naître et grandir Galindor, le Valeureux. Le roi se détendit, ses oreilles s'affaissèrent, son tendre sourire plissa ses yeux, sa pupille verticale s'élargit.
— Ma tendre Alerina, fille de l'étoile céleste qui protège la Source. Cœur de mon cœur, chair de ma chair. Sang de Valandil. Mère de tous.
Elle secoua la tête, un agacement enfantin, une fausse modestie. Elle le connaissait assez pour savoir que lorsque son époux énoncer ces titres et surnoms dithyrambiques, c'était pour lui faire part d'une idée qui n'allait certainement pas lui plaire. Il lui caressa les tempes, elle le laissa continuer.
— J'entends vos sages paroles. Envoyons Toth avec Dame Fabiola examiner l'Arche. Il saura quoi faire, s'il s'agit d'une manifestation mineure ou... ou si nos craintes se confirment. Cependant, je pense que nous devrions en informer les rois de Dweorg et d'Alfdarheim... Ainsi que les Arcanes, termina difficilement Galindor.
La reine frôla la joue du roi, ses doigts fins parcoururent sa peau diaphane, sous le soleil elle tirait sur le bleu ciel. Elle souffla délicatement, puis elle détourna le regard sur l'horizon, comme l'avait fait son époux plus tôt.
— Laissons Dweorg et Alfdarheim loin de cette affaire. Si c'est une fausse alarme, cela nous rendra fragiles à leurs yeux. Souviens-toi qui nous a fait la guerre, il y a un millénaire. Ne jamais faiblir face à nos voisins. Même si nous sommes alliés aujourd'hui, n'oublie pas qui nous a affrontés... Pour ce qui est des Arcanes, je m'occupe de Gwendall.
Galindor recula involontairement à la mention de l'Arcane. Elle sentit le cœur de son bien aimé s'étreindre. À chaque fois, il en était ainsi, lorsqu'elle prononçait le nom de celui qui l'avait pratiquement élevée. Lors de la Grande Guerre, sa famille fut anéantie par les Alfdarhs. Elle était l'ultime héritière du trône d'Alfheim. Du sang de Valandil, mais jeune et inexpérimentée, elle s'était plongée dans la folie meurtrière de la guerre. Pour venger sa lignée, elle avait rejoint la lutte et poursuivi les combats. Cependant, elle ne se souvenait plus quelles discordes avaient commencé les hostilités. D'ailleurs, personne ne se souvenait réellement de ce qui avait déclenché ces années d'infamie.
Gwendall l'avait prise sous son aile, pansant ses blessures de l'âme. Il lui apprit à faire la paix et à régner dans la douceur. Il l'avait persuadée de recevoir ce jeune seigneur aux manières simples, venu du comté de Limgled. L'officier d'à peine mille ans avait parcouru les royaumes pour offrir la réconciliation. C'était ainsi qu'elle avait rencontré son futur époux, Galindor. L'Arcane et Alerina entretenaient une relation particulière. Gwendall était l'unique figure paternelle dans son monde qui l'avait laissée orpheline. La reine connaissait le vieil Arcane mieux que quiconque en Yggdrasil. Lui saurait quoi faire si l'Arche était bien activée.
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