Yellow Boy
Kageyama Tobio se leva en songeant qu'une belle journée s'annonçait.
La coupe du monde 2019 s'était achevée quelques jours plus tôt, et le Japon s'était classé quatrième –un score particulièrement honorable, et Tobio, en tant que passeur titulaire (du moins se plaisait-il à le dire ; la vérité étant qu'il partageait ce titre avec Miya Atsumu), était particulièrement fier de la performance de son équipe.
Il avait pu profiter de quelques jours de repos pour décompresser de l'événement mondial, même s'il n'avait pas eu à partir très loin ; et les volleyeurs de l'équipe japonaise reprenaient du service dès le dimanche suivant avec le premier match de championnat.
L'équipe de Tobio, les Schweiden Adlers, retrouvait en effet le chemin de l'entraînement au plus tôt, bien décidée à tout rafler cette année encore et visant le cinquième titre de championne de V-League consécutif. Après tout, au vu de leurs capacités individuelles et collectives, il serait absurde de croire qu'ils pourraient perdre sans même un tie-break.
Si Kageyama estimait que ce serait une bonne journée, c'était aussi parce que son petit-ami, accessoirement champion des Adlers, et encore plus accessoirement champion de l'équipe elle-même championne du monde, revenait à Tokyo. Nicolas Romero, représentant de l'équipe nationale du Brésil fraîchement médaillée d'or, avait en effet renouvelé son contrat avec les Adlers pour la saison 2019-2020 –autant parce qu'il y était particulièrement bien payé que parce qu'il s'était entiché de Tobio qui jouait là, ce qui était tout à fait réciproque, même en partant du postulat que tous ceux qui côtoyaient Romero tombaient sous son charme.
Nicolas avait un peu délayé son retour à Koganei pour passer encore quelques jours avec ses coéquipiers brésiliens avant qu'ils ne repartent dans leurs ligues respectives, et afin de célébrer leur victoire comme il se devait –c'est-à-dire pas loin du coma éthylique, supposait Kageyama. Dans tous les cas, Tobio avait décidé d'aller le chercher à la gare, et il dansait d'un pied sur l'autre en attendant son arrivée. Nicolas avait dit qu'il avait une surprise pour lui, et venant de sa part, ça pouvait être tout et n'importe quoi, aussi bien trois fleurs cueillies sur la route qu'une voiture de luxe. Au fond, le cadeau intéressait peu Kageyama –c'était surtout l'occasion de passer du temps ensemble après les semaines de compétition, et c'était ce qui importait.
Le train arriva, et bientôt la foule envahit le hall de la gare. Tobio essaya de repérer Romero dans la masse humaine, mais ne l'aperçut nulle part, même lorsque la densité décrut un peu. Il sortit son téléphone, pianota un instant avant de se tâter à l'appeler directement, et venait de lancer l'appel quand une main se posa sur son épaule, accompagnée d'une voix à l'accent brésilien clairement reconnaissable :
-Tobio ! Je suis juste là !
Kageyama se retourna, un sourire fleurissant déjà sur ses lèvres, prêt à être accueilli par le visage enjoué de son petit-ami.
Sauf qu'à l'instant même où il saisit son image, son sourire se figea, ses yeux s'écarquillèrent, et il resta glacé d'horreur.
*
-Je peux pas le croire, Nicolas. Franchement, qu'est-ce qui t'es passé par la tête ? Non, ne réponds pas.
Romero éclata de rire, et au fond de toute sa révolte, Tobio fut un peu touché par ce son contagieux et foncièrement joyeux.
-Tu m'énerves, s'écria-t-il plutôt en oubliant cet instant de faiblesse. Franchement ! Sortez avec des trentenaires, qu'y disaient... des hommes matures, qu'y disaient... et là, quoi ? Je dois assumer tes erreurs de gamin ? Je sais même pas pourquoi je te laisse dans mon appart !
-Mon cœur, tu n'en fais pas un peu trop ? demanda tranquillement Nicolas.
Kageyama lui lança un regard noir qui ne fit qu'élargir le sourire de Romero.
La raison d'une colère si intense, d'une ire si brûlante ? Nicolas avait-il eu l'audace de se présenter à lui couvert de suçons, ou avec un œil au beurre noir ? Que nenni. Kageyama serra les dents :
-Qu'est-ce qui t'a pris de toucher à tes cheveux... ?
Nicolas saisit une de ses mèches entre deux doigts et la lissa distraitement, le tout pour qu'elle ondule encore davantage quand il la relâcha. Une mèche qui aurait dû être d'un brun sombre, presque noir aux reflets plus clairs, mais qui, en l'occurrence –et là était la source d'irritation de Kageyama- était complètement décolorée en blond.
-C'est une idée qu'on a eue, s'enthousiasma Nico sans se départir de sa bonne humeur. Avec l'équipe, on s'était dit qu'on se décolorerait tous les cheveux si on était champions du monde. Comme ça, on serait assortis à la médaille !
-C'est débile, lâcha Tobio.
-Mais non, tout le monde l'a fait ! Et Bruninho et Lucão l'avait déjà fait à Modène il y a quelques années, c'est commun !
-Tout le monde l'a fait, répéta Kageyama exaspéré. Alors si ton équipe commence à fumer de la drogue, tu vas le faire aussi ?
-Tobio, tu parles comme ma mère.
-Parce qu'ils se sont teints en blonds, tu devais le faire aussi ?
-Pardon, mãe.
-Des surprises comme ça, tu te les gardes !
Nico eut l'air déçu, et se mit à faire la moue sans cesser de toucher à ses cheveux, lui-même fasciné par leur pâleur inhabituelle. Tobio soupira, et se laissa tomber dans le canapé, jetant un œil aux boucles blondes pour détourner aussitôt les yeux.
-Ce n'est pas possible, murmura-t-il. Nicolas, je ne peux pas sortir avec... un blond.
-Pourquoi pas ?
-Parce que les blonds sont tous des connards, c'est bien connu ! s'emballa Tobio. Tsukishima est blond ! Miya est blond ! Oikawa est sûrement blond à l'intérieur ! Les blonds, c'est...
-C'est juste une couleur de cheveux ? suggéra Romero en haussant un sourcil, dernier témoin avec sa barbe de sa couleur naturelle.
-C'est le MAL, chuchota Tobio en plongeant le visage dans ses mains. Tu veux vraiment me rappeler de mauvais souvenirs ?
Romero lui tapota l'épaule avec compassion :
-Je ne savais pas que tu avais du PTSD sur les cheveux blonds, mon chéri. Je suis désolé.
Kageyama inspira, et lui jeta un coup d'œil. Les cheveux étaient complètement décolorés des racines jusqu'aux pointes, la teinte à peine plus soutenue que le blond platine. Ça changeait complètement le visage de Nico, le rendait si possible encore plus lumineux –et c'était clairement déstabilisant. Tobio détourna les yeux en étouffant un gémissement :
-Tu sais qui se teint les cheveux en blond ici, Nicolas ? Les cassos !
-Comme Atsumu ?
-Oui, c'est le meilleur exemple ! Lui, le coach Ukai, le joueur agressif d'Aoba, le capitaine de Jozenhji...
-Je les connais pas, fit remarquer Nico.
-Eh bien tant mieux ! s'écria Tobio. Ce ne sont pas des gens fréquentables !
Il pinça l'arête de son nez, désespéré. Les images du coach Ukai et de Terushima flashaient dans sa tête, et il ne put s'empêcher d'ajouter, amer :
-Et après, ce sera quoi ? Un piercing ?
L'expression de Nico s'illumina :
-Ça peut être une bonne idée pour si on gagne les Jeux Olympiques cet été !
Tobio s'immobilisa de nouveau, horrifié, et Romero se dit qu'il était peut-être temps d'arrêter ce débat.
*
Nicolas et ses cheveux blonds étaient restés dans le salon, et Tobio s'était réfugié dans sa chambre. Il faisait défiler les dernières photos de l'équipe du Brésil, fixant avec des yeux vides les visages souriants, arborant tous la même chevelure peroxydée. Un journaliste avait même fait un article sur eux, et il se demanda comment il avait pu le rater. Au moins, il aurait pu s'y préparer avant.
Il revint dans le salon avec la drôle d'impression qu'un étranger était assis dans son fauteuil, et déclara :
-Nicolas, ça ne va pas le faire. Recolore-toi les cheveux en brun. J'ai juste à appeler Miwa, elle viendra te le faire, proprement. Ou rase-toi la tête, je ne sais pas, mais fais quelque chose...
-Ah mais non, protesta Romero. C'est le défi ! Et puis, ça va repousser vite...
-Pas assez vite, insista Tobio. Non, vraiment, ça fait trop bizarre.
-Ça ne me va pas ? déplora Nicolas sans cesser jouer avec ses mèches.
-Non. Ça ne va pas avec ton teint, ça ne va pas avec ta barbe, ça... ça ne va pas.
-J'aime bien, moi.
Ils se fixèrent un long moment.
-Nicolas, on ne va pas tomber d'accord.
-Non, Tobio, en effet.
-Alors qu'est-ce qu'on fait, Nicolas ?
-On ne va quand même pas faire un break juste pour mes cheveux, Tobio ?
Kageyama soupira :
-Non, bien sûr que non. Il y a des solutions moins extrêmes. Si... si tu veux bien porter ça.
Il tendit à Romero un bonnet Schweiden Adlers, blanc, bordé de doré, au pompon bleu, et orné de leur aigle traditionnel.
-Tu veux que je porte un bonnet à l'intérieur ?
-Oui. Pour cacher tes cheveux, c'est exactement ça.
-Tu fais un drame pour rien, soupira Nicolas en s'emparant du bonnet. T'imagines, quand j'aurai des cheveux blancs ? Ou une calvitie ? Je vais devoir me greffer un bonnet sur le crâne ?
Tobio ne répondit pas, et ne le lâcha pas des yeux avant que Romero ait enfoncé le bonnet sur sa tête. Kageyama se chargea lui-même de rentrer toutes les petites mèches sous le bonnet ; et quand plus aucun cheveu blond ne fut en vue, il soupira de soulagement et accorda un baiser à Nico, le premier depuis qu'ils s'étaient retrouvés.
-Bon, quelques semaines à tenir, essaya-t-il de se rassurer. Avant que je retrouve mon petit-ami habituel.
-Je suis toujours le même, tu sais.
Romero passa une main le long de sa barbe, l'air de réfléchir, et une petite lumière s'alluma finalement dans ses yeux :
-Je sais ce qui ne va pas. T'inquiète pas, mon cœur, demain, ce sera réglé.
Kageyama espéra qu'il appellerait Miwa pour retrouver sa couleur originelle ; dans tous les cas, Romero garda le bonnet toute la soirée et ne l'enleva que lorsqu'ils furent dans le noir complet pour dormir. Par peur de toucher ses cheveux, comme si la couleur allait souiller ses mains, Tobio préféra ne pas initier de câlins.
Le lendemain matin, quand il se réveilla, Kageyama trouva le lit vide et entendit de l'eau couler. Il se redressa avec espoir : peut-être que Nico enchaînait les shampoings pour faire partir ce vilain blond décoloré ? Il priait pour que le bon sens soit revenu dans le cerveau de son petit-ami, et il se dirigea vers la salle de bains pour voir ce qu'il en était.
Quand il ouvrit la porte, il manqua de hurler.
*
Tobio était figé dans l'embrasure de la porte comme devant une scène de crime.
Un gars torse nu, grand, musclé, blond, debout devant le lavabo.
Dans le bac de céramique, de petits poils épars.
Dans la main de l'homme, un rasoir.
Des joues imberbes.
-Hey, salut docinho, sourit l'homme, et ses dents blanches ressortirent contre sa peau rasée avec une incroyable netteté.
Tobio fit un pas titubant vers lui.
-Ni -Nicolas ?
-Qui d'autre ? pouffa celui qui, bien qu'il ne lui ressemble plus en rien, devait bien être Nicolas Romero. T'as vu ? J'ai trouvé. La barbe et les cheveux n'étaient pas assortis. Maintenant, tout roule !
Kageyama avait l'impression qu'on lui avait aspiré la moitié de son âme. Où était son latino viril ? Où était son beau DILF brun ? Il y avait erreur. Le vrai Nico devait toujours être à Rio de Janeiro, il lui avait envoyé son clone ou son frère-jumeau-dont-Tobio-ne-connaissait-pas-l'existence pour faire une farce. Kageyama ne voyait pas d'autre explication.
-T'aimes bien ? demanda Nico en se mirant sous tous les angles. Tu me filmes pour mettre sur Insta ?
Tobio ne répondit pas. Il tendit une main timide, et du bout du doigt, toucha sa joue lisse.
-J'ai l'impression d'être hétéro, murmura-t-il.
-Je te rassure, mes attributs sont toujours là, assura Romero. Enfin, c'est vrai que t'as pas vérifié hier. Pas comme si je venais de passer plus de trois semaines d'abstinence, que j'étais bourré d'hormones de victoire et que j'étais salement en manque.
Kageyama ne releva pas. Sa libido avait disparu aussi promptement que la couleur dans les cheveux de Nico. Elle serait probablement revenue s'il avait daigné regarder tout ce qu'il y avait d'autre chez son copain que ses caractéristiques capillaires, mais il avait été trop troublé pour y accorder de l'attention. Il soupira :
-Nicolas, en plus d'avoir l'air d'un délinquant, tu ressembles à un ado. Personne ne va te prendre au sérieux.
-C'est parce qu'il ne faut pas prendre la vie au sérieux, Tobio ! s'extasia Nico en lui assénant une claque dans le dos. Allez, j'ai hâte de voir la tête des gars des Adlers !
Il rinça le lavabo et s'appliqua de l'après-rasage en chantonnant pendant que Tobio le regardait avec des yeux morts, déplorant l'instabilité pilaire de son petit-ami. Il tenta de lui refiler le bonnet avant de quitter l'appartement, mais Romero le repoussa en riant, et ils sortirent côte à côte dans la rue pour se rendre à l'entraînement -Kageyama mortifié, gardant ses yeux rivés sur le sol.
-Ça t'amuse ? finit-il tout de même par lancer avec humeur, sentant le regard de Nico peser sur lui.
-Oui, susurra Romero.
-T'as pas pensé au reste ? A ta famille ? Rubens ne va pas te reconnaître, il va croire que son papa l'a abandonné...
-Rubens m'a vu avec mes cheveux actuels, et il a trouvé ça trop cool. Il m'a demandé de faire roux la prochaine fois, pour ressembler à Ninja Shouyou.
Kageyama crut qu'il allait s'étouffer.
-!!!
-Ne t'inquiète pas, c'est pas prévu, le rassura Nico avec bonne humeur.
Kageyama resta tout de même secoué de cette potentialité jusqu'à ce qu'ils arrivent au gymnase, et il craignait le pire en ouvrant la porte des vestiaires et en se faufilant jusqu'à sa place, désireux de ne pas apparaître à côté de Romero pour son entrée triomphale :
-Salut tout le monde ! s'écria joyeusement Nico en ouvrant les bras.
Les Adlers se tournèrent vers lui, et divers degrés de choc se peignirent sur leurs traits.
-Bonjour, répondit Ushijima sans se troubler. Tu viens faire les tests pour rejoindre l'équipe ?
Nico cligna des yeux.
-Non ? Wakatoshi ?
-Cette familiarité est un peu précoce, mais je suppose qu'entre futurs coéquipiers, elle est acceptable. A quel poste joues-tu ?
-BOUAHAHAHA ! hurla alors Kourai. Il NE RECONNAIT PAS NICOLAS !
Les Adlers se mirent à rire de bon cœur tandis qu'Ushijima restait impassible et que Kageyama voulait disparaître sous terre.
-Nicolas a les cheveux bruns et de la barbe, déclara Ushijima en se tournant vers Kourai d'un air platement supérieur. Tu vois bien que ce n'est pas lui, Hoshiumi.
-Sisi, c'est lui, marmotta Kageyama en se cachant les yeux.
-Tu connais beaucoup de joueurs avec un accent brésilien ? plaisanta Sokolov. La classe, Nico ! C'est pour éviter que les gens reconnaissent un champion du monde dans la rue ?
-C'est un défi avec mes coéquipiers nationaux ! répondit Nico tandis que Kourai, monté sur un banc, touchait ses cheveux avec bonheur. Vous savez quoi, si on gagne la V-League cette année, on n'a qu'à le faire tous ensemble !
-TROP BIEN ! hurla Hoshiumi.
-Oui mais, hm, non, intervint doucement Fukurou. On verra quand on y sera.
-C'est rien, c'est pas grave, murmura Tobio à Heiwajima. Il fait sa crise de la trentaine. Je suis résigné.
-Je crois qu'il a toujours été comme ça, répondit le libéro en tapotant Tobio sur l'épaule.
-Romero n'est pas encore arrivé, disait Ushijima en même temps, pointant l'horloge. Il est en retard. J'espère que ses coéquipiers brésiliens ne lui montrent pas le mauvais exemple.
-Oh si, se lamenta Kageyama, dont l'attention fut rapidement détournée par Nico expliquant à Fukurou que pour son prochain titre mondial, il laisserait Glinhas lui mettre du vernis bleu-vert-jaune. Oh si...
*
Près d'un mois était passé depuis que Nico était revenu du Brésil.
Trois longues semaines où, malgré le retour de la barbe, sa blondeur demeurait malheureusement toujours aussi éclatante.
Tous les matins, Tobio inspectait les cheveux de son petit-ami. Un étranger à la scène aurait vu là une scène d'épouillage ; à la vérité, Kageyama guettait le retour des racines brunes de Nicolas, lesquelles réapparaissaient tout doucement, millimètre par millimètre.
-Tu ressembles à Kenma, lâcha-t-il après trois semaines.
Nico passa une main dans ses cheveux, heureux comme au premier jour :
-C'est flatteur ?
-Bof. En plus d'avoir un air d'avoir l'air d'un ado en phase rebelle, ça fera comme si t'étais trop fauché pour entretenir ta teinture.
-Hé !
Tobio avait tout essayé. Mais Nico en avait marre du bonnet, ne voulait pas se raser la tête, et refusait d'abîmer ses cheveux davantage en les recolorant. Il arborait donc toujours ses boucles platines, mêlées aux racines plus sombres qui émergeaient enfin. Pire : puisque ses coéquipiers et lui avaient gagné en popularité avec leur folie capillaire devenue virale, il s'amusait à se mettre en scène sur les réseaux sociaux, se prenant en photo les cheveux mouillés, lisses, ondulés, et même avec des couettes (l'œuvre de Natsu, venue là avec son frère quelques jours plus tôt). Ce qui avait le don d'exaspérer Kageyama.
-Ça a assez duré, non ? soupira Tobio.
-C'est ce que je me disais aussi, déclara Nico, perdant légèrement son sourire. Trésor, ça fait trois semaines que tu me regardes avec dégoût dès que mes cheveux sont visibles, et notre vie sentimentale et intime se réduit aux moments où il fait trop noir pour voir quoi que ce soit. Tu ne crois pas que tu abuses un peu ? Qu'est-ce que tu me reproches, au fond ? Ce sont mes cheveux, j'en fais ce que je veux, que ça te plaise ou non.
Kageyama grinça des dents :
-Ça ne fait pas sérieux.
-Parce que tu crois que je ne suis pas sérieux ? demanda Romero en prenant un air intense. Tu crois que je m'entraîne moins bien et que je suis moins performant sur le terrain ?
-Non, c'est pas ça...
Tobio ne pouvait pas s'abaisser à dire que Nico jouait mal. Il était champion du monde ! Kageyama n'avait jamais réussi à contrer ses attaques, et ne se souvenait pas avoir déjà réalisé une réception parfaite sur un de ses services. Ils avaient beau faire partie de la même équipe, Nicolas était avant tout un représentant de l'équipe du Brésil, et aux dernières nouvelles, il faisait partie des meilleurs joueurs du monde. Si Kageyama commençait à critiquer son volley, il pouvait donner sa démission tout de suite.
-Désolé, marmonna-t-il.
-Tu sais, c'est pas agréable de voir que tu me réduis à mes cheveux, lui reprocha Nico. Et que tout ton comportement vis-à-vis de moi change juste par rapport à ça.
Kageyama baissa les yeux.
-Désolé, répéta-t-il d'un air penaud. J'ai dramatisé.
-Un peu, oui.
Nicolas n'avait pas vraiment l'air en colère, juste contrarié. Et un peu triste quand il ajouta :
-J'aimerais juste retrouver mon petit-ami.
Tobio ne savait pas comment verbaliser d'autres excuses ; il n'était pas aussi beau parleur que Nico, et il lui sembla plus approprié d'opérer le rapprochement de manière physique. Il se dirigea donc vers Romero, et, sans autre forme de discours, prit son visage en coupe pour l'embrasser sur les lèvres, espérant que le baiser saurait porter tous ses remords.
Bien entendu, ce qui ne devait être qu'un petit bisou de repentir dégénéra en long baiser, qui lui-même se tourna en concours de langues et de salive, et en trop peu de temps qu'il ne faut pour l'écrire, les mains s'égaraient et les vêtements volaient à travers la pièce. Kageyama fermait les yeux dans le baiser, laissant ses mains errer entre les boucles soyeuses de Nico, se figurant derrière ses paupières closes qu'elles étaient de nouveau brunes, qu'elles avaient retrouvé leur couleur chaude et réconfortante.
Pas moyen d'échapper à la réalité quand il accepta finalement d'affronter la lumière du jour posée sur eux et sur la chevelure de Nico. Mais celle-ci lui sembla plus supportable à présent qu'il baignait dans la tendresse et le plaisir. La froideur du platine s'était éclipsée sous les rayons du soleil qui entraient à flots dans sa chambre ; ceux-ci faisaient briller les cheveux d'un éclat semblable au leur, dotaient les mèches de reflets dorés, allumaient des étincelles dans le tournoiement des ondulations.
Kageyama vit tout cela avec fascination. Le blond qui lui semblait si glacial, si impersonnel, si peu assorti à Nico, se révélait soudain dans toute sa splendeur -c'était de l'or blanc, c'était la couleur de la richesse, la couleur de la victoire, la couleur du soleil, c'était tout ce qu'il fallait à Romero, tout que qui seyait à une superstar de son rang et en même temps à un caractère aussi chaleureux ; et les boucles coulaient comme en fusion entre les doigts de Tobio qui ne se lassait pas de les y enrouler, leur teinte polaire faisant ressortir son propre bronzage, leur pâleur si étrange et si satisfaisante frappant ses yeux d'un sentiment nouveau.
Il avait cru que le faire ainsi en plein jour lui donnerait l'impression de tromper Nico, et de se tromper lui-même. D'être avec ce qu'il ressentait comme un inconnu, de se leurrer en ignorant la différence majeure de sa physionomie. Mais non. Ce n'était pas un mensonge, les sens de Tobio ne le bernaient pas, pas plus que sa raison -cet homme était bien son petit ami, était Nicolas Romero -et il était sublime. La blondeur illuminait ses traits, lui donnait les airs angéliques de personnage d'un tableau classique, et revêtait d'éclat tout son être ; comme si le changement de couleur, loin d'être ce que Tobio avait pris pour une marque de dégradation sociale, l'élevait au contraire vers une nouvelle image, une nouvelle dimension, quelque chose d'innovant et de poétique, quelque chose de purement brillant, qui le faisait passer d'un homme simple à autre chose, à mieux, à plus grand, à plus brillant, à plus divin.
Quand Nico positionna son visage juste sous celui de Tobio pour l'embrasser dans le cou, ce dernier enfouit son nez et ses lèvres au milieu de ses cheveux, savourant la dissociation entre la familiarité de l'odeur du shampoing qu'utilisait Nico et le paysage doré qui s'offrait à ses yeux, qu'il regrettait presque d'être sillonné de racines brunes à présent, et qu'il aurait voulu embrasser dans toute leur clarté au point d'en être ébloui.
Quand il retomba sur les oreillers aux côtés de Romero, le souffle court, il se sentait presque coupable de ses pensées, trop fier pour bien vouloir reconnaître qu'elles allaient contre son attitude des précédentes semaines et que, peut-être, il était passé à côté de quelque chose et avait été injuste et de mauvaise foi. Il entreprit de fixer le plafond d'un air buté, contrarié envers lui-même, mais son attention fut détournée par Nico qui pouffait de rire :
-T'y es pas allé de main morte avec mes cheveux. Je me rappelle pas que tu les aies déjà tirés comme ça.
-Ils sont facile à empoigner, se défendit faiblement Kageyama en se sentant rougir de honte.
-Au point de les attraper à deux mains, sourit Nico d'un air goguenard.
-Ils me servaient de point d'accroche, justifia Tobio d'une voix hésitante.
-Je pense surtout que tu les adores comme ils sont là.
-C'est pas vrai.
-C'est carrément vrai.
-C'est pas vrai.
-Comme tu veux, rigola Nico.
Il se pencha vers Tobio, et lui murmura à l'oreille avec une sensualité indécente :
-Tu sais, j'avais pas utilisé toute le produit décolorant... J'ai ramené ce qu'il en restait ici.
Kageyama frémit.
-Je suis sûr que tu serais magnifique en blond ! termina alors Romero.
Tobio lui envoya son oreiller dans la tête en guise de réponse ; et il songea vaguement, non sans attendrissement en écoutant son petit-ami rire, qu'à force de supporter ses lubies et ses coups d'éclats, et en dépit de leur différence d'âge, ce serait lui qui se trouverait un jour prochain des cheveux blancs.
...
Cette histoire est tirée d'un fait réel :
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