neuf.
C'est d'abord le froissement d'une page,
Immense dans le silence pesant des grands moments des petites chambres.
C'est ensuite le mouvement de l'eau
Qui dort, dans la pochette à côté du lit.
Le lit tout blanc, le lit tout gris.
C'est alors le soleil,
Qui éclaire si bien le visage de Yoongi que les rayons semblent sortir tout droit d'un film.
Un huit clos, avec seulement deux protagonistes perdus dans un décor d'hôpital; Et des vieillards qui tendent les mains loin, Loin vers le ciel.
C'est une odeur de fleurs séchées et de cigarette endormie
Au creux des plis d'une peau vieillie.
C'est le gazouillement des oiseaux,
Qui croient au printemps parce qu'il fait un peu plus jaune aujourd'hui.
Un peu plus jaune et un peu plus bleu, aussi.
C'est enfin une voix fatiguée, une voix qui a aimé, une voix qui aime encore, peut-être.
Une voix qui dit :
— Arrête de bouger autant la jambe tu veux ? Tu fais trembler la lumière.
Yoongi s'arrête et regarde droit devant lui.
Sa mémé lui sourit avant de retourner à sa lecture.
Mais ce n'est pas son sourire habituel, celui qui lui réchauffait le coeur quand tout était noir, noir de suie.
C'est un sourire qui ment. Et ce sont bien les pires, les sourires qui mentent, quand ils sont arrachés à la pensée et qu'ils éludent les bruits, éludent les étincelles, éludent les couleurs.
Et Yoongi le sait bien, que c'est un sourire qui ment. Mais il ne dit rien. Enfin, pas encore.
C'est l'aiguille des minutes qui tressaute.
C'est une chanson qui grésille à travers la radio portative.
C'est ce froissement de pages, encore, et c'est cette goutte d'eau qui tombe, encore et encore et encore et encore et encore et qui va finir par le rendre fou.
Yoongi se lève;
Fend le silence de ses bras;
Et regarde dehors.
Des arbres des minutes du bleu du jaune du vert du silence du jazz du soleil du blanc du gris du noir noir de suie du jaune soleil jaune tournesol du vert espoir qui tourne épars et qui s'en va au hasard parmi les nuages qui sont bien beaux ce soir mais Yoongi viens donc t'asseoir plus près les amours perdus le ciel s'étend il y avait beaucoup de gens dans le bus aujourd'hui ne se retrouvent plus mais sûrement qu'il y en aura moins au retour moi c'est Hoseok je m'inquiète pour elle mais elle ne ferait jamais ça vous n'êtes pas de sa famille vous ne pouvez pas comprendre laissez la laissez moi laissez nous seuls et les amants délaissés vous n'avez aucune idée d'à quel point je t'aime Yoongi écoute moi comment ça c'est tout ça ne peut pas être tout pourquoi tu dis rien pourquoi pourquoi-
Pourquoi ?
— Yoongi ?
Yoongi se retourne. Elle a enlevé ses lunettes. Comme elle est belle, dans la lumière du soir. Mais comme elle paraît triste aussi, triste comme un oiseau de printemps qui a oublié comment voler.
— Viens t'asseoir, s'il te plaît.
Il obéit.
Qu'est-ce qu'il peut bien faire d'autre ?
Elle lui caresse la joue. La joue gauche, parce que c'est la plus douce.
C'est si beau, un sourire de femme, même craquelé, quand sa peau touche la peau de l'enfant aimé.
C'est si beau, quand la paume de l'enfant rencontre celle d'une femme essoufflée.
— J'ai peur, Mamie, j'ai tellement peur.
— Je sais Yoongi. Je sais. Tu n'en as peut-être pas conscience mais tes émotions se voient. Pas dans ton visage, pas toujours dans tes mots, mais toujours dans tes yeux. Il ne faut pas avoir peur Yoongi. S'il y a bien une chose que j'oserais vraiment te demander de plus, c'est de ne pas avoir peur pour moi. Tu vois, je vais bien. Alors n'aies pas peur.
— Comment est-ce que je peux ne pas avoir peur quand je ne sais même pas ce que tu as fait hier ?
— Je te l'ai déjà expliqué. Hier il faisait doux alors je suis sortie sur le balcon. J'ai voulu regardé les arbres au loin et je me suis penchée plus que je n'aurais du, j'imagine. Les médecins m'ont vue et ils ont paniqué. Ils n'ont rien voulu savoir quand j'ai voulu leur dire qu'ils se trompaient. Tu sais, je les connais bien les médecins, ils ont du mal à reconnaître qu'ils ont tort. Je suis désolée de t'avoir dérangé, je sais que tu es très occupé.
— Arrête de dire n'importe quoi. Quand ça te concerne ça ne me dérange jamais. Mais ce qui me dérange, c'est que tu ne veuilles pas me dire la vérité.
— Si tu insistes autant ça veut bien dire que tu la connais, cette vérité, je me trompe ?
Yoongi retient sa respiration.
Evidemment, toujours le dernier mot pour elle.
Un sourire de femme blessée,
Un sourire de femme effondrée,
Un sourire de femme,
Un sourire.
Elle fait mine de reprendre sa lecture et puis;
Un oiseau fait un peu plus de bruit;
Qu'à l'ordinaire.
Elle le regarde passer, dans les grandes fenêtres bleues, elle le regarde passer entre les rideaux crémeux.
Il y a un silence, mais d'une autre sorte que celui d'avant, parce que celui-ci est éclaboussé par les cris des volatiles joyeux.
Et ce genre de silences qui soignent l'âme, sûrement que jamais personne n'en aura assez.
Et puis encore cette voix, cette voix qui s'est adoucie depuis que la fumée de la cigarette ne la hante plus, cette voix qui semble si loin et pourtant si près.
Cette voix qui dit :
— Je sais que mon mari est mort.
Yoongi lève la tête et contemple son profil. Ce profil qui se découpe sur le soleil, le jaune le vert le bleu, et qui s'estompe parmi les ombres. Mais il est toujours là, présent, tangent, dans la lumière du soir.
Il l'écoute alors, en fixant le bouquet de marguerites sur la table basse.
— Je l'ai toujours su, finalement. Mais je jouais à la vieille idiote, pour que tu ne me quittes pas. J'avais tellement peur de rester seule. C'est idiot n'est-ce pas ?
Elle se retourne vers lui, les larmes aux yeux et elle la répète cette question, elle la répète encore et encore :
— C'est idiot n'est-ce pas ? Hein Yoongi que c'est idiot, d'agir comme ça ?
Yoongi pleure lui aussi, les sillons de ses joues commencent à déborder, les vannes commencent à s'ouvrir les unes après les autres.
Torrent convulsif d'espoirs enterrés.
— Non Mamie c'est pas idiot t'inquiète pas c'est pas idiot ce que tu as fait vraiment pas.
Et elle continue de pleurer avec le sourire,
parce que c'est la seule chose qu'il lui reste face à la fatalité.
Et lui continue de parler, parce que quand on assiste au désespoir des coeurs chéris les mots semblent être les meilleures défenses.
— Pleure pas Mamie je t'en prie pleure pas sinon moi aussi je vais pleurer.
Dit-il en reniflant et en s'essuyant les paupières.
Il finit par la prendre dans ses bras, parce qu'il en a assez de voir ce coeur meurtri, il en a assez de la voir ainsi.
Il aimerait étouffer ses pleurs de ses bras défendants.
Il aimerait tant;
Revoir le jaune des premiers instants.
Y-a-t-il chose plus déchirante que la douleur de deux enfants abandonnés ?
Pleure pas.
Des arbres,
Du jaune,
Du vert,
Du bleu.
Et les nuages au loin semblent se calmer un peu.
Formes fixes dans le brouillard des pensées.
Ça ressemble au printemps.
Ça ressemble à la vie.
Vent nouveau dans un dernier souffle d'agonie.
Alors on a bien le droit d'espérer, nous aussi.
Pardonne moi.
— Tu sais Yoongi, j'aimerais bien faire un dernier voyage.
Yoongi garde la tête enfouie dans le cou rassurant.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Je ne peux pas continuer de vivre ainsi. Si jamais je reste encore ne serait-ce qu'un an ici je préfèrerais encore mourir.
Mourir
La voilà donc la vérité.
Et Yoongi ne peut s'empêcher de frissonner.
— J'aimerais que tu m'écoutes attentivement, Yoongi, comme tu l'as toujours fait. Et j'aimerais que tu ne te mettes pas en colère. S'il te plaît, ne te mets pas en colère. Tu me promets ?
Il hoche la tête. Soudain il se retrouve comme un enfant. Et sûrement qu'il n'a jamais cessé d'en être un, au fond.
— Oui, j'aimerais faire un dernier voyage. Aller à la mer. Ça fait longtemps que je n'ai pas vu la mer. J'ai pas besoin d'une mer gigantesque, d'une mer que tout le monde connait. Une mer tranquille, discrète, qui ne révèle sa beauté qu'à ceux qui la regardent avec le coeur, voilà ce dont j'ai besoin.
Et ce que je voulais te demander, c'est si tu voulais bien m'accompagner. Parce que je ne pourrai pas faire un dernier voyage toute seule. Tu comprends ? Je ne pourrai pas.
Yoongi s'était redressé depuis quelques temps déjà.
Et puis il dit, la voix encore tremblante :
— Mais quand on rentrera, tu voudras mourir n'est-ce pas ?
La mémé sourit. Comme il est intelligent, ce petit.
— Tu sais, peut-être que quand tout sera fini, alors j'aurai le courage de recommencer une nouvelle vie.
Yoongi baisse la tête et fixe leurs mains entrelacées.
— Je t'attendrai Yoongi. Il n'y a aucun doute là-dessus. Je pourrai même attendre des jours, voire des semaines, pour partir. J'attendrai le temps qu'il faudra. J'aimerais juste savoir si aujourd'hui, tu veux bien. Parce qu'il fait si beau aujourd'hui, et que ça ferait une belle promesse. Tu vois ?
Elle regarde sa tête baissée, anxieuse. Peut-être bien qu'elle lui en impose trop, et qu'elle se montre bien égoïste. Peut-être bien qu'il a peur, lui aussi. Peut-être bien que quelque chose ou même quelqu'un le retient dans cette banlieue toute bleue.
Elle va pour ajouter quelque chose lorsqu'elle le voit relever la tête après avoir essuyé à la va vite ses larmes, et elle le voit, son sourire, elle le voit dans la subite clarté du soir mourant.
Et elle aussi sourit, elle sourit même grandement.
— Même si je devais t'accompagner en Enfer, je le ferais !
Et il part brusquement, sûrement pour lui cacher ses larmes, et sûrement pour ne pas faire d'adieux trop grandiloquents.
Et elle le remercie, secrètement.
Et le souvenir des reflets du soleil dans ses cheveux, elle le gardera encore longtemps.
Merci Yoongi
Merci, vraiment
Les réverbères font des flaques électriques sur le bitume.
Yoongi a manqué le dernier bus. Mais juste cette fois-ci, c'est parce qu'il le voulait. Les gens, bien qu'il ne faille pas leur en vouloir, auraient éclaboussé de leur malheur entendu la magie de ces moments passés avec sa mémé adorée.
Alors il marche.
Il marche vers la nuit éternelle. Cette nuit qui semble l'accueillir tout entier en son sein, cette nuit qui le soigne tout doucement, cette nuit qui l'embrasse tendrement sur la tempe et qui dit
Merci Yoongi
Cette nuit, ils la chériront tous deux jusqu'à ce que le soleil resplendisse.
———
Je poste ce chapitre comme ça, un peu sous l'emprise de la ferveur du moment, parce que j'ai très envie de publier et que je le ressasse depuis trop longtemps déjà. Et sûrement que je le modifierai plus tard. Alors excusez les potentielles incohérences et fautes (⌒-⌒; )
Et permettez moi de vous présenter encore mes plus plates excuses concernant le retard de mes réponses sur les commentaires du chapitre précédent. Je ferai en sorte que ça ne se reproduise plus.
Je vous embrasse,
-hanami.
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