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dix-huit.

Hoseok regarde avec angoisse Monsieur DongSun monter les marches. Puis il s'accroupit, et ne sait pas trop quoi faire de ses mains. Alors il les serre l'une contre l'autre sur ses genoux rapprochés et baisse la tête. Dans quelques minutes, il saura tout, ou rien.

Un vacarme épouvantable le fait brusquement lever la tête. Et si « Grand-père » avait des ennuis ? Il se lève précipitamment pour lui venir en aide avant d'entendre une certaine voix qui le fait se figer :

- Monsieur DongSun ! Tout va bien ?

Hoseok plaque sa main sur sa bouche pour contenir son sanglot. Il ne peut alors empêcher les larmes de couler. Il faut dire qu'elles ont attendu si longtemps.
Cette voix grave et douce à la fois, légèrement cassée par les années. Légèrement ronronnante aussi, maintenant il s'en rend compte, quelque chose qui ressemble à des accords de basse s'élève lorsqu'il continue de parler.
C'est bien lui, c'est bien Yoongi.

Après avoir brièvement repris contenance et essuyé ses larmes, Hoseok se dirige tout doucement vers l'entrée. Il est juste assez près pour pouvoir voir ce qui s'est passé, ne voyant la scène que par l'entrebâillement de la porte, et ne pouvant donc pas être vu.
Monsieur DongSun est étendu sur le carrelage, des conserves par centaines jonchant le sol autour de lui. Il a du tomber après avoir grimpé les marches. Le cœur d'Hoseok se serre lorsqu'il se rend compte que c'est de sa faute. Il n'aurait jamais du le laisser marcher seul.

Une silhouette cache momentanément le corps de Monsieur DongSun avant de se révéler face à Hoseok, la lumière féroce des néons éclairant ses traits inquiets.
Le voilà. Voilà Yoongi.

Hoseok se perd dans sa contemplation pendant que Yoongi s'affaire autour de DongSun. Quand Yoongi relève la tête, se sentant observé, Hoseok se retourne brusquement contre le mur. Il a l'intime conviction qu'il ne doit pas être vu. Il ne sait pas trop pourquoi, mais dans ce genre de situations, mieux vaut laisser les commandes à l'intuition.
Il tend l'oreille. Yoongi parle bas pendant qu'il aide Monsieur DongSun à se relever :

- Vous aviez tellement envie de me voir que vous êtes venu jusqu'ici ?

- Allons bon ! Sans vouloir te vexer, une bonne paire de chaussettes m'attirerait plus que toi en tenue de soubrette.

Hoseok se sourit à lui-même. Quoi qu'il en soit, ce vieux DongSun n 'a pas perdu le sens de la répartie, c'est déjà ça.
Yoongi rit doucement. Des chaises raclent, il l'a sûrement invité à s'asseoir.
Hoseok, quant à lui, s'installe plus confortablement, assis à même le bitume, et croise les jambes. On entend quelques grillons ici et là dans les rares buissons. Hoseok les sent tout près. Leur musique s'harmonise avec la voix de Yoongi si particulière :

- Plus sérieusement, il s'est passé quelque chose ? Je ne vous ai jamais vu marcher, pourquoi être venu me voir ?

- Il se passe que t'es parti pendant un mois et que je m'inquiétais. Alors quand j'ai vu de la lumière, j'ai foncé.

- Je ne vous pensais pas aussi attentionné.

- Je m'étonne moi-même parfois.

Hoseok jurerait entendre le sourire gingival de Yoongi avant que celui-ci propose de boire une bière, ce à quoi DongSun répond :

- Tu sais bien que je suis sensé être en sevrage.

- Je sais aussi que ça ne vous empêche pas de descendre la première bouteille venue.

- Pas faux. Mais là, je suis motivé.

- Jus de fruits alors ?

- Allons-y.

Des bruits de pas suivent le raclement de chaise. Hoseok concentre son attention sur la lune qui vient à peine de paraître avant d'entendre des bouteilles en verre qu'on poserait sur un comptoir en formica.
Il y a ensuite un long silence, entrecoupé de sons de déglutition.
Puis DongSun amorce le sujet qui fâche :

- Ne m'en veux pas, mais t'as une tronche affreuse.

Au loin, une rumeur d'émission de variété se fait entendre. Yoongi soupire longuement.

- Raconte moi ce qui s'est passé, Yoongi.

Silence.

- Elle va mourir DongSun.

- Qui ça ?

La voix de Yoongi chancelle lorsqu'il répond :

- Mamie. Mamie NaYung. Elle a voulu mourir seule et moi, je l'ai laissée là-bas.

- Bonté divine.

Une chaise racle. Hoseok ne sait que faire, sinon rester là où il est. C'était donc ça, le dernier voyage ?

- Elle parlait souvent de mourir face à la mer, mais je n'aurais jamais pensé qu'elle garderait parole.

- Moi non plus. Je crois que j'imaginais pouvoir l'en empêcher en acceptant de venir avec elle. Je pensais pouvoir la protéger.

La voix de Yoongi laisse trahir un faux rire avant d'ajouter d'un ton amer :

- Qu'est-ce que j'ai pu être con.

- Arrête Yoongi.

- Je peux même plus pleurer, je suis trop lâche.

- Yoongi s'il te plaît.

- Tu as raison, ça sert à rien que je m'apitoie sur mon sort.

- Ça sert à rien de t'en vouloir alors que tu n'y es pour rien.

Hoseok écarquille les yeux. Il n'aurait jamais pensé que la voix de Monsieur DongSun pouvait se faire aussi forte.

Silence.

- Elle a dit qu'elle ne voulait plus me retenir. Que des gens m'aiment ici.

- Je pense qu'elle a raison.

- Tu peux éteindre la télé, s'il te plaît ?

Il ne reste alors que les grillons, qui font écho dans la nuit sans étoiles.

- C'est la vie, Yoongi, que tu le veuilles ou non. Elle a voulu que tu vives.

- J'en vaux pas la peine.

- Je crois t'avoir demandé d'arrêter tes conneries.

Deuxième silence. Puis les accords de basse, jusque là devenus incisifs, reprennent de leur douceur :

- Vous êtes tellement gentils avec moi, vous tous. Mamie NaYung, le petit ChungSoo dont je vous ai parlé, vous. Et puis...

Le cœur d'Hoseok tambourine dans sa poitrine. Se pourrait-il que... ?
Monsieur DongSun est apparemment aussi curieux que lui puisqu'il demande aussitôt :

- Et puis ?

Yoongi fait une pause, puis il explique dans un murmure :

- Il y a un garçon qui fait des podcasts. Mais pas des podcasts du genre humoristique qu'on voit partout et qui se ressemblent tous. C'est plutôt des podcasts d'espoir, vous voyez ? Des petites bribes de vie qu'il raconte et qu'il tourne en morceaux de bonheur temporaire. Enfin, je sais pas si c'est clair.

- Si si, on ne peut plus clair.

- Je l'ai rencontré un soir. Je ne savais pas ce qu'il faisait au début, je ne connaissais même pas l'existence de ses podcasts. On s'est revus quelques fois, et...

- Et ?

- Et j'ai toujours regretté de ne pas avoir su lui en demander plus sur lui.

Hoseok fixe le sol. Il n'en croit pas ses oreilles. Il bénit secrètement DongSun quand il lui demande l'élaborer.

- Je sais pas trop pourquoi, mais il m'a aidé. Quand j'étais torché, quand j'étais perdu avec moi-même. Résultat, c'est même pas moi qui lui ai demandé son prénom. Et je m'en veux tellement.

Hoseok se couvre le visage de ses mains. Il a envie de lui dire que ce n'est pas grave, qu'ils peuvent commencer quelque chose et même rien à la fois, parce qu'encore une fois, il n'est jamais trop tard. Et au beau milieu de ce cosmos aux étoiles invisibles, il sent que là, dans ce présent, il n'est pas trop tôt cette fois.

Monsieur DongSun prend la parole lentement, comme pour bien peser ses mots :

- Je pense que si c'est bien la personne formidable que tu décris, il ne t'en veut pas.

- Vous croyez ?

- Peut-être même qu'il attend ton retour ?

- Vous paraissez bien sûr de vous, on dirait que vous le connaissez.

- Que veux-tu, l'intuition masculine.

Yoongi rit de son drôle de rire, des inspirations saccadées et toutes cassées, qui s'entrechoquent les unes aux autres. Hoseok l'imagine la tête en arrière, inspirant pour trouver de l'air dans son fou rire. Et il sourit.

- Vous voulez que je vous fasse écouter ?

- Je t'en prie, rien ne me fait plus frétiller que la perspective d'entendre la voix suave de ce bel inconnu.

Yoongi rit à nouveau, et Hoseok entend des pas précipités.

- Je l'ai découvert sur le chemin du retour, en voiture sur l'autoroute. Je sais pas comment c'est possible mais j'ai entendu sa voix à la radio, et je l'ai immédiatement reconnu. Depuis ce matin j'écoute ce qu'il a à dire. Maintenant je sais pourquoi il a toujours le micro de ses écouteurs allumé quand je le croise.


Hoseok se souvient alors de Seokjin lorsqu'il lui avait proposé de lui faire un coup de pub à l'antenne de sa petite radio. Hoseok avait accepté, parce qu'il avait vu à quel point ça comptait pour son ami. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, Yoongi était tombé sur la fréquence de Seokjin juste au moment où il parlait d'Hoseok.
Le monde était donc si petit que ça ?

Hoseok a pour principe de ne jamais écouter ses podcasts après les avoir postés. Il sait ce qu'il a dit et l'assume. C'est ce côté spontané qu'on aime chez lui, et il ne l'échangerait pour rien au monde. C'est pour cela que lorsqu'il entend sa propre voix répondre aux échos des grillons dans la rue déserte, il sursaute légèrement.
Il s'agit du podcast de la fête des esprits, le soir précis où ils ont eu leur première conversation à proprement parler, bien que décousue.

« ... l'important c'est que vous soyez votre propre priorité et que vous vous soigniez tout doucement pour aller mieux demain. Tout va bien, compris ? Tout va bien. Tout est bien et tout le restera tant que vous saurez que l'Univers ne vous en voudra pas si vous n'avez pas pu le faire aujourd'hui. Le monde continue de tourner et vous avec. Alors faut pas avoir peur. »

Une fois le podcast terminé, Yoongi s'enquit de l'avis de Monsieur DongSun. Celui-ci, ayant conscience d'être écouté par l'apprenti-orateur, se délecte en prononçant les mots suivants :

- Bah... il parle vraiment vite ton copain. Faudrait qu'il apprenne à respirer un de ces jours. C'est vraiment fatigant de l'écouter.

Hoseok s'offusque dans son coin pendant que Yoongi s'esclaffe et ajoute :

- Ce qui est drôle, c'est qu'il parle vraiment comme ça. Mais j'aime bien. Ça fait son...

- Son charme ?

- Ouais, un peu.

Dire que le cœur d'Hoseok bat la chamade serait un euphémisme révoltant. Il sent qu'il va imploser d'une seconde à l'autre sous la pression de... de quoi au juste ? Il n'en sait fichtrement rien. Mais c'est plus agréable qu'il ne l'aurait jamais imaginé.

Avant de prendre congé, il ose glisser un œil à l'intérieur, à travers la petite fenêtre. Et voir son sourire timide achève de le désarmer tout à fait.

Ce soir-là, les étoiles d'Hoseok et celles de Yoongi se retrouvent. Et quand bien même ils n'en ont pas conscience, cette rencontre fait un joli chaos dans l'Univers. Un bien joli chaos.






































































toutes mes excuses pour le retard de ce dernier chapitre du mois « régularité. » j'espère de tout coeur que ça vous aura plus. merci infiniment pour tous ces magnifiques commentaires (il faut encore que je réponde à beaucoup). je reviendrai bientôt (croisons les doigts). il faut juste que je sorte de ce cercle vicieux que forme ce satané syndrome de l'imposteur.
avec amour,
oriane

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