Chapitre 8
SHAY
~ Lundi 19 Décembre ~
Avec un soupir, je balance les dernières graines aux poules qui se sont réfugiées dans leur enclos pour se protéger de la neige. Elles se pelotonnent toutes pour couver leurs œufs alors qu'il fait une chaleur de dingue à l'intérieur du poulailler. D'après ce que j'ai pu comprendre, Walter dispose également de quelques animaux dont il revend certains produits sur le marché, histoire d'arrondir ses fins de mois surtout lorsque les affaires ne sont pas aussi fructueuses que durant les vacances. Et je me tape les tâches les plus ingrates. Je suis sûr qu'il me puni ! songé-je en chassant du bout de mon pied une volaille qui n'a rien trouvé de mieux que de m'approcher. Elles sont trop bruyantes et effrayantes. Je déteste ce genre de bestiole. C'est toujours les plus petites qui sont les plus violentes.
Je sors rapidement, referme à clé pour éviter qu'elle ne s'échappe, et rebrousse chemin en direction de la grande demeure. Walter a préparé une excursion pour les clients et souhaite que je lui vienne en renfort ce qui m'arrange puisque je souhaitais découvrir les environs afin d'en profiter pleinement durant mes journées de congé. Il a prévu des raquettes pour tout le monde et puisque la neige s'est mise à tomber toute la soirée, je suppose qu'elles nous seront vraiment utiles.
Je rentre dans la maison en frissonnant. Il fait un froid de canard ! Je n'ai pris que ma veste de moto, rien de bien chaud, sans penser que les températures chuteraient en-dessous du moins cinq. Heureusement, Walter s'est montré clément et m'a lavé un manteau un peu vieux qu'il a retrouvé dans son armoire comme ça, je n'ai pas besoin de m'en acheter un. J'ai tout de même fait l'achat d'un bonnet et d'une écharpe pour éviter d'attraper un rhume.
— Shay ?
Ah..., songé-je en souriant. J'aime quand tu prononces mon nom. Je signale ma présence dans l'entrée en me déchaussant. Un chiffon sur l'épaule, mon patron débarque en réhaussant les lunettes qui glissent sur son nez. Il ne les sort que pour lire généralement, et je me retiens toujours de lui faire remarquer qu'il est affreusement sexy comme ça. Depuis ce minuscule rapprochement dans le salon, il impose une distance d'un mètre minimum entre nous. Ce qui est affreusement ridicule.
— Tu n'as pas étendu les draps de la chambre six et c'est en bordel.
Je suis toujours ravi de te parler, Walter...
— Je te signale que j'allais le faire, mais que mon super patron qui passe son temps à râler m'a demandé d'aller nourrir les poules.
Il arque un sourcil, mains sur les hanches, et me défi d'en dire davantage. Si tu savais comme j'aime être insolent, pensé-je en affichant un sourire arrogant.
— Ton super patron est là pour te donner du boulot donc quand il te dit de faire quelque chose... tu le fais.
— Oui, oui, j'y vais ! Mais rassure-moi, tu te souviens que je ne suis pas un robot ?
Ma main se dépose sur la rambarde, mon pied échoue sur la première marche, et je lui jette un coup d'œil, attendant qu'il me contredise. Un rictus agacé plis ses lèvres, ses sourcils se froncent et, avant de tourner les talons, il grogne :
— Si tu n'es pas content, tu peux toujours prendre la porte.
Alors qu'il s'éloigne, j'élève la voix en espérant qu'il m'entende, monte les marches et réplique sans jamais cesser de sourire :
— Même pas en rêve ! Tu n'attends que ça.
Avec un petit rire satisfait, je grimpe les escaliers jusqu'à trouver la chambre des Adams en poussant un soupir affligeant face au désordre qui y règne. Ils peuvent se permettre d'être aussi bordélique puisqu'il paye un service complet. Je suis leur esclave et je n'ai pas le droit de me plaindre ne serait-ce qu'une fois. Leurs filles ne rangent jamais les jouets que leurs parents leur confient sans même prendre la peine de leur demander de les remettre à leur place. Ils sont adorables, ça je ne peux le nier, mais niveau autorité, je dirais que ça pêche.
Plutôt bien rodé avec le temps, je m'occupe de tout ranger, de défaire les draps, de changer les serviettes, de remplacer le papier toilettes, de refaire les lits, de nettoyer la poussière, de passer un coup d'aspirateur et dépose des petits gâteaux fait maison par Walter dans une assiette. Je fais le tour de la chambre afin de m'assurer que rien n'a été oublié, puis m'en vais retrouver mon patron qui s'amuse à virer dictateur.
Je le retrouve le nez plongé dans son courrier, au-dessus de son bureau. Il ne m'a pas du tout entendu arriver donc j'en profite pour le mater sans vergogne. Sa petite barbe de trois jours qu'il soigne régulièrement me donne envie de passer mes doigts dessus pour en éprouver la texture. Sa peau légèrement bronzée démontre qu'il passe un certain nombre d'heures à l'extérieur bien que son fils se défend mieux dans ce domaine : mate par nature.
— Qu'est-ce que tu veux Shay ? souffle-t-il sans même me regarder.
Moi qui voulais rester discret... c'est raté ! songé-je avec un sourire. Je pénètre dans la pièce pour m'arrêter devant son bureau sans lui répondre. J'espère que le poids de mon regard le fera réagir alors j'attends dans le silence, les mains dans les poches. Ce sont les cinq plus longues minutes de ma vie. Lorsqu'il relève enfin la tête pour fixer mes yeux, mes lèvres s'étirent un peu plus. Ses prunelles s'attardent sur ma fossette, je ne peux que m'en réjouir. Savoir que l'on plaît aux gens est une chose, le constater en est une autre. Je sais que ce petit atout me rend adorable auprès de bons nombres de personnes - hommes ou femmes confondus.
— Toc, toc ! s'exclame la voix guillerette de Shelby.
Je ne peux empêcher le grognement qui remonte le long de ma gorge. Une fois de plus, nous sommes interrompus. Une fois de plus, je n'ai pas assez de temps pour faire évoluer cette tension électrique qui s'installe lorsque nous sommes seuls dans une pièce. Je serais presque tenté de le séquestrer dans une pièce pour observer le développement de notre relation.
Shelby me sourit, fait le tour du bureau pour embrasser son frère, puis jette un coup d'œil par-dessus son épaule dans l'espoir de prendre connaissance du contenu des documents qu'il tient dans sa main. En fronçant les sourcils, Walter replie le papier et réprimande sa sœur d'un regard.
— Cody est prêt ? demande-t-elle comme s'il ne s'était rien passé.
Walter quitte sa chaise, passe une main dans ses cheveux bruns, puis soupire bruyamment avant de me jeter un coup d'œil. Il ne s'attarde que quelques secondes avant de me dépasser pour atteindre la porte.
— Il était en train de faire un dessin. Merci encore de t'en occuper...
— Oh, tu sais que j'adore kidnapper mon neveu ! sourit-elle en chassant l'air du revers de la main. Et puis, il ne peut pas vous suivre.
Walter ne relève pas, mais pourtant je suis presque certain qu'il aimerait répliquer quelque chose. Laisser Cody chez sa tante parce qu'il se doit de remplir son rôle d'hôte doit être contraignant. Je parierais même sur le fait qu'il culpabilise. J'aurais pu lui rendre service et m'occuper de cette excursion tout seul, malheureusement je ne connais pas les lieux et un guide qui risque de se perdre n'est d'aucune utilité. Plutôt une contrainte.
On le suit jusqu'à la cuisine où Cody, alerté par nos pas, se retourne pour découvrir Shelby. Un grand sourire barre son visage, il saisit son dessin et saute à terre pour le lui montrer fièrement. Les rennes du Père Noël tirent un traîneau rempli de cadeaux dans un ciel nuageux par une belle nuit de décembre. Sa tante récupère l'œuvre, puis caresse les boucles brunes du petit.
Cody sourit puis se réfugie rapidement près de son père en agrippant son pantalon. C'est une des choses que j'ai aisément remarqué en les côtoyant tous les jours. Quand Walter est dans les parages, son fils s'y accroche comme s'il craignait de le voir disparaître du jour au lendemain. D'un point de vue extérieur, on pourrait penser qu'il est ce genre de gamin trop collant, mais la façon dont il s'agrippe à son père me semble plus induite par la peur qu'une envie de monopoliser Walter.
Shelby s'agenouille devant le petit garçon et prend un air enthousiaste.
— On va faire de la luge Cody, ça te tente ? Il y a même une grande bataille de boules de neige dans le village des lutins !
— Trop cool ! On pourra construire un igloo ?
— Si tu veux, rit la jeune femme.
Walter semble bien plus détendu que d'habitude, comme si la présence de sa sœur occultait le poids de ses responsabilités. Il sourit en caressant les boucles de son petit ange avant de le porter pour l'embrasser en lui faisant promettre de bien se tenir. Il dépose son fils et s'adresse à Shelby :
— On reviendra pour le goûter, je pense...
— Pas de problème Walter ! Tu n'auras qu'à venir dîner à la maison.
— Je dois préparer le souper pour les clients.
Elle grimace et réfléchit en silence tout en récupérant le manteau de Cody afin qu'il s'habille. Le petit l'enfile alors qu'elle se tourne vers son frère.
— Tu peux toujours préparer le repas et nous rejoindre après.
— Shell... je vais être complètement crevé. Si tu veux, on fait ça demain ? Je n'ai rien de prévu et en plus, je pourrais leur préparer le dîner en avance.
— On fait comme ça !
Elle sourit comme si elle venait de remporter une victoire. Aussitôt, elle se tourne dans ma direction et ajoute :
— Tu es le bienvenu Shay ! Après tout, je doute que Walter t'ait présenté à qui que ce soit depuis que tu lui sers d'esclave personnel. Et une soirée en solitaire ne doit pas être très intéressante... sauf si c'est ton truc, auquel cas tu peux décliner mon invitation, je comprendrais parfaitement.
— Non, non, ce serait avec plaisir ! répondé-je avec un sourire franc. Et comme tu l'as suggéré, ton frère n'a pas cru bon d'étendre mon cercle social. Je crois qu'il préfère me garder pour lui tout seul.
J'ajoute la dernière phrase dans un chuchotis complice, les yeux plissés. La claque qui atterrit à l'arrière de mon crâne arrive sans que je ne m'y sois préparé, déclenchant le rire de Shelby face à l'expression irritée qu'affiche Walter qui, d'un simple regard, nous fait comprendre qu'il ne trouve pas cela drôle.
— Arrêtez de raconter des conneries !
— Un euro dans la boîte à gros mots, s'exclame Cody en courant jusqu'à la cuisine, son manteau à moitié mis.
Walter soupire en se passant une main sur la figure avant de nous accuser de cette faute qu'il a lui-même commise. Shelby le taquine et il ronchonne un peu plus. Quand le petit garçon revient fièrement avec une tirelire en forme de cochon, son père rechigne à l'idée même d'y glisser ne serait-ce qu'une pièce. Cody se montre intraitable : il doit être puni. Le tintement qui résonne au fond de l'objet indique qu'il y a déjà pas mal de monnaies. Il referme le manteau de son fils qu'il couve un peu trop, l'embrasse une dernière fois et récupère la tirelire.
— Passez une bonne journée.
— À toute à l'heure papa ! salut le brun en faisant de grands signes de main.
Alors que la porte se referme, je me tourne vers mon patron, un sourire mutin sur les lèvres. C'est sans compter son œillade aussi froide qu'un iceberg et son ton autoritaire qui me coupe toute envie de taquinerie.
— Fini de jouer. Va chercher le matériel, je vais réunir les clients.
Pas grave, songé-je en haussant les épaules. J'ai toute l'après-midi pour le faire craquer.
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