Chapitre 6
SHAY
~ Samedi 17 Décembre ~
— Oh allez ! dis-je en souriant. Tu ne vas pas me dire que tu n'as pas ris ! Je t'ai vu. C'était l'esquisse d'un sourire, mais tout de même.
Il grogne en rinçant la dernière assiette qu'il me dépose d'autorité dans les mains, vérifiant minutieusement la façon dont je m'y prend pour la sécher. Une fois assis sur les cuisses du Père Noël, Cody n'a pas attendu une seule seconde pour mettre en application mon idée de génie ! Ses doigts ont agrippés sans hésitation la fausse barbe blanche pour révéler l'identité de l'imposteur aux enfants rassemblés autour de lui. Stupeur, pleurs et rire se sont fait entendre. Ce qui n'as presque pas plus au paternel. Walter peut dire ce qu'il veut, j'ai aperçu son offuscation couplée à l'amusement dans son regard. Si son fils a d'abord été perturbé par la réaction du public, il s'est rapidement joint aux rires bien que les pleurs effrayés de certains bambins aient résonné dans les rangs. De quoi traumatiser quelques enfants au passage.
— Il a fait pleurer des gosses. Je ne l'ai pas éduqué comme ça.
— Ils auront tous oublié ça d'ici quelques jours. C'était une blague et Cody a trouvé ça drôle !
— Je ne veux pas que tu lui enseignes ce genre de bêtises !
Qu'est-ce qu'il peut être rabat-joie quand il s'y met ! pensé-je en roulant des yeux. Je m'approche de lui tout en laissant un écart entre nos deux corps, histoire de ne pas l'effrayer. Bien qu'il soit le premier à m'avoir mangé du regard, j'ai comme l'impression qu'il me tient responsable de cette attirance qu'il ressent. Il se méfie lorsque je rentre dans son périmètre alors que je suis persuadé de l'intéresser autant qu'il me donne l'eau à la bouche. Ce n'est pas comme si j'allais lui demander de me passer la bague au doigt. Pourquoi se prendre la tête quand il n'y a rien en jeu ?
— Ce n'est pas ça, une bêtise. Quand il volera dans un magasin, fumera un joint en cachette, sèchera les cours ou sortira avec une mauvaise fréquentation, tu pourras parler de "bêtises".
Son regard courroucé me fait rire. Je crois que je l'ai traumatisé pour les dix ans à venir. Voir son petit ange grandir et s'éloigner de lui sera une étape compliquée ; je l'ai assez compris dans le regard de mes parents.
— Tu racontes vraiment n'importe quoi ! soupire-t-il en secouant la tête de gauche à droite.
— Si tu le dis...
Je continue de sourire tout en le dévisageant, torchon à la main. Il plisse les yeux, me scrute en silence et ferme le robinet. Il fait tellement froid que Walter garde un pull même à l'intérieur. Son jean bleu met en valeur ses cuisses qui semblent fermes. Je me demande ce à quoi il peut bien ressembler... entièrement nu. Du regard, je parcours les lignes de ces biceps, remonte dans son cou, m'attarde sur ses lèvres avant de confronter ses yeux. Le marron est une couleur tellement ordinaire pourtant, à ce moment précis, elle me donne envie de tout un tas de choses. Il s'humecte les lèvres et je frissonne par automatisme. Prudemment, je m'avance d'un pas en guettant ses réactions. Il ne recule pas, ses gestes se figent et il me garde à l'œil comme s'il craignait de me voir lui sauter au cou.
— Le verre de la dernière fois était plutôt bon... et si on remettait ça ?
Même si sa dernière remarque a douché l'atmosphère, me faisant craindre un futur licenciement, je suis d'avis de remettre le couvert et d'avancer pas à pas sur un terrain que je nommerais "glissant". Si je tends le doigt au-dessus du plan de travail, je peux toucher les siens, mais je ne m'y risque pas. Pour le moment, j'évalue, j'observe, je juge. Il me fixe en silence, sans en perdre une miette. Mon sourire s'accentue, ses yeux descendent dessus, une chaleur que je connais se répand dans tout mon corps.
— Papa ? Je suis fatigué.
Oh non, Cody ! pensé-je malgré moi. Walter se recule comme si je l'avais brûlé, puis se tourne vers Cody. Je me pince les lèvres et m'adosse contre le plan de travail en comprenant que ma chance vient de me passer sous le nez.
— On va se coucher mon ange.
Il coiffe les cheveux de son fils du bout de ses doigts, me jette un dernier coup d'œil, puis tourne les talons.
— À demain, Shay.
Shay. La façon dont mon prénom roule sous sa langue me procure des frissons indescriptibles. Je rêverais de l'entendre gémir mon nom toute une nuit, sa bouche collée à mon oreille, susurrant quelques mots cochons... Trop tardivement, l'écho de ma voix résonne dans une pièce vide.
— Dors bien, Walter...
Je fixe le couloir d'où il vient de disparaître depuis quelques minutes avant de me ressaisir. Je range le chiffon qui gisait encore entre mes doigts, éteins les lumières, puis monte dans ma chambre. À peine la porte se referme-t-elle dans mon dos que je me défais de mes habits pour filer sous la douche et savourer le jet bouillant qui vient réchauffer ma peau. Une fois propre, j'enfile un jogging confortable sous un sweat noir, puis je tombe à plat ventre sur le lit qui sent la lessive. Mes paupières se ferment d'elles-mêmes.
Si Walter n'était pas mon type physiquement, nous n'aurions rien à faire ensemble. Son côté grognon, trop terre-à-terre, trop insatisfait, me taperait sur les nerfs si je devais le supporter plus de trois semaines. Malgré tout, le sourire qu'il adresse à Cody me touche d'une façon inattendue. J'y perçois une sensibilité qu'il cache plutôt bien en temps normal. Walter est un homme secret et ce côté de sa personnalité m'attire comme un papillon autour d'une flamme.
Je roule sur le flanc en bâillant, récupère mon portable et répond rapidement à mes parents qui sont avides de nouvelles. Ce n'est pas la première fois que je passerais noël loin de chez eux. Ils comprennent mon mode de vie bien qu'ils regrettent de ne pas partager ce moment en famille. Et je dois l'avouer, en ce moment, je fuis un peu toute conversation ayant de près ou de loin un rapport avec mon avenir professionnel. Papillonner de jobs en jobs à trente-cinq ans, ce n'est pas commun. Ils s'inquiètent, comme tous bons parents, mais je suis sûrement le plus angoissé des trois. Je suis aussi perdu que lorsque j'étais étudiant. Rien ne me plaît vraiment et je n'ai rien bâti. Alors j'esquive.
Je leur souhaite une bonne nuit et file sous les draps. J'éteins la lampe de chevet et soupire dans le noir. Je me demande ce qu'il se serait passé si Cody n'était pas arrivé dans la cuisine. Il ne fait aucun doute qu'il a parfaitement saisi mes intentions, ce n'est pas comme si je m'embarrassais de discrétion. J'espère simplement que le temps fera son œuvre entre nous deux. Histoire que je puisse repartir en ayant profité de mon séjour à 100%.
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