Chapitre 5
WALTER
~ Samedi 17 Décembre ~
J'ai été complètement idiot avec Shay. Il a fait preuve d'empathie - ou de pitié, que sais-je -, de soutien, et je l'ai remballé comme une vieille chaussette affreusement moche et sale. Sa remarque m'a agacé, mis sur les nerfs et sur la défensive. C'était comme s'il insinuait que je n'étais pas capable de m'en sortir tout seul. Bien que ce soit ridicule, je n'ai pas pu m'empêcher de dresser un mur entre nous. Mon ton acerbe a au moins eu le mérite de dissiper son sourire arrogant. Est-ce que j'en ressens une certaine satisfaction ? Non, pas du tout. Et c'est ce qui est le plus perturbant.
Je crois que Shay m'effraie. Je ne veux pas qu'il empiète sur mon espace vital, ma façon de vivre, qu'il ouvre une brèche pour s'y infiltrer. D'autant plus qu'il est trop séduisant pour mes deux ans et demi de chasteté et mon équilibre personnel. Il devrait se tenir éloigner et je ne devrais me contenter que d'observer.
Si Shelby adore qualifier mon ex de « connard prétentieux qui n'a pas une once de courage », je suis assez lucide pour savoir qu'il m'a laissé une blessure émotionnelle qui mettra du temps à se refermer. Nous étions tellement heureux par le passé... dix ans de vie commune, ça ne s'oublie pas d'un claquement de doigt. Pourtant, Tyler a tout envoyé valser à cause de... Non, je me refuse même à le penser ! Mes paupières se ferment dans l'espoir de dissiper la tension qui m'habite.
— Papa ?
J'ouvre à nouveau les yeux pour tomber dans ceux, interrogatifs, de mon fils. Cody, sa main gantée dans la mienne, me jette un regard empreint d'inquiétude. Ce gosse a le don de voir au-delà des apparences. Je lui souris chaleureusement, réajuste son bonnet sur ses belles boucles brunes et me faufile dans la foule. Les arômes de chocolat chaud et de vin chaud flottent dans l'air, accompagnés par les jingles de noël. Les stands du marché se dressent de part et d'autre de la rue, vendant et offrant une ambiance conviviale, festive, qui nous plonge au sein même de cette fête de fin d'année. Les enfants crient, se bousculent et courent dans tous les sens, heurtant par moments quelques adultes. Toute mauvaise humeur est chassée d'un simple sourire. Au loin, des boules de neige volent dans les airs, il fait froid mais le ciel est dégagé.
— On peut s'inscrire à la fabrication de pain d'épices ?
Je souris et chasse les boucles du front de Cody qui me tire par la main pour me montrer tout ce qu'il lui plaît. Je ne suis sorti que pour lui faire plaisir, mais je ne peux pas encore me permettre de poser un jour de congé pour m'amuser quand je sais tout ce qu'il m'attend à la maison.
— Je travaille demain...
— Oh..., dit-il déçu tout en ralentissant l'allure.
Son visage défait m'arrache une plainte silencieuse. Il fixe ses chaussures en silence et je m'empresse de rectifier le tir.
— Mais tata sera ravie de passer du temps avec toi.
— Non, refuse-t-il en fronçant les sourcils. Je voulais le faire avec toi !
— Cody...
— T'es toujours occupé !
Il me lâche la main, croise les bras et se plante dans l'allée en boudant. Sa plainte me brise le cœur. Si le long de l'année les affaires sont plutôt calmes et me permettent de profiter de ce petit ange, les vacances scolaires réduisent considérablement mon temps libre et m'empêchent de dégager ne serait-ce quelques heures pour mon fils qui n'attend que ça. Cody est trop jeune pour comprendre toutes les responsabilités qu'incombe mon rôle de parent et de travailleur, mais ça ne l'empêche pas de râler lorsqu'il estime que je le néglige. De quoi me faire culpabiliser davantage.
Je m'agenouille devant lui pour récupérer ses bras, l'obligeant à me regarder dans les yeux.
— Je sais mon ange. Je sais que ce n'est pas l'idéal pour nous deux. Je travaille, mais tu veux jouer sauf que je ne peux pas poser une journée comme ça. Je te promets que je trouverais du temps pour nous deux, d'accord ? Mais pas demain. Ce n'est pas possible. Après le petit-déjeuner, je te dépose chez ton copain et ensuite, je dois aider pour le spectacle de noël. Tu te souviens ? L'atelier de pain d'épices tombe avant midi. Je ne pourrais pas me libérer, mais toi, tu as la chance de faire à manger et en plus, je vais goûter au super biscuit de mon fils adoré ! Tu veux toujours rester à la maison ?
Il continue de bouder en fronçant son petit nez, parce que sinon ce ne serait pas Cody. Ses yeux se lèvent jusqu'aux miens, je lui laisse le temps nécessaire pour rassembler ses pensées. Je déteste les conflits. Bien sûr, mon caractère pourrait donner l'impression du contraire, mais si je peux éviter un maximum de me prendre la tête, je me le permets. Je mets un point d'honneur à résoudre les problèmes avec Cody en douceur. Je veux que l'on puisse discuter, s'écouter, bien que parfois, sur le coup d'une émotion, je réagisse de façon plus impulsive avant de le regretter aussitôt.
— Ok..., souffle-t-il.
— Si tu n'as pas envie d'y aller, on peut toujours te désinscrire chéri.
— Si j'en fais, on les mangera ensemble ? Que nous deux ? Devant un dessin animé ?
Avec ses yeux de chien battu, je suis incapable de résister. Un sourire amusé se dessine sur mes lèvres et quand je lui promets de réserver ma soirée pour lui, le sien revient au galop. C'est comme ça que je le préfère : épanouis et plein de vie. Il me saute dans les bras et je l'enferme dans les miens. Je l'enlace avec force quelques minutes, puis il me désigne un groupe d'enfants du bout de son index. Après un baiser posé contre son front, je l'autorise à les rejoindre. Je sais que je n'ai rien à craindre : ici, tout le monde se connaît. S'il y a le moindre souci avec Cody, je sais qu'au moins un des adultes aura un œil sur lui.
Je l'observe quelques secondes, puis me dirige vers le stand de sucrerie où je croise Jett en chemin. Il me sourit et s'arrête à ma hauteur, les bras chargés d'un gros sac en papier.
— Comment vas-tu Walter ? Alors, ton employé ? Shelby m'a dit qu'il avait du répondant.
— Tu m'étonnes, grogné-je en levant les yeux au ciel. Ils ont fait ami-ami en cinq secondes.
Jett m'offre un sourire compatissant. Il sait à quel point sa femme possède le don de se lier avec n'importe qui en l'espace de quelques microsecondes. Shelby a toujours eu ce don que je ne possède pas. Elle cerne rapidement les gens et parvient toujours à se faire apprécier.
— Ça ne m'étonne pas. Il n'est pas venu faire un tour ? demande-t-il en inspectant les alentours. D'après Yasmine, c'est un... comment a-t-elle dit, déjà ?
Il passe une main dans ses cheveux noirs rasés sur les côtés, vient gratter son menton où une petite barbe de trois jours a élu domicile et claque les doigts.
— Un mannequin tout droit sortit de mes plus sombres fantasmes.
J'arque un sourcil alors qu'il se rattrape aussitôt, les joues légèrement roses :
— Enfin, pas des miens, des siens !
Un sourire amusé étire mes lèvres. Je tapote gentiment son épaule et réplique :
— J'avais compris. Et si, il nous a accompagné avant de se perdre dans la foule. Je crois qu'il souhaitait acheter quelques babioles. Et toi ? Où as-tu caché ma sœur ?
— Elle s'occupe du stand de photo. Le Père Noël y est installé depuis midi et je crois que son derrière en a ras-le-bol ! Quant à moi, je retourne au cabinet, m'annonce-t-il en me présentant son biper. Je dois gérer les prises de rendez-vous en attendant mon nouveau kiné.
Jett dénote complètement du profil-type d'un médecin. Il est jeune, plutôt bel homme, et si on le croisait dans une autre ville, on pourrait penser qu'il est plutôt avocat ou encore qu'il travaille dans l'immobilier. Pourtant, il est bel et bien médecin, il a repris la place du bon vieux Sammy qui est parti faire trempette dans les îles Caraïbes après s'être assuré que la transition avec son protégé se soit bien passée auprès des habitants. Il faut dire qu'ici, les gens n'aiment pas trop le changement.
— Bonne chance ! Je vais faire un tour près du traîneau.
Je lui donne une seconde tape sur l'épaule, puis cherche Cody des yeux afin de l'emmener voir le grand monsieur en rouge. Une main agrippe mon avant-bras et me fait sursauter. Ce n'est que Shay, une gaufre fumante entre les doigts. Il me fait un clin d'œil, sa main me relâche. Il n'a pas directement touché ma peau, pourtant j'ai la sensation d'y sentir une empreinte brûlante.
— C'est super bon ! J'ai acheté quelques spécialités locales. Où est Cody ?
— Avec ses copains. Je vais essayer de le retrouver pour la photo avec le Père Noël.
Il me suit sans attendre, dégustant sa gaufre avec appétit.
— Tu ne penses pas qu'il est grand pour ce genre de chose ?
— Au contraire, répliqué-je sans lui adresser un regard. Je ne pense pas qu'il y ait d'âge pour faire fonctionner l'imaginaire.
D'autant plus que tu n'es pas son père, donc je me passerais de ton avis sur l'éducation que je lui fournis, pensé-je avec humeur. Il ne rétorque pas, j'en conclus que la discussion est close. Je retrouve mon fils avec son ami, Otis, et lui fait signe de me rejoindre. Il ne discute même pas et trottine aussitôt dans ma direction. Quand ses yeux tombent sur Shay, son visage s'illumine. Je ne sais pas comment fait ce type, mais il est très doué pour gagner le cœur des gens.
Cody agrippe le bas de mon manteau et me tire en direction de Shay, fixant le met qu'il a entre les mains.
— C'est à quoi ta gaufre ?
Son épaule rencontre la mienne, je grince des dents. Shay s'agenouille devant Cody et lui présente un bout non croqué pour l'encourager à découvrir le goût de lui-même. Comme d'habitude, mon fils me jette un coup d'œil afin d'avoir mon autorisation. D'un simple sourire, je la lui donne et il croque dans la gaufre avant de se lécher les lèvres avec gourmandise.
— Mmh ! J'aime bien.
— Moi aussi, répond Shay avec un clin d'œil.
— Tu veux aller prendre une photo avec le Père Noël ? lui demandé-je alors que mon employé lui essuie la bouche de sa serviette en papier.
— Mais c'est même pas le vrai !
— Qui t'as dit ça ?
— Otis, il dit que le Père Noël, eh bah, c'est pas celui du marché.
Ce môme commence à me courir sur le haricot, songé-je en réfrénant un soupir d'exaspération. Otis est toujours fourré avec mon Cody, mais c'est aussi un vrai pitre qui s'amuse déjà à entraîner ses camarades dans ses bêtises. Je me passerais d'un tel exemple pour mon fils.
— Hmm... c'est un ambassadeur celui-là.
— Un quoi ?
— Quelqu'un qui représente le Père Noël pendant que le vrai s'occupe de préparer les cadeaux. Et il raconte tout à Saint Nicholas donc tu devrais quand même lui montrer que tu as été sage toute l'année.
— Hmm... c'est vrai ?
Cody arque son sourcil, comme je le fais lorsqu'il fait une bêtise. Je le trouve adorable lorsqu'il imite les adultes. Je souris et hoche la tête. Il ne paraît toujours pas convaincu. Shay s'approche de son oreille, y dépose sa main et chuchote quelque chose. Je fronce les sourcils, mais mon fils aborde un sourire rayonnant. Il tend la main et se saisit de la mienne avec entrain.
— Allons voir le Père Noëëëëëël !!
Je jette un regard suspicieux à Shay qui se contente de hausser les épaules en finissant sa gaufre. Je déteste le fait que mon fils puisse partager ne serait-ce qu'un secret avec quelqu'un d'autre que moi. Même si ce quelqu'un a su être assez convaincant pour le motiver. Déstresse Walter, il ne va pas te piquer Cody.
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