Chapitre 22
SHAY
~ Mardi 27 Décembre ~
Lorsque Walter est ressorti du bureau avec une Shelby aux yeux rougis, je me suis abstenu de faire le moindre commentaire. J'ai pensé, et à juste titre, qu'il était sûrement trop prématuré pour lui parler de ce que nous avions partagé dans sa chambre, la veille au soir. Même si j'en meurs d'envie, j'appréhende également le moment. Après tout, mon séduisant patron s'est présenté dans la cuisine avec une phrase bateau, commençant par un "à propos d'hier soir" qui ne présage rien de bon. Je n'ai que peu d'espoir quant à la fin de cette conversation - si elle a lieu - mais mon esprit a tout de même besoin d'être fixé. C'est oui ou non. Je ne recherche pas d'entre deux.
L'après-midi s'est malheureusement déroulée sous un tonnerre de tâches. Les pensionnaires déjà présents ont fait leurs bagages pour laisser la place aux nouveaux. Il a fallu, entre-temps, changer toute la literie, faire le ménage, préparer le dîner et s'occuper de Cody qui nous suivait sans nous lâcher une fois ses amies dans l'avion, direction Londres.
Fatigué, je me laisse tomber sur le sofa. La lune est brillante, haute dans le ciel, elle cohabite avec les étoiles et illumine un peu le salon. J'allume la télévision alors que Cody débarque en pyjama, son doudou à la main. Sans parler, il s'installe à mes côtés, se colle carrément contre mon torse. Avec un sourire, je dépose mon bras autour de ses épaules et le laisse s'installer à son aise.
Je zappe un peu le programme télévisé pour finalement laisser Gulli, la seule chaîne qui trouve grâce aux yeux du petit monstre dans mes bras. Au bout d'un moment, je récupère un plaid que je place sur nous deux, puis zieute autour de moi à la recherche de son père. Nulle trace de Walter. Tant pis. Je n'ai pas envie de me prendre la tête ce soir.
🎄
— Shay.
— Hmm ?
J'ouvre un œil et tombe sur le visage de Walter, un visage bien trop près. Je me redresse d'un coup, parfaitement réveillé. Il me sourit alors que je me recoiffe en constatant que le salon est plongé dans une semi-obscurité.
— Tu t'es endormi sur le canapé.
— Où est Cody ?
— Je suis allé le coucher il y a quinze minutes. Tu devrais aller dormir dans ta chambre.
— Hmm.
Je repousse le plaid et me lève, groggy. Il s'écarte pour me laisser passer, je lui souris d'un hochement de tête et, le pas lent, je rebrousse chemin jusqu'aux escaliers. La main sur la rambarde, je m'arrête, farfouillant dans mes cheveux, l'esprit carburant difficilement.
— Un problème, Shay ? demande-t-il dans mon dos.
Je me retourne, le contemple en silence et laisse mes émotions prendre le dessus. Le baiser de cette nuit, aussi torride que mon imagination, ne cesse de m'interroger. Pourtant, il a été parfaitement clair : bien que son attirance à mon égard soit réciproque, il ne recherche rien. Alors pourquoi foutre le bordel dans ma tête ? Je crois que je suis déçu de constater que notre histoire - bien qu'elle n'ait pas besoin d'un tel nom - soit aussi courte.
— Je suis perdu Walter...
Il penche la tête sur le côté, m'interroge du regard avant de se pincer les lèvres tout en fuyant mes yeux. Il n'a pas besoin que je pose de mots sur mes pensées pour les comprendre.
— Shay..., dit-il, résigné.
— Je sais, le coupé-je. Tu as été clair : tu recherches quelque chose de sérieux et je suis un mec sans attaches.
Il fixe ses chaussettes - affreusement moches, disons-le - avant de me porter un regard embêté. Bien que Cody et Walter ne partagent que peu de traits en commun, sa posture et sa manière d'agir me le rappelle amplement. Un sourire amusé étire mes lèvres.
— Malgré tout, tu ne peux pas dire que ce baiser ne t'as rien fait, insisté-je comme si cela pouvait changer les faits.
Il ouvre la bouche pour protester, mais se ravise aussitôt. Un sentiment de victoire s'empare de mon cœur. C'est comme si l'espoir renaissait, chose improbable puisque je connais déjà le fin mot de cette conversation.
— Je ne vais pas te mentir Shay, tu me plais, mais j'ai été très clair. Je tiens quand même à rajouter que je n'ai pas pensé que tu étais un coureur de jupons...
— Ok..., sourié-je un peu tristement.
On s'observe en silence durant de longues minutes. On dit parfois que les silences valent mille mots, pour ma part, ils ne permettent que de mettre en lumière tous les obstacles qui se dressent entre deux personnes. Je sens mes épaules se relâcher sous mon soupir résigné. Walter monte les marches et s'arrête à ma hauteur, hésitant.
— Je suis désolé..., murmure-t-il. Je n'aurais pas dû t'envoyer des signaux contradictoires.
— Tu étais bourré, argumenté-je en haussant les épaules.
— Mais je me souviens de tout. De toi qui refusais, qui me mettait en garde... j'aurais dû me montrer plus responsable.
— Laisse tomber Walter. C'est comme ça. On ne va pas dans la même direction.
— Hm.
Il reste silencieux, à me fixer, les lèvres scellées. Comme s'il retenait des mots, des mots que je n'entendrais sûrement jamais. Je ne sais pas à quoi il pense actuellement. Si j'avais les clés nécessaires, je forcerais la porte de ses secrets et tenterais de comprendre cet être si complexe, mais je ne suis pas aussi bien servi. Walter est inatteignable à bien des points de vue. Tantôt une forteresse inviolable, tantôt un groupe de soldats prêt à éventer son adversaire mais dont la cuirasse possède une brèche. Cette petite faille par laquelle j'essaye de me glisser, mais il y a toujours un autre rempart pour m'arrêter. Pourquoi songé-je même à m'insérer quand nos aspirations sont si différentes ?
Pris d'une soudaine audace, je me penche vers sa joue pour y poser mes lèvres en une douce caresse, sa barbe chatouillant mon menton.
— Bonne nuit Walter.
Paralysé, il reste sur la marche alors que je rejoins ma chambre, fermant la porte avec un dernier regard pour le couloir désert.
🎄
~ Mercredi 28 Décembre ~
Cody éclate de rire face à ma chute presque lamentable. Je leur avais dit que je n'étais pas doué sur des patins ! Ce n'était pas qu'un mythe. Je n'ai plus remis les pieds sur une patinoire depuis ma quatrième parce que je m'étais fait mal au coccyx en essayant d'impressionner Chad, le petit intello de ma classe. Chad qui n'avait d'ailleurs rien à faire d'un gamin de treize ans qui crushait sur lui puisqu'il avait fini par embrasser Betty, la première au classement de notre collège. Mon premier amour s'était terminé par une crise de larmes et de colère injustifiée. Chad ne m'avait rien promis, il n'avait même pas conscience de mon attirance et j'étais juste blessé de ne pas avoir obtenu ses faveurs. Quand j'y repense, j'étais vraiment un gamin.
— Ça va aller ? rit Shelby en me tendant la main.
Walter m'a offert mon après-midi et j'avoue ne pas avoir protesté pour prendre quelques heures de détente. Ça ne me ferait que du bien et autant en profiter lorsque mon patron se montre aussi généreux.
J'accepte son aide et me relève en époussetant mon jean constellé de poudreuse. Cody, les deux mains devant sa bouche, continue de pouffer. Ses boucles sont écrasées sous un bonnet en laine qui fait ressortir la couleur si particulière de ses yeux.
— Rappelle-moi pourquoi j'ai accepté de vous accompagner ?
— Parce que Cody t'a fait les yeux doux et qu'on ne résiste pas à ce gamin.
— Pas faux, sourié-je en patinant tant bien que mal jusqu'à la rambarde.
Je m'y accroche comme si ma vie en dépendait. Shelby se moque de moi tout en s'excusant. D'un signe de la main, je lui fais comprendre que j'aurais la même réaction si elle était à ma place. Cody, qui a tout de même cinq ans, se débrouille bien mieux que moi ! Quelle injustice...
— On va faire un petit tour, si t'as besoin d'aide, n'hésite pas à nous faire signe, me dit Shelby avec un sourire amusé.
— Je retiens. Si je ne meurs pas entre-temps.
Elle lève les yeux au ciel et entraîne son neveu sur la piste, me laissant tout seul. Je les observe patiner avec aisance parmi la foule de gens. Ils se débrouillent à la perfection, comme à peu près toutes les personnes ici présentes. Dépité, je sors mon portable pour répondre aux textos de mes parents. Leur message de bienveillance et d'amour m'arrache un sourire. Une vibration m'indique la réception d'un autre SMS. Surpris, mes sourcils se lèvent alors que je parcours le texto du regard.
"Boss sexy :
Si, avant de revenir, tu peux passer acheter de la crème fraîche et des lardons au supermarché, je te remercierais :) Je rembourserais. Merci."
Un petit mot doux, ça aurait coûté quoi ? Tu deviens fou, Shay..., songé-je en rangeant l'appareil dans mes poches. Je quitte la piste au bout d'une heure de supplice et préviens Shelby de mon petit détour, les priant de s'amuser durant mon absence. Mes achats en main, je reviens pour les regarder et deux heures s'écoulent avant qu'on ne se décide à rentrer.
Shelby enlève les patins de son neveu et puisque le sol est complètement trempé, je le prends dans mes bras le temps qu'elle récupère ses chaussures.
— Je t'attends dehors, il y a trop de monde ici, indiqué-je.
Pour me faire comprendre qu'elle a entendu, elle hoche la tête et je me fraye un chemin devant le petit bâtiment qui accueille tous les téméraires prêts à se fouler une cheville sur la glace.
Cody entoure mon cou de ses deux bras et pose sa tête sur mon épaule en battant des jambes. Il est adorable. Je craque complètement. Je crois que j'aimerais bien avoir un enfant. À trente-cinq ans, il serait temps de se poser la question ! Apercevant un banc au loin, je préviens le petit ange en me décalant.
— On va s'asseoir là-bas pour attendre tata.
— Ok !
Il n'a même pas regardé. Ses paupières se ferment déjà, nul doute qu'il est éreinté de son après-midi.
— Hé !
Une main m'agrippe violemment le bras, m'empêchant de poursuivre ma route. La voix grave qui vient d'agresser mon tympan est détenue par un homme brun, de la même taille que moi. Quoi qu'un chouïa plus grand. J'arque un sourcil légèrement méprisant, n'appréciant que très peu son intervention trop familière.
— Oui ?
— Qu'est-ce que vous foutez avec ce gosse ?! Lâchez-le.
Perdu, je le contemple sans comprendre. Je fouille dans mes pensées pour savoir si je l'ai déjà croisé, mais sa tête ne me dit strictement rien. D'un geste, je tente de lui faire lâcher prise, ses doigts s'enfoncent dans mon bras. Agacé, je perds le masque de bienséance pour le toiser méchamment.
— Ne me touchez pas.
— À moins que tu sois son père, ce dont je doute, ce gamin n'est pas le tiens. Donc pose-le et j'éviterais d'ameuter les flics pour kidnapping.
Non mais il est complètement taré ?! Je m'apprête à lui rentrer dedans avant de rationaliser. Cet homme doit sûrement connaître Walter et Cody. C'est une petite ville, les citoyens veillent les uns sur les autres. Cet inconnu ne m'a sûrement jamais vu avec le père du petit, inquiet il tente sans doute de faire justice lui-même. Plus calme, j'essaye de le rassurer :
— Je suis employé par son père, il n'y a aucun problème. Je comprends votre inquiétude, mais tout va bien, hein Cody ?
Effrayé par le ton rauque de l'inconnu, l'enfant ne répond pas, cramponné à moi. L'homme me coupe la route, ses amis rangés à ses côtés.
— Walter n'a jamais embauché qui que ce soit. Repose ce gosse avant qu'on en vienne aux mains.
L'irritation revient à la charge, mais je tente de rester calme. Je n'ai pas besoin de créer du grabuge, je vois déjà les gens se retourner sur le chemin, curieux et alertés par notre altercation.
— Ecoutez, vous faites peur à Cody donc je vous prierais de me lâcher. Ensuite, j'appellerais Walter qui vous confirmera mon identité et on oubliera cette histoire, ok ?
Mon ton excédé ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. Il fronce les sourcils et ouvre la bouche, mais la voix de Shelby claque dans les airs.
— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Tyler.
D'un hochement sec de la tête, elle salue l'inconnu qui lui lance un regard hébété. Il a vraiment un air débile, celui-là...
— Tu le connais ? demande-t-il en me désignant de son index.
— Tes parents ne t'ont pas appris que c'était malpoli de pointer les gens du doigt ? répliqué-je d'une voix moqueuse.
Le regard étonné de Shelby me fait prendre conscience que les mots ont dépassé ma pensée. Coupable, je me pince les lèvres tout en frottant le dos de Cody pour le rassurer.
— C'est Shay, il travaille avec Walter. Et je peux savoir ce que ça peut te faire ?
Je ne connais Shelby que depuis quelques jours, mais son air condescendant et le mépris qui brille dans ses yeux me font comprendre que je n'aimerais pas être son ennemi. Les femmes sont parfois effrayantes quand elles détestent quelqu'un.
— Euh... bah, il, Cody...
Et t'en perds tes mots maintenant ? Si c'était pour une prestation aussi ridicule, je me serais passé de ton interruption, songé-je avec un sourire goguenard. Mon air mutin semble le rendre fou de rage. Il se contient, ses poings se serrent, mais Shelby requiert toute son attention.
— La crise de la quarantaine, en plus de t'avoir rendu affreusement con, t'a fait perdre les notions de langage ? Si tu veux, il me reste encore des places en maternelle.
Ouuuuh... je ne sais pas ce que lui a fait ce type, mais je n'aimerais pas être à sa place. Note à moi-même : Shelby peut avoir une langue de vipère.
— Shelby ! s'offusque-t-il.
— C'est bien mon nom, répond-elle fièrement. Autre chose ?
— Je... tu... pas besoin de te comporter comme ça avec moi, ça fait deux ans maintenant.
Était-il son ex ? Impossible, d'après les dires de Walter, sa sœur ne voyait que Jett. Et ce, depuis longtemps. Pourtant, ce prénom ne m'est pas anodin.
— Tu aurais dû déménager si tu souhaitais éviter mes remarques, sourit-elle, les mains campées sur ses hanches.
Il soupire, passe une main dans ses cheveux et pose un œil sur Cody qui l'observe à la dérobée, les sourcils froncés.
— Je pensais juste qu'un inconnu s'en prenait à son fils...
— Oui, son fils, rit-elle de façon mauvaise. Personne ne t'a attendu pour s'occuper de Cody. Il me semble que tu as perdu ce droit il y a bien longtemps. Tu nous excuseras, mais on est occupé. On y va, Shay.
Totalement largué, je me contente de lui emboîter le pas non sans jeter un dernier regard à ce Tyler qui nous fixe avec un air indéchiffrable.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro