WALTER

~ Samedi 24 Décembre ~

     Refuser d'aller plus loin avec Shay m'a mis un coup au moral, d'autant plus que l'ambiance était assez gênante suite à ma déclaration. Il a hésité quelques secondes avant de tourner les talons sans prononcer le moindre mot, quittant la pièce en la plongeant dans un silence de mort. Je regrette déjà ma décision : Shay réveille un instinct que je pensais pourtant profondément endormi. Il possède un magnétisme évident et ce serait mentir que d'affirmer qu'il ne me fait pas saliver. Cependant, la rencontre fortuite entre Tyler et moi semble avoir rempli l'engrenage d'écrous brisés, empêchant la machine de fonctionner correctement.

     Même si je le voudrais, son image ne cesse d'apparaître dans mon esprit et de remettre en question toutes les décisions que j'ai pu prendre depuis qu'il est parti. Je m'en veux de me laisser embourber dans d'anciens schémas que j'étais pourtant persuadé d'avoir enfin surmonté. Un soupir de lassitude mêlé d'agacement m'échappe alors que je pétris la pâte, sourcils froncés.

     Il me faut bien trois bonnes minutes avant de me rendre compte que la voix familière de ma sœur m'appelle à l'autre bout de la cuisine. Je relève la tête pour la dévisager, elle et son sourire bienveillant. Je n'ai pas besoin d'être Einstein pour comprendre que Jett lui a parlé de notre rencontre au supermarché. Et j'aurais souhaité qu'il garde la bouche fermée.

     — Comment vas-tu ?

     — Bien. Je suis assez occupé, Shelby.

     — Je me doute, le réveillon de noël est l'un des jours les plus importants pour toi. Je passais juste kidnapper mon neveu et prendre de tes nouvelles.

     — Oh arrête, je sais que Jett te l'a dit.

     — M'a dit quoi ?

     Pendant une minute, je me demande si son mari ne l'a vraiment pas mis au courant, puis je me souviens que c'est ma sœur et qu'il ne résiste pas très longtemps quand quelque chose le tracasse.

     — Shelby, grogné-je.

     — Ok ! dit-elle en levant les deux mains devant elle, en signe de paix. Il m'a effectivement parlé de ton altercation avec Tyler... est-ce que... comment tu te sens ?

     — Ça fait deux ans Shelby, soupiré-je, blasé. Je suis passé à autre chose.

Elle fait la moue, se mord la lèvre inférieure et franchit la distance qui nous sépare pour s'accouder face à moi.

     — Walter, tu le considérais comme... l'amour de ta vie. C'est normal de ne pas être capable de tourner la page.

     Irrité, je dépose brutalement la boule contre mon plan de travail avant de me munir d'un rouleau pour la compresser et n'en faire qu'une pâte lisse. Je passe ma frustration sur ce plat comme si cela pouvait faire disparaître tout mon passé.

     — Ça n'a rien à voir. Tyler n'est plus rien depuis qu'il a pris cette décision.

     — Alors... tu es prêt pour une nouvelle relation ?

     — Pourquoi devrais-je seulement me remettre avec quelqu'un ? soufflé-je, contrarié. Je suis très bien, seul, avec Cody.

     — Ne monte pas sur tes grands chevaux, riposte-t-elle en levant les yeux au ciel. Je te demande juste si tu as avancé.

     — Tyler n'est qu'une erreur de mon passé.

     — Walter !

     — Non, je ne changerais pas d'avis. Et tu le partages également.

     — Peut-être..., se mord-elle la lèvre, mais je sais aussi que vous vous aimiez très fort.

     — C'était avant...

     Je ne finis pas ma phrase, elle me paraît toujours horrible. Rien que d'y penser, je me sens coupable. Coupable que ce soit un motif de rupture. Elle pose sa main sur la mienne, cessant mon mouvement. Je remonte vers ses yeux pour y lire toute la compassion qu'elle ressent à mon égard. Un petit sourire étire mes lèvres.

     — Je vais bien Shelby. Je me serais juste passé d'un tête-à-tête avec le croquemitaine.

     Elle lâche un petit rire tout en se redressant. Je termine de mettre la pâte dans le plat prévu à cet effet, puis me rince les mains.

     — Est-ce que tu as besoin que j'aille cracher devant sa porte ?

     — Non. Ça ne va pas dans ta tête ?!

     Elle éclate de rire face à mon air courroucé. J'esquisse un petit sourire au moment où Cody pénètre dans la cuisine, son doudou à la main. Quand il voit sa tante, il lui saute dans les bras et récupère un baiser sur la joue. Elle le dépose sur une chaise et il fixe les pommes avec envie.

     — Qu'est-ce qu'on mange ce soir ? demande-t-il.

     — Beaucoup de choses, répondé-je en plaçant la compote sur la pâte.

     — Miam miam, dit-il. J'peux prendre une pomme ?

     — Tiens mon coeur, lui souris-je.

     Je lui tends un bout de pommes coupé qu'il récupère entre ses doigts pour tout de suite en croquer un morceau.

     — Bon, je t'attends demain dans la soirée, hein ! dit-elle en se redressant. Tu emmènes Shay, d'accord ?

     — Quoi ? Pourquoi ? demandé-je, tout de suite sur la défensive.

     Elle arque un sourcil, pose un poing contre sa hanche et me dévisage avec ce petit air sévère, l'air de dire "tu veux vraiment que je te fasse un dessin ?".

     — Parce qu'il est seul ici, loin de sa famille, et que noël ne doit pas se passer en solitaire.

     — Il ne fait pas partie de notre famille, grogné-je en décorant la tarte.

     — Fais un effort, homme de Cro-Magnon ! rispote-t-elle en levant les yeux au ciel.

     — Shay, il passe noël avec nous ? demande Cody en cherchant un essuie-tout.

     — Oui, parce que papa est hyper généreux et ne veut pas le laisser tout seul. Il est super gentil ton papa, hein ?

     Je la vois manipuler mon fils avec une aisance qui me ferait presque frémir. D'un regard noir, je l'avertis de ne pas en dire davantage. Cody s'enthousiasme à l'idée d'être entouré de tant de personnes. De quoi me faire grincer des dents.

     — Mon papa, c'est le meilleur du monde !

     Et comment pourrais-je briser l'image de super-héros qu'il me donne au quotidien ? D'un soupir résigné, j'accepte ma sentence :

     — J'inviterais Shay...

     Le sourire triomphal de Shelby me donne une poussée d'urticaire.

     — Tu m'inviteras ? Où ça ? demande l'intéressé en débarquant dans la cuisine.

     Et merde..., songé-je en me pinçant les lèvres. Shelby se retourne avec un grand sourire en direction de cet apollon pour lui annoncer la bonne/mauvaise nouvelle.

     — Passer noël avec nous demain soir, si le cœur t'en dit.

     — Oh... euh, je ne veux pas m'imposer, répond-il en me jetant un regard.

     Indéchiffrable, je lui renvoie son reflet sans cesser de préparer ma tarte aux pommes. Il me dévisage quelques secondes de trop, puis reporte son attention sur ma sœur qui lui sourit, fière de son coup.

     — T'imposer ? Quelle blague ! Je suis heureuse de t'inviter, Shay. Tout comme mon mari l'est également.

     — Eh bien... si ça n'embête personne, je l'accepte.

      — Marché conclu ! s'enthousiasme-t-elle en claquant dans ses deux mains.

     Je lâche un discret soupir alors qu'elle récupère son manteau négligemment posé sur le dossier d'une chaise, ébouriffant les cheveux de mon fils. Elle dépose un baiser sur son front et lui demande :

     — Tu veux venir jouer avec tata toute la journée ? Papa doit s'occuper du repas.

     Cody fronce les sourcils et gonfle ses joues en avalant la dernière bouchée de son bout de pomme. Il me fixe, mécontent, puis répond :

     — Non ! J'veux faire à manger avec papa.

     — Ça va être très long mon ange, tente-t-elle.

     — M'en fiche ! J'veux être avec papa. Hein, papa ? Tu veux bien ?

     Il me sert ses deux yeux remplis d'espoir et d'un sourire, je capitule. De toute façon, je préfère l'avoir dans les pattes plutôt que de le savoir à l'autre bout de la ville, dans les bras de sa tante et non des miens.

     — Laisse mon fils tranquille. Fais ton propre enfant pour éviter de m'enlever le mien.

     Elle m'envoie un regard blasé, claque sa langue contre son palais, puis tourne les talons en saluant tout le monde non sans tapoter la joue de Shay qui écarquille les yeux. Il la suit du regard un moment avant de m'interroger, visiblement surpris :

     — Ta sœur est hyper tactile, non ?

     — Si ça te dérange, dis-lui, répondé-je en plaçant la tarte aux pommes dans le four.

     Quand je me retourne, son expression est étrange. Les yeux plissés et la bouche entrouverte, il me fixe en silence alors que Cody s'impatiente sur sa chaise.

     — On fait quoiiii ?

     — Viens là bonhomme, dis-je en lui souriant. Il faut te mettre un tablier pour que tu ne te salisses pas.

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Nous sommes au quinzième chapitres, il y en a 27 au total et les choses s'accélèrent 🤭