Chapitre 10
SHAY
~ Lundi 19 Décembre ~
Je crois que j'ai merdé. Et pour de vrai cette fois-ci. Ma question, pourtant innocente, semble l'avoir complètement braqué. Alors qu'il se targue d'être toujours professionnel, il ne m'a pas adressé le moindre regard en prenant la tête de file et a repris la marche sans s'être assuré que j'étais prêt. Sujet sensible : noté.
Je soupire, l'air froid m'irrite les poumons, et je lutte pour ne pas tomber. Nous ne sommes qu'à quelques minutes de la fin de cette interminable randonnée, mais cette côte semble se prolonger à chacun de mes pas. Les pensionnaires en viennent même à m'encourager. Quel professionnalisme de ma part... Je plaisante avec eux dans l'espoir que Walter ne me tienne pas rigueur de mon incompétence bien que sa mauvaise humeur trouvera forcément une façon de s'abattre sur moi à tout moment.
Lorsque j'arrive enfin au sommet, je me laisse volontairement tomber dans la neige en poussant un râle de plaisir. Il a beau faire -7°, je sens chaque parcelle de ma peau évacuer l'effort que je viens de fournir en suant à grosses gouttes. Les retraités viennent me rirent au nez avant de m'éventer avec des sourires attendris. Je les remercie d'un sourire et me redresse pour épousseter la neige dans mes cheveux. Certains flocons s'aventurent dans ma nuque et je frissonne. Dès que je pose un pied dans cette maison, je file sous une bonne douche chaude !
— Des chocolats chauds devant un bon feu, ça vous tente ? propose Walter en souriant.
Ok, un chocolat chaud et après la douche ! Aussitôt, les participants s'enthousiasment et reprennent le chemin qui mène à la maison d'hôte. Je grogne et me remets sur mes deux pieds. Walter les fait entrer, j'en profite pour me débarrasser des raquettes. Lorsque mes bottes retrouvent la neige, je pousse un soupir satisfait. Alors que j'allais entrer, Cody prononce mon prénom.
Un sourire sur les lèvres, il court jusqu'à moi en brandissant je ne sais quoi dans sa main droite. Ce gosse est un amour ! Avec sa bouille d'ange, tout le monde est susceptible de lui céder. Il pourrait demander la lune qu'on la lui donnerait sur un plateau d'argent.
— Shay, j'ai...
Il ne finit pas sa phrase, emporté par son élan. Il trébuche brutalement pour s'étaler sur la neige de tout son long. Shelby, qui verrouillait sa voiture, se précipite dans sa direction et je l'imite immédiatement. Cody éclate en sanglots, je m'accroupis devant lui alors que sa tante tente de le redresser. Mon cœur manque un battement, la vue du sang qui dégouline de sa bouche glace le mien, mon souffle s'arrête.
— Oh mon dieu ! s'exclame Shelby, tout aussi choquée.
Même son intervention ne parvient pas à me sortir de ma catatonie. Je suis paralysé devant ce gamin en pleurs qui crache littéralement du sang sur un tapis de neige blanc. Lorsque Shelby plaque un mouchoir sur la bouche de Cody, je me ressaisis et réfrène la nausée qui me submerge. Je me relève en tremblant, tourne sur moi-même en tentant de réfléchir correctement.
— Bon sang... chéri, ça va, ce n'est rien.
Il crache du sang, bordel ! m'écrié-je mentalement. Pour dissiper mon propre malaise, je décide de trouver une solution qui calmera l'enfant bien que mon teint pâle ne doit pas être très rassurant.
— Cody, je suis sûr que tout va bien se passer, ok ? On va aller voir papa et il va s'en occuper, hein ?
Parce que là, je vais sans doute vomir mes tripes, tomber dans les pommes ou les deux en même temps, pensé-je en pressant la main du petit. À peine posons-nous un pied dans la maison que Walter débarque, alerté par les pleurs de son fils. En voyant l'état de Cody, il se précipite en nous l'arrachant pratiquement des mains avant de grimper les escaliers rapidement, direction la salle de bain.
Je fixe les escaliers en silence, tentant de refouler la vague de sensations écrasantes qui m'assaillent. La vue de ma manche ensanglantée me fait vaciller. Mes oreilles sifflent, j'ai la tête qui tourne. Shelby intervient aussitôt, elle me maintient et m'installe sur les dernières marches.
— Eh, nous fait pas un malaise...
— Il y avait tellement de sang..., soufflé-je en me passant une main sur le visage.
Je ferme les paupières pour me calmer, mais la bouche, les dents et le menton ensanglantés de Cody me reviennent en mémoire. Je me laisse glisser sur mon fauteuil de fortune en plaquant une main contre mon ventre dans l'espoir d'endiguer toutes ces sensations que je déteste mais qui me sont si familières. J'ai des sueurs froides pourtant je dézippe ma combinaison pour chercher un peu d'air frais.
Shelby attrape mon visage de ses deux mains tout en fronçant les sourcils. J'aimerais la repousser, lui faire comprendre que je préfèrerais être seul. Pourtant, je ne dis rien. J'ai l'habitude de gérer ces petites crises.
— C'était rien Shay. Je suis certaine que c'est juste superficiel.
Juste. Je ne pourrais en être certain seulement lorsque Walter reviendra. Je suis vraiment la pire des chochottes ! Un peu de sang et me voilà pris de vertige, à un doigt du malaise. Mon teint blême doit vraiment inquiéter Shelby puisqu'elle reste à mes côtés en me jetant de fréquents regards.
Au bout de ce qu'il me paraît une éternité, Walter et Cody refont leur apparition. Le petit a les yeux rougis par ses pleurs et serre contre lui son lapin en peluche, son autre main cramponnée à celle de son paternel. Shelby se relève aussitôt, désolée. Elle caresse doucement la joue de son neveu complètement débarbouillé. Il n'y a plus une trace de sang, comme si tout ceci n'avait été que le fruit de mon imagination. Le seul vestige de cet accident n'est autre qu'une empreinte prononcée de ses dents sur la lèvre qui a éclaté contre le sol.
— Je suis tellement désolée Walter... ! Il est sorti rapidement de la voiture et il y avait du verglas, j'aurais dû...
— C'est bon, coupe son frère en s'asseyant à côté de moi, récupérant son fils sur ses genoux. C'est superficiel.
Attentivement, il vérifie la plaie de son bout de chou, puis rassure sa sœur d'un petit sourire.
— C'est encore un enfant, c'est normal qu'il trébuche et qu'il se fasse mal. Ma réaction était également assez excessive.
— Mais légitime, sourit-elle avant de se passer une main dans les cheveux. Bon... je vais rentrer. Et prend soin de Shay, je crois que Cody lui a fait une peur bleue.
Elle me sourit malicieusement, je ne la remercierai pas de centrer l'attention sur moi. Walter fronce les sourcils et me dévisage alors que son ange se colle contre son torse, caressant son petit nez du bout de l'oreille de sa peluche. Il semble bien plus calme maintenant, bien qu'il renifle par moments.
— Tu vas bien ? demande-t-il.
— Ça va, répondé-je en souriant pour le rassurer. J'ai juste... une aversion naturelle pour le sang.
Je grimace, il arque un sourcil tout en caressant tendrement le dos de Cody. Shelby sort en refermant doucement la porte et il commente :
— Tu avais pourtant l'air de gérer tout à l'heure.
— Je n'en avais que l'air. Estimes-toi heureux que je n'ai pas tourné de l'œil ! Un simple saignement de nez me fait perdre tous mes moyens...
Il se pince les lèvres, tente de retenir un sourire moqueur, mais se laisse rapidement gagner par l'émotion. Mon propre sourire lui répond. Je préfère qu'il en rit plutôt qu'il ne me resserve ce regard assassin en me retirant Cody des bras. Discuter me permet de penser à autre chose, la terre cesse de tourner et le sifflement disparaît. Je me noie volontiers dans ses yeux chocolat avant de redessiner les contours de son visage, puis de fixer ses lèvres avec avidité.
— Tu veux que je t'apporte un peu d'eau ? Ou du sucre ?
— Ça va aller, merci.
C'est la première fois qu'il se montre aussi attentionné. Je ne peux pas m'empêcher de lui sourire. Cody porte son pouce près de sa bouche, mais s'arrête en grimaçant. Il plonge le nez dans son doudou et je craque complètement. Je n'ai travaillé que peu de fois avec les enfants, mais ils ont toujours cette manie de se rendre particulièrement adorable. Walter intercepte mon regard et me sourit tendrement, ce à quoi je ne m'attendais absolument pas. Gêné, je me redresse et me racle la gorge avant de tendre mes jambes devant moi.
— Tu n'es pas obligé de rester ici.
— Je veux juste m'assurer de ne pas te payer pour te voir t'évanouir à la minute même où je détourne le regard, me taquine-t-il.
Le sourire ironique qui fleurit sur mes lèvres semble l'amuser. Je lève les yeux au ciel avant de les obliger à quitter cette place afin qu'ils remplissent leur estomac. Et surtout celui de Cody qui gronde bruyamment. Le petit garçon entoure le cou de son père de ses deux bras et Walter lui dépose un baiser sur le front.
— Je te prépare un café ? me propose Walter qui fait soudainement preuve de beaucoup trop d'attentions.
— C'est proposé si gentiment...
Je papillonne exagérément des cils pour l'embêter, puis soupire quand il disparaît. J'ai bien l'impression qu'il me faille amadouer Cody pour que son père me tombe tout cuit entre les mains. Et pourtant, je ne sais pas s'il serait correct de lui faire baisser ses barrières si nos attentes ne sont pas les mêmes.
Après tout, je ne suis pas Walter. Et qui me dit qu'il ne me voit pas autrement que comme une aventure de quelques jours ?
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