Chapitre 7.2
Kaden m'avait fait visiter les différents dortoirs, l'immense cuisine extrêmement moderne et les autres salons et salles à manger. Les pièces étaient toutes plus originales les unes que les autres, chacune dégageant une atmosphère spécifique. Toutes avaient un thème précis suivant l'artiste qui les avait imaginées et décorées. Des néons, des graffitis, des décors, des plantes décoraient chaque espace. Je sautillais de salle en salle. J'avais l'impression d'être une petite fille un jour de Noël tant j'étais émerveillée par cet endroit. J'aurais voulu tout voir, mémoriser chaque détail afin de ne jamais oublier cet immeuble magnifique. Kaden me parlait beaucoup, ce qui me surprenait. Lui qui paraissait si secret. Ici, il était totalement décontracté, comme dans son élément, et saluait amicalement chaque artiste que nous croisions. Je faisais de même, malgré que ces derniers me lançaient quelques regards étranges. Toutefois, je me sentais un peu mieux accueillies que la dernière fois.
Lorsque je me dirigeai à nouveau vers le salon vintage que j'adorais tant, je sus que la visite touchait à sa fin. J'observai le dos de Kaden, ses muscles se contractant à chacun de ses pas. Il avait passé une heure à me raconter de sa voix rauque et envoutante son projet, son commencement, sa mise en place. J'avais été obnubilée par sa voix douce et son odeur si particulière. J'avais à nouveau ressenti ce lien qui nous unissait. J'avais envie de le toucher, de l'embrasser. Mais je n'en fis rien, ne sachant pas comment m'y prendre. Kaden semblait assez détaché et nous n'avions pas reparlé de notre dernière rencontre. Celle où nous avions été à deux doigts de nous embrasser sous cette voûte étoilée.
Je m'apprêtai à m'affaler dans le divan lorsque Kaden attrapa ma main et m'emmena aux salles d'eau qui se situaient non loin. Après avoir traversé quelques pièces et empruntés quelques couloirs, nous arrivâmes dans une salle pratiquement vide que je n'avais pas encore visitée. Les cabines de douche et les toilettes n'y étaient pas encore installées. Le mobilier avait déjà été disposé, mais les portes devaient encore être placées et les murs consolidés. Ici et là, les blocs étaient encore visibles et quelques personnes appliquaient la première couche de plâtre. Certains artistes qui taguaient et peignaient les murs déjà terminés se retournèrent et me saluèrent timidement tout en fixant nos mains liées d'une manière étrange. Je n'avais même pas remarqué que nous avions entrelacé nos doigts. Gênée, j'essayai de me défaire de l'emprise de Kaden, mais ce dernier ne me laissa pas faire, raffermissant sa prise. Il sourit et alla saluer quelques-uns des travailleurs. Il finit par se détacher de moi quelques instants avant de revenir pour me donner un seau et des pinceaux. J'attrapai le tout maladroitement et nous nous dirigeâmes vers ce qu'il me semblait être les toilettes des filles, au vu des sigles qui trônaient sur les portes. Je déglutis difficilement, appréhendant ce moment. Jase et moi n'étions pas très bricoleurs. Avec les nouvelles technologies que la BPP mettait à notre disposition, nous n'avions jamais eu à toucher un seul pinceau. Mais ici, Kaden n'avait pas les moyens de payer des robots ou d'acheter des outils autonomes. Il faisait donc tout à l'ancienne. Et c'était loin de me plaire. J'allais me ridiculiser.
Dans cette pièce, les sanitaires étaient pratiquement opérationnels. Il n'y avait plus qu'à appliquer deux couches de peinture sur les murs. Chaque cabine était séparée de la suivante par un haut mur blanc. Les portes étaient déjà peintes et quelqu'un avait stylisé les différents miroirs en y apposant quelques dessins. Je me retournai et remarquai que les quelques travailleurs présents avaient quitté la salle. Nous étions seuls dans cette pièce élégante et décorée avec goût.
« Tiens, dit Kaden en me tendant un rouleau et en versant de la peinture rose framboise dans mon bac. Je m'occupe de peindre les murs de gauche. Toi, tu dois faire le mur du fond, continua-t-il en me le désignant. Je sais que ces objets datent des années 2130 mais je ne pouvais pas me permettre d'acheter des robots pour la rénovation du bâtiment, c'était complètement hors budget. Tu sais peindre, j'espère ?
— Ben oui, bien sûr ! dis-je sur d'un ton assuré, ne voulant pas me ridiculiser. »
Il sourit et se dirigea vers le mur qu'il devait peindre, sans me jeter un seul coup d'œil. Je m'approchai alors du mur du fond avec tout mon attirail que je posai délicatement sur le sol carrelé recouvert de bâches. Je pestai intérieurement. Pourquoi diable avais-je dit que je savais peindre ? Je me sentais idiote de ne pas avoir osé expliquer que j'étais incapable d'utiliser un pinceau. Je pris le rouleau en main et l'observai sous toutes les coutures. Comment devais-je utiliser cet outil archaïque ? Je fermai les yeux et soupirai. J'étais une Chasseuse. Ça ne devait pas être bien compliqué. Si ces gens savaient le faire, alors moi aussi.
Je m'encourageai mentalement et fis mine de chipoter avec les outils, les plaçant correctement, me laissant ainsi le temps de comprendre comment il fallait s'y prendre. Je ne voulais pas que Kaden se rende compte que je ne savais pas peindre. Je soupirai une énième fois. J'étais tellement ridicule... Quand je voulais changer les couleurs de ma chambre, mon frère louait un robot et une heure plus tard, ma pièce de quarante mètres carrés était rafraîchie à la perfection. Ici, avec ce rouleau étrange dans une main et un bac rempli de peinture dans l'autre, je ne savais même pas par où commencer. Je me dandinai sur place, reposai le tout à terre et jouai avec mes cheveux. Je passai plusieurs minutes à me faire une queue de cheval, repoussant autant que possible le moment où je devrais me ridiculiser et avouer que j'étais incapable de me servir d'un pinceau.
Je reportai mon attention sur l'espèce de rouleau spongieux que Kaden m'avait donné et soupirai. Je supposai quand même que je devais tremper cet objet étrange dans le bac de peinture. Mais après ? Y avait-il une technique particulière ? Je visualisai l'immense mur auquel je faisais face. Je ne voulais pas gâcher l'œuvre qu'était cet endroit en faisant mal mon travail. Je me retournai afin d'observer discrètement Kaden pour analyser au mieux la situation. Je le vis alors verser de la peinture gris clair dans son bac et y faire rouler son rouleau plusieurs fois pour l'imbiber complètement de peinture. Les muscles qui se contractaient sous son t-shirt m'obnubilèrent quelques instants. Je secouai la tête et ris doucement. Je regardai à nouveau la technique qu'il employait, en fis de même et exécutai de grands mouvements du haut vers le bas exactement comme lui. Je regardai l'immensité du mur. J'en avais pour des heures à l'allure où j'allais.
Vers treize heures trente, Kaden, qui avait fini son mur depuis un bon moment et qui se moquait ouvertement de ma lenteur, s'en alla chercher de quoi manger dans la cuisine qui se trouvait à l'opposé de la pièce dans laquelle nous nous tenions. J'étais mal à l'aise à l'idée de me retrouver seule. Plus il s'éloignait, plus j'avais froid. Je regardai l'immensité de la salle d'eau et frissonnai. J'ajustai mes vêtements et grommelai en fixant le mur devant moi. En deux heures, j'avais seulement peint la moitié, alors que Kaden avait déjà terminé les deux murs qu'il devait faire. Je me sentais nulle, et seule. Pourquoi était-ce si compliqué de peindre un mur ? J'étais une combattante redoutable, intelligente, imbattable. Et je n'étais pas capable de peindre un satané mur ?
Je continuai d'appliquer la peinture sur la surface devant moi qui semblait s'étirer à l'infini, m'encourageant mentalement. Je le faisais pour une bonne cause : aider des gens dans le besoin. Alors que j'accélérai la cadence, m'appliquant du mieux que je puisse, un raclement de gorge me fit sursauter et je me retournai pour découvrir une jeune fille aux cheveux roses. Elle se tenait à l'embrasure de la porte, ses bras fins élégamment croisés sur sa poitrine. Elle avait un style un peu punk-rock que j'appréciai immédiatement. Elle avait l'air jeune, mais je voyais à son regard dur qu'elle avait déjà vécu pas mal de choses. Elle semblait sûre d'elle. Je lui souris et lui lançai un vague « bonjour », puis me concentrai à nouveau sur mon travail, tâchant de paraître confiante même si je savais pertinemment qu'avec mon manque d'expérience, je n'aurai jamais terminé ce mur avant ce soir. Et c'était totalement la honte.
Je jetai un nouveau coup d'œil vers la fille. J'aurais aimé qu'elle s'en aille et qu'elle me laisse seule dans ma galère, mais elle me fixait toujours intensément, un petit sourire taquin sur le visage. Je lui souris en retour, mal à l'aise, et baissai la tête, faisant mine d'être concentrée sur mon rouleau que je trempais depuis deux bonnes minutes dans la peinture. J'étais définitivement nulle. Et je voulais qu'elle s'en aille. Je n'avais pas besoin qu'on me juge. Je me sentais assez inutile comme ça.
Je relevai la tête, honteuse, et essuyai mes mains sur mon vieux jeans. Le visage de la jeune fille se radoucit lorsqu'elle perçut mon désarroi et elle se dirigea lentement vers moi. Je déposai mon rouleau et m'assis dos au mur, tâchant d'éviter les zones fraichement peintes et faisant mine de prendre une pause. Je bus une longue gorgée d'eau, priant intérieurement pour que cette jeune fille aux cheveux rose parte. Mais ce ne fut pas le cas. Elle semblait déterminée à rester. Je fis tant bien que mal abstraction de sa présence et effleurai distraitement ma Marque par-dessus ma mitaine. Jase était sûrement en train de chercher la signification de mes nouveaux symboles avec l'aide de Glad-y à l'heure qu'il était. Bientôt, j'en saurais plus sur mon histoire. J'avais hâte de découvrir la signification de mes symboles et j'étais excitée à l'idée de retourner au lac où s'abritaient les Foxites ce soir. Ces innombrables semaines de recherche et d'inactivité m'avaient rendue triste et irritable. Maintenant que nous chassions à nouveau, je me sentais à nouveau vivante.
Je détachai mes longs cheveux blonds, les démêlant avant d'en faire un chignon haut. Je jetai un coup d'œil à la jeune fille qui s'était arrêtée au milieu de la pièce et frissonnai. Elle me faisait peur à me regarder ainsi, sans rien dire. J'avais l'impression qu'elle lisait à travers moi et son regard insistant me mit mal à l'aise. Je souris à nouveau et repris mon travail aussi bien que je le pouvais. Décidément, elle n'avait vraiment pas envie à s'en aller...
J'avais à peine effectué un mouvement que la fille m'interrompit :
« Tu t'y prends mal, résonna une voix douce mais ferme derrière moi. »
Je sursautai et remarquai que la mystérieuse fille se trouvait maintenant à mes côtés. Je regardai l'endroit où elle se tenait quelques secondes plus tôt et frissonnai. Je ne l'avais pas entendue bouger.
« Que... Quoi ? bégayai-je, surprise.
— Ton rouleau, tu le tiens mal, répéta-t-elle. Tu n'arriveras jamais au bout de ce mur comme ça.
— Ah... Je... »
Mon visage devint écarlate.
« Tu n'as jamais peint, n'est-ce pas ? me demanda-t-elle en m'adressant un sourire taquin. Ce n'est pas grave, tu sais. Je vais t'apprendre. »
Elle attacha ses courts cheveux roses à l'aide d'une pince et essuya ses mains pleines de peinture sur son pantalon en cuir noir.
« Au fait, je m'appelle Carly, dit-elle en me tendant sa petite main délicate.
— Lili, dis-je en la serrant.
— Allez ! Passe-moi ton rouleau, je vais te montrer. »
Elle se mit à parler, sa voix douce m'apaisant. Elle ne s'était pas moquée de moi un seul instant. Je secouai ma tête. J'avais été idiote de ne pas oser demander. Cette fille était si avenante et sympathique que je sentis une bouffée d'énergie m'assaillir. De sa simple présence, elle avait effacé tous mes tracas. Une fois que Carly eut fini de m'expliquer à quoi servait chaque outil et comment les utiliser, elle prit le pinceau de mes mains, effleurant mon bras droit. Une vive douleur s'empara immédiatement de ma main et je poussai un petit cri, surprise. Elle m'avait à peine touchée, mais j'avais l'impression que mon sang bouillonnait dans mes veines.
Carly lâcha le rouleau qui alla percuter lourdement le sol, projetant une gerbe de peinture dans les airs. Elle regarda étrangement ma main, effrayée. L'atmosphère alors joviale était à présent glaciale. Elle passa son regard apeuré de mon bras à mon visage, secouant lentement la tête et murmurant de manière incompréhensible. Ma Marque brûlait atrocement et j'avais envie d'arracher violemment mon pull et ma mitaine tant la sensation du tissu rêche sur ma peau me démangeait. La brûlure s'intensifia et je me laissai lourdement tomber sur les fesses tout en fermant les yeux et en me mordant les lèvres pour ne pas hurler. Bon sang, que m'arrivait-il ? Ma Marque ne pouvait pas se compléter maintenant, pas avec Carly dans la pièce. Je devais me reprendre, et vite. Mais la douleur était telle que c'était impossible.
Je vis les Converses rose fuschia de Carly accourir vers moi. Ma vue se troubla ainsi que mes autres sens. J'étais dans la merde. Il me sembla que la jeune fille me parlait, mais je ne comprenais absolument rien à ce qu'elle disait. Son visage aux traits doux et ses courts cheveux roses passaient devant mon champ de vision, mais c'était tout ce que je distinguais. Ses grands yeux brun clair s'arrêtèrent sur mon visage en sueur et elle fronça les sourcils. Elle parut inquiète, mais garda son calme face à ma crise, comme si elle savait ce qu'il m'arrivait. Or, c'était impossible. À moins que Carly soit elle aussi une Chasseuse. Mais ça, ça m'étonnerait fortement. Il ne pouvait pas y avoir autant de Chasseurs non répertoriés dans la base de données de la BPP en un seul endroit. Toute cette histoire devenait trop étrange.
J'essayai de contrôler ma respiration, les yeux grands ouverts, fixant un point imaginaire sur le plafond. Carly m'observait toujours. Elle leva sa main et je me raidis. Elle m'avait à peine effleurée et je me retrouvais dans cet état. Qu'arriverait-il si elle posait la main sur moi ? Morte de trouille, je la laissai toucher mon front et une vague de chaleur apaisante se répandit en moi à son contact. Je hoquetai de surprise et fermai les yeux, ne supportant plus cette sensation de douleur intense. Son contact semblait... magique. Comme si ma douleur quittait mon corps. Je tenais mon bras fermement contre mon pull, priant pour que personne ne voit ma Marque. Si jamais Carly voyait mon bras s'illuminer, ce serait une catastrophe. Et si Jase l'apprenait, il la tuerait sans hésiter pour préserver mon secret. Et même si je ne la connaissais pas, Carly semblait bien trop gentille pour subir un tel sort. Elle ne m'avait posé aucune question et était en train de s'occuper de moi. Je ne pouvais pas la mettre en danger.
La douleur se dissipa et je pus enfin respirer normalement. Carly me dévisageait toujours, la mine inquiète. Elle posa son autre main sur mon épaule et me secoua doucement. Son toucher m'électrifia et de légers tremblements prirent possession de mon corps. Carly retira alors vivement sa main tout en jurant et tenta de m'aider sans oser me frôler, ce qui s'avérait plutôt compliqué. Je tenais toujours mon bras contre moi pour l'empêcher de le voir ou même de le toucher encore une fois. Je ne comprenais rien à ce qu'il se passait. Le toucher de Carly tantôt apaisant me faisait maintenant souffrir. C'était à n'y rien comprendre. Qu'était cette fille, au juste ?
Des gouttes de sueurs perlaient sur mon front, me faisant frissonner. Ma Marque réagissait bien plus violemment que le jour précédent. Peut-être était-ce l'euphorie qui avait balayé ma douleur lors de l'apparition de mes derniers symboles ? Dans tous les cas, j'avais affreusement mal. Et il fallait que je trouve de toute urgence une excuse plausible pour expliquer la situation à Carly. De quoi pouvait souffrir un humain pour se retrouver dans un état pareil ? Une allergie ? Une crampe ? Je n'en avais aucune idée...
« Tu vas bien, Lili ? répéta-t-elle pour la énième fois. »
Je serrai les dents et soufflai un vague « oui ». Ma vision était à nouveau claire et j'apercevais nettement son visage délicat. Ses traits inquiets me brisèrent le cœur. Je ne la connaissais que depuis quelques minutes et elle était là, près de moi, à m'aider comme elle le pouvait. Je contrôlai ma respiration tout en enserrant mon bras, la douleur s'atténuant légèrement. Il fallait absolument que je me reprenne avant que Kaden ne débarque. Je savais qu'il serait bien plus curieux que Carly et je n'avais pas la force de lui mentir.
Remettant une mèche de cheveux roses derrière son oreille, Carly regarda mon bras, que je tenais toujours fermement contre moi, et me demanda :
« Tu veux que j'y jette un coup d'œil ? J'ai fait des études de médecine et...
— Non, surtout pas ! hurlai-je subitement, de manière quelque peu hystérique. »
Ma voix résonna étonnement fort et je plaquai une main sur ma bouche, choquée par ma propre véhémence. Carly afficha une mine étrange suite à mon refus. Son visage se ferma et elle sembla bien moins amicale tout d'un coup. Elle paraissait même... dangereuse. L'air était glacial et une sensation de malaise grandissait en moi. J'avais froid, j'avais peur. Je ne contrôlais plus mes émotions.
« J'ai... euh... souvent des crampes aux bras. Ça va passer, tentai-je maladroitement pour m'excuser. »
Elle me dévisagea, la mine impassible et le regard méfiant. Comprenant que je ne lui dirai rien de plus, elle se leva finalement et poursuivit ses explications sur la peinture, comme si de rien n'était, me laissant assise sur le sol, complètement chamboulée. Elle devait se douter que je lui cachais quelque chose et l'éclat de méfiance et de détermination que j'avais lu dans ses yeux ne me disait rien qui vaille. Elle s'activa tout en me donnant quelques conseils pour pouvoir peindre plus efficacement. Je ne l'écoutais pas vraiment, trop préoccupée par ma Marque douloureuse. Je la remerciai lorsque qu'elle me tendit le rouleau, mal à l'aise. Elle fit tout pour éviter de me toucher. Je le saisis maladroitement et balbutiai quelques remerciements. Elle me toisa durement, puis finit par tourner les talons, sortant de la salle d'un pas rageur sans un seul regard. Je la saluai, perdue. Que venait-il de se passer ?
Je n'eus pas le temps d'y penser. Une fois seule, je tendis mon bras et remontai rapidement ma manche pour observer les nouveaux symboles qui y étaient apparus. Je jetai ma mitaine sur le sol et frottai le magnifique « X » calligraphié qui s'y tenait. Mon regard se porta sur mon avant-bras et je souris. Les petits vides présents entre les volutes noires apparues hier s'étaient complétés. Plusieurs dessins en une fois ! C'est pour ça que j'avais eu si mal. Un cœur, un couteau ensanglanté et un papillon y étaient nettement dessinés. Un sourire béat se dessina sur mon visage et je touchai ma nouvelle Marque, grimaçant encore un peu sous l'effet de la douleur. J'étais tellement heureuse. Les autres Chasseurs cesseraient enfin de se moquer de moi en voyant ma Marque unique en son genre. J'avais hâte de montrer cela à Jase. Mais en même temps, j'étais inquiète. Carly avait réagi si bizarrement. Je priai pour qu'elle ne dise rien à Kaden. Je ne voulais pas le perdre.
Je jetai un coup d'œil aux alentours. Personne. Je pouvais donc poursuivre mon inspection. Je portai à nouveau mon attention vers ma Marque, concentrée sur les nouveaux symboles. La douleur que j'avais ressentie devait venir du fait que de nombreux symboles étaient apparus en seulement deux jours, ce qui n'était encore jamais arrivé à personne. La Marque se complétait doucement, un dessin à la fois. Ici, elle s'était presque totalement développée, comme pour rattraper son retard. C'était exceptionnel !
Ma peau était encore fragile et ça avait été un réel supplice de sentir ces trois magnifiques symboles se dessiner prestement sur mon bras. Je fronçai les sourcils, tentant de déchiffrer ma nouvelle Marque. Le cœur signifiait souvent que le Chasseur avait trouvé celui ou celle qu'il aimait. Mes parents avaient tous les deux ce dessin sur leur épaule. Est-ce que cela concernait Kaden ? Était-il réellement un Chasseur ? Je secouai la tête. Ce symbole restait très vague et subjectif vu qu'il n'était pas question d'âmes sœurs, de doubles ou de destins liés comme on pouvait le lire dans certains livres numériques. Je fronçai les sourcils et passai au dessin suivant. Le couteau ensanglanté était signe de vengeance ou de trahison, comme la dague sur le bras de Jase. Le papillon, quant à lui, marquait l'espoir ou la foi. Je ne comprenais pas très bien d'où me venaient ces dessins et décidai d'envoyer un message à mon frère pour qu'il fasse de plus amples recherches. Je pris une photo avec mon holophone et l'envoyai d'un simple mouvement du doigt à Glad-y. Un léger bruit me fit relever la tête et je plaquai mon bras dénudé contre ma poitrine lorsqu'une voix attira mon attention.
« J'ai pris des pizzas, chaton. »
Kaden s'avança dans la pièce alors que je le dévisageais méchamment, me relevant doucement. Venait-il réellement de m'appeler chaton ?
« Quoi ? me demanda-t-il, incrédule.
— Chaton ? m'offusquai-je, oubliant complètement que ma Marque était à découvert. C'est le surnom que tu donnes à tes pom-pom-girls avant de les sauter ? ajoutai-je sarcastiquement, me rappelant la conversation que nous avions eue l'autre fois, le titillant. »
Il me regarda avec une expression joueuse sur le visage.
« Non... Je les appelle « bébé » souvent, me répondit-il en levant les yeux en l'air pour bien me montrer qu'il racontait n'importe quoi. »
Il me lança un sourire ravageur, fier de lui, et je ris doucement. Sa présence me rassurait tellement que j'avais totalement baissé ma garde, oubliant ma Marque. Je fis une moue boudeuse et croisai les bras.
« Quoi ? Tu n'aimes pas le surnom « chaton » ? me demanda-t-il, à deux doigts d'exploser de rire.
— Si. Enfin non, répliquai-je, le rouge me montant aux joues. Mais c'est que... »
Je tripotai la manche encore relevée de mon pull tout en parlant, gênée. Était-ce de la drague ? Je ris doucement et relevai la tête vers lui en souriant lorsque je remarquai son visage crispé. Ses yeux étaient rivés sur mon bras droit. Son regard devint dur et quelque chose se brisa en moi. L'air sembla à nouveau devenir glacial et je frissonnai. Je suivis son regard et lâchai un hoquet de surprise. Je n'avais pas rabaissé ma manche, me contentant de ramener mon bras vers moi, et Kaden était tout juste en train de regarder attentivement ma Marque. Je bafouillai, totalement perdue. Comment avais-je pu me laisser distraire à ce point ? Je rabaissai la manche de mon pull à toute vitesse et remis maladroitement ma mitaine, grimaçant sous la douleur. Complètement paniquée, j'envoyai un message d'alerte à mon frère en appuyant sur le côté supérieur de mon holophone. Je bafouillai quelques excuses à Kaden, lui expliquant que je devais partir. Je me maudissais d'avoir été si bête. J'étais justement en train de penser que je tenais trop à lui pour le laisser voir ma Marque et c'était exactement ce que je venais de faire. Si Jase apprenait cela, Kaden ne serait plus de ce monde...
Mon cœur se serra à cette pensée. Le regard de Kaden était toujours braqué sur mon bras, maintenant recouvert. Il semblait complètement déconnecté de la réalité. Il tenait fermement les cartons de pizza contre lui et me fixait étrangement. Je plaçai mon bras derrière mon dos, mal à l'aise, et marmonnai rapidement :
« Je... Je dois vraiment y aller. Mon frère m'attend. C'est une urgence. »
Il ne réagit pas. Il me paraissait si distant soudainement. J'avais envie qu'il me prenne dans ses bras, qu'il me dise qu'il n'avait rien vu, qu'il m'embrasse. J'avais envie de remonter le temps, mais ce n'était pas encore en mon pouvoir. J'avais envie d'avoir réagi autrement. Peut-être que si j'avais paru totalement détachée, j'aurais pu prétexter que c'était un simple tatouage, même si la probabilité pour qu'il y croie était mince. Notre Marque était si exceptionnelle qu'elle ne pouvait être confondue avec un bête tatouage que se faisait les humains. Elle dégageait quelque chose de magique, de surnaturel. C'était fichu.
« Je ne savais pas que tu serais si long et je pensais que... que j'aurais eu le temps de finir ce mur, dis-je précipitamment en désignant la surface à moitié peinte dans mon dos. »
J'étais tellement stressée et désemparée que je débitais des bêtises à toute vitesse pour combler le silence. Face à son manque de réaction, je passai devant lui et sortis sans me retourner. Il avait vu ma Marque, bon sang ! Je devais absolument disparaître de sa vie avant que les choses tournent mal. C'était la règle numéro un : ne jamais dévoiler sa véritable nature. Et moi, j'avais agi comme une débutante. Je jurai et essuyai quelques larmes qui coulaient sur mes joues. Je ne voulais pas le quitter. Mais je le devais.
Je traversai les couloirs à la hâte jusqu'au petit salon vintage pour y ramasser mon sac et le positionner correctement sur mon dos. Je hoquetai en voyant Carly dans un coin de la pièce. Elle me fixait encore plus durement que tout à l'heure. Comme si elle savait. Je grimaçai face à l'intensité de son regard. Cette fille pouvait être aussi flippante que rassurante.
Mal à l'aise, je marmonnai quelques excuses et m'en allai. Je tentai de me repérer dans ce dédale de couloirs et gardai la tête haute. Je ne devais pas pleurer, ni paniquer. Pas maintenant en tout cas.
Toutes les personnes présentes dans le Repaire semblaient s'être déconnectées de la réalité. J'avais l'impression d'être dans un film d'horreur. Elles me regardaient toutes avec de grands yeux, l'effroi se lisant sur leur visage. Je ne savais pas ce qu'il se passait ici, mais ces gens n'étaient clairement pas nets. Un sentiment de peur et de malaise grandit en moi. Mon souffle s'accéléra et je ne voulus plus qu'une seule chose : sortir d'ici au plus vite. Chaque personne que je croisai me dévisageait, le regard vitreux. On aurait dit des zombies. Je passai la porte en me maudissant d'avoir autant baissé ma garde. Je me haïssais tellement ! Qu'avais-je pu croire ? Que j'étais une fille normale ? Bon sang, ce que je pouvais être stupide parfois. J'aurais pu passer une magnifique après-midi aux côtés de Kaden. Mais j'avais tout gâché parce que j'étais incompétente.
Une fois dehors, l'air frais s'engouffra dans mes poumons et me soulagea un peu. Du moins, seulement l'espace d'une seconde. Il l'avait vue. Il avait vu ma Marque. Il savait qui j'étais : une Chasseuse. Je paniquai et m'éloignai du bâtiment sinistre. J'étais triste. Je ne connaissais pas Kaden depuis longtemps, mais je tenais beaucoup à lui. Beaucoup plus que je ne le devrais d'ailleurs. Je ne devais rien dire à Jase. Je devais me calmer. Mais je n'y arrivais pas. Je voulais partir en courant. Mais j'avais tellement envie de retrouver Kaden, de lui expliquer. Je jurai entre mes dents, prête à m'arracher les cheveux. Pourquoi n'arrivais-je pas à maîtriser la situation ?
Une main se referma sur mon poignet alors que je tremblais comme une folle, me faisant sursauter. On me força à me retourner et mon souffle se bloqua dans ma poitrine. Je plongeai mes yeux dans ceux de Kaden. Ces yeux si magnifiques qui m'obsédaient tant. M'avait-il suivie ? Mes dents claquaient. J'avais froid. J'avais peur. Je me perdis dans son regard comme à chaque fois et y décelai une pointe d'espoir. De l'espoir ? Il devrait pourtant avoir peur de moi, me prendre pour un monstre. Pourtant, il était là, devant moi, à me fixer intensément et à me dévorer du regard. Ses yeux dérivèrent vers ma bouche et je me mordis inconsciemment la lèvre inférieure. Il serra la mâchoire et se jeta littéralement sur moi, m'embrassant avec passion. Il passa sa main dans mes cheveux blonds et m'attira contre son torse dur et ferme. D'un coup, j'oubliai tout. Je me laissai faire, répondant à son baiser. Je me sentais bien, là, avec lui, et c'est tout ce qui comptait. Il brisa notre étreinte et recula, le regard autant chargé de désir que le mien.
« Écoute Lili, commença-t-il. Je dois te dire quelque chose d'important et...
— Non, attends, le coupai-je. »
Prise d'un élan de courage, je passai mes mains autour de sa nuque et l'embrassai à mon tour. J'avais agi sur un coup de tête, ses lèvres me manquant déjà atrocement. Il gémit et pressa son torse contre le mien. Mon corps était en ébullition et mon cerveau semblait clairement aux abonnés absents. Je profitai de ce moment intime avec lui et me pressai encore plus contre son corps ferme. Ses mains caressèrent mes cheveux et le bas de mon dos avec avidité, comme s'il en voulait plus. Sa langue caressa timidement mes lèvres et je les entrouvris, avide de ces sensations nouvelles. Puis, doucement, je me détachai de lui et pressai mon front contre le sien, nos souffles se mêlant. Notre baiser avait été intime, bien trop intime pour être fait en public. Si quelqu'un nous avait vu... Nous nous étions embrassés comme si notre vie en dépendait.
« Lili, souffla Kaden de sa voix rauque. Pour ton...
— Non, je veux t'expliquer, le coupai-je à nouveau.
— Lili, je sais ce que tu vas me... »
Un coup de klaxon me sortit de mon état second et interrompit Kaden. La voix de mon frère me surprit :
« Lili Clark ! Tu vas monter dans cette putain de bagnole, et tout de suite ! hurla-t-il, visiblement mécontent. »
Je sursautai. Bon sang, il fallait vraiment qu'il arrive maintenant. Je rougis et me retournai rapidement pour m'enfoncer dans le pick-up noir, ignorant le regard lourd de sens de Jase. Apparemment, quelqu'un nous avait vu. Et j'aurai espéré que ce soit n'importe qui sauf mon frère. C'était absolument gênant. Jase démarra en trombe, faisant vrombir le moteur. Je n'avais pas osé regarder Kaden. J'avais eu peur de l'intensité de son regard. J'avais eu peur de ne plus savoir me passer de lui si je le fixais encore une fois. Et j'avais peur de ce qu'il allait me dire et de ce que j'avais été prête à lui révéler.
Mes joues étaient aussi rouges qu'une écrevisse, mes cheveux étaient emmêlés à cause du vent et des caresses de Kaden et mon cœur était prêt à sortir de ma cage thoracique. Je touchai légèrement mes lèvres et souris : ce premier baiser avait été incroyable.
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Voici une partie un peu plus longue pour clôturer le chapitre 7 !
Merci de me lire !
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LosUnivers
Publié le 19 novembre 2017 / Modifié le 20 août 2021
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