21 octobre - ROYAUTE
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Le Bois de Hal était tapissé de jacinthes violettes immortelles qui répandaient un parfum enchanté sous les branches ployant et agitées par le vent. Dans ce bois vivaient les cerfs d'or sacrés que nul humain n'avait eu la chance d'observer. Leur robe d'un blanc immaculé contrastait avec leurs bois dorés. Ceux-ci reflétaient la lumière du soleil et réchauffaient assez la terre pour permettre au parterre fleuri de subsister.
Ils étaient libres, heureux, protégés par les frontières de cette forêt enchantée. Leur protecteur, appelé "le Roi Cerf" par les humains, serait capable de modifier les bois pour égarer les humains qui s'y aventuraient. Il était mi-cerf mi-Dieu et naissait dans les eaux du lac Opal au centre du Bois de Hal. Il habitait le lac tout comme il était le lac lui-même. Il en était le corps tout comme l'âme qu'il offrait volontiers aux cerfs d'or sacrés lorsqu'ils venaient s'abreuver tranquillement en son sein. Il agissait souvent depuis sa cachette, sous sa forme la plus intangible et volatile, restant invisible aux yeux de son propre peuple. Mais de temps à autre, il venait veiller sur les siens depuis la surface.
Dans ces instants, le soleil dirigeait ses pleins rayons vers la surface scintillante du lac et le Roi Cerf en émergeait paré d'un manteau de vagues et de brume. Sur ses longues mèches blanches trônait un diadème de pierres de soleil et d'eau. Elles venaient cercler un visage opalin, rayonnant, aussi doux que le parfum des Jacinthes.
La partie supérieure de son corps, à l'image des humains, possédait un torse finement sculpté, deux bras aux mains généreuses et un dos, paré quant à lui de bijoux fins et légers qui tintaient mélodieusement, agités par la transformation. La partie inférieure de son corps en revanche, était celle puissante d'un cerf à la robe de même couleur que sa chevelure, aux sabots robustes, qui marquaient dans la terre humide, un chemin que suivait son peuple.
Sortant du lac, au centre de toutes les attentions, il se cabrait, se dressant fièrement sur ses pattes arrière en une promesse éternelle envers eux. Celle d'offrir cette puissance toute entière à la protection des siens.
Et il n'avait jamais failli à sa tâche.
Les humains étaient leur plus grande menace et jusqu'à ce jour aucun d'entre eux n'avait réussit à s'enfoncer assez profondément dans la forêt pour les apercevoir ou bien goûter l'eau du lac.
Pourtant, en ce jour particulier et rare ou le Roi Cerf s'était hissé jusqu'à la surface, un humain en avait été le témoin.
S'apercevant de sa présence, les cerfs blancs s'enfuirent en bonds paniqués à travers les bois laissant leur Roi, qu'ils savaient tout-puissant, seul face à cet étranger trop curieux.
D'une voix souveraine et menaçante, amplifiée par son statut, qui résonna jusqu'à la lisière de la forêt, le Roi s'adressa à l'audacieux.
- Comment, humain insignifiant, es-tu parvenu jusqu'ici ? Les chemins s'effacent, les arbres dansent, les collines se déplacent, aucun humain avant toi n'a su déjouer ce labyrinthe mouvant!
L'humain recula, tâtonnant autour de lui la faune pour ne pas trébucher. Cette voix suprême faisait trembler le sol et son maigre corps posé dessus. Cette aura était dotée d'une chaleur qui consumait l'air autour de lui et brûlait presque sa peau tout juste couverte de vêtements en piteux état.
- Ô, Roi de ces bois, veuillez pardonner mon impudence, je ne vois pas, je suis aveugle, je ne me repère qu'aux sons et aux odeurs. J'ai suivi jusqu'ici le doux parfum des Jacinthes qui tapissent ce havre de paix.
Le Roi Cerf fut surpris par ses mots et adoucit quelque peu cette voix tonitruante.
- Viens-tu de la ville ?
- Non Majesté, j'erre de village en village en offrant mes savoir-faire ou mes services à ceux qui voudront bien de moi.
- Seuls mes sujets peuvent s'appliquer à utiliser le mot "Majesté", je ne suis pas ton Souverain, tu n'appartiens pas à ce peuple, ni à ces bois, va-t-en.
- J'ai entendu bien des légendes sur vous, votre horde, et cette forêt enchantée. Je n'avais jamais pensé que cela puisse être réel, mais me voilà face à vous, imaginant d'après les récits que l'on m'a compté, votre corps mi-dieu, mi-cerf ; vos mèches immaculées, coiffées de pierres de soleil et vos yeux dorés. Je n'ai jamais trop fait attention à ma condition, j'ai appris à vivre avec depuis ma naissance. Mais Roi Cerf, en cet instant, je n'ai jamais tant regretté de ne pas voir. J'aurais voulu admirer votre somptuosité surnaturelle.
Le Roi plissa les yeux ne sachant pas si cet humain tentait de l'amadouer en le complimentant, attirer sa sympathie ou sa pitié.
- Je sens une douce chaleur émaner de vous et je suppose les pierres de soleil en être les auteures. Mais je sens aussi une fraîcheur qui provient certainement de l'habit de lac dont vous êtes enveloppé. Vos sabots martèlent le sol énervé, furieux ou exaspéré. Les vibrations me parviennent jusqu'ici et je tremble face à votre colère, et suis navré d'en être la cause.
Le Roi bien qu'irrité, demeurait curieux et écoutait donc cet étranger déblatérer des paroles d'aucune utilité.
- Cette forêt, est-elle claire ou sombre ? Les Jacinthes, peuplent-elles tous les sous-bois où sont-elles simplement le tapis de votre demeure ? Les saisons modifient-elles le climat ici-bas où votre divine présence préserve-t-elle ce lieu des froids et des tempêtes ?
Le Roi quitta la rive de son lac pour s'approcher de cet homme qui tremblait.
Et plus il avançait, plus l'humain tremblait.
Il attrapa sa main et l'étranger sursauta avant que le demi-cerf ne pose ses doigts sur le pelage qui recouvrait son flanc. L'humain d'abord hésitant se mit à caresser lentement cette fourrure d'une douceur irréaliste. Prenant soin de contrôler la force qu'il y mettait, frôlant à peine sa robe pour ne pas la marquer de ses doigts abîmés et creusés.
- La forêt est claire, les Jacinthes sont le berceau de ma demeure et de celle des cerfs sacrés, la seule saison qui nous couve est celle d'un printemps des plus doux et jamais mon peuple ne souffrira du froid, de la maladie ou de la faim.
- Quel environnement paisible, murmura l'étranger, un tendre sourire naissant sur ses lèvres.
- Je pourrais voiler tes autres sens, te perdre à jamais dans ces bois, masquer le parfum des fleurs et celle de la ville. Je pourrais te garder prisonnier à jamais dans cette forêt où personne ne te retrouverait.
- Il n'y a de toute façon personne qui souhaite me retrouver. Personne ne m'attend en dehors de ces bois.
La main de l'humain glissa sur le poitrail du Roi, sentant sous ses doigts la frontière entre sa partie animale et sa partie humaine. Il sentit la musculature de son torse puis de sa poitrine, sa gorge et enfin son visage. Il redessina doucement les traits de sa mâchoire, l'arrête fine de son nez, les contours de ses yeux autour desquels il devina de longs cils qui se fermaient au passage de sa main. Il termina ce lent parcours dans les mèches infiniment longues et légères de la divinité.
Le Roi l'avait laissé faire, restant silencieux, attendri peut-être par cet humain qui n'avait rien à perdre et découvrait son corps par bien d'autres moyens que celui de la vue. Il s'assurait de la véracité des légendes sans qu'il ne soit capable de les raconter ensuite à la ville. Personne ne prendrait au sérieux ses paroles, il le savait. Et le Cerf le savait aussi.
- Ici, tu perdras la notion du temps et de l'espace, tu ne croiseras plus jamais aucun humain, tu te nourriras de ce que nous auront à te donner, tu demeureras le seul de ton espèce, tu seras condamné à rester des jours durant avec les Cerfs sacrés qui ne parlent pas ton langage. Es-tu prêt, humain, à te plier à ces contraintes ?
- Je suis prêt.
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