7. D'une importance capitale (partie 2)
Le jour suivant, ce fut avec ce petit sentiment de supériorité procuré par la certitude d'avoir un coup d'avance que Barne se leva. Il prit, comme chaque matin, son petit déjeuner sur la table de jardin qui jouxtait la porte d'entrée de la maison, à l'ombre des arbres. La matinée d'été était douce et tiède.
Amélise et Milia se levèrent peu après lui et s'assirent à sa table. La plupart du temps, Barne s'arrangeait pour rester seul et pour éviter de parler aux autres habitants de la maison – à l'exception notable de Zarfolk qui avait l'avantage de se ficher complètement des plans de Carmalière. Cette fois, pourtant, il se dit que c'était une belle occasion d'observer, goguenard, les tentatives plus ou moins fines d'Amélise et Milia de le rallier à leur cause.
— Belle journée, n'est-ce pas ? lança-t-il à la cantonade.
Les deux amies se regardèrent avec incrédulité : Barne était rarement aussi démonstratif, surtout le matin.
— Très belle, effectivement, fit Milia.
— D'ailleurs, on sort, aujourd'hui, ajouta Amélise. On va faire un petit tour en ville. Ça t'intéresse ?
— Oh. Non, merci. Je dois m'occuper du potager avec Zarf.
— _Zarf_ ? dit Milia avec un air amusé. S'il t'entend l'appeler comme ça, c'est toi qui va finir dans le potager...
— Tu n'en as pas marre de rester à la maison ? tenta Amélise. Tu n'es pas sorti depuis qu'on s'est réfugiés ici.
— C'est plus prudent, non ? argua-t-il. On est recherchés, je vous le rappelle. Si vous voulez aller crapahuter dans les rues de la capitale alors que tous les gens un tant soit peu connectés ont votre portrait en tête, libre à vous. Je préfère jouer la sécurité.
— On est capables de modifier nos apparences, tu sais, dit Amélise. La tienne aussi, si tu le souhaites.
— Ma tête me convient très bien comme elle est, dit Barne en souriant avant de boire nonchalamment une gorgée de café.
Il était content de son effet : l'elfe et la fée semblaient désemparées et entamèrent leur petit déjeuner en silence. Même Milia en oublia de lancer une plaisanterie sur la tête de Barne – par exemple en lui indiquant qu'elle n'aurait jamais dû convenir à qui que ce soit.
Après quelques minutes, Amélise engagea la conversation avec sa camarade.
— Bon. Quel est le programme ?
— Eh bien, après nos repérages à la Fabrique Adabra, je suggère qu'on...
— La Fabrique Adabra ? coupa soudain Barne sans le vouloir.
Mince. Il s'était pourtant promis de ne montrer aucun signe d'intérêt. La Fabrique Adabra était une chaîne de supermarchés très connue, une sorte de magasin de bricolage mais dédié aux objets magiques. Boo'Teen Corp, l'entreprise où Barne et Carmalière travaillaient – ou plutôt, _avaient travaillé_ jusqu'au week-end précédent – était un des fournisseurs de la Fabrique Adabra.
— Oui, dit Milia en sautant sur l'occasion. Carmalière pense que l'Épée des Serfs se trouve dans un des laboratoires de la Fabrique. Pourquoi, tu sais quelque chose à ce sujet ?
— Sur la Fabrique Adabra ? dit Barne en levant un sourcil. Il y a des magasins dans toutes les grandes villes de Grilecques. Qui ne connaît pas ? Qu'est-ce que tu veux donc que je sache que tu ne saches pas déjà ?
Oh non, pensa-t-il. Était-ce juste cela, l'importance capitale qu'on lui prêtait ? Parce qu'il était employé chez Boo'Teen Corp, il devait avoir des informations confidentielles sur la Fabrique Adabra ? Si c'était cela, ils allaient tous être déçus...
Pourtant, non, se dit-il. Ça ne pouvait pas être cela, puisque Carmalière _aussi_ était un employé de Boo'Teen Corp. Et, maintenant qu'il y réfléchissait, sans doute à un poste plus élevé que le sien.
— En tout cas, dit-il d'un air faussement blasé, si on peut trouver l'Épée des Serfs au supermarché du coin, ça désacralise vachement la légende...
— Ne joue pas l'idiot, dit Milia. On parle d'un laboratoire de recherche et développement, pas d'un rayon de magasin.
— D'après le rapport qu'on a récupéré à la BNPO, poursuivit Amélise, la dernière transaction connue autour de l'Épée des Serfs remonte aux années cinquante. Un vieil orque rentier l'aurait trouvée dans le grenier d'un des domaines familiaux et l'aurait revendue à Sabrelo.
— Sabrelo qui, si tu te souviens bien, reprit Milia, est une vieille marque d'épées magiques. Marque qui a été rachetée il y a une bonne vingtaine d'années par...
— La Fabrique Adabra, conclut Barne à contre-cœur.
— Tout juste, dit Amélise qui souriait devant un Barne inhabituellement loquace. On suppose que l'Épée est conservée dans un des départements R&D de la boîte. Probablement ici-même, à Sorrbourg. On a quelques lieux en vue, dont un en particulier qu'on doit vérifier.
— Ce serait logique, renchérit Milia. Ce genre d'entreprise compte beaucoup sur son patrimoine pour développer de nouveaux objets magiques. La magie de l'Épée des Serfs est d'un type particulièrement rare et sophistiqué – celle des elfes, sans vouloir m'envoyer des fleurs. Je doute que quiconque soit capable d'en percer les mystères, mais je ne serais pas surprise si des magénieurs ne continuaient pas à l'étudier aujourd'hui encore.
— Donc si je résume, fit Barne, vous espérez identifier dans quel laboratoire exactement elle se trouve et, j'imagine, y entrer par effraction pour la voler ?
— On pourrait aussi faire une pétition pour leur demander de la rendre, ironisa Milia, mais oui, c'est l'idée.
Barne ne répondit pas et les deux femmes se turent également. Les doux bruits du vent dans les arbres et des gazouillements d'oiseaux troublait à peine le silence. Barne réfléchissait : s'il en avait appris plus sur les projets de ses camarades, il n'était en tout cas pas plus avancé sur ce qui le rendait si important à leurs yeux.
— Eh bien, dit-il en se levant, amusez-vous bien.
Et, satisfait par les expressions de déception qui s'affichaient sur le visage des deux femmes, il rentra à l'intérieur de la maison sans leur laisser le temps de répondre.
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