6. Un dimanche chez l'ogre (partie 3)
Barne continua à aider Zarfolk à jardiner jusqu'à la fin de la journée. Les ampoules sur ses doigts ne s'arrangeaient pas mais il tenait tout de même à participer à l'entretien du potager : c'était la moindre des choses puisqu'ils profitaient tous de la nourriture patiemment cultivée.
À la fin de la journée, il proposa de ranger les outils et se dirigea vers le petit cabanon de bois. L'heure était tardive et le chemin de terre qui y menait n'était pas éclairé. Si Barne n'avait pas passé de longues heures dans le jardin cet après-midi-là, il aurait sans doute trébuché sur une ronce ou un gros caillou mal placé.
Arrivé à quelques mètres du cabanon, il s'arrêta net : quelque chose _bougeait_ à l'intérieur. Quelque chose de résolument peu sympathique. Des bruits inquiétants filtraient à travers les fins murs de bois, des grattements et surtout... des grognements, comme le bruit d'une bête sauvage qui se serait retrouvée coincée ici et qui essaierait désespérément d'en sortir.
Barne eut un mouvement de recul. Il n'avait aucune idée du genre de bestiole qui pouvaient peupler le jardin... Il jeta un regard à Zarfolk derrière lui mais celui-ci venait de passer le seuil de la porte. Barne était seul.
Il hésita un instant à suivre Zarfolk à l'intérieur de la maison pour demander de l'aide. Il se ravisa en pensant qu'il risquait fort de passer pour pleutre s'il s'avérait que la bête là-dedans n'était ni féroce ni même sauvage...
Sans faire de bruit, il posa les quelques outils, binettes et râteaux qu'il tenait et conserva une grande pelle qu'il empoigna fermement. Il respira pour se donner du courage et posa la main sur la poignée de la porte du cabanon. Il y eut un faible grincement et la créature qui était à l'intérieur cessa de faire le moindre bruit. Le sang de Barne se glaça : il était repéré.
Il fallait qu'il prenne une décision rapidement : fuir et appeler à l'aide ou jouer le tout pour le tout en ouvrant la porte pour en avoir le cœur net. Ne tenant toujours pas à passer pour un lâche, ce fut la seconde option qu'ils choisit.
Il tira la poignée d'un coup sec et brandit sa pelle en hurlant.
— YAAAAAAAAAAH !
Deux voix répondirent :
— AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !
— AAAARRGHHHHHHHHHHHHHHHHH !
Il n'y avait pas de bête sauvage : à la lueur de la Lune, Barne reconnut Pod et Milia. Ils le regardaient avec effroi, lui qui s'apprêtait à les frapper avec une énorme pelle. Mais surtout... ils étaient nus comme des vers.
— MAIS T'ES COMPLÈTEMENT TARÉ ? s'écria Pod en dissimulant sa nudité à l'aide de son pantalon qu'il ramassa par terre.
Milia aussi se couvrit d'un air gêné en récupérant ses vêtements dispersés un peu partout dans le cabanon. Barne lâcha sa pelle et se retourna d'un mouvement vif.
— Mince ! Pardon ! Désolé ! Mince... Je croyais avoir entendu un animal sauvage...
Milia laissa échapper un hurlement de rire qui embarrassa encore plus Barne. Pod fulminait :
— ENFIN TU POUVAIS QUAND MÊME FRAPPER AVANT D'ENTRER, MERDE !
Barne se retourna avec précaution. Ses deux camarades s'étaient rhabillés à présent. Milia était en proie à un véritable fou rire et Pod regardait ailleurs, gêné. Elle sortit du cabanon en récupérant son soutien-gorge au sol.
— Haha ! Je... Haha ! Je vous laisse entre... Ha ! Entre garçons. Haha !
Avant de partir, elle se retourna et fit un signe à Pod.
— À plus tard... l'animal sauvage !
Puis elle éclata à nouveau de rire et partit vers l'entrée de la maison en courant. Le silence qui s'imposa après que la porte d'entrée eut claqué fut lourd. Pod remettait sa ceinture et Barne ne savait pas s'il devait parler ou...
— Euh, je... tenta-t-il prudemment.
— Ouais ?
— Je suis désolé.
— Ouais.
— J'savais pas que...
— Ouais.
— Ouais.
— Voilà.
Nouveau silence. Barne et Pod se dévisageaient. En silence. Immobiles. Droits comme des piquets. Comme deux cons, pensa Barne.
— Allez, ça va, finit par dire Pod en attrapant une cigarette magique dans sa poche. C'est pas grave.
Barne se détendit et s'alluma une cigarette également.
— J'suis vraiment désolé, hein, répéta-t-il au gnome.
— C'est pas grave, j'te dis ! De toute façon, tu sais, j'avais pas prémédité le truc... c'est arrivé comme ça...
— C'est arrivé sacrément vite, si j'puis me permettre, remarqua Barne. Le syndrome de l'otage sous le charme de sa geôlière ? Le coup de foudre ?
— Nan, fit le gnome. Je sais pas. C'est venu comme ça. C'est le contexte, je pense : l'excitation de l'aventure, le danger, tout ça. Et puis, bon...
Il se rapprocha de Barne et murmura.
— C'est une elfe. Avoue, ça te ferait pas rêver, toi ?
— Au risque de te surprendre à nouveau, figure-toi que j'ai été _marié_ avec une elfe.
— Sans déconner ? s'écria le gnome en ouvrant des yeux ronds.
— Oui. Mais toi... tu vois, ça m'étonne que... enfin, j'veux dire... j'savais pas que...
— Qu'un gnome pouvait le faire avec une elfe ? conclut Pod qui avait deviné où Barne voulait en venir. Bah si, carrément. Y'a pas de raison...
— Ça ne pose pas un problème de... euh, de _taille_ ?
La taille d'un petit être était un sujet qu'il était assez inconvenant d'aborder aussi frontalement. Barne n'aurait pas pu imaginer être plus mal à l'aise, mais sa curiosité avait été piquée... et puis, de toute manière, il était déjà allé bien loin sur le chemin de l'indiscrétion : autant mettre les pieds dans le plat.
Pod ne sembla pas vexé le moins du monde. Il eut même un petit rire en tirant sur son guioska.
— Tu appelles ça un problème, fit-il malicieusement, moi j'appelle ça un avantage. J'vais pas te faire un dessin, mais imagine un peu la scène : j'ai une _vue_ imprenable...
Barne n'avait pas la moindre envie d'imaginer ses camarades en pleine action, mais il avait compris où le gnome voulait en venir.
— Enfin, quand même... faire ça _dans un cabanon_ ?
— Pour commencer, je te rappelle que je partage ta chambre, alors pour l'intimité, on repassera. Encore une fois, c'est arrivé comme ça, sans prévenir... On fouillait le cabanon pour voir si Zarfolk n'y planquait pas des armes...
— DES ARMES ? Mais pourquoi ?!
— Parce qu'on va se mettre à la recherche de l'Épée des Serfs, bien sûr.
— Vous comptez assassiner beaucoup de monde ? demanda sombrement Barne.
— Pour le moment, on a quelques repérages à faire, expliqua Pod. Des endroits où on soupçonne que l'Épée soit cachée. N'empêche qu'on doit prendre des précautions...
Barne termina sa cigarette. Toute leur discussion _salace_ semblait futile maintenant qu'on lui avait remis cette histoire d'Épée dans la tête. Il n'aimait pas du tout la tournure que prenaient les choses...
— Tu ne veux pas venir avec nous ? demanda Pod avec les yeux pleins d'espoir.
— Pour l'instant, je vais aller dormir, fit Barne, évasif.
Il prit congé puis, pris de remords, revint vers son ami gnome.
— Je vais dormir sur le canapé, lui dit-il. Je te laisse la chambre. Considère ça comme ma façon de m'excuser...
— Sympa ! Merci, dit le gnome en lui souriant.
Barne rentra pour de bon cette fois et alla déménager ses affaires depuis la chambre vers le salon. Il était ouvert d'esprit, mais si des galipettes gnomo-elfiques devaient avoir lieu sur son lit, il n'avait pas l'intention d'aller y reposer ses fesses de si tôt...
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