3. À l'aventure (partie 3)
La salle des archives était tout aussi intimidante que le reste du bâtiment. Les bibliothèques en bois sombre s'élevaient jusqu'au plafond voûté en une série de demi-dômes. Barne était impressionné par la quantité de documents entreposés là. Il y avait quelque chose d'anachronique dans tout cela, à l'ère où tout était de plus en plus numérisé et où une bibliothèque de cette envergure pouvait tenir dans une carte mémoire de la taille d'une phalange.
Amélise et lui étaient seuls dans la pièce. Les tables et les étagères qui prenaient la poussière confirmaient que cette section de la bibliothèque était peu fréquentée. Leurs pas résonnaient en écho sur les parois de pierres polies.
— Maintenant, il s'agit de trouver ce que l'on cherche dans ce bazar, murmura Barne qui n'osait lever la voix.
— Il y a une inscription en haut de chaque étagère : j'imagine qu'elles indiquent ce qui s'y trouve.
Barne plissa les yeux en regardant en l'air. Les étagères faisaient facilement sept mètres de haut et si les inscriptions étaient bien visibles, elles étaient écrites si petit qu'il était presque impossible de les lire. Les rangées étaient séparées par des échelles auxquelles il fallait grimper pour accéder aux documents stockés en hauteur.
— On ne voudrait pas nous rendre la tâche facile, n'est-ce pas ? maugréa Barne. Si on doit monter à chaque échelle une par une pour lire l'inscription, on va y passer la journée.
— Pas forcément, fit Amélise d'un ton confiant.
— Tu arrives à voir quelque chose ?
— D'ici, non, dit-elle en retirant sa veste, mais j'ai un petit avantage.
Elle posa son vêtement sur une table tandis que ses grandes ailes se déployaient dans son dos. En quelques secondes, elle s'était déjà envolée et flottait à plusieurs mètres du sol. Ses ailes transparentes et argentées battaient très vite en faisaient étonnement peu de bruit. Barne ne pouvait s'empêcher de la comparer, dans sa tête, à une libellule géante. Il n'avait rencontré que peu de fées dans sa vie, et il ne se souvenait pas en avoir déjà vu une voler. Il devait admettre qu'observer les ailes d'Amélise vibrer ainsi avait quelque chose d'envoûtant... d'hypnotisant, même.
Elle vogua à travers les allées et commença à examiner les inscriptions en haut de chaque étagère.
— « Décrets Prud'Orquaux »... « Anciens textes de loi dont l'application a cessé »... « Comptes-rendus d'Assemblées Syndicales »...
Elle énumérait ainsi chaque section tandis que Barne la suivait, en bas, toujours fasciné par le vol majestueux de la fée.
— « Dérogations et autorisations spéciales »... Ah ! « Actes de jugements Prud'Orquaux ». Ce doit être là-dedans.
— C'est classé par dates, fit Barne qui regardait à présent les nombreux étages de l'étagère. Carmalière a parlé d'une affaire datant d'une quarantaine d'années... ça nous ramène dans les années 6570.
— Là, par contre, nous n'avons pas le choix : il va falloir descendre un certain nombre de dossiers et examiner le tout en bas.
Amélise en emporta quelques-uns dans ses bras. Barne, qui ne voulait pas rester les bras croisés, se hissa à l'une des deux échelles qui délimitaient l'étagère et attrapa à son tour quelques dossiers. Ils s'assirent tous deux autour d'une table et se plongèrent dans l'étude des documents.
— Le plaignant s'appelait Ovart, rappela Amélise. Il y a des chances que ce soit indiqué sur la pochette du dossier en question.
— Ovart ? fit Barne, surpris. Comme le guitariste ?
— Le guitariste ? Tu parles de Jorn Ovart ? Attends, tu _connais_ Jorn Ovart ? Je ne pensais pas que le rock elfique des années quatre-vingts était ton genre...
— Tu m'excuseras, dit Barne, vexé, mais on ne se connaît pas encore assez pour que tu saches ce qui est « mon genre » ou ce qui ne l'est pas...
— Tu as raison, s'excusa Amélise. Toujours est-il que : oui, c'est le même nom... mais je doute que ce soit la même personne. Pour ce que j'en sais, le guitariste a eu plus de démêlées avec la drogue qu'avec un hypothétique patron...
— Faut admettre...
— Honnêtement, je n'ai aucune idée d'un éventuel lien de parenté entre le guitariste et le type qui nous intéresse... Continuons donc à chercher. Un dossier qui s'appellerait « Affaire Ovart », « Instruction Ovart » ou quelque chose dans ce style...
La recherche n'était pas des plus aisées : il semblait n'y avoir aucune norme et aucune cohérence entre les dossiers. Certains portaient une inscription au marqueur bien visible, d'autres étaient décorés d'une étiquette détaillée et parfois à moitié effacée. D'autres enfin n'en avaient pas du tout et Amélise et Barne devaient alors l'ouvrir et examiner la première page pour y trouver l'information qu'ils cherchaient.
Après plusieurs minutes, Barne tomba enfin sur le bon document. Une pochette bleue très cornée, avec une étiquette jaunie sur le dessus qui disait : « Acte de condamnation du 22 détriembre 6568 dans le litige opposant _Godirik Ovart_ à _Tromk & Associés_ ».
— Définitivement pas le guitariste, donc, fit Barne avec une légère pointe de déception dans la voix.
— Peu importe ! s'écria Amélise. Ça doit être ça !
— Ne crions pas victoire trop vite, répondit Barne avec prudence, voyons un peu ce que raconte ce dossier.
— Jolie esperluette, fit Amélise en regardant la pochette.
— Pardon ?
— Je parle du petit « et » recourbé dans « Tromk & Associés ».
Barne dévisagea la fée et lança :
— Super. Nan, sérieux, c'est _super-intéressant_. T'es l'experte calligraphie du groupe ? Ça nous avance à quoi, dans le contexte ?
— On appelle ça de la _typographie_, ignare. Et oui, il se trouve que je suis calée en la matière, pourquoi ? Ça te défrise ?
— Bon sang... pardon, mais... _mais qu'est-ce qu'on en a à carrer_ ?
— Dis-donc, s'énerva Amélise, j'ai quand même le droit d'apprécier les belles choses, non ?
— C'est vraiment le moment ?
— BON ! Eh bah, ouvre-le, ce foutu dossier ! Ah, j'te jure ! On m'y reprendra, à enquêter avec des aigris pareils !
— _Aigri_ ? s'exclama Barne en refermant d'un coup sec le dossier qu'il avait commencé à ouvrir. Excuse-moi de trouver légèrement secondaire la _police d'écriture_ du dossier qui pourrait me permettre d'attaquer mon patron en justice ! Ça fait de moi un type _aigri_ ?
— Ouais, parfaitement : t'es aigri ! Quand on sait pas où trouver de petits bonheurs futiles même dans les choses sérieuses, on n'sait pas trouver le bonheur tout court !
— Quoi ?! Mais c'est pas possible d'entendre des conner...
Un bruit strident l'interrompit : une forte sirène s'était déclenchée. On aurait pu croire à une alerte au feu. Des pas précipités retentissaient dans le couloir par lequel étaient arrivés Amélise et Barne. Ils interrompirent leurs chamailleries et se regardèrent avec incrédulité.
D'un coup, la grande porte de bois s'ouvrit et claqua contre le mur. Carmalière et Milia entrèrent dans la pièce, essoufflés et avec des airs paniqués sur leurs visages.
— Nous sommes repérés, annonça Carmalière. Nous avons intérêt à déguerpir d'ici, et vite !
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