12. Le réveil (partie 1)
La soirée s'acheva dans une relative sérénité. L'abcès avait en quelque sorte été crevé. Même s'il était évident que tout le ressentiment de Jasione n'allait pas s'évaporer en une minute, elle semblait l'avoir mis de côté et eut une conversation courtoise avec la compagnie.
Amélise lui expliqua la situation, depuis la venue de Barne chez la FNT jusqu'à leurs petits exploits qui les avaient menés à elle. Ils la mirent également au courant de la légende de l'Épée des Serfs et de leur plan pour la récupérer. À la surprise de Barne, elle ne montra pas le moindre signe d'intérêt pour l'objet en question. Il se rappela bien vite que les nains prenaient grand soin de snober tout ce qui avait trait à la magie et en particulier à celle des elfes. Le fait que Jasione fût une employée de la Fabrique Adabra n'y changeait d'ailleurs rien : comme beaucoup de travailleurs, ses convictions profondes s'effaçaient devant le simple besoin de manger et d'avoir un toit au-dessus de la tête.
La naine, qui avait d'abord beaucoup parlé, ne dit plus rien lorsque le récit s'acheva. Il était tard, et il lui fallait visiblement du temps pour digérer toutes ces informations – sans parler du fait qu'elle hébergeait désormais quatre repris de justice chez elle.
Elle leur signifia malgré tout qu'ils pouvaient rester là, au moins pour la nuit. Son appartement, bien que salutaire, s'avéra rapidement notablement moins confortable que la maison de Zarfolk. Il ne comportait qu'une pièce d'à peine vingt mètres carrés. Évidemment, Jasione avait un tout petit lit. Carmalière, quant à iel, avait l'honneur d'utiliser le canapé. Les autres durent dormir à même le sol à peine rembourré par quelques couvertures.
La magicienne dormait déjà lorsque Jasione éteignit la lumière. Amélise, épuisée elle aussi, sombra rapidement dans un profond sommeil. Barne, de son côté, fixait le plafond sur lequel se dessinaient des raies formées par la lumière d'un réverbère extérieur, filtré par les stores à la fenêtre.
— Barne, murmura Pod qui était allongé à côté de lui, tu dors ?
— Non.
— Moi non plus...
— Tu penses à Milia ?
— Ouais... j'espère qu'elle va bien.
Avec toutes les péripéties de la journée, ils avaient à peine eu le temps de penser à la perte de leur camarade elfe...
— Elle doit simplement être en garde à vue, dit Barne en se voulant rassurant. Ça n'est pas bien marrant mais elle ne doit pas être en danger. Je m'inquiéterais plus pour Zarfolk...
Pod ne répondit pas. Barne ne s'était pas attendu à ce qu'il partage ce sentiment... Eux qui étaient six le matin même avaient perdu un tiers de leur groupe. C'était un coup dur.
— Il faut qu'on fasse quelque chose pour Milia, murmura Pod.
Ce fut Barne qui resta silencieux cette fois. Il aurait voulu compatir, mais en vérité il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il était envisageable de faire pour venir en aide à Milia...
— J'dis pas ça pour faire le chevalier blanc, hein, ajouta Pod comme pour se justifier. J'suis pas amoureux ni rien, mais... on peut pas la laisser tomber.
— Je sais, Pod, je sais.
Après quelques instants où tous deux restèrent plongés dans leurs pensées, Barne entendit la respiration de Pod se faire plus régulière. Il dormait. Barne, lui, n'arrivait pas à trouver le sommeil, et pas seulement à cause de son épaule encore douloureuse.
Il était passé très près de la mort à plusieurs reprises et c'était une expérience nouvelle pour lui... une expérience dont il se serait bien passé. Il en avait bavé... il avait reçu une balle... lui, le petit employé de bureau ; lui, dont la plus grande aventure jusqu'ici avait été son mariage avec une femme d'une autre espèce que la sienne. Être confronté ainsi à sa propre mortalité, à la fragilité de son existence, cela lui avait suffisamment retourné les tripes pour lui coller une insomnie qui était partie pour durer.
Cela en valait-il la peine ? À chaque pas, à chaque étape de son aventure, il avait continué en se disant qu'il était déjà allé trop loin pour s'arrêter. Oui, mais s'il avait été tué à la Fabrique ? Ou s'il devait l'être le lendemain ? Son esprit était engourdi par de telles questions. Étrangement, plus il se posait ces questions, plus les risques étaient grands, et plus il lui semblait que la réponse était évidente : il fallait qu'il continue. C'était comme si devenir soudainement conscient de la réalité et de la gravité des enjeux – la victoire ou la mort – lui avait donné une sorte de courage, d'instinct viscéral : abandonner maintenant serait comme abandonner tout espoir d'une vie meilleure.
Il repensa à Carmalière, aussi. Carmalière qui avait manqué de se faire cribler de balles pour le protéger, lui. Aurait-il imaginé le magicien capable d'un tel geste ? Sûrement pas. Il s'en voulait à présent d'avoir été si méprisant son égard... Il ne s'était pas attendu à se sentir si mal en voyant son camarade affaibli et impuissante. Malgré ses désaccords, il avait toujours vu Carmalière comme un roc auquel s'accrocher en cas de coup dur.
Pour finir, ce fut l'image de Glormax qui lui vint à l'esprit. Le souvenir semblait vague, flou. Était-ce réellement arrivé ? Oui, essayait-il de se convaincre. Il avait envoyé son patron, son petit despote personnel, au tapis. D'un coup de poing comme jamais il n'en avait asséné. Sur le moment, il avait surtout ressenti la douleur physique dans son bras blessé, hurlante, insupportable. À présent, avec le recul, il ressentait une sorte de plaisir sadique ; une joie un peu honteuse au souvenir de ce geste qu'il avait si longtemps fantasmé, pendant les longues heures passées au bureau... lorsqu'il tentait d'ignorer le harcèlement de Glormax.
Et bim, pensa-t-il. En pleine face.
Si la lumière avait été allumée, les autres auraient vu le large sourire qui traversait son visage.
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