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11. Une nouvelle recrue (partie 2)

Les relations entre nains et humains étaient complexes de longue date, pour des raisons tant culturelles qu'historiques. La civilisation naine avait cela de commun avec la civilisation humaine qu'elle avait très tôt été attirée par la science, par la technologie... bref, par tout ce qui pouvait donner les moyens de rivaliser avec des civilisations magiques. La comparaison s'arrêtait là : si la civilisation humaine régnait sur les plaines, les rivières et les bords de mer, la civilisation naine se concentrait dans les montagnes, de sorte que les deux communiquaient peu et vivaient dans une sorte d'ignorance mutuelle.

À la fin du Moyen-Âge, les humains firent la paix avec les elfes et, grâce au partage des connaissances scientifiques et magiques, le progrès technique s'accéléra de manière spectaculaire. Les nains, quant à eux, refusèrent toute alliance avec la magie qu'ils considéraient comme une trahison à leurs natures propres d'inertes.

Les choses auraient pu en rester là si les humains, galvanisés par l'essor économique et culturel que l'alliance avec les elfes leur avait apporté, n'avaient pas décidé d'aller « civiliser » les « barbares » nains. Sous couvert d'aide humanitaire et de partage culturel, les humains purent ainsi en toute tranquillité piller les richesses et les ressources naturelles abritées dans les montagnes que les nains avaient creusé de mines – et elles étaient nombreuses !

Il fallut attendre plusieurs siècles pour que les rébellions successives des nains et l'impopularité croissante de l'idéologie coloniale des humains ne finissent par fissurer les fondations de cette organisation sordide. Les humains durent finalement se retirer des colonies et les nains reconquirent leurs libertés non sans garder une rancœur profonde. Même si la paix régnait depuis ce moment, une certaine crispation continuait à agiter les rapports entre les nains d'un côté et les humains et les elfes de l'autre.

Sans surprise, les nains ne furent pas accueillis à bras ouverts lorsque certains émigrèrent dans les régions de leurs ex-colonisateurs. On s'arrangea pour les parquer à la périphérie des villes ou se développèrent de véritables ghettos de nains. Officiellement bien sûr, tous les citoyens de la Terre de Grilecques étaient égaux, sans distinction d'espèce. Dans les faits, les nains restaient les exclus de la société, condamnés à être rejetés par le monde du travail et accusés d'être les responsables de leur propre précarité.

La violence montait dans ces banlieues naines, violence qu'il était bien plus commode d'imputer à la culture naine qu'à la pauvreté généralisée dans laquelle elles étaient plongées. Les groupuscules identitaires inertes pouvaient alors à loisir déverser leur haine de cette culture naine sous couvert de « patriotisme » ; on montait ainsi des humains en situation précaire contre des nains en situation encore plus précaire ; en définitive, on oubliait les gobelins et les orques qui restaient libres d'organiser cette précarité généralisée.

Ce fut donc avec une certaine angoisse que Barne accueillit l'idée de s'aventurer dans une de ces banlieues où il savait qu'il serait bien mal vu. Sans parler d'Amélise et de Carmalière qui, en tant qu'être magiques, étaient de toute manière indésirables pour les nains. Quand à Pod, son statut de « petit être » pouvait lui être utile, même si dans les faits, les gnomes avaient toujours été bien plus proches des humains que des nains.

La nuit tombait lorsque la camionnette quitta la rocade au niveau de Bundir, la banlieue nord de Sorrbourg. Bundir était une de ces banlieues qui n'apparaissaient aux journaux télévisés que lorsque s'y déroulaient des émeutes ou des affaires sordides. Un panneau indiquait, le long de la bretelle d'autoroute, « Conducteurs : prudence, gardez vos vitres fermées, verrouillez vos portières ». Voilà qui vous plongeait directement dans l'ambiance...

— Détends-toi, fit Amélise en voyant l'air inquiet de Barne.

Elle était assise en tailleur à même le sol de la camionnette, tout comme Barne qui lui faisait face. Carmalière avait émergé pendant quelques instants mais s'était endormi à nouveau.

— Me détendre ? C'est toi qui devrais être tendue. Je ne crois pas que les nains aient beaucoup de sympathie pour les fées. En plus, avec tes ailes, pardon, mais on te voit de loin.

— On va là-bas pour se planquer : je doute que beaucoup de monde nous voie. De toute façon, les crispations identitaires, tu sais aussi bien que moi qu'elles n'ont qu'une valeur statistique et ne veulent rien dire au niveau individuel. Peut-être que nous rencontrerons des nains hostiles aux humains, ou peut-être pas. Nous sommes même tombés sur un barman orque qui nous a aidé, je te le rappelle.

— Mais _elle_, pourquoi nous aide-t-elle ? murmura-t-il en indiquant la cabine du doigt. Elle était prête à nous balancer aux flics. Merde, elle a failli m'arracher le bras !

Amélise soupira.

— J'imagine qu'il y a plusieurs raisons... La radio qui explique en direct que notre affaire a été manipulée et que nous ne sommes pas des terroristes, ça a déjà dû ébranler ses convictions. Ensuite, le gobelin qui lui parle comme on parlerait à un animal et qui nous traite de « racailles »... Tu vois, je pense que quand tu subis ce genre de chose au quotidien, il arrive un moment où ça déclenche des pulsions en toi.

— D'accord, mais comment être certain qu'elle est fiable ? Qu'elle ne nous balancera pas aux flics à la première occasion ?

— On ne peut pas. Il va falloir se fier à nos instincts. Je me méfiais de toi au départ, et pourtant, j'ai eu raison de te faire confiance, non ? En plus, honnêtement, si les nains avaient de bonnes relations avec la police, ça se saurait.

La camionnette s'arrêta, ils étaient arrivés. La portière droite s'ouvrit sur le visage de Jasione.

— On y est, dit-elle. Descendez d'là et faites pas trop de bruit. C'est Bundir, ici. J'veux pas qu'on m'voie avec vous.

Amélise et Barne attrapèrent Carmalière et passèrent chacun un bras du magicien sur leurs épaules respectives. Iel émit un grognement à peine audible, ouvrit légèrement les paupières et les referma aussitôt. Ils descendirent tous les trois du véhicule.

Dans la pénombre du soir, Barne pouvait distinguer les blocs d'immeubles jaillissant de terre tout autour d'eux : de grandes barres allongées imitant grossièrement la forme des cavernes dans lesquels vivaient les nains des montagnes. Les lampes allumées dans les appartements quadrillaient les façades d'une lueur froide. La rue semblait déserte, même si quelques silhouettes bougeaient ça et là, au détour des ruelles adjacentes. Dans le murmure pesant de l'autoroute qui passait tout près, quelques cris lointains retentissaient parfois.

Les quatre compagnons suivirent Jasione vers une entrée de l'immeuble le plus proche. L'atmosphère du hall était saturée d'une odeur de cigarette tenace qui rappela à Barne sa propre dépendance. Ils prirent l'ascenseur qui, fort heureusement, n'était pas uniquement taillé pour les nains. Bien entendu, même si dans les faits, ces immeubles étaient à quatre-vingt pourcent occupés par des nains, il n'y avait aucune politique officielle à ce sujet : on faisait des logements standards, pour tous. Après tout, même les appartements construits dans des étages sans ascenseur étaient aux normes pour accueillir des fauteuils d'handicapés...

Jasione, l'ouvrière naine, habitait au quatrième étage, dans un petit T1 austère mais tenu avec soin. Les chaises étaient aux dimensions naines et seuls Pod et Jasione purent s'y asseoir, laissant le soin à Amélise et Barne d'utiliser de simples coussins pour s'installer par terre. Carmalière fut allongé sur le canapé.

Ils se regardèrent tous en silence pendant un instant. Que fallait-il dire en de telles circonstances ? En croisant le regard d'Amélise, Barne devina qu'elle pensait à la même chose que lui : c'était Carmalière qui était le mieux placé pour expliquer les choses. Oui, seulement Carmalière était encore bien trop faible pour expliquer quoi que ce soit.

— Je crois qu'on vous doit une fière chandelle, murmura Amélise à Jasione. Merci, du fond du cœur, merci pour votre aide.

— J'ai pas vraiment eu l'choix, répéta la naine.

— Bien sûr que si : vous auriez pu appeler la police. Vous aviez mille occasions de nous laisser tomber. Vous n'en avez rien fait.

— Qu'est-ce qui m'a pris, de latter l'autre blineux...

Barne devina cette fois que « blineux » signifiait « gobelin » dans le parler nain.

— Vous avez eu raison, lui dit-il, s'il ne nous avait pas remis à la police, il nous aurait sans doute tués.

— Facile à dire ! grogna la naine. C'est moi qui suis dans la mouise, maintenant. Les juges sont pépères avec vous autres, mais moi, j'suis naine ! Les nains innocents sont d'jà regardés de traviolle, alors une qu'a tapé un blineux, c'est même pas la peine !

— Vous n'êtes pas seule, intervint Pod. Vous nous avez aidés et nous ne vous laisserons pas tomber non plus. Pas vrai ? ajouta-t-il à l'intention des autres.

— Évidemment, dit Barne.

— Nous sommes de la FNT, dit Amélise, et nous pouvons vous venir en aide...

— La FNT ? s'écria la naine. Qu'est-ce que j'en ai à battre, d'la FNT ? Des gauchos aux jolis discours qui n's'occupent que d'leurs prop'z'affaires ?

— Je suis désolée si vous avez une mauvaise image de...

Soudain, quelque chose d'impressionnant arriva : Jasione explosa de rage, et c'était comme si des dizaines d'année de frustration et de colère enfouies faisaient surface, d'un coup. Les mots se bousculaient dans la bouche de la naine, ciselés comme des poignards.

— J'ai pas une mauvaise image ! C'est la vérité ! Vous nous avez abandonnés, tous ! Les gauchos, pareil qu'les bourges ! Et vous v'nez ici nous dire d'nous engager ? Allez vous faire foutre ! Z'étiez où quand l'usine d'mon père a fermé ? Z'êtes où quand on s'fait butter par les condés dans l'silence ? Quand on m'nace de te sucrer les trois sous d'aide qu'on veut bien t'lâcher ? Parce que les connards qu'ont du boulot à donner préfèrent les têtes qui dépassent un peu plus du sol ? Vous vous bougez quand on touche à vos p'tits conforts de bourges dans vos centre-villes bien propres ! Alors là, oui ! Là vous voulez qu'on s'rassemble, tous les exploités ! Sauf que nous, ça fait trente ans qu'on nous baise et ça fait pas une ligne dans vos tracts de merde ! Trente ans qu'on crève en silence ! Et si, quand on finit par péter un câble, on a l'malheur de balancer trois pavés, vous êtes tous là à nous _appeler au calme_ ! Traîtres, complices du système ! Comme si on était qu'des sales gosses capricieux pas capab' d'apprécier la misère ! Comme si on allait la régler, la misère, en faisant une gentille manif' !

— C'est faux, on a toujours soutenu...

Amélise aurait aussi bien pu s'adresser à un mur. La rancœur de Jasione avait commencé à sortir : la naine ne s'arrêterait pas avant d'avoir dit tout ce qu'elle brûlait de dire. Barne, lui, écoutait avec attention.

— Vous soutenez tant qu'on reste dans nos clous ! « Les banlieues, les banlieues », ça vous en parlez ! Comme ceux qui nous aiment pas, z'en parlez aussi, ouais. Pour faire quoi ? Pour monter en épingle le premier jeunot de Bundir qu'arrive à s'démerder ! Pour dire, « v'voyez, y peuvent s'intégrer finalement, quand y veulent » ! Même s'y'en a qu'un qui s'intègre pour deux cents laissés pour compte, c'pas grave, vive la république ! L'système fonctionne ! « Tant qu'les nains restent dociles, qu'y z'y mettent d'la bonne volonté, v'voyez bien qu'y s'intègrent ! V'voyez bien qu'c'est pas un problème de pauvreté mais d'civilisation ! » Alors qu'c'est pas nous qu'y faut intégrer : c'est l'système qu'y faut désintégrer !

Le silence qui suivit cette diatribe fut lourd. Chacun regardait ses pieds et semblait retenir son souffle, inquiet qu'un bruit de respiration ne trahisse sa présence dans la pièce. Barne était tout à fait surpris de découvrir qu'il partageait en grande partie le ressentiment de Jasione envers les différentes instances du mouvement social, même s'il ne l'aurait pas formulé avec les mêmes mots.

Lui qui n'avait rien d'un banlieusard, lui qui avait des banlieues l'image déplorable que lui en renvoyaient les médias... il éprouvait une sympathie inattendue pour cette ouvrière naine et, peut-être, d'une certaine manière, une sorte de compréhension, même partielle. Il aurait été le premier à cracher sur l'assistanat des couches populaires et pourtant... se retrouver ainsi sur place, dans cette banlieue... avoir vu ces ouvriers travailler à la chaîne sous une chaleur de plomb... avoir vu Glormax dégouliner, sur Jasione, d'un mépris dix fois supérieur à celui qu'il réservait à Barne... il y avait là un dissonance cognitive avec l'idéologie dominante qui avait de quoi ébranler ses certitudes.

— Vous avez parfaitement raison, dit la voix faible de Carmalière.

Tous tournèrent la tête vers la magicienne qui s'était éveillé en silence et s'était redressée sur le canapé, agrippée à l'accoudoir comme s'iel pouvait en tomber à tout moment. Iel avait sous les yeux d'impressionnants cernes et chaque ride de son visage était creusée par la fatigue. Et, néanmoins, iel était sorti de son demi-coma.

— La principale victoire du capital, continua-t-iel lentement, d'une voix sifflante, est d'avoir réussi à pousser les classes moyennes à faire alliance avec les classes dominantes. Oui, nous vous avons abandonnés... nous nous sommes fait avoir par la société de consommation... par les vautours qui nous promettaient des lendemains qui chantent si nous mettions de côté nos idéaux... si nous embrassions les grands projets des dominants et laissions les classes populaires se débrouiller.

La colère de Jasione se lisait toujours dans les éclairs que lançaient ses yeux, mais elle laissa parler le magicien.

— Aujourd'hui, nous essayons de corriger nos erreurs. De reprendre la lutte mise entre parenthèse par l'illusion du bonheur néolibéral. De remettre sur pied l'alliance entre classes moyennes et classes populaires qui ne sont ennemies que dans le cadre d'un système absurde. Aucune excuse ne saura effacer des décennies de renoncement, et pourtant je vous les présente, voilà : nous sommes coupables d'avoir effacé les classes populaires de notre regard pendant si longtemps ; nous sommes coupables d'avoir alimenté un entre-soi de petites bourgeoisies méfiantes envers les plus pauvres ; nous sommes coupables d'avoir participé à la mise au banc de la société des plus démunis, aveuglés par nos différences de culture et par un mépris de classe dont nous refusons trop souvent de voir l'existence. Pour tout cela, je vous présente mes excuses.

Il y eut un nouveau moment de flottement. Carmalière avait puisé dans ses dernières réserve d'énergie pour réussir à déclamer son discours clairement et sans interruption. Iel semblait maintenant plus bas que terre et prête à sombrer à nouveau dans un coma d'une durée indéterminée.

Jasione fit un signe d'impatience de la main et dit simplement :

— Ouais... eh bah le refaites plus.

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