10. Piégés ! (partie 2)
— SORTEZ TOUT DE SUITE DE CE VAN ! s'écria la naine, levant la barre à mine au-dessus de sa tête.
— Aarrgghh, d'accord, d'accord ! fit Barne qui redoutait un nouveau coup.
Il descendit tant bien que mal et tomba à genoux au sol, tétanisé par la douleur. Le moteur de la camionnette ronronnait toujours et l'autoradio, branchée sur une chaîne d'informations, diffusait les dernières nouvelles de la Terre de Grilecques.
— _... toujours à la recherche des trois autres présumés terroristes après l'interpellation cette après-midi de Milia Piuli, une institutrice elfe radicalisée ayant participé à..._
— C'est vous ! dit l'ouvrière. Les terroristes !
— Je vous en prie, dit Amélise qui était toujours assise sur le siège conducteur, calmez-vous. Nous ne sommes pas des terroristes, simplement des militants pris au cœur d'une gigantesque erreur judiciaire !
— Erreur judiciaire ! Et l'barouf à la bibliothèque alors ? ET LES COUPS DE PÉTARD DANS _MON_ USINE ?
— Je sais, les apparences sont contre nous, mais par pitié, laissez-moi vous expliquer...
— Y'a rien à es'pliquer ! J'appelle les flics !
Elle avait extrait un téléphone portable de sa poche. Barne leva la main vers elle mais elle fit un pas en arrière en levant à nouveau sa barre à mine. Barne recula à son tour en se protégeant le visage entre les bras.
— _... alors que toute la Terre de Grilecques était soudée derrière la traque des présumés terroristes, l'union sacrée se voit fragilisée par ces dernières révélations..._
Barne releva la tête timidement. Il s'aperçut que le discours à leur égard dans les médias avait légèrement changé : ils étaient maintenant des terroristes _présumés_ seulement. L'ouvrière avait toujours le téléphone en main mais n'avait pas bougé, comme si elle aussi attendait la suite.
— _... les bandes des caméras de surveillance qui ont fuité sur Internet montrent, je le rappelle, les deux gardiens gobelins – décédés depuis – tirer sans sommation sur les quatre suspects alors dans une position non-offensive, ce qui met à mal les accusations de la BNPO sur le caractère terroriste des événements._
Une lueur d'espoir passa sur le visage de Barne : on avait diffusé les bandes ! Tout le monde avait pu voir ce qui s'était réellement passé ! Tout le monde avait vu que la compagnie avait d'abord été la cible d'une attaque violente et disproportionnée !
— _Je tiens à apporter une note discordante à ce joli récit de pauvres visiteurs innocents_, dit une voix dans la radio que Barne reconnut comme étant celle de Ruf Torkan, le directeur de la BNPO. _Il est bien commode de ne regarder que la partie des vidéos qui vous intéresse, mais le début de l'enregistrement montre que ces personnes – membres d'un syndicat radical d'extrême-gauche, je le rappelle – avaient volé des documents et étaient en fuite !_
— _Tout de même, Ruf Torkan, ne trouvez-vous pas la réponse disproportionnée ? Répondre à un vol de papiers par des tirs sans sommation, au-delà de la légalité plus que douteuse de la chose, cela semble..._
— _Écoutez, il y a une ligne, et elle est claire : respectez la loi et vous ne risquez rien. Passez cette ligne et vous en subirez les conséquences. Le vol d'archives classifiées est un crime grave, et nous avons le devoir, vis-à-vis des citoyens, de protéger ces documents qui..._
— Vous voyez, fit Amélise, nous sommes innocents !
— La ferme ! trancha l'ouvrière naine. Vous êtes des voleurs ! Pi j'ai failli m'prendre une balle, tout à l'heure !
— Mais c'est _nous_ qui nous sommes fait tirer dessus ! dit Amélise. Nous sommes les victimes, ici !
— Lui, j'l'ai vu tirer ! dit l'ouvrière en agitant sa barre de fer vers Barne. Pi après tout, c'pas mes affaires, ça. Si vous êtes si innocents, 'pourrez le dire à la police.
La partie était bien mal engagée : l'ouvrière semblait particulièrement remontée et Barne n'était pas en état d'assurer sa défense.
La porte coulissante de la camionnette s'ouvrit pour découvrir un Pod surpris par la scène qu'il découvrait. La naine, qui ne s'attendait pas à ce que quelqu'un soit caché là, leva sa barre à mine dans une attitude de défense face au gnome.
— Eh là ! Pas bouger, l'golo !
« Golo » était un mot d'argot nain pour désigner les gnomes. Pod décrocha en hâte le bâton magique qu'il portait toujours à la ceinture et le pointa vers la naine. Celle-ci eut un mouvement de recul mais se ravisa.
— T'peux pointer ça où tu veux, fit-elle, mais l'est usagé, ton truc.
— Usagé ? dit Pod sans comprendre.
— C'est j'table ! Ça sert qu'une fois ! Çui-là a d'jà servi, ça se voit.
Pod, qui avait sans aucun doute essayé d'activer l'objet, fut bien obligé de reconnaître qu'elle avait raison et laissa piteusement tomber le bâton.
— Très bien, dit une voix de gobelin sur le côté, maintenant que cette joyeuse compagnie est désarmée, vous allez tous gentiment vous rendre.
Glormax venait de faire irruption dans le parking. Ses vêtements étaient en lambeaux et il avait le visage couvert de plâtre. Il boitait un peu mais il était debout, apparemment toujours aussi déterminé, et pointait un pistolet vers Barne.
— Quand Fulmiark aura émergé et aura appris que c'est _moi_, Glormax, qui vous ai mis la main dessus, nul doute qu'il nous donnera le contrat pour l'Épée d'Émeute ! jubilait-il. Mains en l'air, Mustii !
Barne n'avait pas la force de lever les bras et jeta un regard de défi à Glormax. Certes, il était déjà à terre, plus bas que terre même, mais il se le jura instantanément : il ne lui ferait pas le plaisir de s'écraser un peu plus devant lui. Cette époque était révolue, et Barne était allé trop loin pour s'en retourner sagement à son rôle de paillasson.
— J'allais appeler la police, signala l'ouvrière à Glormax en agitant son téléphone.
— La ferme, _naine_ !
Glormax avait craché le mot _naine_ comme une insulte, et Barne comme l'ouvrière comprirent immédiatement avec quel dégoût le gobelin considérait cette espèce. Les nains étaient, de manière générale, le peuple victime du racisme le plus violent et décomplexé au sein de la Terre de Grilecques. Ils étaient souvent considérés comme une peuplade inférieure, aux coutumes démodées voire barbares. Bien sûr, il n'était jamais de bon ton d'affirmer des convictions racistes _frontalement_. Néanmoins, le racisme ordinaire transpirait dans les discours et des actes de bon nombre de citoyens de la Terre de Grilecques. Glormax, lui, n'était pas du genre à avoir des complexes à ce sujet.
Il s'avança sans prêter attention à l'ouvrière qui avait baissé les bras et le dévisageait maintenant avec une expression d'écœurement sur le visage.
— Mustii, vous êtes bien à votre place, misérable créature rampante. Ç'en est terminé de votre pitoyable croisade contre vos supérieurs. Vous avez bien compris ?
Barne soutint son regard depuis sa position basse, essayant de ne pas montrer sa souffrance.
— Pas bien, non, grogna-t-il. Vous pouvez me réexpliquer ? Vous articulez mal, je n'ai pas tout saisi. On vous l'a déjà dit, que vous articuliez mal ?
Glormax eut un rictus qui lui tordit le visage d'une hideuse manière. Il n'y avait aucun intérêt à le brocarder ainsi, mais Barne comprenait soudain pourquoi Carmalière s'était aussi moqué de Glormax un peu plus tôt : il y prit un réel plaisir.
D'un certaine manière, il se sentit revigoré d'avoir tenu tête à ce salopard, même juste une petite seconde, même dans des circonstances aussi désespérées. Il réussit, non sans effort, à se remettre sur ses pieds. Debout, il était légèrement plus grand que Glormax et c'était maintenant lui qui le regardait de haut. Cependant, le gobelin avait toujours l'ascendant... principalement parce que le canon de son arme était pointé sur le visage de Barne.
— Vous savez, grinça le gobelin. Je vous ai toujours méprisé.
Barne se surprit lui-même en laissant échapper un petit rire parfaitement spontané. Le gobelin poussa un ricanement :
— Oui, dit-il, bien sûr que vous le savez. Parce que vous savez que vous _êtes_ méprisable. Pourtant... jamais je n'aurais imaginé que vous iriez jusqu'à vous acoquiner avec toute cette... racaille.
Il avait agité son arme vers Pod, debout à l'intérieur du camion avec Carmalière toujours inconscient à ses pieds, et Amélise qui observait la scène impuissante depuis le siège conducteur.
La suite se passa en un éclair : l'ouvrière se jeta en avant et asséna un violent coup de barre à mine à Glormax. Elle ne put atteindre la tête mais le gobelin reçu l'arme en plein milieu du dos. Il poussa une exclamation de surprise et de douleur et tomba à genoux. Alors qu'il se retournait, son arme pointée, avec la ferme intention d'abattre immédiatement celle qui avait osé poser la main sur lui, Barne, sans réfléchir, lui envoya un coup de poing rageur en plein visage.
Glormax s'affala sur le sol, inconscient pour la seconde fois en quelques heures et Barne, qui avait utilisé son bras blessé, poussa un hurlement qui résonna dans tout le parking.
Il y eut ensuite un moment de flottement. La naine avait les yeux écarquillés, comme si elle se rendait soudain compte de ce qu'elle venait de faire. Barne compressait la blessure de son épaule qui saignait de plus belle.
Amélise, une fois le choc passé, eut un sourire et dit à la naine :
— Eh bien... merci du coup de main.
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