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1. Comme un lundi matin (partie 2)

La réunion fut aussi morne que tous les employés s'y étaient attendu. Le sous-directeur commercial semblait concourir pour placer dans son discours le plus d'expressions à la mode et vides de sens comme « automatiser les process » ou encore « rationaliser les compétences digitales ». Personne n'y comprenait rien et tout le monde s'en fichait éperdument. Mais enfin le sous-directeur avait gaspillé une après-midi complète à préparer de jolies diapositives avec l'habillage graphique de la compagnie en haute définition : la moindre des politesses était de gaspiller une heure à les regarder.

Lorsqu'arriva la fin du diaporama, les frottements des pieds de chaise sur le lino indiquèrent que la plupart des spectateurs se redressaient pour tenter d'avoir l'air intéressés, maintenant que le sous-directeur passait à l'inévitable séquence des questions. Norkin, l'un des collègues de Barne, fut le seul à lever la main.

_Fayot_, pensa Barne.

— Je voudrais revenir sur la problématique que vous avez évoquée en slide quarante-quatre. Notamment sur la convocation des synergies au sein de la démarche qualité du modèle productif. Comment intégrer cela dans une logique de mutualisation des coûts de main d'œuvre ?

Barne réprima un bâillement. Même si cela n'enlevait rien à sa qualité de fayot, Norkin avait au moins eu le mérite de sauver l'honneur et de poser une question : cela leur épargnerait la fureur d'un Glormax mécontent du peu d'intérêt que les salariés portaient aux présentations des équipes de direction. Et cela lui épargnerait, à lui, l'effort de puiser dans ses notions de novlangue pour pondre une autre question sans aucune substance mais avec l'apparence de l'intelligence.

Il n'y eut pas de seconde question mais le sous-directeur et Glormax prirent tous deux l'air satisfait que tout gobelin avait après un travail bien fait. Les employés furent autorisés à quitter la salle après avoir mollement applaudi. Il était seulement midi moins le quart et il était bien sûr hors de question d'aller directement à la cafétéria pour manger si tôt. Profitant de l'absence de Glormax qui était sans doute trop occupé à se passer la brosse à reluire en compagnie du sous-directeur commercial, Barne décida de prendre enfin sa pause café.

Après avoir appuyé son badge contre le détecteur de la machine à café, il attrapa le gobelet brûlant et sortit sur l'étroit balcon qui servait de salle de pause pendant les mois d'été. Il fouilla dans la poche de sa veste, sortit une cigarette – la première de la journée – et l'alluma. L'association de la caféine et de la nicotine lui apporta immédiatement un peu de paix, certes très artificielle, mais toutefois appréciable.

La vue, quant à elle, n'avait rien de renversant : le bâtiment de Boo'Teen Corp donnait sur une zone industrielle assez laide, avec ses larges entrepôts sans âme et ses usines aux couleurs fades. Néanmoins, le petit air encore frais du début de l'été et les rayons du soleil apportaient une légère douceur appréciable. Parfois, Barne regardait avec mélancolie l'horizon en se disant qu'aux temps anciens, lorsque les plaines étaient encore sauvages et n'avaient pas été recouvertes de parkings et d'autoroutes, c'est à coup d'épées et de flèches que Glormax et lui se seraient affrontés. À cette époque, jamais un être humain ne se serait couché devant un vil gobelin. Oui, mais lui, il le faisait. Cinq jours par semaine. Il soupira...

Le temps des épées et des flèches était loin. Les gobelins, les humains, les orques, les elfes... toutes les créatures intelligentes de la Terre de Grilecques vivaient en paix depuis plusieurs décennies déjà. C'était pour le mieux, bien sûr, même si cela faisait toujours mal à Barne que l'on considère les orques et les gobelins comme des créatures intelligentes.

— Barne, la révolte est une sage conseillère.

La phrase avait raisonné dans les airs sans que Barne n'ait vu personne approcher. La voix lui était inconnue.

— Allô ?

— Barne...

— Oui ? Où vous êtes ?

— Je suis dans ton esprit.

Barne était sceptique. La voix ne lui donnait pas du tout la sensation d'être dans sa tête. En fait, elle semblait provenir... Il se pencha contre la barrière du balcon et regarda vers le haut.

— Vous êtes à l'étage du dessus.

— Non, pas du tout. Je suis dans ton esprit, vois-tu, car je...

— Je vois vos pieds qui dépassent.

Les balcons étaient assez étroits et Barne pouvait en effet voir la silhouette de son interlocuteur. La contre-plongée ne lui permettait pas d'en distinguer les traits, mais il apercevait une toge aux couleurs chatoyantes surmontée d'une barbichette.

— Hé, mais je vous connais... je vous ai déjà croisé dans les couloirs. Vous êtes pas le type du syndicat, là ? Camargue... Cargal...

— Carmalière, oui. Enchanté de faire ta connaissance, Barne. Je suis un magicien.

— Et un syndicaliste.

— Oui, aussi. Pourquoi, ça te pose un problème ? Il est interdit d'être à la fois magicien et syndicaliste ?

— Qu'est-ce que vous me voulez exactement ?

Barne entendit le vieux Carmalière prendre une profonde inspiration.

— Barne... je sais que tu as failli me contacter tout à l'heure. Tu étais à deux doigt de composer le numéro de la FNT.

— Comment le savez-vous ?

— Aaaah, un magicien a des pouvoirs que tu ne soupçonnes pas et se doit de savoir certaines...

— C'est Kildra qui vous a appelé, c'est ça ?

— Oui, bon, peu importe. Le fait est que tu as besoin d'aide pour résoudre ce conflit avec ton patron : la FNT est là pour toi.

— Vous tutoyez tout le monde ? remarqua Barne qui n'aimait pas franchement ces manières.

— Barne !

— Oui ?

— BARNE !

— Mais quoi ?!

— Concentre-toi. Je ne suis pas l'ennemi.

Barne se pinça l'arête du nez entre le pouce et l'index. Il le savait. Il le savait qu'il n'aurait pas dû ne serait-ce qu'_envisager_ d'appeler les syndicats. Voilà ce qu'il récoltait : un emmerdeur. Il avait attiré un emmerdeur de première. Il tira une longue bouffée sur sa cigarette en réfléchissant à une manière de se débarrasser de lui.

— Écoutez... ça va. Je m'accroche avec mon boss, de temps en temps, là. Ça arrive, c'est pas grave. C'est lundi matin, on est tous un peu à cran. Il n'y a pas de quoi en ch...

— Enfin, Barne, c'est un gobelin ! Ce ne sont pas juste des accrochages ! Ce sont vos natures profondes qui remontent ! Les gobelins et les humains sont des ennemis naturels !

— Vous êtes sûr que vous n'en rajoutez pas un tout petit peu ? Bon, d'accord, on s'est pas mal massacrés, avec les gobelins. Pendant plusieurs siècles, je ne dis pas. Mais c'était il y a longtemps, ça. On est civilisés aujourd'hui. Il n'y a plus grand monde pour garder de la rancœur interespèce.

— J'ai huit cents ans.

— Ah, oui.

— Oh oui.

— Forcément, c'est sans doute beaucoup plus concret pour vous que pour moi.

Même en fréquentant régulièrement des êtres à la longévité infiniment supérieure à la sienne et à celle de tous les humains, Barne avait toujours du mal à s'y faire : certaines personnes qui avaient vécu au Moyen-Âge étaient toujours là pour en témoigner. Les elfes, par exemple, pouvaient vivre jusqu'à trois siècles. Barne n'avait par contre jamais rencontré de magicien auparavant et ignorait quelle était leur espérance de vie.

— Bon, admettons, continua-t-il. N'empêche que pour moi, la guerre avec les gobelins, les orques... tout ça, c'est du folklore.

— DU FOLKLORE ? VINGT MILLIONS DE MORTS, C'EST DU FOLKLORE ?

— Non, mais j'veux dire que c'est loin tout ça. Pour vous c'était peut-être hier, mais pour moi c'est quelques pages dans un livre d'Histoire poussiéreux.

— Aaah, mon pauvre Barne. Que diraient tes ancêtres s'ils pouvaient t'entendre.

— Dites. Qu'est-ce que vous savez de mes ancêtres ?

— Les Mustii ? Allons. Une lignée de grands guerriers. Des légendes !

— Faut pas exagérer...

— DES LÉGENDES, J'TE DIS ! Eux n'auraient jamais accepté la paix avec les gobelins.

— En même temps, est-ce qu'ils auraient eu raison ? objecta Barne en écrasant sa cigarette sur le rebord du balcon. J'veux dire : c'est pas parce que j'peux pas blairer mon boss que je ne suis pas content de vivre en paix !

— Mais quelle paix, Barne ? Quelle paix ? Une paix couchée, une paix d'esclave. Les gobelins luttaient pour la domination : ils l'ont eue ! Peut-être pas de la manière dont le racontent tes livres d'Histoire, mais ils l'ont eue.

Barne avala sa dernière gorgée de café. Bien sûr, Carmalière avait raison. Il le savait au plus profond de lui-même depuis très longtemps. En fait, à peu près tout le monde était conscient de cette dure réalité : les orques et les gobelins dirigeaient le monde. Économiquement et, de fait, politiquement. Les élus n'étaient que des marionnettes sans grand pouvoir à côté de la puissance des conglomérats orquogobelinesques. Pourtant, tant que les vies individuelles des hommes, des elfes, des gnomes... tant que ces vies restaient supportables, aucune révolte n'éclatait. Pourquoi risquer de mourir pour une hypothétique belle vie quand la vôtre est... _acceptable_ ?

C'était comme si Carmalière entendait le cerveau de Barne fonctionner. Il avait laissé passer un silence, sciemment. Il l'avait laissé réfléchir.

— Si jamais l'envie te vient de rallumer la flamme de tes ancêtres, conclut enfin Carmalière, il y a une permanence de la FNT tous les soirs jusqu'à vingt heures. J'y serai ce soir. Voici ma carte.

Alors que Barne tendait le bras vers le ciel en s'attendant à recevoir la carte de visite en main propre, il y eut un petit flash accompagné d'un léger crépitement et Barne sentit la carte apparaître derrière son oreille.

D'un côté, cela confirmait la nature « magique » de Carmalière. D'un autre...

— La carte derrière l'oreille ? dit Barne, dubitatif. Vraiment ? Vous avez été magicien pendant les Grandes Guerres... pour finir par faire de la magie de fête foraine ?

— Les temps sont durs pour tout le monde, murmura Carmalière. Tu n'es pas le seul à devoir rallumer la flamme.

Barne ne répondit pas. Le bruit d'une porte qui se referme lui indiqua que Carmalière était rentré dans le bâtiment. Lui resta quelques instants de plus à l'extérieur, à scruter l'horizon, les cheminées d'usine qui crachotaient leurs fumées garanties _développement durable_. Puis il laissa tomber le mégot de cigarette dans son gobelet. La cendre encore chaude fit un petit sifflement en s'imbibant du reste de café qui en tapissait le fond.

En retournant dans l'_open space_, Barne eut le soulagement de constater que Glormax était absent, probablement parti tourmenter les employés d'un autre étage du bâtiment.

Il se rassit à son poste de travail et déverrouilla son ordinateur. Les autres employés étaient tous plongés dans leurs procrastinations respectives. Certains regardaient avidement leur montre en attendant le moment salutaire du repas de midi.

Barne ouvrit un onglet dans son navigateur et visita un moteur de recherche d'images. Il tapa le mot-clef « mustii » dans la barre de recherche. Après quelques secondes, s'affichèrent sous ses yeux de vieilles gravures numérisées, des dessins aux couleurs passées. Son nom de famille était effectivement associé à de valeureux héros. Il le savait, bien sûr, même s'il ne s'était jamais vraiment intéressé à ses racines. Les images montraient des guerriers humains en armures, qui brandissaient des épées plus grandes qu'eux ; des scènes de bataille sanglantes ; des rangées d'orques décapités d'un seul coup de hache.

Il y avait aussi plusieurs représentations d'une enseigne que Barne connaissait bien : c'était celle de sa famille, remontant à l'époque où les blasons et les armoiries avaient un sens. Elle représentait une épée accompagnée d'un ours à une échelle bien plus petite, le tout cerclé par un hexagone allongé, aux arêtes légèrement courbées.

Et puis, en bas de la page de recherche, il restait en tout petit la photo de profil d'un employé de bureau encravaté, les cheveux roux épars, le regard triste : Barne Mustii, dernier rejeton d'une antique lignée de guerriers. Petit salarié soumis aux mêmes monstres que sa famille avait combattus pendant des siècles.

Il regarda en direction du bureau de Glormax qui était de retour. Au travers de la paroi vitrée, il voyait celui-ci parler au téléphone en faisant de grands gestes, ses petits yeux vicelards et satisfaits scrutant ses dociles subordonnés dans l'_open space_. Sans le vouloir, il s'imagina, lui, Barne Mustii, armé d'une lourde épée à deux mains, face à un Glormax en furie agitant une masse d'arme hérissée de pointes meurtrières.

Il chassa l'image de son esprit et se replongea dans la feuille de son tableur. Ils étaient civilisés, à présent.

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