Chapitre 10
Je contemple les deux ombres qui se débattent avec force et violence, fascinée par la férocité ardente qui s'émane de leur combat. Ils ne se ménagent pas, se donnant des coups de poing partout où ils peuvent trouver une faiblesse chez l'adversaire.
Puis, leurs silhouettes se mettent à se déformer, à se déchirer, à se transformer. Quelques craquements glauques se font entendre, mais je suis dans l'incapacité de grimacer en les entendant.
En seulement quelques secondes, deux immenses loups se dressent l'un en face de l'autre, se grognant mutuellement dessus. L'agressivité présente dans leurs regards et leurs mouvements me fait frissonner. Ils dévoilent tous les deux leurs crocs blancs comme neige. Ils sont aussi aiguisés que longs et semblent briller dans l'obscurité.
En les voyant, devine assez rapidement que la bête noire, légèrement plus imposante que son compagnon gris, est l'Alpha suprême qui m'a attaqué il y a quelques instants de cela. Sa fourrure correspond exactement à l'humeur maussade et diabolique de l'homme qui m'a déjà tant fait souffrir. Ses pattes sont de la taille de mon visage et ses grands yeux jaunes me rappellent ceux d'un serpent.
Puis, mon regard tombe sur le pelage brun, traversé de filaments gris, de son opposant. Ce dernier est légèrement plus petit, mais pas pour autant moins effrayant. Avec ses oreilles couchées en arrière, il tourne en rond autour de Jack tel un requin autour de sa proie.
Sous cette forme, toutes mes maigres chances de reconnaître mon sauveur s'évanouissent, mais je m'en fiche pour l'instant. L'essentiel est qu'il soit là, qu'il soit arrivé au bon moment ! Je respire avec difficulté et tente de bouger mes bras, sans succès. Je me retrouve spectatrice de mon destin.
Au bout d'une longue attente, les deux créatures surnaturelles libèrent enfin leurs auras. La puissance émanant de ces dernières fait trembler légèrement les murs qui nous entourent. En temps normal, j'aurais sursauté, mais je parviens à peine à bouger mes doigts d'un centimètre.
À la grande surprise de tous, ce n'est pas l'imposant loup noir, mais son adversaire qui possède une aura plus puissante. Les yeux obscurs de la bête obscure s'écarquillent aussitôt. Il manque de reculer de quelques pas, mais se retient pour conserver sa fierté.
Il me jette un regard en coin, croisant le mien. Il n'y a pas d'erreur possible ! Ce sont bien les yeux de celui qui m'a sadiquement torturée qui me contemplent avec stupéfaction. Cela me confirme son identité. Mais alors, qui est celui qui lui fait face ? Aucun loup ne peut posséder une aura plus puissante que celle de l'Alpha suprême ! À moins de venir d'un autre royaume. Cela me fait réfléchir. Pourquoi un inconnu me sauverait-il ? Une terrible migraine coupe mes pensées.
Jack ne sait visiblement pas quoi faire. Il a comme devoir de s'incliner devant cette présence supérieure mais il n'en fait rien, tentant de toutes ses forces de résister à l'aura adverse. J'ai l'impression de voir des pattes trembler, bien que ce ne soit sûrement seulement une création de mon imagination. Qu'est-ce que j'aimerais le voir partir en courant avec la queue entre les pattes !
Mon prétendu "sauveur", quant à lui, réveille une marée d'hypothèses dans mon esprit. Ce dernier me propose des histoires plus folles les unes que les autres. Mais, malheureusement, ma réflexion s'arrête sur une pensée horrible: Et si il voulait m'utiliser en tant qu'arme lui aussi ?
Tout mon espoir s'effondre instantanément, ne laissant place plus qu'a cette idée terrifiante tandis que les deux adversaires se sautent de nouveau au cou. Je ne parviens plus à me concentrer sur le combat, malgré les hurlements de douleur et rage qui en montrent en permanence la présence.
Mon corps réagit plus rapidement que mon esprit tandis que je commence à essayer de traîner mon corps fragilisé vers la sortie de la geôle. La porte de cette dernière a été laissée ouverte, comme pour m'inciter à m'évader. Car si mon sauveur est réellement Tristan, comme je m'en doute, il est fort probable qu'il cherche à m'utiliser pour vaincre l'armée de Jack. Bêta ou non, la loyauté ne tient jamais en temps de guerre !
Ma cheville blessée m'empêche de me lever et la grande quantité d'hémoglobine que j'ai perdue me fait tourner la tête. Pourtant, je continue à essayer d'avancer au plus vite. Mes bras me grattent horriblement à cause du sang séché qui les recouvre, mais j'ignore cette sensation. La prison se met à tourner et je ne fais même pas d'efforts pour esquiver le combat, concentrée sur mon objectif: atteindre la sortie. Je m'arrête l'espace d'un instant, essoufflée et désorientée.
Je passe mes mains sur mon visage, mais lorsque je jette un bref coup d'oeil a ma peau, je remarque aussitôt que ce n'est pas le liquide vital séché qui me démange. Intégrée à ma chair, là où s'étaient incrustés les griffes de l'Alpha peu avant, ont été tracés des traits d'un bleu clair. Ils relient mes plaies, allant du poignet jusqu'au coude. Je tourne mes avant-bras dans tous les sens, croyant à une vision irréelle. Les marques ne disparaissent pas.
Un frisson d'horreur me parcourt lorsqu'une plainte déchirante résonne dans mon dos. Qu'est ce que j'espère que celui-ci ne provient pas de l'Alpha suprême qui m'a gardé captive jusque-là ! Un coup de plus et il m'aurait achevée !
Cet avertissement me pousse à reprendre mes efforts, grimpant très lentement en direction de ma liberté. Je sais qu'une fois sortie de l'enceinte de la barrière anti-magie, je pourrais me régénérer. Cela ne prendrait que quelques heures avant que je ne retrouve ma forme d'antan. Malheureusement, même si j'y parvenais, je n'aurais pas autant de temps à accorder à mon rétablissement.
Soudain, le silence s'abat sur l'espace. Puis, un bruit de pas humain résonne dans mon dos, ce qui me pousse à accélérer le rythme de mes bras. Je me dépêche de tendre la main en direction des barreaux afin de m'en servir pour me relever, oubliant presque mes plaies encore ouvertes. Je sais bien que ma course ne sert à rien face à un être en parfaite santé, mais n'abandonne pas pour autant. Je ne peux pas risquer de laisser le champ complètement libre à Jack !
Au moment que mon buste entier traverse la porte de ma cage, je sens une puissance incroyable m'envahir de nouveau. Elle referme aussitôt mes blessures en les cicatrisant, exceptée celle de ma cheville. Cette dernière est bien trop profonde et mon pouvoir de régénération a plus de mal à souder des os qu'à réparer de la chair. Ma peau reprend progressivement son aspect glacé et blanc d'antan, tandis que j'inspire profondément. Mes côtes me font encore mal, mais je me contente de me tirer encore un peu plus loin en dehors de la cellule, avant de tenter de me relever.
À ma grande surprise, personne ne me retient ! Quiconque en bon état n'aurait déjà largement atteint depuis tout à l'heure. Alors, qu'attend cette personne pour venir me voir ? Est-ce encore un jeu malsain ?
Je m'apprête à faire face au vainqueur du combat lorsque je vois Sally apparaître, planant paisiblement dans l'air du soir. Elle vient vers moi mais me survole, se dirigeant vers la présence dans mon dos avec d'amples mouvements d'ailes, comme si elle était pressée.
Une partie en moi se déchire avant qu'une voix familière ne m'interpelle. Je me retourne aussitôt.
— La petite coriace accepte-t-elle enfin que je la porte, au lieu de gâcher son énergie ? me dit Tristan en rigolant élégamment.
Je rougis. Il a tenu sa promesse. Il a vraiment tenu sa promesse ! Malgré mon soulagement, je ne lui montre pas d'affection et le dévisage simplement avec une expression faciale froide et renfermée. Pas question de lui avouer que je suis heureuse de le voir ! Après tout, ce n'est qu'une question de temps avant que je ne disparaisse de nouveau.
— Est-ce que j'ai un autre choix ? est la seule chose que je parviens à articuler avec mes cordes vocales fragilisées.
Sally, assise sur son bras, penche la tête vers la gauche. Elle sait qu'au fond, la seule chose que je souhaite est partit d'ici au plus vite.
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