Le soleil s'est peu à peu hissé au dessus de la lumineuse forêt telle une pierre précieuse. Ses doux rayons inspirent la joie et le bonheur. Ce lieu est assez calme en cette saison de printemps qui est signe de renaissance chez la faune et la flore.

Mes pieds nus peinent à se frayer un chemin entre les pouces toutes fraîches qui ornent le passage en terre battue. La pluie a fait renaître la végétation sur ce bout de terre auparavant infertile.

Mon regard cherche inlassablement de nouvelles plantes médicinales. Elles se cachent souvent entre les fleurs et les feuilles mouillées. La nature m'éblouit par sa beauté exceptionnelle.

Toutefois, rien n'égale le chant mélodieux des oiseaux qui me parvient jusqu'aux oreilles depuis des endroits cachés à mes yeux. Ils ont sûrement fait leurs nids dans les cimes des chênes.

Mon nom est Erinn. Je suis une mage, la dernière que je connaisse. Mes pairs ont été exterminés lorsque les loups-garous du royaume ont débutés une chasse à la magie. Depuis, le pays est devenu maussade et triste.

La différence est une force m'avait t'on toujours dit avec tant de conviction que j'y ai cru pendant longtemps. Je me suis raccrochée à ces simples mots pour survivre jour après jour sans mes parents.

  Il me fallait bien quelque chose pour égayer les sombres étendues cette la terre. Celles-ci ont peu à peu été détruites par la guerre qui rôde encore partout. L'Alpha suprême, notre souverain, ne se lasse jamais du combat.

Cela fait des années que je vis seule au fin fond de la forêt. Je n'ai jamais compté les jours, bien trop occupée à survivre. Lorsque mon village natal a été brûlé, je n'avais pas plus de onze ans.

Habituée à ma condition, je me suis faite à mon existence solitaire. De toute façon, il n'y a plus personne qui se rappelle de qui je suis. Ni même que j'existe. Toutefois, je continue à fuir une ombre invisible pouvant me rattraper à chaque instant. Fuir les loups est ce à quoi j'ai toujours été habituée.

Il y a bien longtemps de cela, mes parents ont été cruellement abattus. Les loups-garous ont incendiés notre foyer en rigolant. Des troupes entières ont piétinées notre territoire pour le détruire. Leur intelligence et force surhumaine leur ont permis de nous dépasser peu à peu, avant d'enfin envahir notre royaume.

Avant, aucune frontière n'existait sur ce continent. Toutes les créatures magiques cohabitaient paisiblement. J'ai eu la chance de connaître cette époque-là.

Ce que nous ne savions pas à l'époque, est que certains d'entre nous possédaient déjà des gènes de loups-garous bien des années avant que ces derniers ne débarquent. Malheureusement, cette découverte tardive ne nous avait pas permis de se parer contre les griffes de ces monstres. Ils n'ont pas hésité à en déchirer chaque coutume pour la refaçonner à leur manière. Leurs méthodes étaient des moins orthodoxes.

Pourtant, le début de l'invasion n'avait absolument rien changé à notre façon de vivre, même si la plupart des activités ancestrales étaient alors pratiquées en secret. Notre village entier avait été un point de rassemblement de personnes toutes plus étranges les unes que les autres qui souhaitaient enfreindre les lois à leur propres risques et périls.

Par malheur, les soldats du grand Alpha des Nordiens ont réussis à démasquer nos habitudes faussées. Cela était une raison suffisante pour rayer notre minuscule et insignifiant village de la carte du royaume. Une chose est sûre: nous les avions sous-estimés.

Ma mère m'a cachée dans un coffre en bois lors du soir fatidique. Tout cela pour me donner une chance supplémentaire de survivre. Elle voulait m'offrir une chance de vivre heureuse et en paix, loin de toute cette dictature destructrice.                          

J'étais bien trop jeune pour comprendre que cet instant-là était censé être un adieu entre moi et tous ceux que j'avais toujours connus. Ses derniers mots m'ont marqués à tout jamais. Même aujourd'hui, je regrette toujours de ne pas avoir pu leur dire au revoir correctement.

   Lors de ce soir décisif, les ennemis issus de la meute de Barhan qui dirige le royaume, ont mis feu à notre village. À mon village. Cet endroit que l'on croyaient tous, sans exception, un lieu sûr et sécurisé grâce à sa taille insignifiante et son éloignement du vaste monde des grandes villes, avait été réduit à néant. "Ils ne nous trouveront jamais ici." Avaient osé prononcer certains d'entre nous. Ils avaient eu tort.

   Le reste du village les a cru comme des ignorants, comme si leur parole était la pure vérité. Nous avons aveuglement fait confiance à ces mots absurdes qui s'étaient, au bout du compte, fait emporter par le brasier ayant consumé mon foyer.

Ils ont été entraînés un à un dans les flammes qui ont asphixiées toutes les habitations dans des crissements terrifiants. En à peine quelques heures, une communauté entière avait été supprimée de la surface du pays. Tout s'était terminé avec un concert de cris à glacer le sang.

Ce jour là, malgré tout le malheur qui dirigeait ma vie, la chance m'a souri pour une fois, la fois la plus importante de toutes qui plus est !

  Ces soldats pensaient avoir tué tout être vivant dans la chaleur ardente de l'incendie. Pourtant, j'ai miraculeusement survécue à cette épreuve horrifiante. Ainsi est fait mon destin.

Malheureusement, je suis bien la seule à avoir traverse tout cela d'après ce que j'ai pu comprendre. J'ai écouté les rumeurs dans à peu près tous les autres villages que j'ai croisés sur mon chemin. Il m'a fallu de nombreux mois avant de décider de m'installer ici. Les repères que mes parents m'avaient inculqués avaient été détruits. Chaque vestige que je découvrais était rempli de loups-garous.

Le ciel d'était peu à peu assombri et le reflet argenté des feuillages de la forêt avait disparu. La magie avait fini par s'éteindre avec la disparition de ceux qui la portaient en elle. Les mages, les nymphes, les elfes. Tous avaient été exterminés.

  Je n'oublie pas une seule seconde que tous autour de moi sont, à présent, des loup-garous. De redoutables ennemis.

À ma connaissance, je suis la dernière des mages. C'est ainsi que la vie l'a décidé et je ne peux rien faire pour le changer. Mais, au fil du temps qui s'est écoulé tel le sable qui file entre les doigts, je me suis fait au rôle qui m'a été confié dans l'équilibre de ce monde. On finit bien pas s'habituer à tout n'est-ce pas ?

Mes parents m'avaient enseignés d'éviter les loups, de fuir les Alphas. Il faut connaître son ennemi afin de pouvoir lui échapper, m'avaient-ils toujours dit. C'est pour cela que je me suis plongée dans l'étude de ces créatures obscures maîtrisant la métamorphose.

Je n'ai jamais eu le temps de remercier mes géniteurs pour tout ce qu'ils ont fait et accomplis dans le but de me sauver. Ils ont tous eu un mal fou à cacher leur nature au monde extérieur. Mais, qui sait, nous reverrons nous peut-être un beau jour, là où aucun esprit vivant n'ose s'aventurer. C'est ce que je souhaite du plus profond de mon cœur.

    À présent, la douce brise printanière agite ma longue chevelure châtaine légèrement bouclée, caressant ma peau pâle et glacée. Au creux de ma main, danse élégamment une petite forme bleue inoffensive, dont les mouvements de ma main décident l'ampleur.

   C'est exactement cela qui m'a sauvé de l'incendie, c'est cet élément qui me différencie des autres, et qui a falli me coûter la vie de bien nombreuses fois. Je suis une mage de glace. On nous nomme souvent des sorcières pour nous décrédibiliser. Ce terme est perçu comme une insulte par mes semblables.

Face au brasier de l'incendie, mon pouvoir s'est chargé de me protéger à l'aide d'une barrière glaciale. Suite à cela, mon corps est devenu blanc comme neige et extrêmement froid. Mes capacités surnaturelles se sont fusionnées avec mon essence de vie. Chaque être magique en possède une. Elle nous permet de se lier à d'autres détenteurs de magie pour les protéger, pour créer une communauté.

Au fil des années, j'ai découvert qu'un autre de mes dons est la guérison. Depuis, je me charge de soigner les animaux habitant la forêt. Les aider me fait sentir utile.

Chaque jour, mon passé rôde dans ma tête tel un spectre assoiffé de vengeance. Aider les autres me permet de l'oublier pendant un court instant.

   Je hais les loup-garous mais, contrairement à ce que l'on peut penser, j'aime et protège les loups non possédés par leur emprise. Ces animaux rôdent toujours dans les parages, mais me laissent tranquille. Ils savent que je ne suis pas une menace. Mon pouvoir me rapproche de la nature et de tout ce qu'elle apporte avec elle.

Je poursuis mon chemin et fouille brièvement dans quelques buissons. Cela me rapporte quelques baies consommables que je mets dans la poche en coton que je porte sur mon épaule. Je l'ai réparée à plusieurs reprises, mais les coutures ne cessent de se défaire. J'utilise les fils de mes anciens habits pour les recoudre à chaque fois.

La robe que je porte en est une que j'ai été contrainte de voler lors de mon passage dans un village. Étendue avec le reste du linge, je n'ai pas pu m'empêcher de l'emporter avec moi en toute discrétion. Chaque jour, je la lave dans la rivière non-loin de là, avant de la remettre le jour suivant. Malheureusement, le tissu commence à s'effilocher.

Après avoir fui mon village réduit en cendres, j'ai grandie. Mes vêtements étaient rapidement devenus trop petits et il me fallait en trouver des nouveaux. C'est alors que j'ai commencé à en voler aux familles de loups les plus aisées, ceux qui pouvaient s'en passer.

   Ensuite, après de longs mois d'errance, j'ai découvert la cabane en bois dans laquelle je vis actuellement. De plus, les Alphas semblent avoir fini par oublier la vaste étendue végétale qui m'entoure. Et cela pour mon plus grand bonheur.

Mon foyer est une structure en bois, petite mais confortable. Son état déplorable, qui n'a cessé de se dégrader au fil des années, ne me fait pas peur, au contraire. Elle éloigne les curieux.

  Soudain, ma colombe, nommée Sally, vient se poser sur mon épaule gauche en toute légèreté. Elle agite ses plumes blanches comme si celles étaient de minuscules trophées. Un air inquiet anime son regard brillant, me signalant aussitôt la présence d'un élément anormal dans les environs.

Je la calme instantanément avec une caresse givrée sur ses plumes d'un blanc immaculé. Pourtant, je n'oublie l'avertissement dont elle vient de me faire part.

  J'expire, agitée par cette nouvelle. Mon amie, quant à elle, roucoule dans mon oreille. Elle est restée à mes côtés après que je l'aie sauvée. Son aile blessée l'empêchait de voler et je l'ai guérie sans réfléchir. Depuis, elle ne me quitte pas d'une semelle !

Soudain, des craquements de branches se font entendre dans mon dos. Je me retourne aussitôt vers mon potentiel ennemi, avant de m'immobiliser.

   Un loup blanc sort avec difficulté des nombreux buissons parsemés de baies qui entourent la place ouverte au milieu de laquelle je me trouve. Il est bien trop petit pour pouvoir être un loup-garou. Ces derniers mesurent en moyenne le double de cet animal.  Je reste pourtant immobile, pétrifiée par ce nouveau venu. Lorsque je remarque qu'il boite, je décide de m'élancer en sa direction pour l'aider. Une réflexion me fait changer d'avis.

Un loup sauvage ne s'approcherait jamais de quelqu'un dont il ne connaît pas les intentions ! Ces animaux se défendent de tout ce qui n'appartient pas à leur univers, même quand ils sont dans un état pitoyable. Croyez-moi, j'en ai déjà vu souffrir jusqu'à la mort, tellement leurs convictions les poussent à ne faire confiance à personne. Sauf si... Il est manipulé par les loups-garous !

  Sally m'avertit en poussant un long croassement aigu que je n'avais encore jamais entendu, mais elle arrive malheureusement trop tard.

Un lourd coup, dont l'intensité me surprend, s'abat sur mon crâne et me fait aussitôt perdre conscience. Mon être sombre dans une abysse qui me semble bien trop profonde, tandis que toute trace de lumière s'efface de mon esprit devenu incontrôlable.

Mon visage blanc finit enfin par s'écraser contre la surface boueuse du sol, qui se trouvait sous mes pieds il y a encore quelques secondes. Tout se déroule à une allure hallucinante. Pendant un petit instant, il me semble que le monde tourne au ralenti.