
Scène III
Scène III - Tatoue-moi
Royaume d'Oren, Palais Royal
18h36
Ce que Jisung pouvait détester ces grandes festoyances.
Issu de sang royal, il avait du subir plus de réceptions qu'il s'en serait cru capable. Dans ses souvenirs, le plus éprouvant fut sûrement le bal en l'honneur de la majorité de son grand frère. Selon les volontés de son père, l'héritier de Kerlagan dut choisir sa future reine durant cette cérémonie. Parmi toutes les femmes de la cour, Jisung avait pu attester qu'il n'avait pas choisi la plus laide ni la plus sotte. Pourtant, il ne saurait exprimer à quel point il avait haïs voir toutes ces dames se pâmer pour un peu d'or et quelques brillants sur une couronne.
C'était son premier bal. Il avait enfin été en âge d'y assister, et protégé par Minho qui le suivait à la trace et en silence à cette époque, il s'était bercé des rêves et éloges qu'on lui avait dépeint de telles réceptions.
Un mélange grotesque de piaillements sous couvert de courtoisie, voilà de quoi il s'agissait en réalité.
Alors en arrivant dans la salle de bal sous l'acclamation de son nom, Minho au bras, Jisung n'avait pas de grandes attentes. Il espérait que tout se passerait bien, qu'ils réussiraient à s'échapper sans créer de conflit.
Il ne manquait plus qu'une guerre entre les deux royaumes ! Déjà que son père n'avait pas été mis au courant de leurs futurs agissements...
La salle de réception était immense. Les plafonds hauts offraient des ouvertures lumineuses, les fenêtres et portes vitrées étaient nombreuses et s'étendaient de chaque côtés de la pièce circulaire. On ne les ouvrait jamais, de peur qu'un vent inconvenable vienne plonger la salle dans l'obscurité. Accrochés à leurs tringles, de lourds rideaux de velours pourpres s'entouraient de cordons dorés pour retenir les drapés. Lustres en verre et candélabres près des murs, il y brillait tant de feu et de flammes qu'on semblait y voir comme en plein jour.
Jisung savait pourtant que quand ils quitteraient le palais, le soleil sera déjà haut.
Au fond de la salle, sur une estrade couverte d'un tapis de velours rouge à franges d'or, se trouvaient attablés Ses Majestés les roi et reine d'Oren. A la gauche du trône du roi, s'en trouvait un plus bas, moins paré de pierres mais tout autant doré, appartenant au prince Kim.
Les murs étaient décorés de moulures, sculpté dans un raffinement particulier. Quelques tables rectangulaires avaient été placées proches des murs de droite et plusieurs mobiliers couverts d'édredons et de nappes brodées portaient des mets et plats de toutes origines, sur-cuisinés et qu'aucun d'eux n'aurait l'idée de gouter. L'orchestre des musiciens se tenait dans un coin.
Prenant place au milieu de l'oasis des invités qui attendaient les premiers signaux royaux pour entamer leur valse infinie, Minho manqua de glisser sur le parquet ciré. Il se rattrapa avec toute la délicatesse dont il pouvait faire preuve, mais il remercia intérieurement Jisung de s'être musclé les bras.
- Ne fait pas de commentaire, souffla-t-il entre ses dents serrés.
- Je n'ai rien dit.
Néanmoins, un fin sourire moqueur trahit le prince et Minho se retint de lui écraser le pied de son talon.
- Qu'est-ce qu'ils ont tous à me regarder comme ça ? murmura le brun.
Il est vrai qu'à part durant l'adolescence, quand il était chargé de surveiller Jisung, Minho n'avait pas assisté à de telles réceptions. Il évitait de se tenir trop près de la cour, il n'était que le chef des espions du roi, un homme comme un autre, un pion remplaçable.
Alors Minho n'était pas habitué aux yeux avides des curieux, ceux qui retiennent tout, qui parlent trop et qui ne pensent pas assez. Il était courant que les rumeurs déferlaient dans de telles cérémonies. Aux lèvres de tous, il n'y avait qu'une seule question qui pendait : qui était donc la magnifique jeune femme qui accompagnait le Prince Han venu de Kerlagan ? La rumeur de fiançailles n'avait pas traversé les frontières ! Voilà qui était surprenant, d'autant plus pour la famille royale qui, n'ayant pas été conviée à cet évènement, s'en voyait offensée. Le prince Kim plus particulièrement ne cacha pas son intérêt face à cet étrange couple.
- Ils sont jaloux, répondit Jisung sur un ton bas. Tu es très belle.
Minho se mordit la lèvre inférieure pour ravaler une réplique plus qu'acide. Lentement, il se laissa guider par son prince jusqu'à la table royale. Ils passèrent près des fenêtres, évitant les convives qui riaient fort ou ceux encore qui se contentaient d'observer, piquant dans les assiettes. Ils montèrent les quelques marches de l'estrade et Jisung bougea son bras pour s'incliner à peine, celui-ci replié contre son abdomen.
Baissant la tête et surtout les yeux, se maudissant intérieurement, Minho plia les genoux dans une révérence qu'il espérait de convenance, soulevant de peu les lourds pans de sa robe.
- Majestés, salua Jisung, puis se tournant vers le prince, il poursuivit. Votre Altesse.
- Prince Han, s'enthousiasma le roi d'Oren en se levant. Je suis ravi que vous ayez pu venir.
- Je vous remercie de votre invitation, c'est une très belle soirée qui s'annonce.
- Je vous en prie.
Le roi se rassit. Personne n'avait jamais osé faire de remarque, mais son embonpoint l'empêchait de se tenir debout trop longtemps. Levant une coupe d'un vin si rouge qu'il en paraissait noir, il questionna :
- Dites-moi, qui est donc la délicieuse créature qui vous accompagne ce soir ? Je n'ai pas souvenir d'avoir déjà vu à votre bras pareille beauté.
Le sourire de Jisung se fit crispé mais il tendit le bras droit pour conduire son amant devant le roi. Minho s'inclina une nouvelle fois.
Une beauté frêle et candide, elle était le mouton noir. La jeune fille délicate à la robe aussi foncée que l'enfer. Un rictus doux appuyé par un regard pécheur noyé de cils longs. Elle était la beauté maudite, l'ingénue silencieuse qui dort sur des roses, la fille d'Eve que l'on a condamné pour avoir refait les erreurs de sa mère.
Sur sa robe, on croirait voir le serpent danser autour des fleurs de dentelle.
Le Prince d'Oren en fut presque bouche bée, maintenant qu'elle se tenait divine face à lui. Il se donna rapidement meilleure allure, quand bien même un compliment à l'égard de la jeune brune s'échappa. Mademoiselle Lee n'était pas personne que l'on pouvait ignorer, on lui rendait grâce.
- Laissez-moi vous présenter mon cousin Chan, poursuivit Jisung. Il était de séjour chez nous, et après tout le bien que je lui ai conté de ce royaume, son enthousiasme m'a donné la liberté de le convier ici. J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.
Il avait le menton haut et le regard dur et fier. Jisung, le garçon sensible qui avait besoin d'amour, qui rêvait d'avancées révolutionnaires, qui faisait l'enfant sous les draps, qui avait attendri le coeur fou et celui de pierre, n'en était pourtant pas moins prince d'un puissant royaume. Il avait suivi l'étiquette, le protocole. Il s'était instruit, il avait appris l'art de la guerre. Il savait diriger, il avait été éduqué ainsi.
Chaque fois que Jisung agissait tel que son titre l'ordonnait, Minho en restait pantois d'admiration. C'était un côté de son amant qui n'apparaissait jamais dans leur intimité.
Ce soir, Jisung était royal, majestueux. Impérial, impitoyable et inflexible. La couronne d'or sur sa tête amenait un port droit. On l'avait débarrassé de son manteau de fourrure, dévoilant un uniforme tout aussi noir que celui de sa compagne. Brillante de boutons dorés munis de cordon, la veste était droite et plutôt rigide, les épaulettes décorées apportaient richesse et grandeur à sa posture. Ses cheveux blonds étaient rassemblés en une queue de cheval fine et basse nouée d'un ruban blanc.
De peu, le couple se décala pour présenter le soldat joueur de rôle, Hyunjin à son bras. Le même manège recommença, mais cette fois-ci accompagné de gloussements aigus et des yeux pétillants du grand noiraud. Hyunjin adorait jouer, mais à choisir, nul doute qu'il aurait préféré se faire passer pour le cousin de Son Altesse. Satané Minho !
Bon, c'était aussi de sa faute pour avoir monté un plan impliquant de tels déguisements. Pour autant, il avait beau ne pas apprécier tant de tulles, de fleurs et de froufrous brodés sur le satin bleu roi de sa robe, il appréciait les regards qu'il recevait de l'assemblée et de la famille royale.
Il adorait savoir qu'il était admiré. Regardez-le, le joyaux sans couronne qui s'exhibe sans nom pour voler vos candeurs. La noblesse aguicheuse jouait la coquine. Elle avait peint de rose ses lèvres pulpeuses et de noir ses cils, et l'éventail battant à quelques centimètres de son nez, elle s'inclina avec grâce, sans difficulté. Mademoiselle Hwang, le diamant d'eccéité.
Hyunjin s'accrocha au bras du soldat quand le roi les expédia — avec forme — avant que la danse ne commence.
Une coupe nouvellement remplie par une domestique, le roi d'Oren se leva et demanda le silence.
- Mesdames, Messieurs, chers invités. Tout d'abord, je vous remercie à tous d'être venu ce soir. Comme vous le savez, mon fils, ma chair, est désormais en âge de se marier, et c'est pour trouver sa future épouse que cette réception a lieu. Je vous en prie, prenez place et profitez. Il est une tradition à Oren que quoi qu'il arrive, nous nous devons de respecter. Quand le couple royal donne une réception, c'est la reine et son fils qui ouvrent le bal !
Les convives par couple vinrent s'avancer sur le parquet ciré. Portant sa mère à son bras, le Prince Kim se plaça au centre et il ne fallut que quelques secondes pour que les musiciens entament une valse.
Emporté dans le tourbillon, Jisung attrapa son amant par la taille de sa main gauche et de la droite, il enserra celle de Minho. Leurs pas suivirent le rythme plutôt rapide et la danse commença. Du coin de l'oeil, le brun observa son meilleur ami suivre la ronde, dans les bras de leur soldat. Quelle ironie.
- Trésor, concentre-toi un peu, lui souffla Jisung avec un regard doux. Cela fait trois fois que tu me marches sur les souliers.
- Excuse-moi...
Il alla pour s'éloigner mais Jisung le fit soudainement tourner, suivant les autres invités. Leurs coudes droits hauts et leurs paumes posées l'une contre l'autre, ils valsèrent ensemble.
- Je sais que tu te retiens de râler. Ça se voit.
La voix douce de son prince se répercuta dans ses oreilles et les joues de Minho rougirent. Il détourna la tête en levant le menton. Jisung eut un léger rire.
- Dieu ce que le roi Kim peut m'insupporter. Il est d'un pédant repoussant.
- Trésor ne parle pas ainsi. Cela ne sied pas à la bouche d'une femme... Aïe !
Il grimaça en adressant un regard noir à son amant qui se gaussait de sa petite victoire. Quel maladroit il était, marcher ainsi sur les pieds de son prince quand la valse les rapprocha...
A quelques mètres de là, Hyunjin et Chan nourrissaient les jalouses messes-basses. Les femmes jalousaient la noiraud, les hommes le soldat de pouvoir danser avec si merveilleuse créature.
Sur son petit nuage, le stratège s'amusait, battant des cils en pinçant ses lèvres, secouant un peu ses boucles brunes dans ses tourbillons.
Le soldat, tiré à quatre épingles, était en revanche tendu et blanc comme un linge lavé au sel de mer.
- Allons, vas-tu donc te détendre un peu ?
- Sauf votre respect Messire — Pardon, Mademoiselle, je ne puis être à l'aise alors que vous vous tenez si proche.
- Pourquoi donc ? Serais-tu ébloui ? se guinda Hyunjin.
Chan n'allait pas mentir, il trouvait le stratège de Kerlagan très attirant, oui, même éblouissant dans cette robe. Les volants bleus roi se stoppaient haut sur une chute flottante en tulle jaune décorée de fines fleurs roses. Bien sûr, il aurait été fier d'avoir si belle femme à son bras, mais là était le problème. Pour répondre, il baissa la voix.
- Vous êtes un homme Mademoiselle.
- Et alors ? Crois-tu qu'il me plait de valser avec un homme ? Un subalterne qui plus est.
Honteux de sa prise de courage, le brun se tut.
- Contente toi de rester dans ton rôle Chan.
Hors de la danse, Hyunjin caressa subtilement de deux doigts la joue rougissante du brun, inclinant son menton vers le haut. Le souffle du noiraud s'éparpilla sur ses lèvres et il retint sa respiration, continuant la ronde.
- Cette mission ne doit en aucun cas échouer. Sinon la pendaison sera le plus doux de tes soupirs, tu te mettras à en rêver. Je ne laisserai personne porter du tord à Son Altesse. Est-ce que c'est clair ?
Déglutissant difficilement, Chan dodelina de la tête.
- Très clair Mademoiselle.
- Alors ne fait plus de remarque idiote, et tiens ton rôle, son ton dur s'affermit encore plus en fin de phrase, se taisant presque. Reste à l'affût des gardes. Minho ne devrait pas tarder à bouger. Il suffit juste de délivrer ce satané musicien, et de nous enfuir. Rien de plus facile !
Il était bourré d'ironie.
Et puis, comme si rien n'avait été prononcé, une esquisse douce étira ses traits dans un tableau chatoyant, un sourire brillant et clair, teinté de couleur.
Hwang Hyunjin était un homme beau, qui rendait une femme magnifique.
Leurs doigts se trouvèrent, et Chan fit danser la belle jeune fille autour de lui. Dans un pas un peu plus compliqué, leurs partenaires s'échangèrent. Ils tournèrent avec des inconnus quelques instants. L'homme, flatté de se retrouver face à une telle beauté, eut les mains plutôt basses sur la taille de la jeune fille. Un autre mouvement valsé et Chan tira de nouveau Hyunjin à lui, délaissant le saligaud déçu.
Un léger sourire prit place sur les lèvres du stratège, ses joues rosissantes sans qu'il ne s'en rende compte. Il alla pour marmonner un petit « merci » mais le soldat le coupa, une grimace laide et affolée étirant son visage.
- Mademoiselle, est-ce Son Altesse Kim qui danse avec Sir Lee ?
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