- Main tendue -
Ma chambre restait dans l'obscurité et je décidais rarement de l'aérer. À quoi bon ? Je n'y trouvais aucune utilité. Parfois, cette pièce étouffait dans l'odeur de renfermé et pour autant, je m'étais habituée à ce fétide parfum. Personne n'avait le droit d'entrer dans cette chambre qui était devenue mon refuge. Dans tous les cas, personne ne rendait visite. À qui ? Et pour quelles raisons ?
Ma mère ne s'était attachée à personne. Elle s'était donnée corps et âmes à mon père qui ne lui avait rendu que l'Enfer comme cadeau. Elle l'avait aimé si fort et elle ne regrettait pas la vie qu'elle avait passée près de ce merdeux.
En ce qui me concernait, je n'existais pas. Je n'étais rien qu'un sacrifice pour mon père. Elle m'avait offerte à lui tel l'agneau qu'on tendait avec respect aux dieux. Une offrande en échange de l'harmonie. Je n'étais pas là par désir, je n'étais pas là pour lui apporter une quelconque affection. Elle s'en moquait bien. Elle m'avait littéralement déshumanisée et m'avait laissée au dépend de l'homme de sa vie.
De mon côté, l'intérêt de garder contact était loin de me traverser l'esprit. Et leurs efforts pour ne pas défaire ce lien entre nous avaient été vains. Vivre ma vie, indépendamment des autres, m'offrait une sensation que jamais je n'aurais cru goûter. La liberté me faisait vibrer d'excitation.
Je râlai au moment où je fus extirpée du sommeil, réveillée par d'insupportables maux de têtes, m'assomant presque. Je soupirai d'agacement en remarquant que ma vie n'avait pas changé. Que ma vie restait la même. Que je ne rêvais pas et que tout cela se produisait réellement.
Je me dégageai du confort de mon oreiller et passai mes jambes hors de mon lit, traînant des pieds jusqu'à la cuisine pour tenter de soulager cette énième cuite. Je me pris mon sac, qui se trouvait au sol, dans les pieds et me rattrapai avant de chuter, lâchant un juron. Je constatai que je portais encore mes vêtements d'hier et que j'empestais sérieusement l'alcool.
Je n'y prêtai pas attention et me rendis au plan de travail qui séparait la cuisine du salon. Je me posai sur un siège et ingurgitai mon jus d'orange industriel avec un antalgique. Je soufflai, excédée par ce train de vie, et me frottai les yeux.
Je me débarrassai de mes vêtements et me trimballai nue dans ma chambre, à la recherche d'un haut assez long pour me cacher mon corps.
Je me jetai sur mon lit, un bol de céréales en main, et allumai mon ordinateur, remarquant l'heure tardive.
Je ne me repérais plus grâce au temps. Je ne voulais plus être dictée par qui que ce soit pour quoique ce soit et alors, je faisais ce qui me chantait quand l'idée me traversait la tête, qu'importait l'heure.
Je pris une bouchée de céréales et me concentrai sur mon film d'action, l'air pourtant désintéressé. Je réussissais à passer outre l'odeur nauséabonde qui émanait de mon corps et laissai mon attention passer du film à mon bol de lait chaud.
Je m'enfonçai dans mes coussins et rivai mon regard sur le plafond de ma chambre, n'étant pas happée par cette œuvre du septième art. Je poussai un long soupir et fermai les yeux, faisant le vide dans mon esprit.
Je me concentrais sur ma respiration lorsque la sonnette me sortit de ma sorte de méditation. Je grognai et hésitai à me lever, redoutant que ce soit l'autre idiot qui avait refait son apparition surprise. Mais, me sentant obligée d'aller répondre, je me hâtai à la porte d'entrée. Je plaçai le combiné téléphonique à mon oreille et laissai l'inconnu débuter.
- Lucy ? C'est moi. On peut se parler, s'il te plaît ?
Mon cœur se serra à l'entente de sa voix avant de rapidement tambouriner dans ma poitrine. À cet instant précis, je sentis mon ventre durement se nouer et je ravalai difficilement ma salive.
- Nan. Pars. Lui demandai-je, et je me surpris à entendre ma voix résonner dans ma tête, dans un écho brisé. Je t'ai rayé de ma vie alors, va-t-en.
- Ça fait de cela trois ans, Lucy. Trois ans que je me suis tu alors, permets moi d'insister cette fois-ci.
J'essayai de garder mon calme, me râclant la gorge. J'inspirai profondément et réfléchis tant bien que mal.
Il avait une voix posée. Il était calme et faisait preuve d'une maturité qui ne m'étonnait pas venant de lui. J'avais toujours su qu'il allait réussir sa vie. Et j'étais sûre que si je me trouvais devant lui, dans cet état, je me sentirais écrasée par sa prestance qui serait certainement remarquable entre mille.
J'avais peur. Peur de le voir à nouveau en face de moi, que son regard croise le mien et qu'on se mette à rire à un sourire qui en disait toujours long sur nos pensées.
Je serrai fermement le téléphone dans mes mains et tentai de dénouer mon ventre.
- J'arrive. Dis-je simplement en jetant le combiné à sa place comme s'il me brûlait les mains.
Je me séchai frénétiquement mes humides paumes sur mon large sweat oversize, puis fonçai droit sur mon armoire, me cherchant de quoi me vêtir convenablement.
Je sentais mon cœur battre à vive allure. Je m'inquiétais de ce qu'il allait penser en me revoyant, trois ans plus tard, empuantant aussi fort.
Je dévalai les escaliers des deux étages et me plantai sur place en posant mon regard sur le jeune homme bien habillé qui se tenait derrière la porte en vitre.
Il portait un long trench coat de couleur camel, que je présumais de marque, d'où l'on pouvait entrapercevoir son pull en laine blanc, dont le col roulé lui couvrait son cou. Un simple pantalon bleu sombre lui habillait ses jambes tandis que ses pieds étaient chaussés d'un semblant de mocassin en daim marron. Il avait de l'allure. Une allure qui m'impressionnait.
L'envie de prendre mes jambes à mon cou germa dans mon esprit hélas, son regard, figé dans le vide, se posa alors sur moi. Mon ventre se tordit de plus belle cependant, je passai outre et pris une profonde bouffée d'air avant d'ouvrir la porte.
Il me détailla de haut en bas, m'embarrassant fortement. Une gêne que je lui cachais en plantant durement mes yeux sur Jellal.
- Bonsoir, Lucy.
- Qu'est-ce que tu viens faire là ?
- Grey est venu te voir hier, je me trompe ? Ne répliquant rien en retour, il reprit alors. Cette idée, c'est la mienne. Je veux que tu puisses te trouver un travail, aussi banal soit-il.
- Je ne veux pas de ton aide, Jellal. Comprends le.
- Je sais. Je me suis ancré le fait que tu voulais couper les ponts. C'est sûr que tu ne nous as pas vraiment laissé le choix en changeant ton numéro de téléphone.
Je détournai le regard, jouant de mon pied. Les bras croisés, je tentais de garder une apparence quelque peu respectable.
Ses yeux dévisagèrent ma tenue et je n'osai même pas penser à ce que Jellal devait se dire sur l'odeur qui dégageait de ma personne. Son regard se porta sur les traces rougeâtres sur mon cou, et il soupira.
- Je n'irai pas travaillé là-bas. Déclarai-je.
- Si tu veux... Mais fais que j'arrête de m'inquiéter pour toi, Lucy. C'est vraiment insupportable de se demander ce que tu fais de tes journées... et des tes nuits.
Je me mordillai la lèvre et rabattis une mèche volante, qui m'agaçait, derrière mon oreille. Je poussai un nouveau soupir et fuyai son regard que je percevais comme inquisiteur.
Je connaissais Jellal depuis la primaire. Il m'avait toujours suivie dans mes décisions. Il avait toujours été mon refuge, avant que je ne sois obligée de me contenter de ma chambre.
Jellal avait toujours tout fait pour me protéger de mon père, en vain. Je l'avais considéré comme la personne la plus importante dans ma vie... avant lui. Jellal était mon meilleur ami, mon confident, mon âme-sœur, en quelque sorte.
Me séparer de lui avait été un déchirement mais pour mon bien-être, j'avais mis fin à notre relation, basée sur la confiance.
Donc, me trouver en face de celui qui avait été mon tout pendant si longtemps, j'avais simplement envie de me jeter dans ses bras. Mon cœur me le suppliait. Mais la raison battait sur mes sentiments, éteints depuis tant d'années à présent.
J'inspirai profondément et toisai l'homme devant moi. Il ne me quittait pas du regard. Jellal m'observait sans rien dire. Le bleuté lâcha un soupir.
- Tu voudrais bien qu'on aille se boire un truc ? Pourquoi pas au Tiger Coffee pendant qu'on y est ?
- Qu'est-ce que tu comprends pas dans " Sors à tout jamais de ma vie " ?
- Je comprends, ne t'en fais pas. Mais je ne l'accepte plus. Je ne veux plus me dire que je suis impuissant, après que tu aies autant compté pour moi.
- T'en as déjà trop fait, Jellal. Soufflai-je, excédée. Venir ici était la dernière chose que tu aurais dû faire. Alors maintenant, pars et ne reviens plus.
Jellal me scruta dans le blanc des yeux. Je ne cillai pas pour autant, ayant repris contenance face à mon ancien meilleur ami.
Mes yeux se détournèrent de lui pour se poser sur la main qu'il me tendait. J'arquai un sourcil, perplexe, et reportai mon regard sur sa personne. Son air grave me fit comprendre que Jellal n'allait pas lâcher l'affaire.
- Juste une heure. Une seule et unique heure et si tu ne veux vraiment plus me voir, je laisserai tomber.
- Tu bluffes.
- Je t'ai déjà menti ?
- Aujourd'hui même.
- Je ne t'ai pas promis de te laisser, tu m'y as obligé.
J'observai le bleuté et me laissai un temps de réflexion. Je pesai le pour et le contre et, me rendant compte à quel point Jellal m'avait manquée, je soufflai, acceptant sa proposition. J'attrapai sa main et Jellal me sourit sincèrement.
Je sentais mon cœur s'apaiser en touchant sa main mais, ma raison me hurlait de changer d'avis et de reprendre mes esprits.
Une bataille faisait rage en moi. Ma conscience voulait impérativement prendre le dessus, écrasant sans scrupule les dernières parcelles de mon cœur aimant, tandis que mes sentiments défendaient leurs convictions, qui affirmaient que seul l'amour pouvait faire endeuiller un cœur meurtri. Un champ de bataille sanglant. Je ne savais pas qui remporterait ce match à la fin pourtant, je laissai le point à mon cœur au premier tour.
Vêtue telle une femme frivole et empestant tel un vieil alcoolique, je suivais Jellal dans les rues de Magnolia, le regard fuyant. Il avait une démarche qui correspondait plus que bien à son allure.
Les regards de plus d'un se retournaient pour le dévisager avec intérêt et curiosité. Généralement, j'étais la cause de ces coups d'œil indiscrets, épris par le désir. Je me trouvais toujours au centre de ces petits sourires malicieux mais là, j'avais involontairement laissé ma place à Jellal, qui ne remarquait sûrement pas à quel point il pouvait captivé les passants.
Mon regard se posa sur lui, qui ne réagissait pas, fixant juste un point au loin, concentré sur sa marche. Je constatai ô combien ses quelques années l'avaient déjà tant changé. Et je craignais que son évolution soit loin d'être celle que j'avais réellement imaginée.
Jellal me semblait être devenu quelqu'un d'énigmatique. Il me donnait l'impression qu'il cherchait à rester impénétrable, comme s'il se protégeait d'un quelconque risque extérieur. Jellal me donnait l'impression qu'il avait scellé son cœur, épargnant ses sentiments de son train de vie. En quelque sorte, Jellal me rappelait la personne que j'étais devenue.
Je détournai mon regard, me sentant subitement honteuse, et baissai les yeux vers le sol. Les mains dans les poches de mon fétiche perfecto, je restais plongée dans mes pensées, bloquant le passage aux mauvais souvenirs, gardant que les bons. Dans cette sélection de réminiscences, une vague de nostalgie m'envahit toute entière, me faisant décrocher un petit et imperceptible rictus.
Le Tiger Coffee accueillait chaleureusement ses client. Tout dans ce petit café émergeait une atmosphère conviviale. D'extérieur, la bâtisse semblait vieille et pourtant, les grandes vitres qui laissaient apercevoir l'intérieur du café donnaient sur un lieu spacieux. Un intérieur lumineux, à la pointe de la modernité qui cassait avec l'aspect rustique de la façade. Un charme ancien qui faisait son effet.
En passant l'entrée, je découvris une salle bondée de monde qui prenait une pause dans leur trépidante et merveilleuse vie de chômeur. Assis autour de leur table, des gens papotaient tranquillement entre eux, une tasse en main. D'autres préféraient se fourrer derrière les écrans des ordinateurs du café, installés près du couloir qui amenait aux toilettes.
En embrassant la salle du regard, ma vision se concentra sur les employés du café. Mon regard les toisa un à un tandis que l'évidence tilta dans mon esprit. Et je pris le geste salvateur de Jellal pour un guet-apens.
Il leva la tête de la machine à café et ses yeux rivèrent sur ma personne. Puis il arbora un radieux sourire.
- Oh bah tiens, ça pour une surprise ! Yo à toi, Lulu ! J'ai vraiment cru que Jellal allait patauger encore longtemps vu ton humeur massacrante de la dernière fois. Faut croire qu'il sait s'y prendre avec les femmes. Railla l'ébène, bien amusé de la situation.
Mon visage se décomposa. J'avais pris autant de temps à refaire ma vie sans ces gens et voilà qu'en un claquement de doigt, tous mes efforts s'effondraient pour leur plus grand plaisir. Répugnant. Et décevant.
Je me décevais d'être tombée dans le panneau et d'avoir mis mes sentiments sur un piédestal. Voilà que je devais à nouveau reconstruire le mur de Berlin qui me séparait d'eux auparavant. Un mur dont je prendrai grand soin de solidifier.
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