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Jisung se réveilla avec un abominable mal de crâne. Il avait l'impression d'avoir été piétiné par un village entier. Une odeur inconnue titilla ses narines : un mélange de parfum, de sève et de sueur. En effet, il était allongé, recouvert d'une veste en cuir brun qu'il ne connaissait pas.

Quelque part vers sa gauche, de désagréables bruits se répétaient. C'est en tournant la tête qu'il comprit, et resta bouche bée. De l'autre côté de la route où il gisait, un homme essayait de sortir une moto du fossé. Depuis sa position, seul son dos était visible. Et quel dos ! La chemise lui collait par l'effort, faisant ressortir de magnifiques muscles crispés. Ses manches roulées laissaient apercevoir des veines, qui couraient le long de ses bras.

L'homme jeta ses cheveux bruns en arrière, exténué. Jisung l'admirait, mais prit peur quand le motard se tourna brusquement.

" - Tu es réveillé. Tu aurais dû me faire signe. "

Ses yeux sombres étaient bordés de fatigue et de colère. Que s'était-il passé ?

" - Humm, oui, pardon... Monsieur. "

L'homme haussa ses sourcils droits. Il s'approcha et posa une main sur le front de Jisung, encore allongé.

" - Te rappelles-tu ce qui s'est passé ? 

- Eh bien... pas vraiment, souffla-t-il. "

En réalité, il avait des souvenirs de la veille, et une idée de comment ça s'était fini. Cependant, il voulait la version du bel inconnu, pour s'assurer qu'il n'avait pas rêvé.

" - Que-... que m'est-il arrivé ?

" - Je roulais hier soir quand tu as traversé la route à toute vitesse. Pour éviter de t'écraser, j'ai dû faire un écart dans le fossé.

 - Ah... Je suis vraiment désolé... Monsieur. "

Jisung ne comptait pas se justifier plus. Plutôt mourir que d'être balancé aux flics à nouveau.

« - Le problème, entama l'inconnu, c'est que nous sommes à plusieurs kilomètres de la ville la plus proche. Sans ma moto, ça va être compliqué de rentrer.

Il lui jeta un regard froid et clinique.

« - Quant à toi, je ne sais pas d'où tu viens, mais tu m'as l'air bien perdu aussi.

Jisung se mordit la lèvre, sans pour autant en révéler plus.

" - Et il...il n'y a pas d'autres gens ici ?

- Je connais bien le coin. À part quelques randonneurs, personne ne vient dans cette forêt. "

Jisung décida qu'il était temps de se lever. Il s'agrippa à l'herbe fraîche, et fit quelques pas le long de la route.

" - Encore navré pour ce qui s'est passé, Monsieur... Je vais y aller maintenant. Bonne continuation. "

Un violent vertige le fit basculer en avant. Le motard, avec un réflexe de félin, passa un bras sous la taille de Jisung avant qu'il ne touche le sol.

" - Tu es en état de choc. Repose-toi, incita-t-il calmement. "

Jisung reprit ses appuis, inquiet. Il se sentait pris au piège, comme un rongeur entre les griffes d'un chat.

" - Monsieur, je dois y vraiment y aller... Au revoir. "

Le motard, sans plus se soucier de l'état de santé de Jisung, lui attrapa violemment le bras.

" - Tu ne m'as pas écouté ? La ville la plus proche est à plusieurs kilomètres d'ici, et tu es dans un sale état. "

L'adolescent avait beau se montrer poli depuis son réveil, il n'aimait pas la tournure que prenait les évènements. Le motard resserra son étreinte, son souffle tout près du sien.

" - Et puis je te rappelle qu'à cause de toi, ma moto est dans le fossé, et je pourrais aussi y être. "

Jisung frissonna. C'était vrai : ce type aurait pu être grièvement blessé par sa faute. Voyant qu'il l'avait touché, l'homme conclut placidement.

" - Bref, tu restes avec moi jusqu'à ce que ton assurance me rembourse. Après ça, tu feras ce que tu veux. "

L'adolescent fut pris de panique. Son assurance ? Toute cette administration le reconduirait à la case départ, hors de question.

" - Je... je n'ai pas d'assurance. Je suis désolé. "

Le motard fut décontenancé par son angoisse soudaine. Craignant un nouveau vertige, il le poussa calmement vers une table de pique-nique, un peu plus loin dans l'herbe. Ils s'assirent sur les rondins de bois.

" - Écoutes, je ne te mets aucune pression. Attendons juste de rentrer en ville d'accord ? "

Penché en avant, les yeux noirs et lisses, l'homme dégageait une aura terriblement apaisante.

" - Pour le moment, je crains surtout pour ta santé. Je ne t'ai pas directement rentré dedans, mais tu as roulé sur le côté. Tu as peut-être une commotion cérébrale. "

Jisung mit la tête dans ses bras. Il n'avait pas la force de répondre, et ignorait l'heure actuelle. Quel merdier...

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Quand Jisung se réveilla la seconde fois, le ciel rosissait par le crépuscule. La forêt bruissait dans le vent, mais la route était déserte. Un bruit de pas craqua tout près, le fit sursauter.

" - On dirait que tu vas mieux, vu le bond que tu as fait... "

Le motard s'assit en face de lui, des mèches lui tombaient sur les yeux.

" - Que dirais-tu de parler un peu ? Ne fais pas l'innocent, ta situation est quand même très... étrange. "

Jisung souffla de l'air froid, découragé.

" - Ma situation ne vous concerne pas, Monsieur.

- Oh mais je crois bien que si, souffla l'homme tout près, presque menaçant. Je mérite de savoir ce qui a coûté la vie à ma Yamaha. "

Il se détourna pour observer le soleil couchant derrière les arbres.

" - De toute façon, nous n'avons rien d'autre à faire que de parler. Alors je t'écoutes. "

Jisung soupira à son tour, renonçant à batailler.

" - Je me suis échappé d'un camp de redressement pour mineurs, situé au cœur de la forêt. Là-bas, c'était juste..., avoua-t-il la voix brisée, horrible. "

L'homme ne demanda aucun détail, mais une certaine compassion se reflétait dans ses yeux. Il retira ses gants de moto et lui tendit la main.

" - Je m'appelle Lee Minho.

- Je suis Jisung... Han Jisung. "

Sa main était tiède, réconfortante. L'adolescent se détendit à ce contact, et Minho le remarqua. Il caressa gentiment sa paume, et demanda :

" - Honnêtement, tu m'as l'air vraiment doux comme garçon, ce camp a l'air de t'avoir traumatisé. Je me demande ce que tu fichais là-bas...

- C'est mon père. Il s'est toujours peu occupé de moi. Quand j'ai grandi, j'ai voulu attirer son attention en faisant des conneries. Résultat, il voulait de moins en moins me voir. Ce cercle vicieux m'a conduit dans un camp de redressement. "

Minho soupira, visiblement compréhensif. Le soleil finissait de se coucher.

" - Tu me rappelles l'ado que j'étais... Je ne faisais que sortir le soir, avec de mauvaises fréquentations. J'ai même déjà cambriolé quelques villas, au point de finir en garde-à-vue. Ma famille était aisée, je ne recherchais que de l'amusement. "

Choqué, l'adolescent contempla son interlocuteur sous un nouveau jour. Celui-ci s'amusa de ce changement.

" - Oui, je sais, je n'ai pas exactement l'air d'un voyou. Maintenant, je suis juste un employé de bureau lambda, et m'échappe du quotidien lors de ces balades de nuit. La moto me donne un sentiment de liberté. "

Jisung, qui le dévorait des yeux, le contredisait intérieurement. Minho ne ressemblait pas du tout à un homme lambda. Il y avait dans ses yeux noirs, ses cheveux lisses, ses dents pointues, une perfection inhumaine. Comme un elfe perdu chez les humains, dont la société aurait volé sa magie.

Les deux hommes s'observèrent mutuellement, ils partageaient plus de points communs que prévu. Minho rompit l'échange en se levant.

" - Tu as l'air transi de froid. Il faut trouver moyen de faire un feu.

- J'ai... J'ai un briquet avec moi. "

Le motard haussa un sourcil.

" - Tu fumes ?

- Parfois, mentit Jisung sur sa consommation importante de nicotine. "

Minho, pas dupe, s'éloigna chercher du bois, l'air contrarié. L'adolescent se sentit presque coupable de fumer. C'était une habitude prise dans le camp, pour supporter l'horreur du quotidien. Et encore, il pouvait s'estimer heureux de n'être tombé dans d'autres addictions, comme la cocaïne.

Minho revint avec quelques branches. Une fois allumées, elle dégagèrent de jolies flammes et une agréable chaleur. Le regard perdu, les traits tirés, il rayonnait malgré tout d'un charme indescriptible. Alors, de façon instinctive, Jisung posa sa tête sur l'épaule de son aîné.

Celui-ci ne broncha pas, à la place, il tendit la main.

" - Donne-moi tes clopes. "

L'adolescent obéit, surpris de se faire ainsi racketter. Mais l'étonnement fut plus grand encore, quand Minho jeta le paquet au feu.

" - Promet-moi de ne plus jamais fumer cette merde. Tu bousilles ta jeunesse. "

Ce fut trop. Jisung craqua, et des larmes dévalèrent ses joues. Personne ne s'était jamais soucié de lui comme cet inconnu. Il pleura, pleura, pleura, s'agrippa à Minho comme si sa vie en dépendait. Il avait besoin de quelqu'un comme ça, qui l'empêcherait de tomber.

" - Dors Jisung, ne t'angoisse de rien. Je veille sur toi. "

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