Chapitre un - Une rencontre mystique
Kim Namjoon était originaire de Busan, grande ville portuaire et prolifique de la toute jeune Corée du Sud. Le jeune homme était issu de la classe populaire : son père était pêcheur, sa mère restait au foyer, élevant tant bien que mal ses deux enfants, les protégeant autant qu'elle le pouvait des horreurs que la guerre engendra dès 1950 dans leur pays, à présent divisé en deux. Namjoon avait vingt et un ans au début de la guerre de Corée et, habitant à Busan, le jeune homme qu'il était à l'époque avait toujours vu la guerre de loin et sa vie en était préservée grâce à son lieu de naissance. Busan était à l'époque protégée, au centre de ce que l'on nommait « le périmètre de Busan », la ville côtière servait de plaque navale et aérienne tournante pour l'approvisionnement et les renforts, pour les forces américaines et l'armée sud-coréenne. Il était né et avait grandi dans cette ville, qui, après la guerre de Corée, était devenue de plus en plus cosmopolite : les Russes, surtout, avaient investi les rues près du port, implantant leurs commerces et leurs entreprises pour marchander avec les Américains.
À la fin de la guerre, à vingt-quatre ans, et après avoir travaillé d'arrache-pied jour et nuit avec son père au port, Namjoon s'était lancé dans les affaires. Il avait ouvert, avec l'aide de son meilleur ami, Kim Taehyung, une usine de textile spécialisée dans les hanboks traditionnels de très haute qualité. Avec l'ouverture de l'Asie au reste du monde, le jeune homme avait pour désir de faire connaître les traditions coréennes, en commençant par l'habit traditionnel. Il voulait donner un nouveau souffle, une modernité à ces tenues qu'il chérissait tant, qui représentaient tant pour les Coréens. Il voulait les faire aimer du grand public, mais surtout de l'Occident, au même titre que les kimonos japonais, leur principal adversaire. Le jeune homme était ambitieux, et il le savait, mais il ne renonçait pas.
C'était donc pour affaire que Namjoon, du haut de ses vingt-sept ans, et après trois années difficiles mais productives et enrichissantes, dans tous les sens du terme, était venu au Japon en cet hiver 1956. Il avait voyagé de Busan jusqu'à Osaka en bateau, puis de Osaka jusqu'à Kyoto en automobile, durant des heures qui lui avait semblé des jours. Épuisé mais curieux, le jeune homme ne pouvait quitter des yeux le paysage qui se déployait devant lui, à mesure que l'automobile avançait dans les longues rues exiguës de Kyoto.
Elle finit par ralentir enfin devant une grande bâtisse traditionnelle qui sembla magnifique aux yeux du jeune homme. Devant l'entrée - des doubles portes en bois massif - une jeune femme et un homme, vêtus de simples kimonos gris, surmontés de capelines en laine noire, getas et tabis aux pieds, attendaient. Une fois le moteur de l'auto éteint, l'homme s'avança rapidement pour ouvrir la portière, tête baissée en une salutation respectueuse, alors que Namjoon posait le pied au sol. Resserrant autour de lui les pans de son long manteau marron au col recouvert de fourrure, Namjoon observa d'un œil curieux les alentours, contemplant avec délice la demeure qui lui faisait face. Il apprécia ce charme typiquement traditionnel que lui offrit sa première visite au Japon.
Taehyung, son ami et associé, avait lui aussi fait le déplacement, et tout comme Namjoon, il ne pouvait rester insensible aux nombreux charmes que Kyoto, ses bâtiments, ses rues et ses jardins, offrait aux visiteurs qu'ils étaient. Pourtant, ce n'était pas la première visite du jeune homme dans cette ville, et encore moins dans cette demeure. Celle-ci appartenait à Monsieur Tanaka, directeur d'une grande et influente usine de textile de la région. Son domaine était presque identique à celui des deux jeunes associés puisqu'il excellait dans la création et l'exportation de kimonos, et autres habits traditionnels japonais de très haute qualité, partout dans le monde. Cela faisait des mois que Taehyung et Monsieur Tanaka travaillaient ensemble dans le but de créer entre leurs deux entreprises une coopération. « S'allier pour mieux régner » répétait souvent l'homme d'affaires japonais. Namjoon était à la tête de la direction de leur entreprise, basée à Busan, alors que Taehyung parcourait la Corée du Sud et les pays voisins en quête de nouvelles idées, de nouveaux processus de fabrication ou de partenariats avec d'autres entreprises spécialisées dans le textile de qualité supérieure. Les affaires marchaient tellement bien que les deux jeunes hommes partis de rien devinrent en quelques années seulement de riches partis que tout le monde s'arrachèrent.
- Monsieur Tanaka vous attend.
La voix de l'homme près de lui fit légèrement sursauter Namjoon, sous le regard amusé de son meilleur ami. D'un signe de tête, l'homme les invita à le suivre, laissant la jeune femme près de lui fermer la marche, les suivant quelques pas derrière, tête baissée et mains jointes au niveau de ses cuisses. Namjoon ne lui jeta qu'un rapide coup d'œil avant de laisser son regard parcourir les lieux, admirant la beauté tout en simplicité du lieu. Il en avait presque le souffle coupé. La maison était d'un standing élevé, c'était certain, mais elle donnait aux visiteur une sensation de calme et de respect que seule une maison centenaire - qui avait vu défiler des centaines et des centaines d'habitants - pouvait donner. Comme dans une ruche, des dizaines de personnes travaillaient silencieusement et harmonieusement dans la demeure, aux petits soins de la famille Tanaka, et ce depuis des générations. Cette famille était de celles qui avaient érigé Kyoto, des siècles auparavant, et rien que ce nom imposait le respect dans toutes les bouches qui osaient le prononcer.
Au bout d'un long couloir, richement décoré, se trouvait une magnifique pièce de réception. Le bois parfaitement ciré du mur et les tatamis éclatant de blancheur éblouissaient déjà à eux seuls les invités, plus spécialement Namjoon, bouche-bée devant tant de splendeur. Au milieu de la pièce se trouvait uniquement une table basse en bois sombre, entourée de coussins de soie blanche, brodée de fils d'or. La sérénité de la pièce plu immédiatement au jeune directeur alors qu'ils prenaient place, Taehyung et lui, autour de la table. Une jeune femme vint immédiatement leur servir un thé vert et des gâteaux traditionnels, le tout dans un service blanc tout aussi soigneusement décoré d'or que la pièce.
Un homme était déjà attablé, les observant s'installer et accepter la collation avec un petit sourire de contentement. Monsieur Tanaka allait sur ses quarante-cinq ans, il avait les cheveux grisonnants et un visage avenant. Il dégageait autour de lui une aura confortable, pleine de sympathie et de curiosité. C'était un collectionneur d'art et un bon vivant qui aimait découvrir et apprendre de nouvelles choses, et tentait de nouvelles expériences. Et si ces expériences, comme cette future collaboration, pouvait lui rapporter gros, il ne refusait jamais de les tenter.
Les trois hommes parlèrent durant des heures de leur futur projet et de leur vision de l'avenir, et le tout, en japonais. Namjoon et Taehyung avaient pour l'occasion appris la langue, ne voulant en aucun cas minimiser leurs chances. Ce n'était pas la première collaboration qu'ils faisaient avec une entreprise japonaise, mais c'était bien la première fois que l'enjeu était aussi important pour leurs affaires, alors rien n'avait été laissé au hasard.
À la fin de la journée, alors que le soleil déclinait et que le froid se faisait plus mordant, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, leur hôte les invita à arrêter là leur conversation, et de la poursuivre, si l'envie leur en prenait, plus tard. Il leur avait réservé un cadeau de bienvenue et il était sûr qu'il leur resterait par la suite un souvenir impérissable dans leur esprits. Et Monsieur Tanaka pensait juste, même si il n'en doutait qu'à moitié. Avec un sourire aussi espiègle qu'un jeune garçon, il les précéda dans le couloir, suivi une nouvelle fois d'une jeune femme, toujours en kimono gris, la tenue de rigueur au sein du personnel de la maison Tanaka. Tout en les guidant dans les dédales de sa demeure, Monsieur Tanaka prévint alors ses invités que de nouvelles tenues, plus habillées que les leurs, avaient été disposées dans leur chambres pour leur être prêtées, puis il les pria de les enfiler avant de sortir. Les deux jeunes hommes acquiescèrent en silence, grandement curieux quant au déroulement de leur première soirée à Kyoto.
Une fois qu'ils furent prêts, les trois hommes sortirent de la maison, tous emmitouflés dans leur chauds manteaux de fourrure alors que la neige tombait à gros flocons, recouvrant les rues et les toits des maisons de pureté, soufflée imperceptiblement par le vent glacé. Frileux, Namjoon frissonnait discrètement tout en suivant de près Monsieur Tanaka, Taehyung sur les talons, dans les entremêlements des rues étroites de Kyoto. La tête largement enfoncée dans le col de son manteau, seuls ses yeux et ses cheveux bruns étaient visibles des passants, son souffle saccadé rapidement transformé en buée blanchâtre quand il osait sortir le menton de la chaleur réconfortante de son col. Le soleil couchant et ses rayons orangés se reflétaient dans la neige, illuminant d'une chaude et douce couleur les rues et les bâtisses, ces dernières défilant sous les yeux émerveillés et légèrement enfantins de Namjoon.
Et c'est au détour d'une rue que Namjoon l'aperçu pour la première fois. Là, juste après avoir dépassé le coin d'une petite maison, se découpait dans le lointain une grande bâtisse traditionnelle, annonçant sur sa devanture « Sakura no Ochaya », Maison de thé des fleurs de Cerisiers, et près d'elle, un magnifique petit pont en bois, peint d'un rouge éclatant, enjambait un minuscule cours d'eau à peine glacé par la brise ambiante. Et sur ce pont, une beauté sans nom avait ancrée son regard dans le sien, sa silhouette sombre et élancée se découpant dans les derniers rayons de soleil. Namjoon en avait eu le souffle coupé, le cœur presque à l'arrêt, et les yeux légèrement écarquillés, il ne pouvait détacher son regard de cette apparition presque irréelle.
Sur le pont se trouvaient deux personnes. Elles n'avaient en commun que leurs tailles et leurs corpulences relativement similaires. Tout à part ça était différent. Là où la première était resplendissante dans des habits aux couleurs chatoyantes, rouge et doré, son visage fardé de poudre blanche et ses lignes juvéniles et rebondies soulignées par des traits aussi noirs que du charbon et aussi rouges que le sang, la seconde était profondément attirante par le blanc naturel et parfait de sa peau, ses yeux sombres à peine soulignés d'un léger trait noir, leur forme étirée accentuée, s'harmonisant avec le noir profond de ses cheveux et de ses vêtements. C'était une jeune femme et un jeune homme, tous deux absolument magnifiques et mystiques dans la lumière du crépuscule.
Le temps semblait comme suspendu pour Namjoon qui n'avait d'yeux que pour ces fragiles silhouettes accoudées contre la rambarde du pont. Soumises au vent glacé qui faisait voleter leurs vêtements, s'infiltrant dessous pour les faire violemment frissonner, elles restaient malgré tout si dignes et si majestueuses par tant d'aspects que le jeune homme ne pouvait en détourner le regard. Mais c'était surtout par les yeux si sombres, si profonds, si secrets de ce jeune homme, que Namjoon était aspiré, incapable de bouger, de parler, ni même de respirer. Cet être, à quelques mètres à peine de lui, posait sur lui un regard qui lui donnait l'impression d'être à la fois maître et esclave. Il avait le sentiment que, sous ce regard, il pouvait être qui il voulait, être bien meilleur, et en même temps, que sans lui, il n'était plus rien. Qu'il disparaîtrait dans le néant. Et cette constatation le fit fortement frissonner, le réveillant de son étrange transe.
Lui jetant un dernier regard, un fugace sourire étirant ses fines lèvres rosées, le magnifique jeune homme du pont détourna son visage, hochant légèrement de la tête en réponse à une quelconque parole prononcée par la jeune femme à ses côtés. D'une lenteur contrôlée, il reprit sa marche, le menton levé presque hautainement, ses cheveux parsemés de flocons de neige et ses joues imperceptiblement rougies par le froid mordant de ce début de soirée.
Ce fut là la toute première et furtive rencontre entre Kim Namjoon, un jeune riche directeur d'usine, et Min Yoongi, l'unique et magnifique Maiko masculine.
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