Chapitre huit - Busan
Chapitre huit
Busan
L'atelier était immense. Deux par deux, s'alignant sur quatre longues colonnes, de simples bureaux en bois clair et brut se faisaient face. Sur chaque table, de rutilantes machines à coudre étaient disposées, à présent immobiles et silencieuses, et encore tièdes. D'énormes bobines de fil, formant dans le coin des bureaux une sorte de tas précaire, s'accumulaient maladroitement près des engins. Contre le mur du fond, des mètres de tissu – du coton le plus pur, à la soie la plus précieuse – débordaient presque dans les étroites boîtes en bois intelligemment empilées. Suspendus au haut plafond, les longs luminaires à néons éclairaient puissamment la grande pièce et sous les pieds du curieux visiteur, le parquet en bois craquait faiblement.
Un fin sourire aux lèvres, Yoongi arpentait lentement et silencieusement les interminables rangées de tables, son regard sombre parcourant paisiblement les moindres recoins de la pièce, laissant le bout de ses doigts curieux caresser le métal lisse des machines. Visualisant aisément les petites mains des ouvrières qui avaient, durant de longues heures, façonné et monté les magnifiques hanboks exposés près de lui sur les mannequins de bois, le jeune homme appréciait particulièrement les couleurs chatoyantes et les lignes épurées des précieux vêtements. Il parvenait facilement à imaginer le bruit puissant, répétitif et caractéristique des machines à coudre, leurs cliquetis chimériques résonnants alors faiblement à ses oreilles. Et présent dans l'air, le mélange atypique du puissant parfum chimique des teintures pour textiles et celui de la graisse des machines l'entêtait légèrement.
- Yoongi !
Comme un enfant pris la main dans le sac, le jeune homme ramena vivement son bras contre son buste tout en se retournant lentement, son cœur presque à l'arrêt dans sa poitrine, sa respiration bloquée dans sa gorge, ses yeux légèrement écarquillés. Il le savait, il n'avait pas le droit de se trouver là. Mais très vite, sa main à plat sur sa poitrine frémissante, Yoongi relâcha avec soulagement son souffle, un sourire timide étirant imperceptiblement ses lèvres. Hoseok se tenait dans l'embrasure de la large porte en fer-blanc, flamboyant dans son hanbok coloré, un immense sourire lui mangeant la moitié du visage, ses yeux sombres aussi brillants que deux onyx polis. Après une demi-seconde de battement, le plus jeune s'avança rapidement dans la grande pièce, le rejoignant à grandes enjambées, avant de le prendre brièvement dans ses bras pour le saluer. Surpris, Yoongi resta quelque peu immobile, ses joues rosies, son visage inconsciemment baissé vers le parquet inégal de la grande pièce.
- Je suis si content de te revoir.
Au son de cette douce voix chantante, un discret sourire étira les lèvres fines du plus âgé avant que celui-ci n'acquiesce doucement, son regard ancré timidement dans celui de son ami d'enfance. Malgré toutes ces années loin de lui, Yoongi retrouvait facilement dans ce timbre bien plus grave et dans les traits de ce visage bien plus adulte le jeune Hoseok, ce gamin vif aux sourires immenses et aux mots chaleureux, qui lui avait tant manqué.
- Moi aussi.
- Tu as fais bon voyage ?
Du plus loin qu'il s'en souvienne, les souvenirs de Yoongi avaient toujours été intrinsèquement liés à sa mémoire sensorielle. Il n'était pas rare que le merveilleux goût sucré des gâteaux aux haricots rouges lui rappelle la douceur et la tendresse de sa grand-mère alors que l'odeur froide et âcre du tabac à pipe faisait facilement resurgir du plus profond de sa mémoire l'image silencieuse de ce grand-père figé dans le temps. Ainsi, à l'aube ce matin là, comme englouti par le tumulte humain et les effluves marines du port d'Osaka, le souvenir lointain de son unique voyage en bateau l'avait légèrement fait vaciller, l'appréhension lui tordant quelque peu l'estomac. Les yeux fermés, immobile au milieu de la foule, le jeune homme avait pu aisément se remémorer les bateaux branlants harnachés aux quais alors que, comme s'il y était, les cris aigus des mouettes lui vrillaient à nouveau les tympans. Il avait gardé, au plus profond de sa mémoire, des souvenirs nets de cette journée de novembre et du froid rude, presque aussi mordant qu'en hiver, dans ses cheveux humides, son petit corps alors complètement frigorifié et figé au milieu des badauds.
- Oui. Il était bien plus agréable qu'il y a dix ans.
- Dix ans, déjà ...
Entremêlant tendrement ses doigts à ceux de son aîné, Hoseok laissa un doux sourire étirer ses lèvres fines alors que le regard interrogateur et légèrement brillant de Yoongi croisait une nouvelle fois le sien pour ne plus se détourner. Ils n'avaient pas besoin d'en dire plus. Comme quand ils étaient enfants, les mots étaient inutiles. Après tout ce temps, rien n'avait changé. Et dans ce silence significatif, alors que de doux sourires similaires illuminaient leurs visages, seuls leurs rires aux accents enfantins résonnèrent.
***
Avec ses proportions comparables à celles de l'atelier, la salle de coupe paraissait presque aussi démesurée que la pièce voisine. D'ordinaire, d'interminables et larges tables en bois brut s'alignaient sur toute la longueur de la pièce, des ballots de tissus prêts à être découpés s'amoncelant dessus, alors que les dizaines de luminaires suspendus en cuivre faisaient briller les grands ciseaux abandonnés sur les plans de travail. En traversant la pièce, durant les moments d'effervescence, il n'était pas rare de se prendre les pieds dans les nombreux enchevêtrements de fils jonchant le sol ou de glisser maladroitement sur des bouts de tissu vicieusement éparpillés.
Mais ce soir là, dans cette grande pièce au haut plafond et à la luminosité élevée, rien de tout ceci n'était visible. Le parquet avait été parfaitement balayé et ciré alors que les longues tables de travail avaient laissé la place à de plus petites, de forme ovale, toutes recouvertes de nappes immaculées, agrémentées de toutes sortes de plats merveilleusement odorants. Parfaitement alignées sur les tables, de multiples bouteilles de soju tâchaient de leurs reflets verts le blanc tissu du sublime linge de maison. Et tout autour, de nombreuses chaises, finement ouvragées, avaient été installées, remplaçant subtilement les tabourets inconfortables qui s'agglutinaient chaque jour dans cette même pièce.
Et à peine la large porte en fer-blanc franchies qu'un brouhaha intense agressait les tympans les plus sensibles. Le tumulte ambiant – un mélange désordonné de rires, de discussions en tous genres et de bruits de vaisselle – assourdissait aisément le son des instruments traditionnels coréens, le frottement des cordes du haegeum et les percussions du tambour soudainement comparables à de lointains murmures. Et dans cette pièce immense – qui paraissait à présent presque trop étroite – où chaque jour, durant des heures, une cinquantaine d'ouvrières envahissaient l'espace pour travailler, pas moins d'une centaine de convives triés sur le volet – tous plus importants et fortunés les uns que les autres – se pavanaient dans leurs plus beaux atours, un verre de spiritueux dans les mains, des sourires de circonstance étirant leurs bouches. L'ironie de la scène tordit un instant les lèvres de Yoongi en un discret rictus alors que près de lui, immergé dans son rôle, Hoseok saluait respectueusement les quelques invités qui croisaient leur route.
- Te voilà enfin.
Mme Ren s'avançait gracieusement vers eux, sa silhouette longiligne fendant aisément la foule. Splendide dans son long kimono de soie bleu nuit, ses cheveux savamment relevés dans un chignon légèrement lâche dans la nuque, sa beauté surprenante par son naturel, seuls ses sourcils imperceptiblement froncés indiquaient son inquiétude. Il émanait d'elle une aura à la fois tendre et ferme, et dans chacun de ses gestes et de ses sourires transparaissait une douce autorité presque palpable.
- Yoongi, où étais-tu ?
- Veuillez me pardonner Okâsan, je souhai- ...
Ses yeux voyageant de l'un à l'autre, Hoseok se sentait presque de trop, ses joues rougies par la gêne, sa gorge quelque peu asséchée. Les deux êtres qui s'animaient tout près de lui – et qui échangeaient dans une langue qu'il ne maîtrisait pas – étaient époustouflants de beauté. Et quand Mme Ren, un tendre sourire aux lèvres, posa à peine une fraction de seconde ses yeux sombres sur lui, ses joues se teintèrent violemment de rouge avant qu'il ne braque respectueusement son regard vers le sol, sa lèvre inférieure prisonnière de ses incisives pointues. Son corps tout entier n'était plus que longs frissons. La présence de Mme Ren était presque écrasante de puissance. Il comprenait d'où lui venait son immense et respectueuse réputation.
- Hoseok ... Il faut que j'aille me préparer. On se retrouve après ?
Le doux toucher aérien sur sa peau le fit légèrement sursauter. Relevant la tête, les traits de son visage légèrement altérés par une grimace, les joues toujours empourprées, le plus jeune croisa le regard malicieux de son vieil ami. Celui-ci avait délicatement emprisonné son poignet entre ses longs doigts graciles, un fin rictus tordant ses lèvres, son rire moqueur difficilement contenu. Ils n'étaient plus que tous les deux. Posant alors lentement une main tremblante sur sa poitrine agitée, Hoseok parcourut de ses yeux les quatre coins de la grande pièce, tentant dans le même temps de calmer son souffle laborieux.
- Wouah ... Cette femme ... Cette femme est d'une telle beauté !
Seul le rire franc et sonore de Yoongi lui répondit.
***
Dès les premières notes du tambour, la grande pièce, à présent plongée dans le noir, s'était rapidement faite silencieuse. Les puissants luminaires avaient tous été éteints, et pour seul éclairage, une dizaine de petits lampions rouges avaient été intelligemment dispersés, illuminant de leurs douces lumières orangée l'espace scénique improvisé au fond de l'immense salle. De curieuses volutes de fumée s'élevaient dans les airs, dessinant dans la lumière tamisée de fantasques arabesques, emplissant sensiblement les lieux d'un puissant parfum d'encens.
Avançant lentement au son profondément grave de l'instrument coréen, les notes résonnantes dans l'épais silence comme un étrange battement de cœur, la gracile et mystique silhouette de Yoongi, à peine discernable dans les spirales odorantes, attira rapidement sur elle tous les regards. Juché sur de hautes okobos laquées de noir à peine visibles, le jeune Geiko avait revêtu un somptueux kimono de soie à la traîne interminable. De couleur rouge grenat, agrémenté de délicates arabesques dorées – les ornements cascadant le long de l'étoffe –, le riche tissu chatoyait doucement sous la faible luminosité. Un épais obi jaune pâle, cintrant à merveille sa taille fine frôlait délicatement de son énorme nœud les frêles omoplates du jeune homme, attirant sur sa cambrure marquée de nombreux regards désireux.
Le visage et le cou entièrement fardés de blanc, le rouge des joues, des paupières et des lèvres sciemment accentué, les sourcils et les yeux assombris par un fin trait de charbon, la beauté androgyne du jeune homme n'avait jamais été aussi magnifiquement visible. Ses fins cheveux noirs avaient été sublimés par une cascade de pivoines fraîchement cueillies, leurs douces couleurs pâles adoucissant un peu plus les traits fins de son visage.
Dans sa main droite, semblant ne rien peser, Yoongi tenait fermement un immense éventail. Dissimulant en partie sa frêle stature, fait de bambou et de papier, le sublime objet avait été décoré d'une riche peinture florale, ses rouges et ses roses s'accordant à merveille au précieux vêtement du jeune homme. Au moindre de ses mouvements, du plus subtile au plus puissant, le grand objet claquait puissamment dans l'air, son fin papier ondulant doucement au grès des gestes parfaitement maîtrisés et millimétrés de l'artiste. Et au son aigu et ininterrompu du haegeum et du battement puissant du tambour, le corps délié de Yoongi se mouvait harmonieusement. L'immense éventail bruissait doucement près de lui et frôlait gracieusement de son riche papier la peau de ses bras mise à nu à chacun de ses mouvements.
Comme plongés dans un monde onirique, les spectateurs retenaient leurs souffles, le mélange surprenant de cette musique coréenne et de cette danse chimérique les fascinant profondément, leurs yeux rivés sur l'envoûtante silhouette de l'artiste. Et c'est au moment où le grand éventail pivotait doucement, le corps souple de Yoongi suivant le mouvement, que le jeune homme laissa son regard sombre parcourir lentement l'assemblée. Là, immobile au milieu de ces prestigieux invités, un homme avait profondément ancré son regard dans le sien. Son ventre se contractant brusquement sous la surprise, la respiration de Yoongi se coupa presque violemment. Il était présent. Namjoon était là.
Probablement inconscient de l'effet qu'il avait sur le plus jeune, ses bras croisés sur son torse, ses yeux ancrés dans les siens, le charme du jeune entrepreneur était renversant. L'expression de son magnifique visage était indéchiffrable alors que sous ses sourcils légèrement froncés, ses yeux semblaient bien plus sombres et insondables qu'à l'accoutumer. Ses cheveux bruns aux tendres reflets de miel, rejetés en arrière par une forte gomina, dégageaient superbement son front, les traits de son visage acérés alors parfaitement mis en valeur. Habillé dans un luxueux complet entièrement noir, sa large carrure sublimé par ses vêtements cintrés, il se dégageait de lui une puissance à couper le souffle. Aux yeux de Yoongi, Namjoon n'avait jamais été aussi beau qu'à ce moment-là.
Et sensuellement, ses yeux à présent fermés, se concentrant à nouveau sur sa chorégraphie, exagérant volontairement le mouvement, le danseur se courba lentement vers l'avant. L'immense éventail grand ouvert devant lui dissimula entièrement son corps alors qu'au même moment, brusquement, les instruments se turent, ne laissant entendre dans la salle plus que la respiration rapides du jeune homme. Puis les ténèbres englobèrent rapidement la grande pièce à l'instant où les lampions furent simultanément éteints. Il y eut alors un léger flottement, les invités comme frappés par la fin magnifiquement abrupte de la représentation. Et, à l'instar d'une puissante vague s'écrasant contre un rocher, sous la lumière des luminaires à présent rallumés, le bruit emplit à nouveau la salle. Enchantés, les yeux brillants et les visages encore quelque peu figés par la fin brusque du spectacle, les convives applaudirent chaudement, cherchant dans le même temps du regard la silhouette vaporeuse du jeune prodige. Mais sur la scène, seul le grand éventail subsistait.
***
À mesure qu'il avançait dans le long couloir faiblement éclairé, ses pieds nus allégés des hautes okobos inconfortables, Yoongi se sentait lentement défaillir. Légèrement agité, Hoseok était venu le trouver dès la fin de sa représentation, le soustrayant sans le moindre regard et sans mimer la moindre excuse aux riches invités qui l'entouraient. Namjoon souhaitait le voir. Alors seul dans cet interminable couloir, plongé dans ce silence angoissant, ses mains tremblantes à présent posées sur sa poitrine frémissante, Yoongi s'exhortait au calme. Une sourde appréhension lui comprimait la poitrine, ses yeux s'humidifiant imperceptiblement, alors qu'il s'approchait enfin du but. Que se dire après tout ce temps passé loin l'un de l'autre, après s'être quitté comme ils l'avaient fait ? Pourtant, pour Yoongi, une seule chose était certaine. Son amant lui avait tant manqué que cela en était atrocement douloureux.
N'hésitant pas, après un léger coup contre le battant en bois, n'obtenant aucune réponse, Yoongi ouvrit lentement la large porte. Plissant alors les yeux, ses rétines s'étant habituées à l'obscurité du couloir, le jeune homme prit quelques instants pour s'accommoder à la lumière qui inondait la chaleureuse pièce. Le bureau, d'une superficie plus que correcte, était décoré sobrement mais avec goût. Couvrant tout le mur du fond, une immense bibliothèque regorgeait de livres en tous genres alors que face à elle, trônant presque au milieu de la pièce, un grand bureau en chêne massif de couleur sombre et son large fauteuil attiraient immédiatement le regard. De magnifiques photographies en noir et blanc, images figées de l'usine, de ses alentours et de ses ouvrières, décoraient les trois autres murs, se mélangeant sans distinction aucune avec les quelques tableaux de maîtres coréens que Namjoon se plaisait à exposer chichement.
Un doux sourire aux lèvres, ses yeux curieux voyageant dans la pièce, ses pieds nus s'enfonçant avec délice dans l'immense tapis moelleux qui recouvrait le paquet glacé, l'attention de Yoongi se porta alors sur un objet intrigant. Dans un des coins, un large paravent japonais soustrayait au yeux inquisiteurs une porte dérobée, contribuant néanmoins par sa présence à la création d'une ambiance plus chaleureuse et intime au sein de cet espace de travail. Et provenant alors de cette discrète alcôve, d'étranges bruits piquèrent la curiosité du jeune homme. S'avançant silencieusement dans la pièce, un fin sourire aux lèvres, certain de surprendre Namjoon par son impromptue arrivée, Yoongi ouvrit la porte à la volée. Mais le souffle coupé, ne pouvant détacher son regard de la scène qui se jouait involontairement devant un public indésiré, le jeune homme suffoqua douloureusement.
Se tenant au centre de la pièce sommairement meublée – un unique lit de taille moyenne occupant le petit espace – Namjoon et Renkô étaient plus proche qu'ils ne l'avaient jamais été. Son corps tendu collé contre celui de l'homme, la jeune femme était l'image même d'une Madone des plus érotiques. Son visage aux traits si sensuels était levé vers le plus âgé, ses longs cheveux noirs libérés de toutes entraves frôlaient ses épaules dénudées alors que sa poitrine menue quelque peu découverte était comprimée contre le buste dur du jeune entrepreneur. Renkô dégageait une beauté à couper le souffle. Mais impassible, Namjoon, les bras le long du corps, avait néanmoins été délesté de sa veste, les pans de son veston écartés et les premiers boutons de sa chemise détachés. Plongés dans cette scène hautement luxurieuse, dégageant une pure aura de sensualité, le couple était sublime.
- Toi !
La voix étranglée de Yoongi résonna fortement dans la pièce. La poitrine atrocement comprimée, une sourde douleur lui vrillant le crâne, ne réfléchissant plus à rien, le jeune homme se jeta sur Renkô, un gémissement presque animal franchissant la barrière serrée de ses lèvres pâles, comme exsangues. Le visage blême et les yeux dilatés, il ne contrôlait plus rien, ni son souffle saccadé, ni ses gestes emportés. Tout en empoignant entre ses longs doigts une large mèche des cheveux sombres de sa sœur, le plus jeune agrippa de son autre main le col de son kimono défait, forçant alors la jeune femme à se détacher d'un Namjoon figé par la surprise. D'une violente impulsion, Yoongi repoussa alors Renkô de toutes ses forces, se plaçant, comme un futile rempart, entre son amant et elle. Dans la pièce silencieuse, ne résonnaient plus à leurs oreilles que leurs souffles saccadés.
- Comment oses-tu me toucher, sale petit bâtard ? Tu n'étais rien, RIEN TU M'ENTENDS ? Un gamin indésirable, un futur serviteur qu'on aurait dénigré sans problème tout au long de sa misérable vie. Et regarde toi maintenant, à te pavaner, à faire le beau, parce que monsieur a tout. TU AS TOUT ! Tu m'as tout volé, tu m'as tout pris ... ET IL FALLAIT EN PLUS QUE JE TE CÈDE CET HOMME ? Jamais, tu m'entends ... JAMAIS !
Ses mains osseuses agrippées dans sa chevelure hirsute, Renkô était l'otage de sa haine, son sublime visage n'ayant à présent plus rien d'harmonieux. Défigurée par des larmes amères, enlaidie par sa rage, la jeune femme perdait entièrement le contrôle, ses cris monstrueux emplissant la pièce, résonnant terriblement dans tout l'étage.
- Je suis désolé.
La voix de Yoongi, sourde et légèrement voilée, sonna étrangement dure compte tenu de ses mots. Son regard sombre ancré dans les yeux fous de sa grande sœur, ses sourcils légèrement froncés, ses lèvres tordues par une grimace dédaigneuse, son maintien droit, Yoongi était impressionnant de froideur.
- Je suis navré de voir qu'à cause de ce gamin si indésirable, qu'à cause de moi, tu te sois autant perdu. Mais je ne m'excuserai pas Renkô, sache-le. Je ne m'excuserai pas d'être qui je suis aujourd'hui, et d'avoir enfin ce bonheur que je mérite.
À l'écoute de ce surprenant discours, la jeune femme eut le souffle coupé. Le corps tremblant, Renkô restait muette, ses yeux noirs plantés rageusement dans ceux de son frère, suffocante sous sa profonde colère. Mais au moment où elle s'avançait vers le jeune homme, sa main levée prête à s'abattre sur ce visage tant honnis, elle se figea, le regard braqué bien au delà de lui.
- Que se passe-t-il ici ?
La voix froide de Mme Ren claqua étrangement dans l'air. Ne se démontant pas pour autant, un air hautain peignant à nouveau les traits affreusement tirés de son visage, ses yeux haineux se posant une ultime fois sur Yoongi, Renkô se détourna. Les poings serrés contre ses flancs, ses cheveux défaits s'agitant dans tous les sens, son kimono débraillé, la jeune femme sortit pourtant la tête haute de la pièce, son regard braqué devant elle. Elle n'avait plus rien à perde. Mme Ren, exaspérée, lança un bref coup d'œil vers les deux jeunes hommes toujours immobiles au centre de la pièce – jaugeant rapidement la situation – avant d'emboîter le pas à Renkô. Dans le long couloir, ses appels restaient sans réponses.
Mais à présent seuls, l'atmosphère lourde les étourdissant légèrement, Yoongi et Namjoon n'échangeaient aucun mot ni aucun regard. Le temps semblait comme s'être arrêté au moment où les deux femmes avaient quitté la pièce. Et à l'instant où le plus jeune fit un pas en avant pour s'éloigner, son cœur douloureusement comprimé dans sa poitrine serrée, ses yeux volontairement fuyants, Namjoon bougea enfin. Craintivement, sa main enserrant doucement le frêle poignet de Yoongi, le plus âgé le tira légèrement vers lui. Il fallait qu'il le retienne. Sous ses longs doigts, il pouvait sentir le jeune homme tremblait. De peur ou de colère, il ne saurait le dire.
- Yoongi, s'il te plaît, ne pars pas, écoute moi ...
Mais Namjoon ne put rien dire de plus. Le regard infiniment blessé que son jeune amant posa sur lui le transperça de toutes parts. Son souffle lui manquant, le plus âgé relâcha lentement le poignet de Yoongi, le bout de ses doigts frôlant comme au ralenti sa peau étrangement fraîche. Son sublime visage ravagé par des larmes silencieuses, comme une cruelle réminiscence de leur dernière rencontre, le jeune homme se détourna vivement avant de quitter prestement la pièce.
S'élançant dans le couloir, ses pieds dérapant imperceptiblement sur le parquet ciré, Yoongi put entendre, à travers ses sanglots irrépressibles, le cri de rage s'échappant du bureau de Namjoon.
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