SIXIEME ANNEE, avril 1977

— Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises.

La carte s'éveilla et des lettres apparurent les unes après les autres dans une écriture soignée. 

— Lunard, Patmol, Queudever et Cornedrue sont heureux de vous présenter la Carte du Maraudeur...

Un silence s'ensuivit. Sirius trépignait d'impatience, sa jambe bandée tressautant sous la table, James nettoyait ses lunettes d'un air distrait, Peter faisait une grimace et Remus refusait de regarder Emmeline dans les yeux. Celle-ci soupira.

— D'accord, je vois. 

— Quoi ? demanda Sirius.

— Ne fais pas semblant de ne pas comprendre, Black, gronda Emmeline. J'ai hâte d'entendre vos explications.

— Tu n'étais pas là ces dernières semaines, commença Peter dans un élan de courage.

— Je sais que ce n'est pas très fair-play de notre part, avoua James. Sirius a pris le contrôle du sortilège et il ne nous a pas trop laissé notre mot à dire.

— C'est pas cool de remettre la faute sur moi ! s'exclama Sirius.

— Je pense que je peux trouver un moyen d'effacer le sortilège..., commença Remus.

— Laisse tomber. Visiblement, mes années à consigner des plans détaillés du château n'a pas pesé dans la balance lorsque vous avez décidé de donner vos noms à cette carte.

— Essaie de comprendre, Vance, dit Sirius. Lunard, Patmol, Queudever, Cornedrue et Winse, ça faisait lourd. En plus, je n'avais plus d'encre.

— Garde tes excuses, répondit sèchement Emmeline. 

Elle se leva d'un bond, faisant crisser la chaise, et sortit en trombe de la salle commune des Gryffondors. Elle n'avait même pas pris la peine d'ouvrir la carte. C'était l'accomplissement d'années de travail. Alors qu'elle s'évertuait à trouver un moyen d'aider Remus, les garçons avaient réussi à rendre "vivante" la carte du Maraudeur, un projet dont ils parlaient tous les cinq depuis leur deuxième année à Poudlard. Ils avaient fait des centaines d'escapades nocturnes pour dessiner les plans du château, indiquer les passages secrets et les détours stratégiques, pour se constituer un véritable trésor qu'ils pourraient plus tard passer à leurs enfants et leur fournir un avantage considérable. Avec cette carte, aucun moyen d'arriver en retard ou de se faire chopper par Rusard. Durant leurs dernières années, elle leur aurait permis de se faufiler la nuit avec encore plus de facilité, sans toujours avoir à demander sa cape d'invisibilité à James. C'était un travail formidable qu'ils avaient accompli. Elle était enfin terminée. Cependant, le nom d'Emmeline ne figurait nulle part et elle ne pouvait ignorer l'état de son coeur. Il était déchiré et en colère.

Elle avait travaillé si dur, avait pris autant de risques que les autres et pourtant, ses efforts n'étaient pas récompensés. Elle tombait aux oubliettes parce qu'elle avait eu le malheur de passer moins de temps avec eux ces dernières semaines.

C'était injuste.

Emmeline s'enfonça parmi les citrouilles du jardin d'Hagrid. Le garde-chasse était hors de l'école pour le week-end, lui permettant de respirer l'odeur de l'herbe et de se vider la tête. Le soleil déclinait et bientôt, le dîner serait servi dans le Grande Salle, mais Emmeline n'avait pas faim. Elle était épuisée. Les actualités n'étaient pas encourageantes, ses parents lui envoyaient des dizaines de lettres par inquiétude, elle n'avançait pas dans la potion que Damoclès et elle tentaient de fabriquer et maintenant, ses amis lui tournaient le dos. Quelques larmes s'échappèrent de ses yeux chocolats et elle replia ses jambes contre sa poitrine. Elle avait envie de hurler sur Sirius, de mettre son poing dans la figure de James, de balancer son journal à Peter et de brûler les pieds de chaise de Remus. 

Une odeur familière chatouilla les narines d'Emmeline et elle ne fut pas surprise de voir le visage plein de cicatrices de Remus dépasser de l'une des citrouilles. Il lui adressa un regard penaud, comme il en avait le secret, puis s'installa à côté d'elle en silence. Emmeline sécha rageusement ses larmes, ne voulant pas se montrer vulnérable devant son ami. 

— Je suis désolé, Emy, dit-il dans un souffle. Laisse-moi te montrer quelque chose.

Il lui tendit le vieux parchemin qui, à s'y méprendre, ressemblait à un vieux brouillon destiné à la poubelle. Elle retrouvait là le sens du détail de James qui avait sûrement penser que cacher une carte dans un vieux bout de parchemin relevait du génie. Et il avait raison. Emmeline repoussa néanmoins la carte en soupirant.

— Je veux pas voir ça. 

— Si, insista Remus. Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises. 

Les tracés à l'encre apparurent les uns après les autres, mais Emmeline refusait toujours de poser les yeux sur la carte. Elle ne lui rappelait que trop bien la trahison de ses amis.

— Regarde. J'ai réussi à l'intégrer avant que Sirius ne finalise le sort. Allez Emy, regarde.

Elle finit par tourner les yeux sur Remus dans l'optique de lui jeter un regard noir, or son coeur fit une embardée quand elle aperçut le rose à ses joues et le coucher de soleil qui se reflétait dans ses orbes marron. Ce qu'il était beau sous cette lumière. Les cicatrices sur son visage étaient à peine visibles et ses cheveux retombaient maladroitement sur son front. Son faible sourire rendait son visage encore plus séduisant, marquant sa mâchoire et remontant son nez froncé. Ne pouvant pas s'attarder ainsi, Emmeline jeta son dévolu sur la carte et elle la vit. La petite buse qui voletait autour des tours du château et passait devant chacun des noms des quatre autres Maraudeurs. Une buse qui lui ressemblait, qui avait la même asymétrie des couleurs sur son plumage et la même vivacité dans le regard. D'autres larmes s'échappèrent des yeux d'Emmeline. Elle était sincèrement touchée par le cadeau de Remus. Il l'avait inclus dans la carte, malgré l'entêtement de Sirius. Elle le regarda longuement de nouveau, dévorée par une furieuse envie de l'embrasser.

— Tu pleures ?

Remus fronça les sourcils, inquiet. De sa main libre, il essuya du bout du pouce la joue mouillée de la jeune fille. Leurs deux coeurs battaient la chamade et une horde de papillons leur tordait le ventre, pourtant aucun d'eux ne succomba à son désir, retenant cette furieuse envie de sceller leurs lèvres, laissant leur conscience leur hurler que c'était une mauvaise idée, que l'autre ne ressentait pas la même chose, qu'ils étaient amis et rien d'autre.

Emmeline repoussa doucement la carte de sous son nez et enroula ses bras autour du cou de Remus pour le serrer contre elle. Ainsi, elle put reprendre le contrôle de ses émotions tout en lui communiquant sa gratitude.

— Je t'aime tellement, dit-elle.

Remus sentit une chaleur agréable lui monter aux oreilles. Que voulait-elle dire par là ? L'aimait-elle comme elle aimait James, Peter ou Sirius ? Ou était-ce différent avec lui, plus intense, d'une signification plus profonde ? Emmeline elle-même ne le savait pas. La seule certitude qu'elle avait, c'était qu'elle aimait profondément Remus et que de tous ses amis, c'était celui qui prenait le mieux soin d'elle et qui la surprenait le plus. Ils restèrent ainsi un petit moment, laissant le soleil décliner dans leur dos. 

Sur le chemin du retour, Emmeline concéda à découvrir les subtilités de la carte du Maraudeur. Certains sortilèges n'étaient pas parfaits et il manquait un ou deux détails sans importance, mais au final cet artéfact était un véritable chef d'oeuvre. Elle aurait aimé y participer plus activement ces derniers temps, or elle ne regrettait pas de passer tout son temps à concocter une potion pour la malédiction de Remus. Encore moins après ce qu'il venait de faire pour elle. La Carte du Maraudeur notait chaque passage en temps réel du moindre élève ou professeur dans le château de Poudlard. Ainsi, elle pouvait distinguer que Lily descendait de la bibliothèque pour manger et que James et Sirius étaient déjà attablés. Les points de Emmeline et Remus apparurent ensemble quand ils mirent un pied sur le carrelage du château. La jeune femme rangea alors la carte dans sa robe après l'avoir tapotée en chuchotant "Méfait accompli", comme le lui avait expliqué Remus. Elle ne pouvait risquer que quelqu'un découvrît cet objet. 

Alors qu'ils se rendaient à la Grande Salle pour dîner, Remus et Emmeline tombèrent nez à nez avec Severus Rogue qui remontait des cachots. Pour une fois, il était seul, et non pas flanqué de ses camarades Serpentards absolument odieux.

— Bonsoir Rogue, le salua gentiment Emmeline.

Il renifla de mépris et passa très près de Remus en lui chuchotant quelque chose. Celui-ci devint blême et Emmeline sentit son sang bouillonner.

— Stop !

Rogue s'arrêta quelques mètres plus loin et se retourna d'un coup sec en affichant un air méprisant. Emmeline ne comprenait pas ce qu'il lui prenait. Remus et elle étaient toujours très cordiaux avec lui. La jeune Vance discutait parfois en cours de Potions et Rogue savait très bien qu'ils ne participaient pas aux moqueries de Peter, Sirius et James. 

— Qu'est-ce qu'il vient de te dire Remus ?

Rogue ricana et le jeune Lupin secoua la tête.

— Rien, laisse tomber Emy.

— Je lui ai dit qu'il empestait le chien mouillé, répondit Rogue sans vergogne. 

Emmeline se rapprocha de lui, mais il ne bougea pas d'un pouce. Néanmoins, elle aperçut sa main glisser dans sa robe, sûrement pour mettre la main sur sa baguette en cas d'attaque de la lionne. 

— Arrête ça tout de suite.

— Pourquoi ? Je ne dis que la vérité. Si tu crois que je n'ai pas remarqué vos récentes blessures à tes amis et toi. Lupin devrait être enfermé à Sainte Mangouste.

— Ça suffit Rogue, répéta Emmeline. Tu vas trop loin.

Heureusement pour eux, le couloir était désert. Tout le monde était déjà en train d'entamer le dîner dans la Grande Salle. 

— Bientôt, tout le monde découvrira quelle bête répugnante arpente les couloirs de ce chât...

Il n'eut pas l'occasion de terminer sa phrase ; Emmeline avait brandit sa baguette et la pointait sur son visage, prête à l'envoyer valdinguer contre un mur.

— Dis encore une seule réflexion déplacée à l'encontre de Remus, Servilus et je te promets que je t'envoie à l'infirmerie.

Rogue ne se risqua pas à tester Emmeline. Il l'avait déjà vue au Club de Duel et ses sortilèges de Désarmement étaient si puissants qu'ils faisaient rouler ses adversaires sur plusieurs mètres. Il ne voulait pas risquer de se fêler une côte pour quelques petites insultes bien placées envers le loup-garou.

— Remus et moi avons toujours tenté de te défendre, ajouta-t-elle, furieuse. Combien de fois j'ai déjoué les tours de Sirius et James pour ne pas t'humilier devant tout Poudlard ? Combien de fois j'ai répété à Lily de t'accorder une autre chance ? Mais la vérité Servilo, c'est que tu ne mérites pas mes efforts. 

Les yeux noir charbon de Rogue s'éclaircirent face aux aveux de la jeune Vance. Elle avait essayé de l'aider et il venait de perdre sa seule alliée parmi les Maraudeurs. Son avenir dans les couloirs de ce château risquait d'être encore plus sombre qu'il ne l'était déjà.

Emmeline sentit les doigts de Remus se refermer sur son avant-bras et elle abaissa sa baguette, non sans un dernier regard glacial à Severus Rogue.

Personne n'insultait Remus de la sorte.

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Un long chapitre pour pas grand chose au final. Je suis en vacances à Biarritz et c'est ouf ! Et vous alors cet été ???

Ecrit le 12 Février 2022, corrigé le 20 Mai 2022 et le 3 Août 2022.